Son navire avait pris son allure de croisière. Ses deux sabres rangés à ses côtés, les mains sur la barre, elle chantait en coeur avec les autres marins. Ses longs cheveux roux volaient au vent de poupe. Ses yeux verts scrutaient l'horizon à la recherche d'un navire à piller. Elle avait besoin de bois, la dernière tempête avait fait des dégâts. Mais c'était l'un des risques à prendre lorsqu'on voguait sur la er des Caraïbes. Jack s'approcha d'elle. Il déposa un baiser dans son cou et lui indiqua un îlot. Elle le reconnaissait. Elle lui laissa la barre et descendit dans la cale. Elle savait ce qu'elle avait à faire.

Elle se réveilla en sursaut. Son frère était en train de faire un raffut pas possible dans la chambre d'à côté. Il pouvait bien ramener des nymphes au Palais, mais il pourrait être silencieux ou bien s'isoler. Elle rejeta ses couvertures et se leva. Ses longs cheveux roux avaient poussé depuis ce souvenir. Elle avait beau les couper , elle ne retrouvait plus leur grande vigueur, leur couleur et leur longueur d'avant. Elle avait à nouveau un corps d'enfant, ou plutôt d'adolescente. C'est ce qu'on lui avait demandé, en plus de certaines autres choses, afin qu'elle survive jusqu'à l'époque qui lui serait le plus favorable. Elle savait que si elle venait à sortir de l'eau, elle perdrait une majorité de ses souvenirs. Et ça l'apeurait. Elle prenait des nouvelles du monde actuel auprès des nymphes, sans jamais oser aller tout vérifier d'elle-même. Elle grogna des menaces inaudibles envers Triton et partit se laver. Elle tenait à ses mousquets et à ses deux sabres. Elle les avait conservés. Elle sortit de sa chambre, en pantalon et chemise quelque peu trop grande pour masquer ses formes et s'en alla voir son père. En chemin, l'une des domestiques du Palais accourut vers elle.

"-Miss Anne, Miss Anne ! S'il vous plaît ! Miss Aglaopé a disparu ! Elle était chargée d'installer les décorations dans le Palais de Monseigneur votre Père, mais quand je suis arrivée, délestée de mes corvées, et avec pour idée de lui porter aide, elle avait disparu !

-Calmez vous Madame. Vous demanderez à Triton où était-elle, lorsqu'ils seront sortis de la chambre de mon frère !

-Aglaopé... Monsieur votre Frère... Ils n'auront tout de même pas fait une telle idiotie !

-Oh, cela ressemblerait bien au Prince des Océans. Je suis persuadée que c'est eux que j'ai entendu. Aussi, ne vous affolez pas si vous retrouvez des vêtements féminins dans la chambre de Triton. Quoique avec le temps vous devez avoir l'habitude.

-Miss Anne ! Voyons ! Ne soyez pas si mauvaise !

-Mais je suis juste réaliste !"

Elle se retira, le sourire aux lèvres, fière d'avoir enfoncé le Prince et l'une de ses nombreuses conquêtes d'un soir. Elle en avait plus qu'assez de devoir le supporter et regrettait les années de navigation, de débauche et d'amusement de la piraterie. Elle esquissa un sourire nostalgique et continua son chemin. Son père était content d'avoir reconstruit son Palais. Pas dans sa totalité, bien sûr, mais en grande majorité. Il observait tranquillement les dernières touches de peinture qu'apportaient les ouvriers aux façades. Il avait pris sa forme habituelle : bermuda, sandales ouvertes, chemise à fleurs hawaïennes. Il avait son trident dans une main, et une conque dans l'autre. Anne s'avança vers lui et le salua. Il étala sur ses lèvres un discret sourire.

"-Bonjour Anne.

-Bonjour père. La mer est calme ces derniers jours.

-Oui, elle est calme, malgré les quelques orages que mon frère a fait retentir hier. Je suis serein ces derniers temps.

-Aujourd'hui est un temps parfait pour voguer. Il y a un bon vent, il fait beau, et la mer est relativement lisse. De nombreux navires doivent prendre plaisir à naviguer. Il y aurait beaucoup à faire, et toute la flotte pourrait bénéficier de réparations concrètes.

-Oui, mais malheureusement, tu sais bien que tout cela n'est plus si populaire et ne se fait plus comme avant. Tu sais bien ce que les nymphes te disent quand tu leur demandes des nouvelles d'en-haut.

-Tout cela me manque, père. Mes rêves en sont la preuve.

-Et quels sont-ils ?

-J'ai revécu une matinée où le temps était semblable à celui-là, où je tenais la barre, à la recherche d'un navire à aborder, quand Jack est venu. Je lui ai laissé la barre et je suis descendue dans la cale, chercher une carte. Il avait repéré l'île d'Abacco Island.

-Anne, tu dois enterrer cette vie, comme tu as enterré ta fille.

-Père...

-Elle est aux Champs d'Asphodèle, et elle n'aura pas à connaître la dureté de ce monde.

-Père... !

-Et toi, du dois renouer avec ce monde, et arrêter de le fuir."

Un courant transporta la jeune rousse vers la surface.

Elle regagna la rive à la nage et se laissa tomber sur la plage. Elle essora ses cheveux flamboyants et regarda autour d'elle. Elle ne connaissait pas le lieu. Ca ne ressemblait pas à Nassau, à La Havane ou aux petites villes dans lesquelles elle accostait pour faire des ré c'était tout ce dont elle se rappelait. Les villes, les chants, et le vent de poupe.

Deux adolescents s'approchèrent d'elle. La fille avait une coupe asymétrique -comme si on lui avait coupé les cheveux d'un coup de sabre lors d'une attque, pensa-t-elle- et le garçon avait des cheveux courts et blonds, avec deux yeux bleu électrique. La rousse s'essuya les yeux du revers de sa manche. Les deux nouveaux venus portaient des T-shirts orange vif. La fille portait un pantalon. Et pas d'arme. Cela lui parut étrange. Elle la fixa sans gene aucune.

"Tu es une pirate ?

-Pardon ?

-Tu portes un pantalon. Enchanté. Je m'appelle Anne..."

Ce fut les derniers mots qu'elle prononça avant qu'une chappe de fatigue ne s'abatte sur ses épaules et ne la fasse sombrer dans l'inconscience.

Lorsque Anne ouvrit les yeux, elle fut inquiète. Elle ne se situait pas du tout dans l'espace et encore moins dans le temps. Un homme étrange était penché au-dessus d'elle, et tout autour de son lit, ça grouillait de gamins. Bavards, braillards... En un mot : insupportables. Elle referma les yeux, en espérant que ce n'était qu'un mauvais rêve, une hallucination dûe au soleil de plomb, à 'iode et au manque de vivres. Mais quand elle les rouvrit, ce fut le même décor qui apparut. L'homme étrange esquissa un sourire.

"Je vois que tu es rétablie. Bienvenue parmi nous, Anne.

-Hmpf. Z'êtes qui ? Vous m'voulez quoi ? Où sont mes armes ? Et mes sabres ? Et mon bateau ? Et Calico ?

-Doucement jeune fille. Vous n'aviez pas d'armes lorsqu'on vous a recueillie. Donc pas de sabre. Et je ne connais pas ce "Calico". Et il n'y a aucun navire à l'horizon.

-Mon bateau a été coulé par ces satanés espagnols alors ? Ou alors les Anglais ! Il n'y a rein de pire que les Anglais ! Pauvre de moi ! Il ne me reste plus qu'à retrouver de moi-même tous nos trésors. Jack a dû périr avec le navire. Il aurait refusé de l'abandonner.

-Mademoiselle, calmez-vous. En quelle année sommes-nous.

-En 1758, quelle question idiote.

-Evidemment, je voulais juste vérifier vos connaissances temporelles."

La rousse soupira. L'étrange homme tourna les talons, et elle put voir ce qui la dérangeait tant. Il était à moitié cheval ! Elle s'étrangla et sombra de nouveau dans l'inconscience. Le centaure, lui, n'y fit pas attention. Il déclarait cette réaction normale. En revanche, son nom, ses cheveux et la date à laquelle elle croyait être l'interpellaient plus lourdement qu'il ne le montrait. Il s'enferma dans la bibliothèque de la Colonie et fouilla dans ses archives. Cette tête ne lui était pas inconnue. Ce Calico non plus. Et bien d'autres détails le choquaient. Ou plutôt lui rappelaient une élève quil vait eu il y a longtemps et dont il était persuadé de la mort. Mais à bien y réfléchir, personne ne savait ce qu'elle était devenue. Mais elle aurait d^pu mourir de vieillesse, personne n'aurait pu survivre tout ce temps sans...

...Une protection divine.