Cendres rouges
Je partis vers la forêt, suivant les empreintes du troll. Le temps était brumeux, ce qui ne me facilitait pas la tâche. Je pensai au regard dégoûté des gardes du village quand ils m'avaient attrapée, pensant que j'étais une sorcière à cause de ma chevelure rousse. La seule solution que j'avais trouvée pour ne pas brûler sur un bûcher était d'avoir fait un marché avec leur chef : si je tuais le troll envahissant la forêt, il me laisserait la vie sauve.
J'étais supposée abattre le monstre avec ma sorcellerie,mais comme je n'en possédais pas et que c'était ma seule chance de rester en vie, il faudrait que je trouve un autre plan pour l'abattre. Tout d'un coup, une odeur de souffre emplit l'air: la créature n'était pas loin. Une voix grave retentit dans mon dos :
-Hey, toi!
Je voulus m'enfuir, mais le troll était étonnamment rapide. Il tendit la main et m'attrapa.
-Écoute-moi! s'écria-t-il. Tous me fuient et ont peur de moi, alors que je n'ai pas du tout l'intention de faire du mal.
J'essayai de trouver s'il me disait la vérité. Puis, je pensai: s'il voulait vraiment me tuer, il ne serait pas en train de me parler, mais plutôt de me dévorer. Je compris qu'il était inoffensif et à voir l'expression sur son visage—même s'il était monstrueux—, j'eus pitié de lui.
-Il y a des humains qui veulent ta mort, lui dis-je.
-Mais, je n'ai rien fait de mal! s'exclama le monstre immense.
-Alors, enfuis-toi et ils ne t'attraperont pas.
Il me regarda, sans bouger.
-Vas-y! lui dis-je.
Il me laissa tomber au sol et partit à grandes enjambées.
-Tu l'as laissé partir, dit une voix derrière moi.
C'était le chef du village.
-Emmenez-la, ordonna-t-il à ses gardes.
Ils m'emmenèrent au centre de la forêt et m'installèrent sur un bûcher.
-Je ne suis pas une sorcière! leur criai-je tout en me débattant, mais ils ne m'écoutaient pas.
Tous les paysans du village s'attroupaient autour de moi, prêts à assister à mon exécution. Le chef s'approcha de moi avec son flambeau et dit :
-Qu'elle soit réduite en cendres, celle que nous avons trouvé sur notre territoire, afin qu'elle et sa sorcellerie ne deviennent que poussière.
Tout d'un coup, un énorme grognement se fit entendre. C'était le troll qui courait vers moi.
-Je vais te sauver! me cria-t-il.
-Abattez-le! s'écria le chef, mais c'était peine perdue.
Le troll tua tous les humains qui se trouvaient dans son chemin, les écrasant, les démembrant et les dévorant. Il devint complètement fou. Je repensai à ce que m'avait dit le chef, que lorsqu'un troll tuait un humain, il ne pouvait plus s'arrêter.
Dans la cohue, je réussis à prendre une lance de l'un des gardes près de moi. Je défis mes cordes puis, quand le troll eut massacré tous les habitants, il se tourna vers moi. Il n'était plus lui-même. Il me prit d'une main, puis me souleva de terre, avide de déguster sa dernière victime.
Ses narines frémirent et il passa sa langue sur ses lèvres, ramassant un fil de chair humaine au passage. Ce spectacle me leva le cœur et me donna le courage dont j'avais besoin.
-Désolée, soufflais-je.
D'un coup vif et puissant, je lui plantai ma lance dans la gorge. Il écarquilla les yeux, me fit tomber au sol, tituba, puis s'écroula par terre, inerte. Je regardai autour de moi. C'était un vrai massacre d'où j'étais la seule survivante.