Note : l'histoire se passe après la saison 4. Les saisons suivantes ne sont pas respectées et les livres non plus. Dix ans se sont écoulés depuis la mort de Ned Stark. Arya se trouve encore à Braavos...

Chapitre 1 : Gamine innocente

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Dix ans. La moitié de ma vie.
Les terres de Winterfell sont loin désormais. Et si je me souviens des moindres recoins de notre château, celui-ci n'est plus.
Et si je me souviens de nos moments heureux à Winterfell, je me souviens encore mieux de la faim, du froid et de la solitude que j'ai connue ensuite.
On me croit morte. Je suis morte. Arya Stark n'existe plus. A-t-elle vraiment existé?

Au départ, c'est le désir de vengeance qui m'a poussé à continuer.

J'ai obligé Jaqen à faire de moi un sans-visage.
J'ai dû renoncer à mon identité, j'ai dû oublier mon sang.
J'ai dû tuer.
J'ai tué des noms, des personnes, qui n'étaient pas sur ma liste.
Et j'ai tué des personnes qu'on ne m'avait pas ordonné de tuer.

Je suis une tueuse, un assassin. Je ne vis plus que pour ça. Je ne vis que grâce à ça. Lorsque je vois la vie s'éteindre dans les yeux d'une de mes victimes, c'est comme si cette vie, cette énergie entrait en moi, me rendait plus forte... et cela apaise mes angoisses.

Je suis vivante, et eux, non.

Jaqen a essayé de me faire entendre raison. Il a d'abord essayé de m'empêcher de me mutiler jusqu'au sang, quitte à dormir avec moi, cette gamine qui l'allumait mais dont il ne voulait pas. Il me tenait les mains toute la nuit quand il le fallait. Mais ce n'était que pire. Le manque de mal, le manque de douleur que je ressentais, je me l'infligeai au centuple, plus tard, lorsque je me lavai.

Puis, je me suis calmée. On m'a enfin confié des missions, j'ai fait couler un autre sang que le mien. Et j'y ai pris goût. Bientôt je ne me contentai plus de mes missions, je nettoyai toute vermine que je pouvais trouver : violeur, voleur, menteur, lâche. Leurs morts n'étaient pas rapides. J'avais besoin de voir. De m'imprégner de leurs désespoirs, d'entendre leurs supplications. Mon père, lui, n'a pas supplié. Sans vouloir faire de vilains jeux de mot, il est mort la tête haute.

Jaqen a été le dernier à comprendre ce que j'étais devenue. Mais il a été le premier à me retrouver. Je n'aurai jamais laissé quelqu'un d'autre m'arrêter. Et il m'a ramené, pieds et mains liés, dans notre temple à Braavos. Il semble que j'ai tué des gens qui ne devaient, aux yeux de notre ordre, pas mourir. Quelle ironie ! Qui sont-ils pour juger de qui doit mourir et qui doit vivre ?

Je suis désormais enfermée dans une cellule sordide dans les souterrains du temple. Chacune de mes mains est reliée par une chaîne à un mur rempli de moisissure. Je ne peux m'éloigner de plus de 2 mètres. En colère contre tous et plus particulièrement contre mon mentor, je jure que si un jour je sors de cette cellule, Jaqen mourra de mes mains.

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Le bruit de la porte me réveille. Rapide comme un chat, je me mets debout. Le bruit de mes chaînes résonne dans la vielle bâtisse. Il est venu sans apporter aucune lumière. Mais je reconnais son ombre et surtout son odeur.

- Bonjour Jaqen.
- Gamine.

Il avance de quelques pas, et porte sa main sur mon visage. Comme pour vérifier qu'il s'agit bien de moi, que je vais bien. A moins qu'il ne vérifie si j'ai pleuré. Mais j'ai depuis longtemps appris à ne jamais pleurer, à garder mes yeux secs.

- Le conseil a décidé de mon sort?

De sa main droite, il relève mon menton, me forçant à le regarder droit dans les yeux. Il fait sombre, mais ses yeux brillent intensément. Je n'ai jamais pu dire si c'était de la tristesse, de la colère, de l'envie ou autre chose. Jaqen a toujours été insondable.

- Oui.

Sa main gauche se dirige vers sa dague. Je ne me suis jamais faite d'illusion sur la décision que prendrait le conseil. Je suis à sa merci. Le seul ami que je n'ai jamais eu depuis Gendry est prêt à m'ôter la vie… Et je suis prête à ôter la sienne. Surtout ne fais aucune erreur Jaqen, il se pourrait que ta propre lame te tranche la gorge.

- Combien de temps avons-nous?

Ma voix est calme, posée, et transporte une once d'espièglerie qui le fait sourire.

- Pour faire quoi gamine?

- Pour que tu me prennes.

Il hésite à répondre. A-t-il compris ce que je lui demande?

- Ce sera rapide, tu ne souffriras pas.

- Je ne parle pas de ma vie.

J'attrape sa main qui est toujours sur mon visage. Mon pouce y fait désormais de légers cercles. Je m'élève sur la pointe de mes pieds, fait passer mon autre main derrière son cou (aussi délicatement que me permettent mes chaînes), et glisse à son oreille, de la voix la plus sensuelle que je puisse avoir: "On sait tous les deux, que tu as toujours eu envie de moi".

Il m'a tout appris. Sans lui je serai morte depuis longtemps. Il m'a aidé à de maintes reprises. Il a protégé mes arrières. Il a convaincu le conseil me garder lorsqu'ils ont appris mon véritable lignage. Il a été le dernier à me croire coupable.

Mais il m'a toujours repoussé. Me traitant de "gamine innocente". La rage monte en moi. Cela fait longtemps que je ne suis plus une gamine. Et cela fait longtemps également que je ne suis plus innocente. Il était mon dernier recours, mon dernier espoir. Et aujourd'hui, c'est de sa faute, si je moisis dans cette cellule. Enchainée et dormant à même sur le sol tel un animal. Il m'a trahi. Et cela je ne lui pardonnerai pas.

Suite à mes paroles, sa respiration s'est faite plus forte. Je ne le quitte pas des yeux. Son regard est terriblement froid. Je ne sais pas s'il se prépare à me planter sa dague dans mon cœur ou s'il est énervé par mes paroles. Ou peut-être ai-je enfin atteint mon but ?

Dix secondes. Vingt secondes. Une minute. Rien ne se passe. Sa respiration s'est stabilisée. Ses yeux continuent de me sonder. Peut-être me suis-je faite des idées. Peut-être que ce n'est pas notre différence d'âge qui lui pose problème, mais seulement le fait que je ne l'attire pas. Et puis je ne connais pas son âge, ni son véritable visage.

Et pourquoi cela me fait-il de la peine? S'il ne me tue pas, c'est moi qui le tuerai. Je veux le voir, comme les autres, à mes pieds, à me supplier de lui laisser la vie sauve. Si j'ai renié ma famille et renoncé à la vengeance, c'est de sa faute. Si je suis devenue ce que je suis, c'est de sa faute. Si je le tue ce sera de sa faute.

Nous nous regardons, et aucun de nous ne baisse le regard. Je joue ma dernière carte. Je colle tout mon corps à lui, respire son odeur et alors que je vais pour l'embrasser, je me rétracte au dernier moment, et enfouie ma tête contre sa poitrine.

Automatiquement j'entends, dans ma tête, sa voix : « gamine innocente ».

Je n'ai jamais embrassé quiconque. Et si contrairement à ma sœur je n'ai jamais rêvé d'un beau prince sur son destrier, j'avoue que je ne veux pas mourir sans avoir offert mon premier baiser.

Devient-on toujours aussi stupide lorsqu'on sait que sa dernière heure va sonner ?

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Le conseil a tranché. Elle doit mourir. Et nul ne désobéit au conseil.

Il lui doit la vie, et s'il a payé sa dette il y a longtemps il ne peut oublier la gamine innocente qui lui a sauvé la vie. Par principe, parce qu'elle est juste et loyale. Mais cette fois il ne peut sauver la gamine. Exceptionnellement il a demandé cette faveur. Il a voulu effectuer la mission lui-même. Car nul autre que lui ne peut toucher sa princesse oubliée.

Il l'a vu grandir, et ses sentiments ont changés. Il a essayé de s'en empêcher. Mais chaque jour elle devint plus belle, plus féminine et surtout consciente de ses nouveaux atouts. Mais pour lui, elle resterait cette gamine innocente.

Lorsqu'il ouvrit la porte de sa cellule, son cœur se serra. Il faisait sombre mais il voyait bien que cette cellule n'avait pas de fenêtre, qu'on avait attaché sa princesse à de lourdes chaînes, qu'il n'y avait pas de lit et aucune commodité. La colère monta en lui. Le conseil avait décidé la sentence bien avant que Jaqen plaide pour la vie de son amie. Il n'avait eu aucune chance. On les avait manipulés une nouvelle fois. Bon sang, pourquoi l'avait-il ramené ici ?

Puis il se rappela. Les têtes séparées de leurs corps. Les mains des victimes attachées dans leur dos, sans défense. Qu'essayait-elle de faire ? Reproduire encore et encore la mort de son père ? Où était passé Arya Stark ? Celle qui respectait le code de l'honneur coûte que coûte ? Sa princesse était morte, et le démon qui possédait désormais son corps devait mourir à son tour.

Nul ne désobéit au conseil. S'il ne la tue pas, un autre s'en chargera.

Lorsqu'elle lui souffla, qu'il avait toujours eu envie d'elle. Son cœur s'accéléra et sa main quitta sa dague. Un instant il crût que c'était possible. Elle et lui. Il et elle. Lorsqu'elle se colla à lui, l'ensemble de son corps réagit. Il n'était qu'un homme après tout. Mais lorsque Arya renonça à l'embrasser et enfouie sa tête contre sa poitrine, il sût qu'elle était toujours sa gamine innocente.

Nul ne désobéit au dieu multifaces.

Alors il fit une chose stupide. Une chose plus stupide encore que d'assassiner une dizaine de soldats pour permettre à trois enfants de s'enfuir.

Il l'embrassa.