Chapitre 1 La vie sans elle.
La moto s'arrêta brutalement sur le parking handicapés sous l'œil réprobateur d'un jeune couple à vélo. La jeune femme attendit que le conducteur enlève son casque, pour lui envoyer une remarque cinglante. Elle ouvrit la bouche, puis, croisant le regard bleu iceberg du conducteur, réprima un frisson devant son expression féroce.
Le motard descendit de son engin et en décrocha la canne. Il se dirigea vers l'entrée de l'hôpital.
La jeune femme avisa le panneau au dessus de la moto « Dr House M.D. » et se tourna vers son compagnon : Je préfère ne pas être soignée par celui-là dis donc. On dirait un croque-mort.
De son côté, ledit croque-mort faisait son entrée dans le hall du PPTH, fourmilière habituelle de gens sans intérêt. Il s'avança pour piquer une sucette à l'accueil, sous l'œil réprobateur de Brenda. Il la fixa, semblant la défier d'émettre la moindre remarque. L'infirmière en chef se pinça les lèvres et se détourna sans un mot.
Cette petite escarmouche non verbale l'avait ragaillardi et c'est d'un regard un peu plus assuré que Greg House laissa ses yeux dériver jusqu'aux portes vitrées de la directrice administrative, alias « la vilaine sorcière », alias le Dr Lisa Cuddy, actuellement en pleine conversation avec son interlocuteur. Elle souriait, secouait ses boucles et semblait déployer tout son charme pour son vis-à-vis, un homme d'une cinquantaine d'années aux cheveux poivre et sel, manifestement conquis par la doyenne et ses arguments, médicaux, financiers et autres…
Tout d'un coup, Lisa l'aperçût et se figea un instant. Elle le considéra d'un regard affolé puis fixa la porte. Avec un mince sourire, il affermit sa prise sur la canne et se dirigea vers l'ascenseur, l'ignorant ostensiblement. Cameron, sortant de ce même ascenseur, arbora aussitôt sa mine compatissante « spécial vieux grincheux ». Il ne la vit même pas.
House arriva vers son bureau d'un pas plus pesant que d'habitude. A sa connaissance, il n'avait pas de cas, et ses sbires semblaient occupés dans d'autres parties de l'hôpital. Parfait. Personne pour venir le troubler. Parfait. Il lança la balle contre le mur. Boum. Elle était si belle. Boum. Si heureuse. Boum. Avec ce traître. Boum. Ce détective raté. Boum. Ce séducteur de pacotille. Boum. Oh, ils croyaient tous qu'il n'était pas au courant de leur relation, mais Lucas Douglas n'était pas le seul détective sur terre. A vrai dire, il n'avait eu aucun mal à en recruter un qui soit meilleur que lui, et qui l'avait informé de la nouvelle relation de la femme qu'il aim…
House s'immobilisa, le bras levé, la balle dans la main. Il respira profondément. Stop. Pas de sentiments, pas de faiblesses, pas de mignardises communes. Inutile de s'appesantir sur ce qui aurait pu exister, qui n'existait plus, qui n'avait peut-être jamais existé, et qu'il avait de toute façon tué avec acharnement et méthode. Oh, ELLE l'avait aidé dans cette entreprise, en ne l'aidant pas justement, quand il avait besoin d'elle. Le détruisant de son rire et de son ironie, comme il l'avait si souvent détruite.
Soudain plein de colère il saisit son téléphone et composa rapidement un numéro familier.
- Ici le Dr House. Je veux une petite. Brune. Cheveux longs. Ce soir, 21 H. Chez moi.
- …
- Soumission, humiliation pour elle mais pas de violences…
- ..
- D'accord pour Allison.
Il eut un petit rire ironique en raccrochant. Sa call-girl de ce soir s'appelait Allison. Et bien, Allison avait intérêt à avoir le cœur bien accroché. Il avait besoin de se défouler.
En attendant, il allait torturer un peu Wilson. Ou se faire offrir un café par Wilson. Allez, d'abord le café, puis la torture. Cap sur Wilson de toute façon.
Alors qu'il se levait, un bruit de talons hauts caractéristiques se fit entendre dans le couloir. Sh..t ! Aucun moyen de repli avec ces portes transparentes. Résigné, il regarda la si sexy, sans cœur et néanmoins patronne, aka Lisa Cuddy s'approcher du bureau.
- Tiens, mais vous êtes sans doute un sosie du Dr House, dit-elle ironiquement. Le vrai Dr House, lui – elle consulta le registre qu'elle tenait dans la main – le vrai Dr House est en consultations depuis déjà une ½ heure , si j'en crois le planning d'aujourd'hui.
- Taub n'a qu'à les faire à ma place.
- Le Dr Taub effectue actuellement SES propres heures de consultation. Il y a une épidémie de gastro-entérite. Dépêchez-vous donc de le rejoindre avant que la salle d'attente ne soit noyée dans le vomi et autres sécrétions.
- Eh, c'est vous qui avez l'habitude de plonger les mains dans la couche du sac à m… ! Vous avez l'air de tellement aimer ça que je préfère vous laisser dans votre élément naturel.
- HOUSE ! Consultations, tout de suite…
Et M…de, il avait encore trouvé le moyen de la mettre en colère. Avec sa fine allusion à sa fille, on ne pouvait pas dire qu'il avait fait dans la dentelle. Penaud, il se saisit de sa canne et sans plus protester, se dirigea vers la salle de consultations n°2.
……
3 gastro et 2 MST plus tard, il était résigné, tel un automate, et regarda entrer d'un œil torve un vieux couple, au moins 160 ans à eux deux estima –t-il. Lui très grand, un bras en moins, mais avec un beau sourire. Elle bien plus petite, très soignée, voire coquette dans sa robe imprimée et ajustée et ses hauts talons.
- Eh bien, que se passe-t-il M et Mme …Holmes ?
- Je crains bien que nous n'ayons nous aussi attrapé la gastro, docteur, dit la vieille dame.
- Tous les deux ?
- Et bien, dans un couple on partage tout vous savez !
House leva les yeux au ciel : Encore un de ces couples heureux qui lui envoyaient leur bonheur mièvre à la face, pensant le blesser.
- Laissez-moi deviner, vous vous êtes rencontrés à 20 ans, ça a été le coup de foudre et depuis vous vous êtes vautrés béatement dans les couches-culottes des enfants, les parties endiablées de missionnaire du samedi soir et le bowling du vendredi ?
Le vieil homme étouffa un petit rire.
- Il me fait penser à quelqu'un ce docteur, n'est-ce pas Lisa ?
-
House sursauta en entendant le prénom, mais la vieille dame poussait son mari de la pointe du coude…
- Effectivement Greg, il a l'air d'être aussi pénible que toi quand tu t'es enfin rendu compte que ta dignité ne souffrirait pas tant que ça d'admettre que tu avais un cœur. Ce jeune homme n'a pas encore ouvert les yeux, on dirait.
-
House, entendant parler de Greg après Lisa, se liquéfiait sur sa chaise. Il était dans un cauchemar, non, pire, une hallucination. Pourtant son séjour à Mayfield avait semblé efficace jusque là. Il eut un sursaut d'énergie.
- J'ai 50 ans, vous parlez d'un jeune homme ! Et comment avez-vous « ouvert les yeux », euh, Greg ?
Les vieux amants échangèrent un regard complice.
- J'étais jeune, idéaliste, et je voulais fuir mon père. En France, j'ai perdu mon bras et mes illusions. Revenu dans le New Jersey, j'ai fait mon droit ici, à Princeton, et je suis devenu procureur. Lisa était mon patron. Procureur Général. Pendant 15 ans, je lui ai fait vivre un enfer !
- Dieu sait que c'était un véritable enfer. Il m'avait tout de suite plu, mais il pensait que son bras en moins faisait de lui un être répugnant et indigne d'amour. Ne tiquez pas à ce mot Dr House, il n'est ni grossier, ni insultant. Il m'a tout fait, l'alcool, les call-girls, la drogue, 3 tentatives de suicide. Il a fait capoter toutes mes relations pendant 15 ans. Et puis le jour où j'ai renoncé et me suis résignée à finir ma vie avec un gentil garçon…
- Il me ressemblait d'ailleurs, ce garçon, mais en beaucoup plus fade, même avec 2 bras…
- Il s'est déclaré le jour de ses 51 ans. Vous parlez d'un cadeau, un vrai perdreau de l'année !
- Et je ne l'ai jamais regretté ! Finalement, c'est la seule femme qui n'avait jamais essayé de me changer. Le bonheur, ça peut être très rock'n'roll, vous savez…
House avait fini les ordonnances, qu'il leur tendit.
- Voilà, dans 2 jours vous serez guéris, Lisa et euh… Greg. Au revoir.
Il regarda sa montre. 12H. Consultations finies. Il était temps d'aller piquer les frites de Wilson à la cafétéria. Il se dirigea vers l'ascenseur, un petit sourire aux lèvres.
Le reste de la journée s'écoula rapidement entre PSP, consultations des comptes de Wilson, tentatives infructueuses de piratage du mot de passe de Lisa Cuddy, et méditations sur la rencontre du matin.
A 17H, il se saisit de ses clefs et enfourcha sa moto. Encore une journée de travail finie.
Rentré chez lui, la fin de journée s'écoula entre piano, bourbon et rediffusions de catchs, quand à 21 H, la sonnette de la porte d'entrée retentit.
B….l, la call-girl ! Allison ! Il l'avait oublié celle-là. Lui ouvrant la porte, les mots s'échappèrent de sa bouche sans qu'il ait l'impression de les contrôler. Je n'ai pas besoin de vous finalement ce soir. Oui je sais, j'ai payé. J'ai pas envie de vous baiser, c'est clair, non ?
Enervé, il enfila le casque et le blouson, et enfourcha sa moto. Une petite pointe de vitesse lui ferait du bien…
