PROLOGUE.

Aphrodite courrait désespérément dans les rues d'Athènes. Son souffle léger bruissait comme des battements d'ailes de papillons à ses oreilles.

Pourvu qu'il ne soit pas trop tard!

Cet imbécile! Quelle idée d'aller faire ça!

Dès qu'il l'avait appris, il s'était mis à sa poursuite. Evidemment, "il" avait déjà pris une bonne avance...

Aphrodite, cheveux au vent, accéléra encore l'ardeur de sa course.

Saloperie de ville! Qu'est ce qu'il pouvait y avoir comme touristes! Tous à s'extasier les yeux ronds pour n'importe quoi! Mais poussez-vous donc, bande de cloportes!

Le regard noir et jouant des coudes, Deathmask se frayait un chemin à travers la foule. Sa haute silhouette menaçante dominait tout son entourage.

La plupart des gens se poussaient bien vite, à la vue de ces yeux bleus féroces et de cet air sauvage et intraitable.

Il faut dire qu'avec son rictus d'animal enragé, il portait bien son nom, notre Deathmask!

Avec cela, comme si ça ne suffisait pas, un caractère emporté et une langue pour le moins acérée ; ce bel italien ne laissait personne indifférent.

Pour l'instant, c'était Milo qui avait intérêt à s'en faire :

Je vais lui faire bouffer son venin, à ce salopard de scorpion! Je vais lui faire passer l'envie de recommencer, moi !

Comment a-t-il osé faire ça à Aphro? Et moi qui croyais que c'était le plus correct de nous quatre! Il m'a bien endormi avec ses grands yeux bleus et ses airs innocents, ce sale petit grec à la noix! Angelo, méfie-toi de l'eau qui dort... Après tout, c'est un animal vicieux le scorpion.

Qu'est-ce que j'ai été bête, alors! Attends seulement que je te mette la main dessus!

L'italien, furieux, donna un coup de coude bien senti à un touriste qui le serrait d'un peu trop prêt -"eh, ça va pas, non?"-

Puis ses yeux se rétrécirent et ses lèvres se fendirent en un sourire cruel :

Ah, je tiens enfin, fils de pute! Ca va barder pour ton matricule!

Pas de doute possible, cette silhouette musclée, à la peau bronzée et aux cheveux bleus, c'était lui, Milo, le chevalier du scorpion...

Quelques larges enjambées de plus, tous ses poils hérissés et les yeux enflammés, et le cancer attrapait son collègue par le dos de son t-shirt...

Aphrodite boitillait, maintenant, essoufflé et se tenant le côté.

Sa poursuite l'avait épuisé, il n'était pas encore assez remis de ses blessures pour avoir autant d'endurance. Il n'était plus loin, cependant.

Il pouvait déjà sentir l'aura ténue de Milo, bien que celui-ci tentât de la camoufler. Mais plus que tout, il pouvait sentir l'aura du cancer, écarlate de par la fureur qui l'animait.

Heureusement que celui-là, aveuglé qu'il était par sa folie meurtrière, n'avait pas réussi à capter l'aura discrète de son homologue. Cela l'avait suffisamment ralenti pour permettre au poisson de le retrouver à temps.

Aphrodite sourit tout seul :

Sacré Angelo, c'est tout lui, ça! Tout en finesse, comme d'hab!

Il venait de repérer la montagne de muscles qui traversait la foule tel un bulldozer fracassant tout sur son passage.

Le pauvre Milo marchait quelques mètres devant, la tête ailleurs et l'air abattu.

Aphrodite observa avec horreur le cancer pousser un rugissement et foncer sur sa proie...

Milo poussa un glapissement étranglé.

Une tornade venait de l'attraper par son t-shirt et menaçait de lui faire sauter la tête des épaules.

Il reconnut le grondement sourd et le rictus mortel qui accompagnaient son agresseur une fraction de seconde trop tard ; déjà celui-ci lui serrait le cou dans un étau et de petites lumières dansaient devant ses yeux.

Derrière lui se tenait un démon aux yeux rouges et aux lèvres retroussées, un démon qui ne voulait plus que détruire, une implacable machine à tuer.

Oh, c'est pas vrai, pas lui ! Pensa Milo alors que ses yeux devenaient vitreux.

Son cerveau, privé d'oxygène, ne lui obéissait plus…

- Death…mask…. Râla-t-il…

Il sentit son corps se raidir en un ultime sursaut, puis se ramollir et devenir flasque entre les mains puissantes du tueur fou.

Et dire que je ne l'ai même pas senti venir ! Avec sa subtilité si légendaire pourtant !

Un instant, il s'étonna que sa dernière pensée puisse être pour une blague de si mauvais goût. Comment pouvait-il encore faire de l'humour en un pareil moment ?

Il sentit ses yeux rouler dans ses orbites.

Puis ce fut la nuit…

Deathmask serrait de toutes ses forces, il avait la nuque solide cette ordure ; il n'arrivait pas à la broyer comme il le faisait d'habitude avec tous ces chiens apeurés qu'on l'envoyait tuer.

Il sentit sa victime se raidir et chercher désespérément à lui faire lâcher prise, mais c'était lui le plus fort.

Il avait toujours été le plus fort.

Les bras bronzés du scorpion se tendirent alors vers l'avant, battant et griffant l'air dans une vaine tentative pour trouver quelques atomes d'oxygène.

Les beaux cheveux bleus en épis fouettèrent sauvagement le visage de l'assassin. Puis Milo rejeta la tête en arrière, se cambrant, sonnant presque son adversaire ; mais celui-ci tint bon.

Un sursaut, puis le scorpion devint flasque et s'abandonna contre Deathmask dans un dernier soupir.

Le cancer, écœuré, repoussa le corps au sol avec un reniflement de mépris :

- Ca t'apprendra, siffla-t-il.

Comme il se retournait, une tornade le bouscula, lui faisant perdre l'équilibre.

Deathmask regarda, incrédule, une fragile silhouette se placer devant lui, une jambe longue et fine se détendre à une vitesse inimaginable et l'atteindre à l'estomac. Le cancer se plia en deux : "Humpf!"

Une main délicate mais aussi dure que l'acier le percuta alors sous le menton. Il eut juste le temps de plonger son regard dans deux yeux bleus emplis de larmes avant d'être soufflé plusieurs mètres plus loin.

L'atterrissage fut rude. Sa tête vint heurter le mur d'une maison et son dos craqua.

Mais il en avait vu de plus dures et se releva presque aussitôt.

Il essuya le filet de sang qui lui coulait de la bouche avec son avant bras et vit...

Et vit...

Ses yeux s'agrandirent comme des soucoupes, sa mâchoire lui en tomba d'étonnement. Il s'arrêta net dans son mouvement pour se relever et retomba sur ses fesses...

Ce n'est pas possible, je vois mal!

Il se frotta les yeux, les rouvrit :

Cet incroyable tableau n'était pas un fruit de son imagination, tout compte fait. Eberlué, il ne pouvait qu'observer la petite scène qui se déroulait sous ses yeux :

Aphrodite, le redoutable saint des poissons, échevelé et en larmes, était penché sur le corps inanimé de Milo et ... l'EMBRASSAIT!!!!

Abasourdi, Deathmask se releva d'un bond et se précipita sur le lieu du crime.

- Aphro, je suis désolé! Cria-t-il en essayant de passer un bras autour des frêles épaules.

- Dégage! Grinça le poisson avec un regard mauvais.

Et il se pencha à nouveau sur Milo.

- Mais... Ouaieuhh! Ca va pas, non?

Le cancer retira prestement sa main après avoir reçu un petit mais vicieux choc électrique.

Le poisson ne lui accordait plus aucune espèce d'importance, tout à sa tâche de réanimation.

Pencher la tête en arrière, baisser le menton, écarter les lèvres, souffler...

Pencher la tête en arrière, baisser le menton, écarter les lèvres, souffler...

Encore... Allez...