Bonjour à tous, et bienvenue sur ma troisième longue fanfiction Web Shows, j'ai nommé : "Les Pirates du Cabaret Noir" !

Je remercie tout ceux qui sont arrivés sur cette page, pour avoir eu assez de curiosité afin de venir voir de quoi cette fic en retournait.

C'est un AU, un AU!pirate qui plus est, dont j'ai eu l'idée immédiatement après avoir écouté le premier titre du nouvel album de Mr Yéyé, "Cabaret Noir".
(Si vous ne connaissez pas foncez, ce mec est adorable et il déchire. Vraiment.)
De plus, un revisionnage de l'épisode 35 de What The Cut?! m'a définitivement convaincue de commencer cette fanfic, alors me voilà !

Je me lance un peu en aveugle, car c'est la première fois que j'écris un UA, et de plus je ne connais pas très exactement la fin. Je ne peux pas vous promettre d'avoir un rythme régulier, car je donne la priorité à une autre fanfiction que j'ai en cours sur Web Show également. Je suis donc assez stressée mais ne vous en faites pas, j'ai déjà fait un plan au cas où ^^

Le rating est en T pour l'instant, et je tiens à signaler qu'il n'y aura pas de Matoine au cas où des fans de ce couple passeraient par là (désolée pour eux par ailleurs !), et que d'autres membres de la Web Team feront leur apparition tout au long de cette fic !

Je souhaite remercier Fanny, Madeleine et Élise pour leurs suggestions concernant la fanfiction !

Disclaimer : Le Choix de Buscarron et ses personnages (Buscarron, Wendy et Jack) sont issus de l'imagination d'Antoine Daniel, et il s'appartient. Mathieu Sommet s'appartient également, je ne fais qu'emprunter son image et je ne prétend pas connaître sa vrai personnalité. Les personnalités mentionnées sont d'ailleurs sa propriété !

Enjoy, et n'oubliez pas de laisser une petite review ;)


Chapitre 1 | Le Changeur d'âme

Mathieu poussa la porte du Choix de Buscarron avec lassitude, s'emmitouflant encore plus dans son manteau de fourrure, et relevant le col de sa cape afin de protéger son visage du froid mordant d'hiver.

Une douce chaleur l'enveloppa alors qu'il faisait ses premiers pas à l'intérieur du bar. Au lieu de se décharger du poids de sa cape, il garda la tête baissée et camouflée par sa capuche, avant de se diriger droit vers le comptoir.

En reconnaissant le gérant venir vers lui afin de le servir, Mathieu enleva sa capuche, gardant néanmoins sa cape ruisselant de pluie et de neige fondue.

— Matt' ! Qu'est-ce que je te sers ?

— Une bière, comme d'habitude, répondit le petit avec cette même voix un peu timide.

— J'te sers ça de suite ! répondit Buscarron en se retournant vers les étagères pleines d'alcool.

En attendant d'être servi, Mathieu regarda autour de lui.

Les hommes en tout genre s'esclaffaient d'un rire gras, trinquant en faisant déborder leurs bières, le tout en jouant généralement aux dés sur leurs tables. Des serveuses se baladaient dans la pièce, servant les bandits – car tous les hommes réunis ici l'étaient, Mathieu n'était pas dupe – qui les récompensaient généralement d'œillades pleine de sous-entendus ou de compliments assez maladroits. L'ambiance était festive la musique joyeuse emplissait la taverne, et les vociférations des brigands rebondissaient sur les murs.

Mathieu soupira et baissa la tête en contemplant le bois du comptoir. Qu'il aurait aimé, lui aussi, pouvoir faire la fête sans se soucier de sa vie, partager des chopes avec des gens qu'il aurait sûrement appelés des amis. Mais la société dans laquelle il grandissait n'était pas prête de l'accueillir de sitôt…

La chope de bière fut posée brutalement sous ses yeux, le liquide ambré virevoltant dans le cristal et menaçant de déborder. Surpris dans ses pensées, Mathieu releva la tête pour croiser le regard complice de Buscarron qui venait de le servir :

— Encore dans la lune, fils ?

Mathieu sourit face au sobriquet. C'était une tradition, ça. Depuis qu'il avait franchi pour la première fois la porte du Choix de Buscarron, ce dernier l'avait tout le temps appelé "fils" sans qu'il ne sache jamais pourquoi. Le gérant lui vouait une affection paternelle spontanée, et le jeune homme n'avait pas cherché à l'en empêcher. Il n'avait pas de famille, et ce réconfort machinal lui avait toujours mis du baume au cœur.

— Je réfléchis.

— Arrête de réfléchir, fils, et bois un bon coup. Ici t'es là pour oublier tes problèmes, pas pour les ruminer.

Une tape sur son épaule faillit le faire tomber du tabouret sur lequel il s'était assis, avant que Buscarron ne se rende à un autre endroit du bar afin de servir d'autres clients. Mathieu l'observa s'éloigner d'un regard, avant de porter sa choppe à ses lèvres.

L'homme était un ancien pirate il l'avait appris au cours d'une discussion, tard dans le bar, où presque la moitié des clients étaient partis. Le vétéran lui avait raconté mille et une histoires de ses voyages sur les mers, passant de combats épiques à des manœuvres compliquées en pleine tempête, enfumant la tête du jeune homme d'aventures en haute mer toutes plus extraordinaires les unes que les autres.

Mais lorsque Mathieu lui avait demandé où était son trésor, le gérant s'était contenté de rire grassement, avant de lui ébouriffer affectueusement les cheveux – geste qui devenait récurrent, constatait-il avec agacement. Il avait alors dévié la conversation sur l'origine de chacun de ses tatouages – et bon Dieu, ce qu'il en avait – avant de se faire interrompre dans ses diatribes enflammées par Wendy, qui l'avait assommé d'un coup du manche de sa hache.

Wendy. Mathieu balaya la salle du regard afin de voir si la serveuse était dans le coin, mais il ne vit point la grande hache qu'elle portait en bandoulière dans son dos tout en servant les clients.

Mathieu la décrivait souvent comme une tigresse : ses lèvres peintes de rouge lui conférant une beauté animale et son agilité incroyable au combat le laissait souvent ébahi, et Dieu savait qu'elle avait mis fin à nombre de bagarres ayant dégénérées dans le bar depuis qu'il était arrivé ici. La fougue bestiale qui la caractérisait la transformait littéralement au combat, et son maniement de la hache faisait d'elle une experte du combat d'armes blanches. Quand il était arrivé au Choix de Buscarron, elle l'avait charrié sur sa petite taille – il n'arrivait toujours pas à croire qu'on lui faisait encore ce coup-là – et depuis, l'appelait toujours "mon chou", comme en écho au "fils" de Buscarron. Ce n'était que plus tard qu'il avait appris qu'elle était la fille du gérant, et en y regardant bien, le vieux pirate et la jeune serveuse fougueuse avaient bel et bien un air de parenté. Les surnoms aussi, cela devait être de famille, pensait-il avec amusement.

En la cherchant dans la pièce, Mathieu tomba sur Jack, qui amusait la galerie en jonglant avec trois coutelas. Un léger sourire fleurit sur ses lèvres en voyant le jeune homme lancer subitement les trois poignards vers la cible sur le mur en face de lui, et les planter tous vers le centre. Des applaudissements se firent entendre dans l'assistance, tandis que l'histrion du bar faisait des révérences exacerbées, en enlevant son tricorne pour l'utiliser comme pot à pourboire. Aussitôt, les pièces tintèrent dans le tissu, et le jeune homme salua chaleureusement la foule qui venait de lui payer sa journée.

Jack était celui qui pouvait se rapprocher le plus d'un ami pour Mathieu. Le jeune homme aspirait à devenir marin, et lui contait souvent que plus tard il reviendrait les poches chargées d'or dans la taverne, afin de remercier Buscarron qui lui avait donné la chance d'un foyer en l'accueillant dans son auberge. Souvent, il avait partagé des choppes avec lui et Wendy, et même si Mathieu ne doutait pas trop de l'affection qui unissait ces deux-là, il souriait intérieurement en voyant Buscarron les observer d'un œil sceptique à chaque fois qu'ils échangeaient entre eux.

Le vieux pirate n'était pas idiot, il avait même une clairvoyance qui surprenait souvent Mathieu. Et ça, en clairvoyance, il l'avait même sacrément surpris, oui…

Il ne doutait pas que le gérant connaissait sa vraie nature. Mathieu passa distraitement sa main dans ses cheveux, touchant par la même occasion son crâne, et ferma les yeux en soupirant.

Il n'était pas comme les autres, et ce depuis sa naissance. Sa mère l'avait élevé comme elle avait pu, mais jamais il n'avait eu de nouvelles de son père. Mort sur la mer, qu'on lui avait dit. Sa génitrice l'avait abandonné à ses douze ans, foudroyée par la maladie, et le laissant sans ressources, à errer dans les rues comme un vaurien. Ce n'était que vers ses seize ans que sa malédiction s'était déclarée et alors, sa vie avait été un enfer.


Alors qu'il traînait dans les rues avec les gamins tout aussi paumés de son quartier, quelque chose s'était débloqué au plus profond de son être, comme des voix lui murmurant sans cesse aux oreilles.

« Gamin, prend un colt et tire-toi de là dès que tu peux. Ça sent la merde. »

« Gros, trop de mauvaises ondes ici. J'me sens pas bien… »

« Mathieu, j'ai peur… Rentrons à la maison. »

Au début, il avait tenté d'oublier ces chuchotements qu'il prenait pour des hallucinations – sûrement un début de fièvre, qu'il avait pensé. Mais au fur et à mesure, les voix devenaient de plus en plus fortes, de plus en plus insupportables. Puis, soudain, il avait demandé à ses camarades de misères :

« Vous n'entendez pas ?

— Entendre quoi ? lui avaient-ils demandé.

— Les voix.

— Quelles voix ?!

— Mon pauvre Mathieu, tu délires.

— T'as sûrement choppé la fièvre.

— Elles me parlent, avait-il insisté sans savoir qu'il provoquait sa perte. Vous êtes sourds ou quoi ?! »

Certains, un peu effrayés par ce qu'il avait dit, avait regardés autour d'eux, mais d'autres avaient répliqués :

« Matt', si c'est pour nous faire peur, c'est vraiment pourri comme blague !

— Mais je vous jure ! Il y en a trois… Ils me disent de m'en aller…

— T'es complètement taré ! »

Puis, l'un de ses compagnons, un peu plus âgé que lui, l'avait regardé droit dans les yeux. Encore aujourd'hui, Mathieu se souvenait de ce regard. Ce regard si méprisant, à la fois accusateur et dégoûté, avant que la sentence ne tombe :

« Il est pas fou. C'est un changeur d'âme. »

Et tout avait changé. Les adolescents, autrefois ses camarades de misère, l'avaient contemplé avec un mélange d'horreur et d'écœurement.

Changeur d'âme. Oh, Mathieu en avait entendu des légendes à ce sujet, mais jamais il n'aurait cru qu'un jour on l'accuserait d'en être un.

La légende racontait qu'il s'agissait du regroupement de plusieurs âmes en un seul corps, et que celles-ci se disputaient l'enveloppe charnelle sans que l'hôte originel ne puisse les contrôler. Une sorte d'erreur de la nature, une tare qui faisait des Changeur d'âme des personnages dangereux et instables.

Au début, on l'avait insulté, puis, en comprenant que la situation se retournait contre lui, il s'était enfui, écoutant les voix dans sa tête. Il s'était précipité vers leur refuge de gamins des rues, et avait saisi une arme au vol, avant de s'enfoncer dans le dédale de rues, les autres sur ses talons. Il avait fini par passer la nuit seul, complètement perdu, grelottant de froid et l'oreille à l'affût. Et il avait écouté les voix dans sa tête, pleurant inconsciemment en saisissant ce qu'il était vraiment.

Changeur d'âme. Il était un de ces tarés qui pouvait changer d'attitude en moins de deux, il était un de ces monstres que la loi condamnait à la peine de mort.

En une fraction de seconde, il était devenu un hors-la-loi, un bandit, un indésirable.

Il avait mis du temps à apprivoiser sa maladie, mais au bout d'un an à errer et à ne pas rester au même endroit, il s'était stabilisé, et s'était enfin accepté comme il était.

En tout, il en avait compté six. Six voix qui lui parlaient dans sa tête. Il y en avait trois qui se révélaient bien plus puissantes, mais trois autres arrivaient de temps en temps pour ajouter leur commentaire.

Il y avait la plus sombre de ses facettes. Un dangereux taré, qui lui chuchotait parfois à l'oreille de faire des choses totalement indécentes que les pires criminels n'avaient pas encore osés. Mais malgré sa personnalité de truand sans âme, ce dernier lui prodiguait souvent de nombreux conseils, et dans les multiples situations à risque dans lesquelles il s'était trouvé, sa voix lui avait toujours permis de s'en sortir.

Il y avait son opposé complet. Un pleurnichard, toujours à se plaindre et à faire ressortir ses peurs les plus enfouies. Mathieu l'avait souvent repoussé au plus profond de son esprit, se rendant bien compte que cette voix-là le rendait faible. Mais parallèlement, la petite voix naïve lui parlait souvent d'univers fantastiques, d'endroits où il rêvait de s'évader, comme s'il s'agissait de la partie de lui qui était restée enfant.

Il y avait aussi un rêveur invétéré, qui lui soufflait des paroles de rêves et d'espoir complètement fous, mais qui l'aidait à voir le bon côté des choses. Malgré sa vision utopiste du monde, ses convictions rendaient souvent Mathieu plus joyeux, et redonnaient à son quotidien une image bien plus facile à supporter.

Et puis, en un peu plus timides, il y avait les trois autres qui ne s'étaient pas manifestés au tout début.

Il y avait la plus primaire et bestiale de ses personnalités. Qui réagissait toujours sous le coup de l'impulsion, qui se battait griffes et crocs pour ce qui l'indignait. Les nuits où cette voix-là le tourmentait, il se mettait à chantonner doucement, et étrangement, la bête se calmait, comme apaisé par la mélodie.

Il y avait aussi le rationnel. Sans qu'il ne sache d'où cela lui venait, Mathieu arrivait parfois à comprendre des phrases indéchiffrables pour quelqu'un de sensé, ou bien effectuait des calculs de manière naturelle. Cette voix-là l'aidait souvent lors de situations complexes et difficiles, mais il devait bien avouer que parfois ses phrases alambiquées lui donnaient la migraine.

Il y avait étrangement une partie de lui réclamant la justice, l'égalité partout où il allait. La voix avait un timbre de femme, et s'empressait de le réprimander dès qu'il pensait à quelque chose de misogyne. Cette facette de son âme avait une énergie et une combativité assez impressionnantes, et il assistait parfois à des débats enflammés ayant lieu au cœur de son esprit.

Il avait ainsi vagabondé dans les rues pendant cinq ans de son existence. Les voix ne le quittaient jamais, lui provoquant souvent des migraines, mais le soutenant dans les moments les plus difficiles, chacune à sa manière.

Puis, il y a trois mois, il avait passé la porte du Choix de Buscarron. Ce soir-là, sa vie avait radicalement changée. Buscarron avait littéralement pris dans ses bras le gamin paumé et grelottant qu'il était, avant de lui offrir une chope de bière afin de le réchauffer. C'était grâce à cette affection familiale qui lui avait tant manqué que Mathieu avait pu se reconstruire. Il avait réussi à trouver un travail, avec un salaire – assez maigre certes – mais avait gagné assez pour se dénicher un logement. Aussi miteux soit-il, un toit restait un toit, et Mathieu ne se lassait jamais de sentir un matelas sous son dos et les couvertures l'envelopper à une heure avancée de la nuit. Et depuis, les voix s'étaient faites moins violentes.


Mathieu releva la tête en sentant une présence le fixer. Surpris, il vit le sujet de ses pensées l'observer d'un air confiant, presque malicieux. Buscarron le regardait comme un gamin se préparant à une bonne blague. Méfiant, le Changeur d'âme se replongea dans sa chope, et avala une gorgée.

Mais bien rapidement, son père adoptif lui posa une main calleuse sur l'épaule, et du coin de l'œil, Mathieu vit les tatouages du gérant s'enrouler autour de son bras.

— Fils, viens avec moi. J'ai quelque chose à te montrer.

Le jeune homme soupira, et finit sa chope de bière d'un coup sec. Légèrement méfiant, il se leva, et suivit le gérant à travers le bar, tentant malgré tout de se faire discret avec sa cape et son lourd manteau. Mais grâce à sa petite taille, Mathieu et Buscarron se faufilèrent entre les pirates chantant et riant sans se soucier d'eux.

Ils arrivèrent ainsi devant un rideau, que le loup de mer écarta d'un geste de la main. Mathieu fronça les sourcils : il n'avait jamais remarqué cet endroit de la taverne auparavant.

Le tissu s'écarta et révéla une porte, que le vieux pirate ouvrit en jetant quelques coups d'œil autour de lui. Puis, il se décala, et d'un geste de la tête, Mathieu comprit qu'il l'invitait à passer de temps. Curieux, le petit haussa un sourcil, avant de s'avancer dans le couloir. Buscarron referma la porte derrière eux, et mena la route devant son "fils".

Le couloir s'avançait sur quelques mètres ; il faisait sombre, et la seule lumière provenait des torches fixées au mur et projetant une faible lueur dorée autour d'elles. Mathieu sentit quelque chose sous ses pieds, comme des vibrations, mais il n'osa pas demander s'il s'agissait d'un bruit réel, pensant que son esprit dérangé lui jouait encore des tours.

Ils arrivèrent devant des escaliers qui semblaient s'enfoncer dans les entrailles de la Terre, et à l'inverse du couloir, ceux-ci n'étaient pas éclairés. Mathieu frissonna, et il lui sembla que les vibrations se faisaient plus fortes. Le vieux pirate passa devant lui afin de lui mener la marche, et ils s'engagèrent prudemment sur les escaliers de pierres poussiéreuses.

Mathieu n'avait absolument aucune idée de là où on l'emmenait ; il se contenta ainsi de marcher en faisant attention où il mettait les pieds, et laissant ses pensées vagabonder en silence. Depuis quand la taverne avait-elle un passage secret ? Buscarron ne lui en avait jamais parlé. De plus, cela semblait être un ancien passage seulement connu du gérant. Jamais Wendy ou Jack n'avait semblé connaître cet endroit.

Puis, au bout d'une vingtaine de marche, ils arrivèrent devant une porte de bois. Cette fois-ci, les vibrations se faisaient clairement ressentir, et Mathieu ne douta plus qu'il s'agissait d'un bruit bien réel. Il jeta un regard inquisiteur à son aîné, mais celui-ci ne le lui rendit pas : on aurait dit qu'il faisait volontairement durer le suspense, ce qui énerva légèrement Mathieu qui n'aimait pas qu'on se fiche de lui.

Enfin, la porte s'ouvrit, et Mathieu fut poussé d'une main puissante par le gérant qui s'empressa de refermer la porte derrière eux, et le jeune homme comprit aussitôt pourquoi.

La musique le frappa de plein fouet et l'enveloppa dans un manteau assourdissant. Éberlué, Mathieu regarda autour de lui, la mélodie aux airs rock lui perçant les tympans mais étrangement réconfortante.

Il s'agissait de la même pièce que celle de la taverne ; avec un comptoir destiné à servir les clients, des tables de jeu, une estrade et de nombreuses cibles accrochées aux murs. Les torches éclairant l'endroit lui conféraient une ambiance chaleureuse et festive, tandis que les rires et les vociférations rebondissaient sur les murs.

Sur l'estrade en bois se trouvait un jeune homme, avec un chapeau de cow-boy surmonté d'une paire de lunettes rondes à l'air désuet. Il se trémoussait, sa chemise à carreau volant au vent, sa guitare à la main, tandis que sa voix emplissait le bar d'un air féroce :

« Alors qu'en surface,

Les hautes tours de l'industrie musicale s'effondrent

Sous l'asphalte poussiéreux grouille le terreau

De ce jardin de plantes fécondes »

La musique avait un air tellement vivant que Mathieu continua à regarder autour de lui, émerveillé.

Il vit quelques personnes parler entre elles, et Buscarron l'entraîna vers le bar où étaient accoudés quelques hommes parlant et chantant en cœur avec le chanteur sur scène qui continuait de s'égosiller.

« Cela fait fort longtemps qu'ils se sont installés ici,

Dans les catacombes

Bien avant que des hommes en costards et cigares ne les rangent dans des boîtes

Et les jettent sur les ondes ! »

Aussitôt, l'air changea, et la musique se fit plus féroce, presque bestiale. Mathieu contempla la scène, prit dans un tourbillon de musique endiablé, sous l'œil paternaliste du gérant de la taverne qui l'observait avec un petit sourire.

« Nos guitares n'ont pas attendu ta structure pour hurler

Mettre un code-barres dessus ne les empêcheront pas de céder ! »

Et ce fut à ce moment-là que Mathieu se sentit perdre pied, épousant la musique de toute son âme. Les différentes parties de son esprit à part se mirent pour une rare fois en harmonie, écoutant presque religieusement la mélodie qui leur rappelait leurs rêves déchus.

« Bienvenue dans le Cabaret Noir !

Là où aucune loi ne t'enfermera

Ici les pirates sont les rois

Dans le Cabaret Noir

Les pirates sont les rois ! »

Le chant se solda pour une vocifération semblable à une revendication de leurs droits les plus fondamentaux, et Mathieu ressentit un frisson lui remonter l'échine en entendant la puissance de ce hurlement.

« FREEDOM ! »

Mais alors que la musique reprenait pour un rythme plus calme, ressemblant au premier couplet, Buscarron le détourna de la mélodie pour le présenter à ce qui visiblement était un homme de son âge :

— Antoine, j'te présente Mathieu.

En arrière-plan, le Changeur d'âme entendit la chanson continuer, mais il prit le temps de détailler cet homme qui lui faisait face. Il était grand, ou du moins il le dépassait d'une bonne tête - mais ça, il en avait l'habitude, avec son 1 mètre 60 - et ses cheveux fous lui donnaient un air de fanfaron, ce qui contrastait avec les lunettes sérieuses juchées sur son nez. Il portait une chemise blanche légèrement ouverte sur son torse, ainsi qu'un gilet noir par-dessus. Du coin de l'œil, Mathieu remarqua le sabre à sa ceinture, ainsi que le pistolet qui l'accompagnait.

Mais son inspection se stoppa net en entendant le gérant du bar continuer :

— C'est un Changeur d'âme.

Mathieu regarda Buscarron avec des yeux ronds, tandis que la panique s'insinuait en lui comme un poison mortel.

Était-il fou ?! Il était d'un hors-la-loi ! Et balancer son identité dans une pièce remplie de gens était du suicide !

Il tenta de s'enfuir, mais la poigne ferme du gérant l'en empêcha. Fou de terreur, Mathieu lui lança un regard implorant, ne sachant pas ce que manigançait l'autre et cela lui donnant des tremblements.

Il venait d'être trahi, trahi par celui qu'il considérait comme son père. On allait le décapiter, le condamner à la peine de mort !

Mais ses suppositions effarantes se coupèrent lorsqu'il vit Antoine se mettre à glousser d'un rire franc et clair, nullement effrayant comme celui des pirates d'en-haut. Puis, dans un signe de franche camaraderie, il lui posa une main réconfortante sur l'épaule :

— Relax mon gars, on va pas te balancer ! C'est bien mon genre, ça ! Buscarron, vieux loup de mer, tu vois pas que tu lui as fichu la frousse ?

Si au début la panique de Mathieu ne se calma pas - bien au contraire -, une voix dans sa tête continua sur la lancée du grand chevelu.

« Calme-toi gamin, le balais à brosse a raison. Il te veut pas de mal. »

Aussitôt son rythme cardiaque s'apaisa, et il regarda autour de lui d'un air perdu, ne saisissant la mauvaise blague qu'après quelques instants.

— Qu... Qu'est-ce que ? balbutia-t-il, encore sous le coup de l'adrénaline.

Les deux autres hommes le regardèrent, avec un grand sourire pour le pirate aux cheveux fous, et avec une lueur de malice pétillante dans les yeux de Buscarron. Finalement, une main rassurante lui ébouriffa les cheveux, et Mathieu grogna sous ce réflexe.

Derrière eux, la musique reprenait de plus belle, semblant gagner en vigueur sous les acclamations des pirates chantant en cœur :

« Bienvenue dans le Cabaret Noir !

Là où aucune loi ne t'enfermera

Ici les pirates sont les rois

Dans le Cabaret Noir

Les pirates sont les rois ! »

Puis, soudain, Mathieu fut surpris d'entendre le rythme se calmer brusquement, presque en même temps que la foule. Le chanteur au chapeau insolite reprit de sa voix étrangement envoûtante :

« Dans le Cabaret Noir,

Les pirates sont les rois

Qui sauveront le quatrième art

Des entraves de vos lois »

Cette partie fut répétée, et même Antoine et Buscarron fixaient le chanteur cette fois-ci. Mathieu aurait juré voir les yeux de son père adoptif briller de nostalgie, mais la musique s'intensifia, et le jeune homme comprit qu'il s'agissait de la conclusion.

Dans une montée assourdissante qui lui donna des frissons, Mathieu vit le cow-boy se jeter sur l'estrade à genoux, ses bras grattant sa guitare à un rythme fou tandis que devant lui la foule se tut, électrisée par ce qu'il se passait. Puis, comme en écho aux sentiments de cette dernière, un hurlement rebondit sur les murs de la taverne souterraine :

« FREEDOM ! »

Le chanteur se tut brutalement, tout comme sa musique. Un silence poignant se répandit dans l'assistance, mais quelques secondes plus tard, un tonnerre de rugissements et d'applaudissements ébranla la pièce.

Mathieu vit ainsi les pirates siffler joyeusement, et jeta un regard inquisiteur à Buscarron. Comme en réponse à sa question muette, ce fut Antoine qui répondit :

— Il s'appelle Yéyé. C'est notre chanteur, ajouta-t-il avec fierté.

— Vous avez un chanteur dans votre équipage ? demanda le Changeur d'âme avec surprise.

— Qu'est-ce que tu crois ? répondit le pirate en passant une main dans ses cheveux avec un grand sourire. Faut bien ça pour soigner les cœurs ! Avec la vie qu'on a, autant profiter à fond de la vie, non ?

Mathieu ne répondit pas, songeur. Mais soudain, ses yeux s'agrandirent lorsqu'il vit une silhouette familière servir quelques pirates à une table située un peu plus loin :

— Wendy ? souffla-t-il, étonné.

Buscarron suivit son regard et tomba sur sa fille avec un petit sourire. Mathieu le regarda, légèrement vexé de savoir que finalement, cette pièce n'était pas inconnue de ses plus proches amis. Antoine jeta également un coup d'œil dans sa direction, et en voyant l'intérêt de Mathieu pour la jeune serveuse, il l'appela :

— Hé, Wendy ! Tu le connais ?

Aussitôt, la spécialiste du combat aux armes blanches se retourna, sa hache fixée en bandoulière ballotant dans son dos. Son regard s'arrêta sur Mathieu, et ses lèvres peintes de rouge s'étirèrent en un grand sourire tandis qu'elle se précipitait vers lui :

— Mathieu, mon chou ! Enfin papa te laisse venir ici ! Je croyais que tu ne viendrais jamais !

— Il n'était pas prêt, rétorqua son père en la voyant ébouriffer les cheveux de son protégé qui grogna sous le réflexe familial.

La combattante posa une main sur sa hanche gauche, tandis que de sa main droite, elle tenait le plateau rempli de verres vides et prêts à être lavés. Avec dédain, elle regarda son père :

— Depuis quand un Changeur d'âme n'est pas prêt à venir au Cabaret Noir ? demanda-t-elle en une moue capricieuse.

Si pour Mathieu, savoir que Buscarron avait découvert sa véritable nature ne l'avait pas surpris, le fait que Wendy le mentionne sous ses yeux lui fit l'effet d'un second choc. Les yeux ronds, il la fixa, mais la serveuse ne sembla pas en tenir compte. Ce ne fut qu'après quelques secondes qu'il prit en compte le fait que l'endroit s'appelait véritablement le Cabaret Noir, mais il stoppa net la dispute entre la fille et son père débattant sur sa venue :

— Y'a-t-il d'autres personnes qui connaîtrait mon identité sans que je le sache ? questionna-t-il d'un ton légèrement vexé.

— Non, répondit Wendy d'un air nonchalant. Jack est tellement aveugle, tu lui aurais dit que tu étais un gradé de la Marine qu'il y aurait cru. Mais tu es si facile à discerner, mon chou, que je me demande comment on ne t'a pas encore choppé !

— Merci, fit le Changeur d'âme encore plus froissé sous la remarque.

Buscarron, en voyant la mine rembrunie de Mathieu, changea la direction de la discussion. En regardant sa fille, il poursuivit son explication :

— Je voulais surtout lui faire rencontrer Antoine, afin qu'il puisse partir.

Troisième choc pour Mathieu, qui décidément sentait que cette journée devait être la plus surprenante de sa vie :

— Partir ? Comment ça, partir ?

La lueur de gravité dans les yeux du loup de mer lui fit comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie, et encore moins lorsqu'il vit l'ancien pirate lui poser une main sur l'épaule d'un air désolé.

— Écoute fils, ici ce n'est pas un endroit pour toi. T'as peut-être réussi à te stabiliser, mais ça ne durera pas longtemps, crois-moi. Un jour tout va déraper, et je serai peut-être pas capable de t'aider une seconde fois. Ta place n'est pas ici.

— Pardon ? répondit le Changeur d'âme d'un ton scandalisé. Ici, c'est peut-être la seule famille que j'ai ! Je ne veux pas partir, et continuer à fuir ! J'ai assez couru dans ma vie !

— Arrête de te voiler la face, rétorqua son père adoptif d'un ton dur. Tu crois que je ne vois pas l'air de gamin émerveillé à chaque fois que je te parle de trésor et d'aventures ? J'ai vécu assez longtemps sur la mer pour voir qui lui appartient. Et ça, Matt', ce n'est pas un regard de jeune gars bien sage et rangé que tu as. C'est un regard fait pour l'aventure, l'action.

Mathieu sentit les mots acides qu'il s'apprêtait à répondre quitter sa langue, et fut pris de court. Comme pour appuyer les propos du vieux pirate, Antoine renchérit :

— Écoute mon gars, le vieux a raison. Si tu nous rejoins, t'auras plus jamais de contraintes, tu vivras comme tu le voudras. La liberté, ça te fait pas rêver ?

Le Changeur d'âme plongea son regard dans les yeux chocolat du pirate, complètement désarçonné par le renversement de situation qu'il vivait.

D'un côté, c'était vrai. Il en avait assez de fuir, de courir. Il ne voulait plus survivre, il voulait vivre et profiter de la vie comme n'importe qui, sans que sa malédiction ne le rende différent. Il voulait rêver d'aventures, de trésors, de monstres à combattre.

Mais… Le Choix de Buscarron était le premier endroit où il n'ait jamais pu se poser sans avoir à repartir sous les menaces. Il y avait trouvé sa famille. Buscarron, Wendy, Jack… Une famille qu'il ne voulait pas quitter. Pas maintenant qu'il avait trouvé sa place.

« Arrête de réfléchir, gamin. Accepte, merde, et qu'on se casse enfin de ce trou paumé ! »

« Montre-nous la mer, gros. Y paraît que c'est libre, qu'on peut rêver sans limite. »

« Mathieu, j'en ai assez de fuir… Moi aussi, je veux être un pirate ! »

« Tu ne voudrais pas qu'il leur arrive quelque chose, non ? En restant ici, tu les mets en danger… »

« J'en ai marre d'être mis en laisse. Sortons, que je me fasse enfin les crocs. Ils ont un musicien, nom de Dieu ! »

« Bon, tu y vas oui ou merde ? Les hommes, tous les mêmes. Jamais contents. Accepte et qu'on en finisse ! »

Mathieu eut du mal à ne pas laisser transparaître sa surprise. C'était rare que les Six se manifestent dans sa tête, en même temps.

Après, tout, peut-être était-ce sa destinée ? Si les autres morceaux de son esprit étaient – pour une fois – d'accord sur la même chose…

Il jeta un regard circulaire au Cabaret Noir, avant de se poser à nouveau sur les yeux du pirate prêt à le faire rentrer dans son équipage. Ce fut d'une voix fébrile que la sentence tomba :

— J'accepte.