Les personnages de Twilight ne m'appartiennent pas. Seule After Harris est issue de ma plume.


CHAPITRE PREMIER

« L'oisiveté de la solitude est charmante, parce qu'elle est libre et de volonté. » — Rousseau.


Dans le silence de la nuit noire, la mine de mon crayon sur le papier Canson me paraît être un bruit assourdissant. Pourtant, tout autour de moi, le chahutement familier de la forêt emplit les ténèbres. Les bruissements, les craquements et les hululements ont établi leur royaume dans la pénombre, lorsque je suis seule à les entendre et à les écouter. Ils sont une musique que j'ai appris à aimer et qui a bercé mes nuits les plus terribles. Je ne suis pas à Forks depuis plus d'une semaine, mais les alentours sont un domaine coutumier. Les jours de ma vie depuis le premier se déroulent ainsi près des forêts et des longues plaines vertes ou sableuses de l'Amérique. Ces lieux sont miens. Ils sont mon coeur et mon sang, ma muse et mon art, mon confident et mon profane, mon ami et mon compagnon.

Les mines de mes crayons ou de mes bâtons de fusain se sont usées sur les feuilles que j'ai noircies avec application des paysages qui ont hantés mon existence.

La petite bourgade de Forks ne nous abrite, ma famille et moi, que depuis quelques jours, mais mon âme a déjà rejoint celles des moindres parcelles de vie logeant dans les environs. Et chaque nuit je les écoute. Je les entends me murmurer à l'oreille les affres de leur propre cénesthésie, j'écoute leurs paroles et leurs cris. Ils me soufflent leurs mots.

Et enfin, lorsque la lune est à son point culminant, que l'horloge indique minuit, je lâche mon crayon, j'éteins ma lampe de bureau, et je slalome entre les cartons pour regagner mon lit, un dernier regard adressé à la fenêtre ouverte et à la pénombre.

After ? After lèves-toi s'il te plait.

La voix si douce qui me tire de mon sommeil est celle de ma soeur. Ma douce petite soeur. Ivy Harris, âgée de quatorze ans, est sûrement la plus prometteuse de notre fratrie. Quoique je l'étais aussi lorsque j'avais son âge. Je grogne, et m'enroule un peu plus dans mon édredon en me positionnant de façon à lui tourner le dos. Je l'entends soupirer, et finalement, la couette disparaît brutalement, emportée par la main de ma cadette. Le froid persistant de cette fin de mois d'Octobre me frappe soudain, et je me rappelle avoir volontairement laissé la fenêtre ouverte.

After, gronde Ivy, tu dois te lever. Nous avons rendez-vous à onze heures au lycée de la réserve pour Matt, toi et moi. Tu n'as tout de même pas oublié !

After n'est qu'un surnom parmi tant d'autres. Mon vrai nom est Aracely Harris et je sais mon surnom ne ressemble pas du tout à un quelconque diminutif de mon prénom. Le sobriquet dont m'affuble ma famille est dû à ma fâcheuse habitude de toujours arriver en retard, quelle que soit l'heure initiale et quelle que soit l'occasion.

Matt aussi est un surnom, mais il n'a pas été très recherché. Il est le diminutif de Matthew Harris, et celui qui le porte est mon petit frère âgé de quinze ans. Lui aussi porte les espoirs de notre famille. Enfin de mes parents disons.

En vérité, je crois surtout que mes parents ont arrêté de croire en moi depuis longtemps. Je suis le vilain petit canard de ma famille, et pourtant la plus débrouillarde. Officiellement, je suis émancipée. Avec une certaine dérogation, celle-ci me permet de gérer les inscriptions et les papiers importants nous concernant, nous enfants Harris. Nos parents sont tellement absents que la solution s'est imposée d'elle-même. Même si Matt et Ivy ne me supportent que difficilement à cause du fait que je sois selon eux « un cas scolairement parlant désespéré », ils comptent énormément sur moi pour poursuivre sérieusement leurs études. Ma soeur a sauté une classe et mon frère aussi. Par conséquent, ma soeur entre en première année de lycée, mon frère en deuxième année et moi en terminale, du haut de mes dix-sept ans.

J'arrive, grogné-je. Laisses-moi le temps de me doucher et de m'habiller, en attendant file manger quelque chose.

Sans attendre, elle s'exécute et c'est à mon tour de soupirer. J'ai parfois l'impression d'être leur mère. Un mère carrément décalée, mais il faut comprendre ; j'ai quasiment fais leur éducation. Leurs études et leurs devoirs sont toujours passés avant les miens. Je me contenterai, une fois adulte, de vivre de mon art si je ne parviens pas à me maintenir suffisamment à flots pour espérer entrer dans la police. Remarques, je suis une fille plutôt décalée, aussi.

Dans un élan d'effort, je parviens à me redresser sur mon lit, et à me laisser glisser dans mes chaussons épais à tête de souris pour me rendre dans la salle de bain. Mon pyjama vole au travers de la pièce, et je me coule sous l'eau brûlante qui délace les muscles. Ceux-ci sont engourdis et douloureux à cause de l'entraînement que j'ai effectué la veille. Un entraînement auquel je suis habitué, mais qui tire toujours autant sur mon pauvre corps de sportive.

Lorsque je sors de la cabine de douche, un nuage de vapeur envahit la pièce, et le carrelage qui tapisse les murs jusqu'à moitié devient couvert d'un voile blanchâtre qui s'étend jusque sur le lavabo en céramique et le miroir juste au-dessus. J'ouvre la fenêtre, laissant l'air glacé de l'extérieur pénétrer jusqu'à moi, et commence à me brosser les dents, chassant ainsi l'haleine que chacun déteste et qui nous est propre le matin.

Dix minutes plus tard, je m'extirpe de la pièce vaporeuse en fermant la porte derrière moi afin de ne pas déclencher le détecteur de fumée placé dans le couloir, et je descends les marches deux à deux en appelant mon frère et ma soeur que je devine déjà prêts à partir. Mon frère me tend mon épais bomber noir et mes baskets de la même couleur, et ma soeur me donne les trois dossiers qui sont les nôtres. Ils m'aident quasiment à m'habiller chaudement, avant de me tendre les clés de la voiture pour Matt et un croissant pour Ivy.

Tu aurais pu t'habiller autrement, me toise le benjamin.

Ne critiques pas mes vêtements, menacé-je.

Et mettre un autre style de... musique, suggéra la cadette.

Tu mettras la musique que tu voudras quand tu auras ta propre voiture, asséné-je.

Je sais que tout cet ensemble ne leur plaît pas. Mon jean noir troué et usé parce que je le mettais déjà lorsque je faisais du skate à mes quatorze-quinze ans, mon vieux sweat gris frappé du logo de Guns N Roses que j'ai piqué à mon ex avant de quitter le comté de Newton dans l'Indiana, et la musique du groupe Disturbed diffusé par les enceintes de ma jeep, la vénérée Fever, leur déplaît. Ils n'aiment pas ma musique, mon style vestimentaire et ma façon d'être tout simplement.

Je les entends râler à l'arrière. Ils ne se risquent plus à aller à l'avant depuis que chacun s'est retrouvé avec plein de poils de mon Husky collé sur les vêtements. Alaska a toujours préféré la place du mort au coffre, et sachant que c'est ma jeep et que c'est mon chien, celui-ci va où il veut.

Nous ne tardons pas à arriver au lycée de la réserve Quileute. Les étudiants y sont bronzés malgré le climat, et je suppose qu'ils doivent être une tribu ancienne qui n'a jamais voulu quitter ses terres. Forks se trouve au nord-ouest de Seattle, à la limite entre le Canada et l'état de Washington. La colonisation européenne s'est essentiellement faite au sud et sur la côte est ; ils ont donc dû être moins inquiétés que les tribu amérindiennes résidant autrefois de l'autre côté du continent. Leur histoire m'intéresse, comme celle des autres endroits où nous avons vécus, ma famille et moi.

Descendez, je vais me garer sur le parking et je vous rejoins devant le portail.

Matt et Ivy s'exécutent, et je n'attends quasiment pas qu'ils aient fermé la portière de leur côté pour redémarrer. De toutes façons, il y a peu de chance qu'il leur arrive quoi que ce soit, n'est-ce pas ? Enfin en espérant que leur look de premier de la classe ne dérange pas, ici. Dans tous les autres lycées, ils finissaient par faire leur place progressivement, en se contentant de discuter avec des gens. Je suppose que le Reserve High School n'y fera pas exception. Je sais qu'ils trouveront leurs marques rapidement.

Trouvant une place libre, je gare Fever, et descends, emportant avec moi mon sac à dos et les trois dossiers. Je ne peux m'empêcher de fouiller dans le plus gros. Il comporte essentiellement d'anciens bulletins médiocres, des appréciations peu flatteuses voir incendiaires pour certaines, des photocopies d'observations et des motifs d'heures de colles les plus incongrus qui soient. Mon très cher dossier scolaire.

Je relève la tête en entendant des éclats de voix devant moi, et fronce les sourcils instantanément. Matt et Ivy ne m'apprécient pas, je le sais ; mais je suis leur aînée et je tiens à eux comme à la prunelle de mes yeux. Je ne peux donc m'empêcher de m'approcher en glissant les dossiers dans mon sac, et de plonger mes mains dans mes poches, le regard sombre. Il est courant qu'on compare mes yeux à deux abysses sombres et interminables, gouffre infini de froideur et d'une menace mystérieuse dont on ne comprend pas les tenants : des orbes dignes d'un démon.

Les deux types aux sourires sournois qui ont commencé à embêter mes protégés me regardent m'approcher. L'un tient ma soeur par son pull, au niveau de l'épaule, et l'autre a le poing collé au menton de mon frère, alors que celui-ci est obligé de se mettre sur la pointe des pieds pour respirer, bloqué par le mur contre son dos.

Je peux savoir ce que vous faites ?

Ma voix claque dans le silence pensant qui a envahit la scène à laquelle j'assiste et qui fait bouillir mon sang dans mes veines. Celui qui tient ma soeur la relâche sans ménagement et s'approche, le pas lourd, la tête haute, les épaules larges, et me domine de toute sa hauteur. Il faut savoir que je ne suis pas bien grande : un mètre soixante, voir un peu moins.

On s'amuse. Un problème, gamine ?

Carrément, oui.

Un sourire presque sadique aux lèvres, je le regarde lever le poing et l'abattre sur ma joue. Ouh ! Un râle de douleur sort de ma gorge, alors que ma tête balance sur le côté et que je vacille comme un ivrogne sur quelques pas en arrière. Du coin de l'oeil, je remarque que trois autres lycéens s'approchent, prêts à intervenir. Il a de la force, mais je ne crois pas qu'il soit déjà tombé sur quelqu'un qui encaisse autant que moi. J'essuie le sang qui coule de ma lèvre, et tâte ma joue qui doit déjà gonfler. Elle est douloureuse et je l'aurai sûrement bleue pour un bout de temps. J'en suis quitte pour une bonne semaine.

Tu dois être un sacré minable pour t'en prendre à des plus jeunes, et encore plus pour mettre ainsi une droite à une fille. Mais ne t'en fais pas, je ne te tiendrai pas rigueur du dernier point. Juste du premier.

Je le vois écarquiller les yeux alors que je m'élance et que j'envoie ma jambe dans ses côtes d'un coup vif arraché à la boxe thaïlandaise ; middle kick. À peine mon pieds gauche a-t-il regagné l'asphalte du parking pour redevenir ma jambe d'appui, je pivote dessus, et envoie du même côté ma jambe droite dans sa joue grâce à une bonne impulsion donnée de la pointe du pieds de la jambe frappante. Le type s'effondre, alors que je reprends une posture toute en légèreté, les deux pieds au sol et les mains toujours dans les poches.

Le second type s'approche l'air menaçant, et alors que nous avons tous les deux dans le regard cette étincelle prouvant que nous sommes prêts à en découdre, lui le faciès ravagé par la rage et moi mue par une indifférence trahie par un sourire arrogant, celui-ci se stoppe. Son expression change, et laisse place à de la peur. Brusquement, son comportement change ; il recule, l'air d'un gamin prit en faute, se retire, emportant avec lui son copain et me laisse plantée là, dans une profonde incompréhension.

Je devine alors aux ombres qui atteignent mes pieds sur l'asphalte que ce sont les trois types qui se sont approchés qui l'ont effrayé. Et étrangement, ça ne me rassure pas. Quoiqu'ils sont venus pour me filer un coup de main, non ? Je me retourne calmement, prenant soin de mettre d'un geste sec mes cheveux sur ma joue blessée et de lécher le sang qui coule toujours sur ma peau.

Oui ?

Ma question, posée naïvement, voir même de façon enfantine, comme si rien ne venait de se passer les prend un peu au dépourvu et les déstabilise. Celui du milieu me détaille comme si j'avais un problème, et s'adresse à moi.

Tout va bien ? Tu as pris une sacrée droite ! Quil, tu sais où on peut trouver de la glace, demande-t-il à l'adresse du type à sa droite.

Au lycée, ça me paraît difficile, répond celui-ci.

Il devrait y en avoir chez Sam, indique le troisième sans me regarder.

Il pianote sur son téléphone, jouant vraisemblablement à un jeu que je ne peux pas distinguer de là où je suis. Je fronce les sourcils. Il a quelque chose d'étrange, comme un je-ne-sais-quoi qui attire mon regard. Je dois quasiment renverser la tête pour le regarder puisqu'il doit avoisiner le mètre quatre-vingt-quinze, mais étrangement, ça ne me dérange pas. La voix du premier me tire de ma contemplation que je juge malsaine.

— Je doute que ça lui fasse plaisir qu'on ramène une autre pâle que Bella chez lui, constate-t-il à haute voix.

On devrait aller chez toi, alors Jake, plaisanta le dénommé Quil.

Je soupire, et finit par les interrompre. Pas que les laisser se soucier de ma santé me dérange, mais... c'est exactement ça en fait. Premièrement parce que je n'en ai pas l'habitude, et ensuite parce que j'ai l'impression qu'on nous insulte, moi et ma capacité à me défendre.

Désolée les gars, mais je dois aller nous inscrire au lycée, mon frère, ma soeur et moi. Alors peut-être une prochaine fois !

« Jake » comme l'appelle Quil s'approche de moi et retire ma mèche de cheveux. Je lèche ma lèvre pleine de sang alors que le goût métallique du sang est encore bien présent sur ma langue, et le regarde droit dans les yeux. Je sais qu'elle gonfle à vue d'oeil et qu'elle bleuit. Il grimace devant l'état de mon visage, et demande au troisième, le silencieux, de venir regarder. Celui-ci range son téléphone, et soudain, le temps s'arrête. Son regard croise le mien, et j'ai le sentiment que le temps s'étire à l'infini, que plus rien autour n'existe en dehors de lui, de son visage de son regard. Je constate qu'il s'est figé lui aussi, et a suspendu son geste vers moi. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai envie de le connaître. Moi qui suis solitaire, aie envie de le connaître, de faire en sorte qu'il ne lui arrive rien, et qu'il soit heureux. Je me sais altruiste, mais pas au point de braver ma solitude et encore moins ma tranquillité !

Ben merde, murmure-t-il.

« Comme tu dis », je songe.