2005年5月.
Sur le chemin de retour chez moi, je pensai, comme souvent, à la vie dont j'avais hérité : née un 17 Janvier de l'année 1987 de parents mineurs. Mon père est Japonais, mais ma mère, Française, m'avait laissée tomber le lendemain de ma naissance. Je ne savais rien d'elle, mis à part qu'on se ressemblait plus ou moins physiquement : pas très grande (dans les 1m61), yeux noisette, cheveux châtains, morphologie légèrement Latine (ayant aussi des origines d'Espagne). Concernant ma mère biologique, je n'en savais pas plus ; et je n'avais jamais rien fait pour.
Je rentrai du boulot vraiment crevée. J'avais fait un stage pour devenir tatoueuse un mois plus tôt, et j'avais obtenu mon diplôme. Je n'avais eu que trois jours, et je m'étais donnée à fond. D'ailleurs, le fait d'aimer le dessin venait de mon père, Hyde (au moins ça : je n'avais pas le type japonais pour deux sous, étant à moitié Française). J'avais trouvé un emploi dans un studio de piercings, et je prenais des cours de français et surtout d'espagnol à côté en autodidacte. Mon patron m'appelait quand il avait besoin de moi, et ça arrivait pas mal de fois, pour tout dire.
A la maison, il y avait tout le monde. Mais tout le monde ! Mon père, Megumi, Hiroki (âgé d'un an et demi), Tetsu, Ken et Yukihiro.
- Tadaima ! criai-je, comme si j'étais dans un maison de sourds.
Sans attendre, fatiguée, et avec un estomac qui hurlait famine (un autre truc de mon père : toujours à avoir les crocs), je posai mes baskets, mon sac en jean, et fonçai à la cuisine, où des spaghettis attendaient avec de la bolognaise.
- Dis donc, jeune fille, et le bonsoir !
- J'ai dis tadaima ! Et puis j'ai faim !
- On va pas tarder à manger, dit Megumi d'une voix toute douce.
- Rien à cirer : j'ai-faim !
Je me jetai sur le placard où l'on mettait les biscuits, et pris la boîte de cookies au chocolat. Ne me dégonflant pas, j'allai au salon avec mes gâteaux, et saluai tout le peuple d'un signe de la main.
- J'suis trop fatiguée pour faire pleins de signe de tête.
- Pauvre chérie ! se moqua Tetsu.
- Je te merde mon grand ! lâchai-je, la bouche pleine.
Hiroki qui avait réagit (enfin) arriva en courant pour me sauter dans les bras. Je le soulevai de terre sans pour autant lâcher ma nourriture. Je lui fis faire un peu l'avion, et le reposai au sol pour continuer de manger.
- Alors, cette journée ? me demanda Megumi.
- Très cool et crevante. J'ai fait des ailes de style tribal au dos d'un mec, et un autre tribal sur les hanches d'une fille. Après y'en a eu une qui a voulu une pieuvre près de la colonne, mais j'ai passé mille ans rien que pour les contours, elle faisait que bouger. Et pis après ça a été maquillage permanent sur une jeune. Le tout non-stop s'il vous plaît.
- Bonne journée, quoi, acheva mon père.
- Mouais...
- Et au fait tu te les fait quand tes dragons ? me demanda Ken, tandis que j'allais me caler près de mon père qui en profita pour piquer des gâteaux.
- Quand je serai motivée, répondis-je. T'as vu leur taille ? Il faudrait au moins trois séances.
En effet, j'avais dessiné deux dragons en train de se battre, et je les voulais au bas du dos. Mais je n'avais pas la motive pour me les faire faire. Et puis j'avais déjà une licorne à l'omoplate et une elfe au bras. Il ne fallait pas abuser non plus...
Après avoir discuté de plusieurs choses, dont la sortie de "Awake" le nouvel album et des clips qu'ils pourraient faire, je décidai qu'il était temps de manger (encore). Je fis signe à mon père de venir avec moi à la cuisine, car je voulais lui demander un truc.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Papa, je vais te demander un truc, et j'espère que tu diras oui.
- Dis-moi, et on verra.
Je jetai un oeil rapide vers Hyde. Incroyable comme il pouvait paraître jeune, surtout avec les cheveux longs. Je l'adorais trop comme ça, et n'arrêtais pas de lui répéter.
- J'ai vu sur le net que Marilyn Manson fait un concert, mais c'est à Bercy.
- Où ? me demanda-t-il en prenant des assiettes.
- A Bercy. A Paris, quoi. J'ai vu qu'il restait encore des places et j'aimerais y aller. T'y vois un inconvénient ou pas ?
- Tu comptes t'y rendre comment, jeune fille ?
- A la nage.
Il se tourna vers moi, et me fit son regard de tueur. Je lui fis un grand sourire, l'air de dire que je m'en foutais (ce qui était faux).
- Allez, continuai-je. J'ai l'argent pour les billets, aussi bien pour l'avion que pour le concert. Et en ce qui concerne le décalage horaire, t'inquiète. Le concert sera le quatorze juin à vingt heures là-bas, donc le quinze juin à quatre heures du matin ici. Alors ? Dis oui !
- Je vais y réfléchir, promit-il.
C'était pas la réponse attendue, mais en même temps, je pouvais pas lui demander la lune. C'était déjà pas mal. Prenant mon mal en patience, je servis les pâtes qui faisaient de l'oeil à mon estomac.
Nous sommes retournés ensemble au salon, et avons déposé les assiettes pleines devant tout le monde. N'attendant même pas, je me mis à les manger comme si j'étais Gargantua.
- Tu sais, Annouck, elles vont pas disparaître, ria Tetsu.
- Pourquoi tu dis pas ça au chanteur qui est à côté de moi ? Il est pas mieux.
En effet, mon père s'était lui aussi jeté comme un vorace sur son assiette. En voyant ça, mon côté déconneur reprit le dessus :
- Ma... Qu'est-ce tu fais ? demandai-je, avec un accent Italien bien exagéré. Faut faire des tours avé la foulchette, pourquoi sino comment tu veux manger tes spaghettis, Bambino ?
"Bambino" faillit le faire éclater de rire, mais il se retint par rapport au fait qu'il avait la bouche bien pleine.
- T'as fini de dire des conneries ? fit Yukkie.
- Nan, je commence.
- C'est pas pour tu-sais-quoi, des fois ? me demanda mon père.
- Nan, Hyde, plaisantai-je. C'est pas pour ça.
- Pour ça, quoi ? demanda Megumi.
Décidément, elle s'impliquait vraiment comme si elle était ma mère. Je lui expliquai qu'il y avait un concert de mon chanteur favori (après mon père, il ne faut pas pousser non plus).
- J'ai dit que je verrai, l'informa mon père.
- Elle a plus huit ans, fit Ken.
- Peut-être, mais c'est moi son père. La France c'est de l'autre côté de la planète.
- T'inquiète, Papa, je vais pas prendre le vol Oceanic 815, et je vais pas me retrouver cobaye des expériences des Autres...
- Annouck ! me coupa-t-il aussi sec en me fusillant du regard. Si tu continues à insister, tu n'iras pas du tout. Est-ce que c'est assez clair ?
Là, j'avoue que je jouais moins la maligne. Même si mon père se mettait rarement en colère, quand ça arrivait, je ne la menais pas large.
- Oui, Papa.
Un peu "vénère", mais admettant que j'étais très chiante à mes heures, je finis mes pâtes en les mangeant à l'italienne. Je jetai par hasard un regard à Tetsu, qui me fit un signe très discret comme pour me dire qu'il allait tenter de convaincre son grand pote. Tout en mâchouillant mes spaghettis, je mimai un "merci" à mon bassiste préféré. Et en ce qui concernait le concert, c'était gagné d'avance !
