The Adventure of the Murder Husbands


I

Un cerf empaillé, un tablier et une réception

Note de l'auteur : Quand j'ai eu l'idée de ce crossover, elle me paraissait géniale. Sa rédaction, en revanche, a été un vrai cauchemar. Des jours d'écriture, un bon million de modifications, de scènes supprimées ou rajoutées en cours de route, et surtout la fin. Cette fin que je ne voyais pas se dessiner parce que je n'aime que les happy ends et que je suis un peu trop romantique. J'ai finalement trouvé un compromis. Au final, même si je ne suis pas totalement satisfaite (mais je ne le suis jamais, en même temps) je vous offre cette histoire, un OS qui a pris tant d'ampleur que j'ai décidé de le couper en trois chapitres. J'ai opté pour une narration en points de vue alternants entre John et Will, ce qui permet de voir l'histoire sous des angles et des personnalités très différentes. J'espère que cela vous plaira. Bonne lecture et n'hésitez pas à me donner votre avis.

Je dédicace cette fanfiction à Tsuyuri, une belle rencontre et une belle personne. Merci.

Disclaimer : L'univers d'Hannibal Lecter appartient à Thomas Harris et la série à notre Dieu, Bryan Fuller. L'univers de Sherlock Holmes appartient à Sir Arthur Conan Doyle et la série à Satan et son bras droit, Steven Moffat et Mark Gatiss. Je ne touche aucun droit sur cette histoire.


John Watson


Depuis le début de ma collaboration avec Sherlock Holmes, j'avais visité toutes sortes de scènes de crimes. Banales, tristes, mystérieuses ou effrayantes. Mais, celle où nous nous trouvions actuellement dépassait, et de loin, toutes les autres en matière de spectaculaire et de morbide.

Lestrade nous avait appelés, complètement dépassé par les événements, et je ne pouvais que comprendre pourquoi. Même Anderson, qui ne ratait jamais une occasion de verbaliser son animosité envers nous, était enfermé dans un mutisme inhabituel. Et Sherlock, toujours si prolixe dès que les indices lui sautaient au visage, resta obstinément silencieux durant un temps exceptionnellement long, en tournant inlassablement autour du corps de la victime. Son regard aiguisé voyageait sur le cadavre, sa loupe de poche brandie devant ses yeux d'un bleu glacial en ce matin hivernal. La vapeur de son souffle chaud s'élevait à intervalles réguliers entre ses lèvres rougies par le froid, mais pas un mot ne les franchit jusqu'à ce qu'il se redresse finalement, son long manteau noir volant autour de sa silhouette élancée. Pour ma part, je tentais d'assimiler l'horreur de la mise en scène macabre, muet de stupeur.

« Qui est la victime ? » Demanda finalement Sherlock, sans s'adresser à une personne en particulier.

Ce fut Lestrade qui répondit, sans oser poser la moindre question. Il devait sentir, lui aussi, qu'il y avait quelque chose de différent.

« Un homme qui avait plus d'ennemis que d'amis. Ce qui nous confronte à une avalanche de suspects. »

« Ceci est une punition. Une humiliation, » ajouta Sherlock, sans relever la remarque de Greg. « Ceux qui ont fait ça ne voulaient pas simplement qu'il meure. Ils ne l'ont pas jeté dans une poubelle ou dans la Tamise. Ils l'ont exposé sur la place publique, pour que tout le monde le voie ainsi. »

« Ceux qui ont fait ça ? » Répétai-je. « Tu penses qu'ils sont plusieurs ? »

« C'est évident, » répondit-il, et je levai les yeux au ciel.

« Combien ? » Le questionna Lestrade, sans s'offusquer, trop habitué au caractère de son consultant.

« Deux hommes. Mais je ne vous en veux pas d'être passé à côté. Ce n'est pas si évident. »

Je le regardai, bouche bée. C'était bien la première fois qu'il avouait une telle chose.

« Ne fais pas cette tête, John. Ça ne l'est pas, car ils n'ont qu'un seul dessein, un seul message, comme si ceci était l'œuvre d'un être unique. Une totale symbiose, » dit-il, avec une certaine admiration dans la voix.

« Nous avons donc affaire à une association de deux tueurs qui servent le même but, » résuma Greg.

« Un couple, » le corrigea Sherlock. L'inspecteur et moi haussâmes les sourcils de concert. « Une telle fusion ne naît pas d'un simple partenariat, aussi fructueux soit-il. »

Son affirmation laissa planer un silence éloquent. Inutile d'être policier pour comprendre ce que cela voulait dire. Cette histoire avait de grandes chances de finir dans un bain de sang et la mort des deux coupables.

« À quoi le vois-tu ? » Préférai-je demander, pour briser le malaise ambiant.

Il se perdit de nouveau dans sa contemplation.

Nous étions en plein milieu de Richmond Park, le plus grand parc de Londres. Autour de nous, des dizaines de cerfs peu farouches nous observaient, intrigués par cet attroupement d'êtres humains équipés de matériel scientifique. Un animal similaire à ceux qui nous entouraient, visiblement empaillé, figé pour l'éternité une patte repliée sous lui et la tête en avant comme s'il était sur le point de charger un ennemi, empalait le corps de la victime de ses bois, contre un arbre au tronc large et épais. Les seules plaies visibles étaient celles causées par les cornes qui transperçaient le thorax de l'homme, mais le sang n'étant pas abondant sur la scène de crime, il y avait fort à parier qu'il avait été tué ailleurs et que la cause de mort était tout autre.

« La mise en scène est ordonnée, méthodique. Il y a une place pour chaque chose et chaque chose est à sa place. Généralement, quand un meurtre est commis par deux personnes, deux signatures apparaissent. Deux modes opératoires distincts qui souvent se confrontent, se contredisent. L'un est plus sauvage ou désordonné que l'autre, car il y a toujours un dominant et un dominé. Un qui décide, et l'autre qui suit les instructions. Parfois même, un maître et son élève. Ici, tout se confond, comme si aucun des deux n'avait un rôle bien précis. Ils partagent la même vision artistique et se considèrent comme des égaux. Comme deux violonistes qui joueraient la même partition, sans essayer d'exécuter le morceau mieux que l'autre ou plus fort. Au contraire, ils semblent vouloir se magnifier, se sublimer mutuellement. Ils ne considèrent pas le lien qui les unit comme une faiblesse que nous pourrions utiliser contre eux, mais bien comme une force qui les rend indestructibles. Ils vont être très difficiles à arrêter. »

Sherlock termina son monologue en passant à côté de Lestrade, comme si le corps n'avait plus rien à lui transmettre.

« C'est tout ? » S'étonna l'inspecteur.

Mon ami se tourna vers lui, une expression vexée sur le visage.

« Vous ne trouverez aucune preuve médico-légale, Lestrade. Je ne peux rien vous dire de concret sur eux, car il n'y a même pas une trace de pas qui pourrait me renseigner sur leur taille ou leur poids. Au moins l'un des deux est un expert dans l'art de couvrir ses traces. Un ancien policier peut-être, ou bien, il a une très longue expérience du meurtre comme en témoigne la totale maîtrise des lieux. Il n'y a aucune marque de panique dans ce tableau, ou d'empressement. Ils ont non seulement pris leur temps, mais ils savaient qu'ils pouvaient se le permettre. N'espérez même pas trouver la moindre empreinte, le moindre cheveu, encore moins de la salive ou du sang.

« Et les caméras du parc ? » Proposai-je, à tout hasard.

« J'ai déjà demandé à la sécurité de nous envoyer les enregistrements, » me répondit Greg. « Mais je ne m'attends pas à un miracle. Quand nous avons interrogé le vigile qui était de garde cette nuit, il a fini par avouer qu'il s'était réveillé sur son fauteuil ce matin sans aucun souvenir de s'être endormi. Il se souvient uniquement d'avoir pris son service, de s'être servi un café avant de s'asseoir devant ses écrans, puis plus rien. Le trou noir. »

J'échangeai un regard avec Sherlock.

« Il aurait été drogué ? »

« Probablement, John. Les analyses toxicologiques nous le confirmeront. »

« Dans ce cas, ils ont sûrement désactivé les caméras, » déduis-je.

« C'est évident, » ponctua Sherlock. « Que sait-on exactement sur cet homme ? » Questionna-t-il Lestrade.

L'inspecteur ouvrit son bloc-notes.

« Dick Hadcock, 38 ans, promoteur immobilier, divorcé, sans enfant. Nous devons encore interroger son entourage, mais c'est un homme très médiatisé ces derniers temps. »

« Ce nom me dit quelque chose, » affirmai-je.

« Son projet d'amputer le parc d'une partie de sa superficie pour construire des logements de luxe n'a pas été très bien reçu par les Londoniens, » me remémora Sherlock.

« Comme je le disais, » reprit Lestrade, « l'homme avait beaucoup d'ennemis. Des associations, des militants, des concurrents, nous n'avons que l'embarras du choix. »

« Tout ce que je peux réellement affirmer, c'est que les tueurs ne connaissaient pas la victime. Il n'y a rien de personnel dans cette toile, ou d'émotionnel. Le fait qu'ils se soient servis de l'animal qui symbolise le lieu prouve que leur geste est, en quelque sorte, altruiste. Du moins, dans leur vision déformée du monde. Ils pensent sûrement avoir rendu un grand service à la société. »

J'observai Sherlock, alors qu'il parlait, quand un rictus ironique déforma ses lèvres, comme s'il se retenait d'ajouter : « Et ils ont raison. » Ou bien était-ce ma propre pensée que je télescopais sur lui. Car il était difficile d'éprouver de l'empathie pour l'individu que la police scientifique était en train de décrocher avec précaution pour l'embarquer sur une civière. Richmond Park était un endroit unique, ancien et magnifique, et je ne comprenais même pas comment il s'était débrouillé pour déposer son projet insensé. La Reine n'aurait jamais accepté que l'on défigure l'un des huit parcs royaux de la capitale sans protester.

« Patron ! Venez voir ça ! » S'écria soudainement Anderson.

Nous nous approchâmes tous les trois du cadavre maintenant allongé dans un sac mortuaire grand ouvert. Je vis immédiatement ce que l'insupportable médecin légiste avait remarqué. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas s'en apercevoir. La tête du cerf et les plaies causées par les bois camouflaient jusqu'à maintenant un trou béant dans la poitrine et les côtes écartées, ainsi qu'une lacération dans l'abdomen. Les meurtriers avaient prélevé le cœur et certainement le foie de la victime.

« Des trophées ? » Demanda Lestrade, en se tournant vers Sherlock.

Mais il ne répondit pas, ses yeux vifs fixés sur la dépouille comme s'il voyait quelque chose qui restait en dehors de notre portée. Alors, après avoir échangé un regard avec Anderson qui finit par reculer pour me laisser la place à contrecœur, je me penchai sur le corps en enfilant des gants en latex. Et je compris ce qui perturbait mon ami. Les incisions, comme les ponctions d'organes, étaient d'une précision chirurgicale. Je reconnus sans peine le travail minutieux d'un confrère particulièrement doué.

« Que peut bien être l'intérêt de faire des prélèvements si propres sur un homme déjà mort ou sur le point de l'être ? » M'interrogeai-je à voix haute.

« Un trafic d'organe ? » Proposa Anderson

Sherlock lui jeta un regard qui en disait long sur ce qu'il pensait de la réflexion, pourtant sensée, du légiste. Moi-même, je ne trouvai pas une meilleure explication.

« Ils les mangent, » dit-il après quelques secondes d'un silence pesant.

« Pardon ? » M'exclamai-je, en affichant la même expression choquée que mes camarades.

« S'ils étaient uniquement de bons samaritains du crime, comme le laisse supposer le choix judicieux de leur victime, ils auraient pris tout ce qu'il y avait à prendre, les reins, le sang, les poumons, peut-être même les globes oculaires, allez savoir, tout ce qui peut être greffé, et les auraient déposé dans le premier hôpital venu. »

« Et donc, tu en conclus qu'ils les mangent ? » M'étonnai-je, trouvant l'explication insuffisante.

« Le cœur et le foie sont des pièces prisées, goûteuses et coûteuses, et qui demandent un certain savoir-faire pour être cuisinés correctement. Ce qui veut dire qu'ils ont un train de vie d'un certain standing et des goûts raffinés. Il est également certain qu'au moins l'un des deux a des compétences derrière les fourneaux. Ils ne prendraient pas le risque d'engager un chef pour préparer leur repas, vu la nature de la viande. »

« Un ancien policier, un chirurgien, un cuisinier… Ces hommes auraient-ils plusieurs casquettes ? »

« C'est une possibilité à ne pas exclure, » confirma-t-il, avant de s'éloigner de la scène de crime. « Tenez-moi au courant des résultats d'analyses, » lança-t-il par-dessus son épaule.

Nous en avions terminé ici. Je le suivis dans la rue, où nous prîmes un taxi. Il garda le silence jusqu'à Baker Street.


Will Graham


Une odeur délicieuse de café chaud et de bacon grillé me tira du sommeil. Mais, malgré les gargouillements de protestation de mon estomac, je n'avais pas envie de me lever. La nuit avait été longue et productive. Les courbatures se réveillaient déjà dans mes muscles. Je me tournai sur le ventre et enfonçai ma tête dans l'oreiller, glissai mes bras en dessous, en soupirant. La lumière du jour perçait derrière mes paupières, Hannibal devait être levé depuis un certain temps s'il cuisinait déjà le petit-déjeuner.

Je somnolais, quand j'entendis les marches de l'escalier grincer. Quelques secondes après, Hannibal entrait dans la pièce. J'ouvris paresseusement un œil et le vis, totalement nu, tenant un plateau qu'il posa sur le lit. Deux tasses de café fumant, des toasts beurrés, des œufs et du bacon.

« Tu as cuisiné nu ? » M'étonnai-je.

« Non, j'ai mis un tablier, » me répondit-il.

« Seulement ça ? »

« Oui. »

« La prochaine fois, appelle-moi. Cela devait être agréable à regarder. »

Il sourit, avant de m'embrasser. Puis il s'assit contre la tête de lit et hissa le plateau sur ses jambes. Je me blottis contre lui et pris mon mug pour boire une gorgée de café. Il était juste chaud et sucré comme je l'aimais. Le liquide me réchauffa et me réveilla, tout comme ses doigts qui se promenaient sur mon corps nu.

« Et si nous oublions le petit-déjeuner pour le moment ? » Proposai-je, en reposant ma tasse.

« Je pensais que tu avais faim. »

« Plus de toi que de nourriture, dans l'immédiat. »

Pour le lui prouver, je guidai sa main sur mon érection matinale. Il posa alors délicatement le plateau sur la table de nuit pour ne rien renverser, avant de s'asseoir sur mon bassin et de se pencher pour m'embrasser. Je caressai son dos, griffai l'os d'une hanche, empoignai ses fesses et y glissai mes doigts. J'aimais sa manière de s'offrir à moi sans aucune hésitation, quand il sentait que c'était ce que je voulais.

Faire l'amour le matin était toujours un délice, surtout après un meurtre comme celui que nous avions commis cette nuit. Hannibal sentait le savon, le sang et les épices. Trois odeurs qui le résumaient plutôt bien. À l'aveugle, j'attrapai la bouteille de lubrifiant abandonnée la veille sous mon oreiller, avant de le préparer sommairement. J'étais trop pressé, déjà prêt à exploser, et il ne se trouvait pas dans un meilleur état.

Mes gestes étaient presque brusques, mais il y mettait tant d'enthousiasme que je ne me retins pas, il avait depuis longtemps prouvé sa résistance. Il ondula son corps contre le mien, accueillit mes doigts plus profondément en lui, puis il me laissa le basculer sur le dos et m'allonger entre ses cuisses, avant de m'enfouir en lui d'un coup de reins brutal. Il mordit mon cou, enfonça ses ongles dans mon dos et noua ses jambes autour de ma taille. J'attendis qu'il se relaxe, divinement serré dans un fourreau de chair étroit et chaud, avant d'amorcer un premier mouvement.

Il se cambra sur le matelas, m'avala un peu plus, s'abandonna entre mes mains. Comment pourrais-je vivre sans la personne qui satisfaisait absolument tous mes appétits ? Hannibal était beau, dans le meurtre comme dans le sexe, posait ce même regard couleur bordeaux sur moi, murmurait mon nom avec dévotion, comme s'il me vénérait. C'était ainsi que je me sentais dans ses bras.

Trop vite à mon goût, il me fit perdre le contrôle. Le rythme de mes hanches devint erratique, abrupt, mais il ne fit qu'exprimer un peu plus son plaisir, me poussant à lâcher prise. Alors que j'agrippai fermement ses épaules pour le prendre plus fort, il enroula ses doigts autour de son membre, m'offrit une scène qui me fit davantage sombrer. Quand tout son corps se tendit, qu'un gémissement profond s'échappa de sa gorge et qu'il vint sur son ventre, ses muscles se contractèrent autour de moi et je ne tardai pas à le rejoindre dans les affres de l'orgasme.

Je me blottis dans ses bras, à bout de souffle et transpirant, et il me garda en lui et contre lui de longues minutes, ses doigts dessinant des arabesques imaginaires dans mon dos. Puis, je m'allongeai à ses côtés et commençai à m'endormir contre son flanc.

« Tu devais manger quelque chose, » me suggéra-t-il, en embrassant ma tempe.

Il remit le plateau sur ses cuisses, en se redressant sur les oreillers, et j'appuyai ma joue sur son épaule, en croquant un morceau de toast.

« Parlent-ils déjà de nous à la télévision ? » Demandai-je, en grignotant une tranche de bacon.

« Uniquement sur les chaînes d'informations en continu pour le moment. »

Il semblait préoccupé et cela m'inquiéta.

« Que disent-ils ? »

« Trop de choses, » résuma-t-il.

« C'est-à-dire ? »

« Je ne sais pas qui est cet inspecteur Lestrade, mais il sait déjà que nous sommes deux, en couple, ainsi que nos motivations. La scène de crime était pourtant aussi propre qu'à notre habitude. Je n'arrive pas à comprendre comment il a pu en venir à ces conclusions. »

Je me redressai, franchement anxieux à présent.

« Peut-être a-t-il un Will Graham dans sa manche ? »

« C'est une possibilité. À moins qu'il possède lui-même un don. »

« Ne devrions-nous pas quitter la ville immédiatement ? »

« Je suis curieux de voir combien de temps il lui faudra pour nous approcher au point que nous soyons obligés de fuir. »

« Ce n'est pas raisonnable, Hannibal. Je n'ai aucune envie de te revoir dans une cellule et encore moins d'y retourner moi-même, » tentai-je de le dissuader.

Si l'inspecteur avait déduit tout ceci sur un seul meurtre, je n'osai imaginer ce qu'il savait d'autre et qu'il se gardait de dire aux journalistes.

« Tu t'inquiètes trop, mano meilė. J'ai vu son visage à la télévision, il n'a pas l'air si intelligent. »

« Et s'il ne travaille pas seul ? S'il consulte un quelconque expert ou génie du comportement ? Il n'a pas pu deviner ce qu'il sait, et la seule personne de ma connaissance qui est capable de conclure ce type d'informations avec si peu d'éléments, c'est moi. Nous ne pouvons pas ignorer la possibilité que notre véritable ennemi se dissimule aux yeux du grand public et le sous-estimer, » insistai-je.

Il pesa mes paroles quelques secondes.

« Tu as raison, nous devons découvrir qui se cache dans l'ombre de l'inspecteur Lestrade. »

« Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais si tu y tiens vraiment, soit, restons et voyons ce qui se passe. »

Le bâtiment était somptueux, je devais l'avouer, même si la réception m'ennuyait profondément. Nous étions à l'inauguration d'un nouvel hôtel de luxe. Pour l'occasion, un artiste peintre en vogue avait exposé ses toiles dans le hall. Hannibal avait reçu une invitation dans le cadre de son travail au British Museum et je l'accompagnais.

Il évoluait naturellement dans cette sphère, savait s'entourer des convives les plus haut placés et capter l'attention de son auditoire. Les nombreuses questions ne l'angoissaient pas un seul instant, alors qu'il devait mentir pour répondre à chacune d'entre elles. Personnellement, je me lassai bien vite de cette mascarade et l'abandonnai quelques minutes pour chercher une coupe de champagne.

Un invité m'aborda alors.

« Bonsoir, » dit-il, avec un fort accent britannique. « Je n'oublie jamais un visage et je suis plutôt certain de ne jamais avoir vu le vôtre. »

L'homme était plutôt grand, portait fièrement un costume de très bonne facture typiquement anglais, se servait d'un parapluie noir comme d'une canne, alors qu'il n'en avait clairement pas besoin, et avait un léger embonpoint caractéristique des individus qui quittaient rarement leur bureau. Il me jaugea de ses yeux perçants, avec un petit sourire narquois sur son visage, et la très haute intelligence que je perçus dans son regard me fit frissonner d'appréhension.

« William Harris, » me présentai-je, sans ciller, en tendant une main amicale.

Décliner ma fausse identité était devenu une seconde nature, depuis que nous vivions à Londres.

« Mycroft Holmes, » répondit-il, en me saluant.

Quel nom étrange, me dis-je, sans le verbaliser. L'homme n'avait pas l'air du genre à plaisanter.

« Êtes-vous un ami de l'artiste ? » Me demanda-t-il, en prétendant faire la conversation.

Je ne savais pas ce qu'il me voulait, mais je ressentis le besoin de m'éloigner au plus vite.

« Non, j'accompagne simplement mon mari. Il travaille au British Museum, » répondis-je, en pointant Hannibal dans la foule.

« Vous êtes le compagnon de Monsieur Kazlauskas ? »

« Vous le connaissez ? » M'étonnai-je.

« Pas personnellement. Mais être au courant de tout fait partie de mon travail. Cependant, l'existence d'un mari m'avait malencontreusement échappé, je suis donc ravi de vous rencontrer. »

Lui et moi ne devions pas avoir la même définition de « ravi », ou alors, il possédait la faculté de paraître parfaitement antipathique en toute circonstance. De plus, je doutai fortement qu'une quelconque information à mon propos lui ait échappé en réalité.

« Moi, également, » lui assurai-je cependant. « Quand vous dites que votre travail consiste à tout savoir… »

« J'occupe un poste mineur au gouvernement britannique. »

« Mon frère est bien trop modeste, Monsieur Harris, » intervint alors un autre homme, plus jeune, qui semblait sortir de nulle part. « Il est le gouvernement britannique, quand il n'est pas trop occupé à travailler pour les services secrets. Sherlock Holmes, enchanté. »

Le type avait un débit de parole impressionnant et je serrai mécaniquement la main qu'il me tendit, alors que j'emmagasinais encore les informations qui sortaient de sa bouche en continu. Je me présentai de nouveau, même s'il connaissait déjà mon nom visiblement, et me sentis encore plus mal à l'aise face à ces deux regards aiguisés.

« Vous faites aussi carrière en politique ? » Demandai-je au nouveau venu, pour ne pas rester bêtement silencieux.

Aussi grand que son frère, il était cependant plus mince et élancé. Ses cheveux bruns coupés courts bouclaient librement au-dessus de son visage aux traits singuliers et aux pommettes aussi saillantes que celles d'Hannibal.

« Je suis détective consultant pour Scotland Yard. »

Un frisson remonta le long de ma colonne et je dus me faire violence pour ne montrer aucune réaction. Car je sus, sans doute possible, que j'étais face à notre adversaire et que cette rencontre n'avait rien de fortuit. Il se dévoilait pour que nous sachions à qui nous avions à faire, pour parader. S'il n'avait aucune preuve, nous étions au moins sur la liste de ses suspects. Par quel prodige, je l'ignorais, mais il était apparemment aussi intelligent que son frère.

« Et vous ? » Me demanda-t-il ensuite.

« Je travaille dans un centre de dressage pour chiens. »

Je pus voir un éclair passer dans ses yeux, comme si ma réponse venait de mettre en lumière une énigme.

« Votre mari et vous formez un couple très éclectique, » remarqua le plus vieux.

« Nous avons d'autres points communs. »

« Je vois, » répondit-il mystérieusement.

Ils continuèrent à me fixer, la sueur perla sur mon front et coula dans mon dos. Je n'avais qu'une envie, partir. C'est ce moment que choisit Hannibal pour me porter assistance.

« Bonsoir, messieurs, » dit-il, en se collant à moi. « Excusez-moi de vous interrompre, mais nous devons rentrer. »

« Comme c'est dommage, votre mari est un homme charmant, Monsieur Kazlauskas, » répliqua celui qui s'appelait Mycroft.

« Nous nous connaissons ? » S'étonna Hannibal.

« Votre travail est très apprécié, j'ai entendu parler de vous, » répondit-il, et je remarquai qu'il mentait.

Hannibal le remercia néanmoins, sans se départir de sa politesse, puis nous les saluâmes avant de quitter la réception.