Prologue

Dans un bureau cossu, deux personnes discutent à voix basses près du feu. Dans la pénombre, on voit à peine leurs visages. Leurs voix sont à peine audibles. Pour l'instant, seule une personne parle. C'est une voix de fille. Et dans la pénombre de la pièce, tout deux penchés l'un vers l'autre, on dirait qu'ils complotent. La femme murmure, susurre et parle assurément, lancée dans un discours qui semble sans queue ni tête. Son flot de parole se tarit puis reprend toujours, inlassablement. Voyons ce qu'elle raconte.

« On dit souvent que la vengeance est un plat qui se mange froid. Je ne dirais pas le contraire, j'en suis persuadée. La vengeance, voyez-vous, doit être latente, insondable, incertaine. Pas d'attache, aucun lien, juste une certitude de peut-être… Je ne sais pas pour vous, mais je constate que, de nos jours, on souhaite se venger pour beaucoup de choses. La vengeance est tenace, c'est une rancœur mesquine qui vous pourrit de l'intérieur, vous obnubile, vous rend si fort et en même temps si faible. Qui n'a jamais voulu se venger ? Personne. Nous sommes tous humains… qui suis-je ? Ca n'a pas d'importance. Où vais-je ? Je ne sais pas encore. Quel est mon but ? Me venger. »

La jeune fille s'arrêta de parler, puis elle regarda son interlocuteur avant de reprendre son discours.

« J'ai toujours aimé le comte de Monte-Cristo, sa façon de procéder, son génie, pas vous ? Ah mais j'oubliais, vous ne pouvez pas connaître. Après tout, pourquoi un sorcier tel que vous s'intéresserait à une vulgaire histoire moldue ? »

Un silence pesant s'ensuivit. Puis l'interlocuteur de la jeune fille reprit calmement.

« Vous avez raison, je ne la connais pas et ne voudrais sans doute jamais la connaître. Mais peut-être me conterez-vous son histoire, ou plutôt me conterez-vous votre histoire ? Je dois avouer que vous m'intriguez en même temps que vous m'exaspérez. Voilà plus d'une heure que vous déblatérez de choses si peu intéressantes et pourtant toutes semblent avoir un sens. Et à présent vous me parlez d'une histoire de moldus ! Venons en au fait mademoiselle : vous voulez vous venger. Soit. De qui ? Pourquoi ? Passons, pour l'instant ça n'a pas d'importance. La question qui me travaille depuis plusieurs minutes déjà est : en quoi suis-je concerné ? »

La jeune fille se calla dans son fauteuil et fit mine de réfléchir avant de répondre :

« Et bien, je dirais…en tout. Vous êtes influent, respecté au ministère, personne ne viendrait ou tout du moins n'oserait vous soupçonner. Vous êtes l'homme qui sied parfaitementà ce rôle. Oui, parfaitement. »

L'homme se calla lui aussi dans son fauteuil et observa sa voisine.

« Vous n'avez pas répondu à ma question, mademoiselle, vous l'avez simplement esquivé. Alors je vais vous la reposer autrement : en quoi pourrais-je avoir envie d'aider une simple gamine ? »

La jeune fille laissa échapper un rire sans joie :

« Une simple gamine dites-vous ? Pourtant, c'est cette même gamine qui a réussi à pénétrer chez vous, défiant ainsi toutes vos protections. Mais je vous concède qu'elles m'ont données du fil à retordre. C'est une très belle magie. Quant à votre…implication dans cette affaire, je vous répondrai que vous comme moi avons tout intérêt à travailler ensemble. Je pense que l'enjeu en vaut la chandelle…

- L'enjeu ? l'interrompit l'homme, Quel est l'enjeu de tout ceci hormis me faire perdre mon temps ? »

La jeune fille ne se laissa pas impressionner pour autant, elle se pencha vers lui et chuchota rapidement :

- Vous comme moi avons un objectif commun, vous comme moi cherchons à mettre hors d'état de nuire une des plus puissantes familles de sorciers. Pas pour les mêmes raisons, certes, mais le résultat est le même. »

L'homme se leva pour s'approcher de la cheminée et contempla le feu.

- Je pourrais vous dénoncer, finit-il par dire.

- Mais vous ne le ferez pas. Rétorqua-t-elle

- Donnez-moi une bonne raison de ne pas le faire.

- J'en ai deux. Répliqua-t-elle un sourire aux lèvres.

Il la regarda froidement avec la folle envie de lui faire ravaler son sourire, mais il se contint.

-Développez ! ordonna-t-il

- La première, est purement professionnelle. Je n'aurais qu'un mot à vous dire et j'aurais toute votre attention… susurra-t-elle

- Lequel ?

- Mangemort.

Le mot claqua dans la pièce. L'homme se rassit dans son fauteuil. Assurément, à présent elle avait toute son attention.

- Et le deuxième ? murmura-t-il

- Salem.

L'homme nota le brusque changement de ton chez son interlocutrice. Sujet sensible ? Etrange. Comment pouvait-elle la connaitre ? Lui-même n'avait connu qu'une seule Salem. Serait-ce possible que… ? Non, ce serait irréaliste. Quelle probabilité y avait-il pour que cela arrive ? Très peu, voire pas du tout. Il allait poser la question qui l'oppressait à la jeune fille, mais celle-ci avait déjà repris :

« - Je sais que la deuxième raison est en contradiction avec votre conscience professionnelle mais elle ne l'est pas avec celle de l'homme.

- Avez-vous conscience des risques encourus, mademoiselle ?

- Je n'ai plus rien à perdre. »

Elle l'avait dit d'un ton sans appel, puis elle ajouta :

- Et vous non plus.

Il n'y prêta pas attention.

- Quelle est la cible ?

La jeune fille sourit, de ce sourire si énervant dont elle avait le secret.

- Lestrange.

- Rien que ça. Lui dit-il cyniquement.

- Exactement.

- Quel est votre but ?

- Me venger.

- Pourquoi ?

- Cela ne regarde que moi.

- Si nous devons, j'insiste bien sur le si, travailler ensemble mademoiselle O'Conell, si tel est votre vrai nom, il va falloir être plus coopérative.

- Vous saurez tout en temps voulu, monsieur l'auror.

- Qui d'autres que moi est concerné ?

- Quelques gobelins, deux-trois elfes de maisons, le professeur Summers ainsi que Claudia et Marcus Olliway.

- Summers ?

- Le nouveau professeur de défenses contre les forces du mal.

- Je vois, vous avez déjà tout prévu n'est-ce pas ?

- Depuis des années.

- Qui est derrière tout ça ?

- Une personne qui ne veut que notre bien sans doute, railla-t-elle.

- Et votre rôle dans l'histoire ?

- Vous n'avez toujours pas deviné ? Je vous pensais plus perspicace.

Il lui lança un regard noir avant de changer de sujet.

- Qui est Salem ?

- En voilà une question intéressante.

- Répondez.

- Et pour vous, qui est Salem ?

- C'est à vous que je pose la question.

- Une personne très proche.

Son interlocuteur leva un sourcil interrogateur.

- Ne cherchez pas Gary, je ne vous dirai rien de plus.

Un silence s'installa. Elle l'avait bien eu. Comment faisait-elle ? Il voulait l'interroger. Elle avait quelque chose de dérangeant, de mystérieux. Il voulait savoir qui elle était vraiment et quels étaient ses liens avec Salem. Mais elle commençait déjà à partir, elle avait d'ailleurs atteint la porte du bureau. Au dernier moment, alors qu'elle était déjà dans l'embrasure de la porte, elle se retourna.

- Alors ?

- Alors quoi ? grogna le dénommé Gary.

- Serez-vous des nôtres ?

- Ai-je le choix ?

- Cela dépend. Dès que j'aurais quitté cette maison, si jamais votre réponse était négative, vous oublierez tout ce qui vient de se passer ce soir.

- Gary ne répondit pas tout de suite, semblant peser le pour et le contre.

- Qu'aurais-je en contrepartie ?

- La disgrâce des Lestrange apportée sur un plateau d'argent. Vous emprisonnerez un mangemort et vous aurez votre vengeance.

- Et vous ?

- Moi ? Qu'est-ce que cela peut vous faire ?

- Impertinente jusqu'au bout hein ?

Elle se contenta de lui sourire.

- Alors, que dois-je faire ?

- Oh ça. Vous le saurez en temps voulu.

Puis elle disparut dans la pénombre du couloir. Gary se servit un whisky-pur-feu. Il secoua la tête avant de le boire cul-sec. Dans quoi venait-il de s'embarquer ? Avant même de commencer, cette histoire le dépassait.