Oh, what a night
Une fois quitté le bâtiment, je respirai enfin. Me revint alors un des adages préférés de Mycroft : « Tenir à un être cher n'est pas un avantage. »
Comme toujours, Mycroft avait raison. Je n'avais pas compris à l'époque : pensant naïvement pouvoir lui faire envie en étalant à ses yeux la belle amitié que me porte John – portait me corrigeai-je mentalement.
J'esquissai un sourire amer. Comme Mme Hudson l'avait prédit, je me suis éclipsé de la soirée du mariage de John, mon meilleur ami, « le jour le plus important de sa vie » comme il se plaisait à le qualifier. Quelle tristesse.
J'ai réellement envisagé la possibilité que notre amitié puisse survivre face à l'arrivée d'une autre personne. Mary – étonnamment intelligente, 'belle' selon les critères de John, aimante, drôle et attentionnée.
Effectivement, j'aurai pu essayer de saboter sa relation avec John, comme je l'ai fait avec toutes ses petites amies précédentes. Mais il ne m'a pas semblé juste, dans la mesure où Mary semblait le rendre heureux, un exploit dont j'ai été incapable pendant mes deux années passées à démanteler le réseau de Moriarty.
De plus, Mary ne semblait pas contre le fait à ce qu'il continue à enquêter à mes côtés. Preuve qu'elle a tenté de me rassurer en demandant à John de venir enquêter avec moi. Bon, elle avait également cerné correctement John puisqu'elle m'a demandé le même service.
Mais un bébé ? Jamais je ne pourrai rivaliser contre un enfant – son enfant, l'enfant de John. Il fallait bien que j'accepte un jour ou un autre que John n'habitait plus au 221B Baker Street, que le fauteuil en face du mien resterait éternellement vide.
Je réussis miraculeusement à trouver un cab pour rentrer au 221B. L'appartement me sembla douloureusement vieux et triste. Je montai à l'étage pour regagner ma chambre et ne plus voir les deux fauteuils, qui symbolisaient une ère bel et bien révolue.
J'ouvris mon placard et saisis un de mes costumes Spencer Hart. A l'aide d'un couteau posé négligemment sur la table de chevet, j'entrepris de découdre soigneusement sa doublure afin de récupérer une petite seringue, un minuscule flacon rempli d'une solution à 7% de cocaïne liquide et un paquet de cigarettes Lucky Strike.
Cela faisait des années que je n'avais pas touché à la cocaïne, ni à la morphine. Je n'en ressentais d'ailleurs pas le besoin. Jusqu'à maintenant. Mycroft sera certainement au courant d'ici demain. Père et Mère aussi. Peu importe, une injection sera suffisante. A lui Mary, à moi la cocaïne. Ou plus probablement le tabac et le Travail, étant donné l'ennuyeuse incapacité de Mycroft de se mêler de ses affaires.
Je me fis la promesse de ne jamais m'attacher à une nouvelle personne. De me détacher de mes émotions comme je l'avais toujours fait, comme Mycroft continuait à le faire. Je ne tenterai pas de replacer John, comme j'ai tenté maladroitement de le faire avec Molly, car John est irremplaçable. Demain sera un autre jour, et il me faudra redevenir le froid, l'impassible Sherlock, le « sociopathe de haut-niveau ».
Je rangeai soigneusement dans mon Palais Mental mes derniers souvenirs de John – le moment où il m'a demandé d'être son témoin, la soirée aux pubs (je sais qu'il a ajouté de l'alcool dans mon tube mesureur), son émotion lors de mon discours et ma joie quand il m'enlaça… Mon meilleur ami était John Watson. Et il le resterait pour toujours.
Je plongeai alors la seringue dans la veine au creux de mon bras, et poussai un soupir de satisfaction.
"Oh, what a night ! Hypnotizing, mesmerizing me, she was everything I dreamed she'd be…"
