Harry Potter regardait paresseusement l'affiche devant lui. Une sorcière, beaucoup plus maquillée et courtement habillée que n'importe quelle guérisseuse ne l'aurait accepté, y souriait d'un air enjôleur en tentant de lui démontrer les bienfaits d'un cataplasme quelconque. A côté d'elle, appuyé au mur, Arbercrombie tapait nerveusement du pied, les yeux rivés sur la porte qui lui faisait face, et semblait au paroxysme de l'appréhension. Il n'avait cessé de grincer des dents depuis qu'ils avaient franchi les portes de Sainte Mangouste et Harry se demandait s'il réussirait à les user assez pour attaquer les gencives avant la fin de la semaine. A chaque bruissement de robe qui passait à proximité d'eux, son adjoint semblait sur le point de sortir sa baguette magique et de bombarder le couloir de maléfices.
« - Euan… »
Il avait pris la voix grave, rassurante, qu'il utilisait à chaque fois qu'il parlait aux gens qui défilaient dans son bureau pour tenter d'obtenir des nouvelles de leur famille disparue ou des enquêtes qu'il menait. L'homme sursauta et se retourna vers lui, s'immobilisant brusquement.
« - Euan, je sais que ce n'est pas facile, mais calme toi. Nous avons pris toutes les précautions possibles. Tout le bureau est là, les guérisseurs ont fait de leur mieux, et on n'a jamais de mémoire d'homme connu plus de sécurité magique que ce qui a été posé ici.
- Mais… Enfin… C'est pas n'importe qui, chef. On parle pas d'un quelconque malade qu'on va tenter de réhabiliter ! C'est… Lui. »
L'auror avait frissonné en renonçant à dire son nom. Harry se rassit confortablement, calant son dos sur la chaise, les jambes croisées, un Sorcière Magazine qui devait dater de l'année dernière ouvert sur ses genoux. Il avait parfois encore du mal à croire qu'un nom puisse générer autant de terreurs, même aujourd'hui.
L'affaire datait de quelques mois déjà. Au début, il avait pensé à une mauvaise plaisanterie. On lui avait dit que la tombe avait été profanée. Que le corps avait été déplacé. Il avait simplement pensé à l'époque qu'un petit malin avait trouvé l'emplacement du cercueil, pourtant simple et sans fioriture, et l'avait emmené pour se venger de tous les méfaits qu'il avait accompli.
Mais l'enquête avançant, ce qui s'était passé était devenu pour le moins flou. Le bureau avait commencé à bruire de rumeurs sur Son retour, aidé par ses anciens fidèles, ou leurs enfants. Il était allé rencontrer Drago, pour essayer d'en apprendre un peu plus, mais il ne savait rien. Il avait retourné toute la région, questionnant les différents témoins, jusqu'à ce que, bêtement, Hermione, paniquée, ne lui mette un jour sous le nez un encart du Bristol Evening Post. La photo d'un homme aux cheveux sales et abîmés lui avait alors fait face, le regard vide. Mais Harry Potter avait vécu suffisamment les souvenirs des gens qui l'avaient connu alors qu'il était encore humain pour reconnaître les yeux sombres de Tom Jedusor.
Il s'était jeté sur le journal, les viscères tordues par l'angoisse. Il l'avait tué. Il l'avait tué. Il se le répétait encore et encore : il en était certain, il l'avait vu tomber, il l'avait enterré, il s'était même arrangé pour qu'il ait le droit à une tombe décente. Selon l'encart, l'homme était dans un état catatonique, refusant de se nourrir ou d'être approché. Il avait été retrouvé errant sur le bord d'une route du Somerset par des automobilistes qui l'avaient récupéré en voyant qu'il était manifestement incapable de dire qui il était ou où il se trouvait.
Les psychiatres moldus parlaient d'état de choc suite à un traumatisme particulièrement violent. Leur inconnu était pris d'accès de violence à chaque fois que quelqu'un essayait de l'approcher, et ce délire paranoïaque rendait les soins difficiles. Jusqu'à présent, ils avaient usé de médications particulièrement lourdes pour au minimum le transfuser, mais ils recherchaient quelqu'un qui puisse savoir de qui il s'agissait et venir le récupérer.
Harry avait quitté la pièce, le journal en main, était monté sur sa moto et avait décollé pour Poudlard.
Quand il était arrivé, le portrait de Dumbledore semblait l'attendre, les doigts entrecroisés sur son ventre, le regardant paisiblement par dessus ses lunettes en demi-lune.
« - Eh bien, Harry. Tu voulais me poser une question ?
- Professeur... Tom Jedusor est réapparu.
-Je sais. »
Il avait quelque chose de léger dans la voix, qui avait fait brûler de colère les entrailles du chef des Aurors. Comment pouvait-il prendre ça à la légère ?
« -Il était mort.
-C'est plutôt une habitude, chez lui, n'est-ce pas ?
-Professeur, avec tout le respect que je vous dois, j'ai passé l'âge des devinettes, des mensonges et des manipulations. Pourquoi est-il en vie ? J'ai détruit tous ses horcruxes. »
Le portrait avait soupiré, puis regardé plus sérieusement, caressant d'une main distraite le phénix qui roucoulait avec douceur à ses côtés.
« -Tom avait une telle peur de la mort... Il ne l'a jamais acceptée. La plupart des gens qui sont dans ce cas là deviennent des fantômes, mais lui... Lui était trop intelligent pour ne pas voir dans cet état la mort réelle et définitive qui le frapperait. Les arcanes les plus délicates de cette affaire me sont malheureusement hors de compréhension, mais il semblerait que d'une manière où d'une autre, il n'est pas plus improbable que lui soit revenu que toi tu n'y sois arrivé.
-Qu'est-ce que ça va entraîner comme conséquences ?
-Harry, je croyais que tu ne voulais pas d'énigmes ? Je suis un peu en difficulté pour te répondre, tu ne penses pas ? »
L'ancien directeur l'avait regardé en souriant, désignant d'un air distrait le cadre de son tableau. L'auror n'avait pu s'empêcher de sourir à son tour : quasiment 30 ans dans la communauté des sorciers ne l'avait pas décrassé de certains réflexes, comme celui d'oublier qu'il parlait à un artefact, et pas au modèle.
« -En revanche, je peux émettre des suppositions, qui dépendront pour beaucoup de ce qu'est à l'heure actuelle ce très cher Mr. Jedusor. »
Harry avait fait apparaître d'un coup de baguette un fauteuil en cuir noir et s'était laissé tomber dedans, attentif.
« -Il est catatonique, violent et paranoiaque.
-Eh bien, alors... Je suppose qu'il y a une chance qu'il redevienne comme avant.
-Très bien. J'ordonne son élimination. »
Harry s'était redressé, mais la voix de Dumbledore l'avait figé sur place et il s'était réinstallé.
« -Cependant, il y a une chance, infime mais existante, qu'il change. Il a connu ce qu'il craignait le plus, plus fortement qu'il n'a pu le faire quand le sort qu'il t'a lancé s'est retourné contre lui. Il est mort, Harry. Et de ce que tu m'en dis, il ne l'a pas très bien vécu.
-C'est censé me faire le prendre en pitié de quelque manière que ce soit ?
-Harry, nous savons très bien tous les deux que la pitié est ta plus grande qualité, et que tu l'accordes volontiers. Sinon, le corps de Tom aurait été dispersé par la foule en colère, et pas enterré dans le plus grand secret. »
Le Survivant s'était senti furieux. A l'époque, il avait 17 ans, il était mal, et il n'avait plus envie de voir d'atrocités. Et voir le corps de celui qui avait partagé ses pensées depuis sa première année en proie à la colère de ses victimes était un peu trop pour lui.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, le portrait avait repris :
« -Et tu aurais tout aussi bien pu détruire le corps, histoire de ne pas avoir à aller chaque année à la date de sa naissance le voir pour lui parler et vérifier qu'il n'avait pas été profané.
-Ça n'a aucun rapport.
-Eh bien, tu as raison, tu as passé l'âge des mensonges. Regarde toi : tu n'as jamais voulu sa mort. Jamais. Et jusqu'au bout, tu as essayé de le ramener. De l'appeler par son nom.
-Pour un portrait, je vous trouve vraiment au fait de tout ce que j'ai pu faire après votre mort. »
Il bougonnait comme un adolescent. Mais il était bien forcé d'admettre que Dumbledore avait raison. Voldemort avait toujours exercé sur lui une fascination qui ne tenait pas que de la puissance qu'il était capable de déployer. Ils étaient tous les deux des enfants perdus, paumés et avides de savoir. Vivants dans un endroit dont ils rêvaient de s'échapper. Mais Harry, au moins, avait eu le souvenirs de parents aimants et héroïques à vénérer, pour tenir le coup. Tom Jedusor n'avait eu que Salazar Serpentard.
« -Tu n'es sans doute plus un Horcruxe, Harry, mais vous êtes toujours liés. Par ton sang, et la magie de ta mère.
-Ca va, stop. Je vais voir ce que je peux faire. Et comment garder ça le plus secret possible. Pas envie d'avoir la communauté des sorciers sur le dos. »
L'auror s'était, ébouriffant d'un geste morne ses cheveux, et était sorti en marmonnant un vague « au revoir » au portrait derrière lui.
Un coup de fil à l'hôpital qui gardait Jedusor et un coup de baguette magique pour créer les papiers d'identité de l'homme lui avaient permis de le récupérer. Il avait fait envoyer dans le plus grand secret plusieurs guérisseurs après avoir arrangé le transfert avec Hermione (qui n'avait pas manqué de lui faire remarquer qu'elle trouvait ce plan plus que mauvais).
Jedusor était arrivé il y a plusieurs semaines, mais son état s'était considérablement dégradé. Sans les moyens de transfusion moldus, il avait fallu un certain temps pour trouver un moyen de le nourrir par magie. Il avait considérablement maigri, et terrifiait tellement les guérisseurs que même eux hésitaient à s'approcher. Finalement, c'était Luna Lovegood qui avait pris des mains la soupe nutritive des mains de la guérisseuse qui tremblait et avait nourri, cuillerée après cuillerée, l'homme qui l'avait torturée.
En voyant ça, Harry s'était mis à penser qu'il était possible de changer les choses. Luna était peut être étrange, mais sa bonté et sa profondeur avaient été depuis leurs 16 ans une source de conseils et d'exemples. Jedusor ne disait rien, et il fallait utiliser la magie pour le faire manger sans s'étouffer, mais il avait accepté la présence de Luna sans réaction de violence particulière. En revanche, les soigneurs avaient interdit à Harry de rentrer, craignant de voir leur patient devenir dangereux en sa présence.
Petit à petit, il avait semblé reprendre des forces. Il se montrait capable d'attention à ce qu'il se passait autour de lui, ne serait-ce que pour regarder méchamment les guérisseurs qui tentaient de savoir si son cerveau avait été atteint, comme si, pire encore que d'être alité et dépendant, il aurait pu perdre l'esprit brillant qui l'avait mené aussi loin.
Quand il dormait, il parlait. Fourchelang, mais il parlait. C'était un babillage sans beaucoup de sens, mais Harry l'écoutait pendant ses heures de repos, espérant trouver un sens à ce qu'il s'était passé. Pour beaucoup, c'était des cauchemars, et il s'agitait de plus en plus jusqu'à ce qu'on fasse sortir l'auror de la chambre pour attacher l'ancien mage noir et l'empêcher de se faire du mal.
Et aujourd'hui, on l'avait convoqué, en pleine journée, pour dire qu'il avait recommencé à parler anglais, et qu'il avait suffisamment retrouvé ses esprits pour tenter un dialogue avec Harry Potter. Luna était venue, aussi, accueillant Harry avec ses yeux perpétuellement étonnés et sa robe brodée de papier d'aluminium. De ce qu'elle lui avait dit, ainsi qu'à son adjoint, il l'avait repoussée et pris des mains la nourriture qu'elle lui donnait et il avait mangé seul, demandant à tout le monde de disparaître de sa vue. Harry avait senti monter la colère en lui, mais Luna l'avait désamorcée en le regardant avec un grand sourire, comme si c'était la meilleure nouvelle du monde.
Abercrombie continuait de taper du pied, jouant nerveusement avec sa baguette, fixant la porte comme si elle allait se transformer en un gros monstre baveux et gluant. Harry jeta un dernier œil à l'article qui parlait de la cérémonie d'adieu des Bizzar'Sisters d'un air vaguement intéressé, puis ferma le magazine d'un coup sec, se levant pour aller voir s'il pouvait avoir des nouvelles. Il était en train de tourner vers un autre couloir quand la porte s'ouvrit, lestant de plomb ses entrailles.
« -Harry ? »
Il se figea, rajustant son uniforme d'auror pour se redonner bonne constance, et se retourna. Luna se tenait dans l'encadrement de la porte.
« -Harry, tu peux venir. Je dois y aller moi, Newt m'attend pour aller chasser des vrombeuses sarcastiques. Il paraît que c'est le seul nid de toute l'Angleterre ! »
Elle l'embrassa sur la joue en sautillant sur place, ne lui laissant pas le temps de lui demander ce que diable pouvaient bien être des Vrombeuses, et partit d'un pas aérien.
Il inspira profondément, croisant le regard angoissé de son subalterne qu'il gratifia d'un large sourire confiant, et passa la porte battante.
A l'intérieur, la lumière grise de l'hiver perçait avec peine les rideaux blancs, et on entendait la pluie battre à pleine force les vitres de la chambre. Le chandelier baignait l'ensemble d'une lueur douce et chaleureuse, et pendant un moment, Harry eut l'impression d'être seul dans la pièce.
Puis il entendit un bruit de draps froissés.
Son regard glissa vers le lit sans même qu'il l'eut voulu, plus comme un réflexe. Et il rencontra le regard de Jedusor.
Il avait craint croiser les yeux rougis par la magie noire que Voldemort arborait, ou son visage mutilé. Au lieu de ça, débarassé de la nécrose des Horcruxes, l'homme paraissait désespérément humain. Malgré la quarantaine d'années qu'il semblait afficher, il gardait le charme que Harry lui avait vu dans le passé. Son visage était plus fatigué, son front barré d'une ride sévère, et ses cheveux noirs étaient striés de blanc par endroit, mais ses yeux semblaient aussi vifs qu'avant, et ils lui lançaient un regard de haine pure.
« -Salut, Tom. Tu te souviens de moi ? »
