Alors même qu'il était assis en face de la cheminée, une brise glaciale vint lui caresser l'arrière du crâne le faisant frissonner. Un soupir las s'échappa d'entre ses lèvres amaigries par le temps et ses mains couvertes de tâches de vieillesses s'empressèrent d'attirer à lui l'épaisse couverture en laine posée sur le fauteuil désormais toujours vide à ses côtés. Une fois recouvert de ce poids réconfortant son regard se perdit dans le vide. Il revoyait des milliers de lettres cachetées de rouge, des centaines de sorts jetés à tous vas, des dizaines de dîners en famille et trois beaux enfants. Mais ce qu'il voulait revoir par dessus tout c'était elle, sa Ginny. Et maintenant qu'elle était partie il passait le plus clair de son temps à attendre de la rejoindre. Et oui, le garçon qui avait survécu, l'élu de la prophétie, l'adolescent qui avait vaincu, le sauveur du monde sorcier souhaitait enfin pouvoir quitter ce monde. Il espérait que la Mort viendrait le chercher comme un vieil ami, comme dans le conte des trois frères, mais elle était venue chercher sa Ginny d'abord. Et depuis, il attendait. Il attendait, parfois patiemment, parfois tristement, parfois en hurlant de toutes ses forces pour qu'elle vienne, mais jamais elle ne venait. Chaque anniversaire, chaque Noël, chaque commémoration sans elle était pire que la mort. Son absence lui broyait les os et lui déchirait les tripes, rendant chaque souvenir à la fois agréable et douloureux, toujours plus douloureux. Ses yeux se posèrent sur le manteau de la cheminée où trônait une photo d'eux le jour de leur mariage, sa nouvelle épouse, le ventre rond, un sourire à en faire pâlir la lune, agitait sa main devant lui afin de montrer son alliance où était gravé « Jusqu'à ce que la Mort nous sépare ». Et c'était ce qu'elle avait fait, elle les avait séparés. Alors quand son vieux corps courbaturé le lui permettait encore, il allait lui parler, déposant un bouquet de ses fleurs préférées sur sa tombe. Mais maintenant même ça il ne pouvait plus le faire, il n'y avait plus rien qui le retenait. C'était pour cela qu'il attendait. Il attendait chaque jour que Merlin faisait que la Mort vienne le prendre à son tour. Mais elle ne venait jamais. Et chaque jour il attendait.

Un toc toc discret vint le tirer de ses réflexions mélancoliques, c'était Dali la chouette de sa fille qui toquait de son gros bec noir contre la fenêtre, une épaisse enveloppe dans le bec. Péniblement il se releva, faisant craquer une ou deux articulations au passage, avant de clopiner jusqu'à la petite chouette laponne qui lui remit son courrier avec un hululement encourageant. Il lui donna une friandise et elle s'envola rejoindre sa maîtresse. Son regard la suivit par delà l'horizon, ravivant une image d'Edwige dans son esprit déjà meurtri. Se rasseyant dans son fauteuil il ouvrit l'enveloppe d'un doigt tremblant. Une myriade de couleurs tomba sur ses genoux. C'était des photos. Des photos de sa fille et de ses petits fils, l'une d'elles lui montrait les deux têtes brunes lui souriant alors qu'ils tenaient leur diplômes de fin d'études entourés par leurs amis. Une autre lui présenta sa fille tout de jaune vêtue chevauchant son balais au dessus d'un champ de fleurs. Une autre le fit sourire quand il vit sa toute petite fille maintenant maman à son tour en train de danser avec son plus grand fils. Il y en avait des dizaines. Et chacune d'entre elles lui donnait une bonne raison de rester en vie un peu plus longtemps. Parce qu'il voulait pouvoir en raconter le plus possible à sa Ginny quand il la retrouverait, même si attendre de la retrouver lui faisait si mal.

Les photos étaient accompagnées d'un petit mot calligraphié de l'écriture délicate de sa fille : « Je t'aime papa, on t'aime tous ».

Oui, ça valait le coup d'attendre encore un peu.