Clan Soma - 1933
Préambule : je ne possède aucun des droits de Fruits Basket. Ceci est, au cas où personne n'aurait encore compris, une Fanfic.
Voilà ma petite expérience ! Les évènements de cette histoire se déroulent en 1933 au Japon Impérial dans la ville fictive de Yunihoshi, autour du clan Soma et de son entourage. Vous ne risquez pas de rencontrer beaucoup de personnages du manga ici, puisque les personnes décrites ici sont bien souvent les grands-parents, voire les arrière-grands-parents des personnages principaux ! Enfin, je ne suis pas encore sûr de qui est l'ancêtre de qui exactement… Sachant que l'hérédité marche à fond chez les Soma, je vous laisserai quelques indices, tout de même. L'idée m'est venue en voyant que la plupart des forums de Jeu de Rôle sur l'univers de la série inventent de nouveaux Maudits… Ca se comprend, mais en même temps c'est assez gênant quand on connaît la fin du manga. Alors je me suis dit que la solution c'était tout simplement de parler des Maudits du PASSE. Et pourquoi aussi loin dans le passé ? Et ben, parce que je trouve cette période intéressante, tout simplement.
Pas grand-chose dans ce premier chapitre, mais c'est inévitable. Je mettrai en place les personnages et l'intrigue de manière très progressive, alors soyez patients et commentez la chose, surtout. Bonne lecture à tous !
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Chapitre I
Nigeru avait gardé un silence de pierre durant l'intégralité du trajet. Même lorsque l'homme de confiance l'avait récupéré à la gare de Yunihoshi, sans manquer de s'enquérir chaleureusement de son retour au pays, il avait été taciturne au possible, demandant simplement de l'aider à placer ses bagages à l'avant de la voiture. Il avait espéré paraître suffisamment froid et désagréable pour couper court à toute conversation trop étendue, et cela avait marché : assis, le dos raide, à l'arrière de l'automobile rutilante qui le reconduisait au manoir Soma, Nigeru restait plongé dans une contemplation mollassonne, jetant de vagues coups d'œil aux rues de la ville défilant de l'autre côté de la fenêtre. On pouvait accuser la fatigue du voyage, certes (son retour d'Europe avait été précipité au possible et ses constants allers d'un mode de transport à un autre l'avaient désorienté au possible), mais il y avait autre chose – quelque chose de plus inavouable.
Quatre ans ! Quatre ans de sa vie passés Dieux savaient où ! Quatorze ans à l'époque du départ – un gosse, en somme, il fallait bien l'avouer. Les nouvelles qui lui parvenaient des lettres échangées sur place avec le reste du clan allaient bientôt prendre forme : de nouveaux bâtiments partout, le noms de personnes qu'il n'avait jamais rencontrées sur toutes les lèvres, des naissances entretemps, des morts, même. Il commençait à mieux comprendre les « vieux » ; il les avait raillés en son temps, ceux-là, toujours à pleurnicher sur les temps qui changent, trop vite, et pas pour le meilleur, ah, c'était le bon temps ! Ils avaient en fait leurs raisons : l'urbanisation avait progressé à vitesse grand V durant son absence, et sa bonne ville natale était par endroits devenue méconnaissable. Ce terrain vague où la bande de petits voyous jouait jadis ? Un cabaret. Une peur secrète envahit son cœur à l'idée du changement, de tout changement théorique, pour être honnête.
Mais il restait lucide et désabusé dans sa nostalgie. Quand bien même on lui aurait offert les paysages d'antan, il n'aurait pas été capable de les apercevoir. Il avait dix-huit ans maintenant – l'enfant était mort, et ses deux yeux avec. Il s'était préparé à poser un nouveau regard sur toute chose, un regard plus terne mais plus riche : il était à même de comprendre le parler des adultes, désormais, de connaître les choses interdites et de brûler les dernières illusions. Dans le hoquet tonitruant de la voiture qui crapahutait les côtes ardues des terres Soma, il embrassait des yeux l'univers qu'il avait connu – comme il paraissait plus petit, maintenant ! – pour se convaincre qu'il s'agissait d'un tout autre monde, qu'il n'avait connu. Il fallait ce conditionnement mental pour se préparer à retrouver tous ceux qu'il avait laissés sur place il y a quatre ans.
La lettre lui ordonnant de mettre les voiles – littéralement – lui était parvenue un bel après-midi de Juillet 1933, ornée du sceau familial. Le chef actuel du clan, sur un ton qui ne souffrait pas ni la contradiction ni l'exigence d'explications plus complexes, l'intimait solennellement de préparer dans les plus brefs délais son retour au pays du soleil levant. Détail significateur, la missive était intégralement rédigée en japonais – d'habitude, ses proches lui écrivaient en français ou en allemand (et traduisaient pour les autres), histoire de pratiquer leurs langues étrangères. Enragé, stupéfait ou soulagé de la nouvelle ? Il ne savait plus quelle avait été sa première réaction, tant le caractère pressant de la situation s'était fait sentir. Il avait été si occupé à s'organiser pour plier bagages le plus vite possible qu'il n'avait pas pris le temps d'analyser cet évènement qui allait bouleverser sa petite vie tranquille. Quand Shakujo, chef du clan des Soma, vous réclame sur le champ, il est plus judicieux de penser à la manière de ne pas se planter que de sombrer dans la sensiblerie lyrique.
La voiture s'arrêta enfin devant un portail à l'européenne, que deux serviteurs s'empressèrent d'ouvrir. L'engin pénétra en grande trombe dans une cour battue de poussière, avant de s'arrêter une dizaine de secondes plus tard. Nigeru n'était pas mécontent de descendre. L'endroit, même s'il en connaissait la géographie, ne lui rappelait rien de particulier ; il n'avait pas du passer beaucoup de temps ici. En fait, le seul souvenir qu'il lui évoquait était bel et bien ce matin humide où il avait quitté le manoir familial pour son grand départ, avec un grand trou béant en guise d'avenir. Le chemin de la nostalgie s'annonçait prudent. Il ne prit aucune attention du reste ; il savait que ses bagages seraient menés à ses quartiers plus tard. Cela lui semblait nouveau, aussi, ce nouveau statut ; ses parents étaient bien placés dans la hiérarchie du clan Soma, et il avait eu la chance d'user et abuser des (nombreux) serviteurs travaillant sur place… Mais tous ces services avaient toujours émanés de la volonté ou de la personne d'un adulte ou d'un supérieur ; il était considéré comme un homme, maintenant, et brillement éduqué, avec ça : l'un des Soma qui compteraient à l'avenir ! Voir l'autorité se diffuser directement de sa petite personne, c'était autre chose.
Grisant ?
Ses chaussures retirées à l'entrée, une vieille femme de chambre le guida à travers les pièces ; il avait ordre formel de présenter ses respects au chef de famille avant toute chose. Le trajet dura un bon moment, mais il ne s'en rendit pas compte, trop occupé qu'il était à ressentir les odeurs qu'il avait oubliées à mesure qu'ils avançaient. A droite, il y avait le cellier où il avait dérobé des friandises quand il avait neuf ans ; dix mètres plus loin, c'était l'emplacement du bureau austère où il avait appris les multiplications, à coups de règles sur les doigts ; et quelque part, si en prenait deux fois à gauche en partant de ce couloir qu'il voyait là-bas, on pouvait trouver un fauteuil en vannerie où sa mère avait coutume de s'asseoir pour lire. Il était submergé d'images retrouvées ; c'était insoutenable, et pourtant à chaque pas le poids des souvenirs s'épaississaient. Il marchait dans une mélasse de vieux sentiments prêts à ressurgir et s'y enfonçait toujours un peu plus.
La vieille servante s'arrêta devant un panneau de bois qu'elle fit coulisser sans un mot, et rebroussa chemin. Nigeru n'en comprit pas la raison de prime abord : n'était-ce pas l'infirmerie ? Ce n'est qu'en distinguant une pièce radicalement différente, recouverte de tatamis, qu'il se figura qu'en quatre ans, l'aménagement des pièces avait lui aussi changé. Au centre, on distinguait ce qui devait être la silhouette dure de Shakujo, empêtré dans un kimono aux tons sombres, couteux de facture mais sans le moindre motif. Il était en tailleur, et occupé à son passe-temps favori : la calligraphie. De ce point de vue, rien n'avait changé.
Il s'avança sans bruit, s'accroupit et baissa respectueusement la tête – Shakujo n'exigeait pas qu'on se jette à ses pieds, à l'ancienne mode. Du moment qu'il pouvait voir qu'on l'aurait fait au doigt et à l'œil, il était satisfait. Nigeru prononça les salutations d'usage, et attendit un très, très, très long moment. Shakujo n'avait montré aucun signe qu'il avait remarqué sa présence, continuant à faire naviguer le pinceau sur le papier de riz, impassible. C'était d'usage. Avec Shakujo, ce n'était qu'à partir de cinq minutes de silence qu'il fallait commencer à s'inquiéter.
« Tu es en retard, lâcha-t-il avec l'entrain d'une limace en coma médicalement assisté. Il est 15h30. Mitsuru m'avait assuré que tu serais là à 15h00 tapantes. Il n'est pas 15h00. Y-aurait-il une autre explication au fait que tu apparaisses devant moi sans pour autant qu'il soit 15h00 ?
_ Le train a eu du retard.
_ Mais bien sûr, lâcha-t-il sardonique. Les trains ont toujours du retard. »
Devant son sarcasme qui ne présageait rien de bon, Nigeru eut pourtant la présence d'esprit d'agréer.
« Eh ben, oui, je suppose.
_ Oh, fit-il perturbé en prenant conscience que son persiflage n'avait en réalité aucune ironie. Oui, en effet. Mais assez parlé de trains. Approche-toi que je te vois, je n'ai aucune idée de ce à quoi tu ressembles maintenant et ce serait incommodant que je te prenne pour un valet à l'avenir. »
Nigeru s'était prosterné devant un Shakujo de profil ; il se leva et traversa la pièce pour reprendre la même position, face à lui cette fois-ci. Il put examiner le chef du clan d'un peu plus près : pour autant qu'il pouvait en juger aux rides et plis de sa peau, il n'avait point vieilli en quatre ans. Cela ne l'étonnait guère : Shakujo avait des traits si minimalistes, et surtout des émotions faciales si rares, que son visage avait tout l'air d'un de ces masques blancs et polis du théâtre No. Il lui avait fichu une frousse indescriptible quand il était enfant, d'ailleurs.
« Eh bien, apparemment vivre chez les Gaïjin ne t'a pas donné la même face qu'eux. Tu ressembles plus ou moins à ce que tu étais il y a quatre ans… C'est déjà un bon départ. »
A aucun moment il n'avait levé les yeux du papier pour le dévisager, mais Nigeru savait pourtant qu'il ne mentait pas en prétendant qu'il l'avait dévisagé. Shakujo avait cette tendance incompréhensible à voir les gens sans les regarder, de la manière dont on considère les ustensiles de cuisine ou les meubles.
« J'ai pris la décision de te faire revenir ici avec autant de réflexion dont j'ai fait preuve en t'envoyant à l'étranger. Ce pays et cette famille auront besoin de jeunes gens imprégnés des idées modernes si nous désirons faire des grandes choses. Néanmoins, cette idée de modernité est quelque chose qui se sent et se respire plus qu'elle ne s'enseigne, j'en ai bien l'impression. Donc, l'Europe. Quatre ans, ça suffit. Tu n'as besoin de rien d'autre pour ta formation, le reste, tu l'apprendras dans les livres, si besoin est.
_ Je comprends, tenta Nigeru avec un sourire approbateur. Aller profiter du savoir-faire de l'Occident est une bonne chose, mais les éléments qui propagent les idées subversives de l'Etranger seront mal perçus à l'avenir. Vous avez décidé d'écourter mon séjour en Europe avant qu'il ne devienne un poids plus qu'un avantage pour moi ici. C'est très sage.
_ Hein ? »
Shakujo s'arrêta en plein idéogramme, les sourcils légèrement écartés, et se reprit.
« Grands Dieux, non, reprit-il las. Cesse donc de te prendre pour le centre du monde. Même si c'était le cas, ce serait un sacré échec vu l'individualisme et l'égoïsme boursouflé dont tu viens de faire preuve. Tu surestimes franchement ton importance au sein de cette famille, mon pauvre petit. »
Nigeru avala sa salive ; pourquoi ? Pourquoi, alors, l'avoir fait revenir ici ?
« J'avais juste le sentiment que le clan devrait se resserrer un peu sur lui-même ces prochaines années, c'est tout. Cela commence par cesser de se perdre dans des activités d'intérêt secondaire. »
Il retomba dans son silence morgue. Nigeru, lui, avait l'impression de mener un bombardement aérien sous son crâne. Alors c'était ça ? Juste ça ? Il avait quitté son avenir en Europe parce que Shakujo, sur un coup de tête, s'était décidé que finalement il valait mieux garder tout le monde, absolument tout le monde, à portée de main ? Pourquoi ? Pourquoi pas ? Au moins on fera quelque chose. Ce n'était pas comme si on avait quoi que ce soit à faire de ce que pense autrui, hein ? Hein ?
Hein ?
« Eh bien, je ne vois pas grand-chose d'autre à dire. Apprécie ton retour parmi nous. C'est bien ça que l'on dit dans ce genre d'occasions, non ? Tu peux t'en aller.
_ Oui. C'est bien vrai. Je vous remercie. Ce fut un plaisir. Mes respects. Au revoir. »
Fulminant, et rempli de la certitude qu'il allait envoyer valdinguer plusieurs pots de fleurs une fois sorti de l'antre de cette petite chiure qui n'en méritait même pas le temps, Nigeru se leva, les poings serrés, et s'apprêta à sortir.
« Oh, oui, une dernière chose. »
Nigeru se retourna une dernière fois.
« Tu crois certainement que tu as une place de premier choix dans notre clan, fit-il en terminant de tracer son dernier idéogramme. Cela est vrai dans la mesure du possible au vu de la situation actuelle. C'est l'estimation la plus probable. Mais il y a quelque chose de beaucoup plus sûr, quelque chose qui ne risque pas de changer, et je crois que tu as une tendance fâcheuse à l'éluder. Alors je veux que tu m'écoutes attentivement, Nigeru. »
Il accusa un frisson.
« Tu es un des Treize Maudits, celui qui a reçu l'Esprit du Lièvre en lui. Tu as la charge ancestrale d'assumer et supporter le fardeau qui constitue la honte et la gloire de cette famille depuis sa fondation. Tu n'es pas censé réaliser quoi que ce soit, tu n'es pas censé t'épanouir, et surtout tu n'es pas censé être Toi – il n'y a pas de Toi, en tous cas il n'y aura pas de place pour ça dans ta vie car la notion de Toi n'a pas de sens. Tu es le Lièvre, tu es un maudit et tu es censé assumer ce rôle, et ce jusqu'à ta mort. Rien d'autre. Absolument rien d'autre. Et si tu te mets à l'oublier, nous n'aurons aucun problème, pour le bien de cette famille, à te le rappeler. Par quelque moyen que ce soit, nous te le remémorons. »
Puis quelque chose de stupéfiant se produisit.
Lentement, Shakujo releva sa tête. Il avait d'abord cru qu'il avait terminé son ouvrage, mais non, il ne se levait pas, et voilà que sa face ronde et livide se déta chait dans la lumière tamisée, et il pouvait voir ses deux yeux éclatants qui pointaient dans le vide, sauf qu'il comprenait soudain qu'ils ne pointaient pas dans le vide et oh mon Dieu c'est moi qu'il fixe.
Et un instant il n'était plus l'homme frais émoulu de son expérience et ses accomplissements et en Europe, mais bien cet enfant d'antan, ce petit Lièvre terrorisé qui fuyait désespérément, paniquant face à la certitude qu'un prédateur vorace l'avait remarqué. En un instant il retrouva la terreur éprouvée face au Masque de No, cette face de lune blanchâtre animée de ce sourire goguenard qui n'avait rien, non rien, strictement rien, d'humain.
« Tu ne voudrais pas que ça t'arrive, n'est-ce pas ? »
Cinq secondes durant, Shakujo resta figé sur cette expression malsaine et joviale. Puis, finalement, le masque tomba, et il se concentra, imperturbable, sur les signes qu'il devait dessiner. Le Lièvre détala, non sans refermer la porte derrière lui.
Il avait le souffle coupé, et il lui fallut quelques pas avant que ses jambes consentent à cesser leurs tremblements.
Les Maudits ont toujours cette tendance à accueillir avec joie les changements. Nigeru sait pourquoi : ils cultivent l'espoir, en voyant ce qui ne dure pas et ce qui se transforme, que cela vaut pour toute chose. Même pour celles qui ne changeront jamais. Même pour celles qui auraient du être abolies, même pour celles qui les enchaînent et ramènent leur pitoyable existence à ce même point misérable et éternel. Même la malédiction.
Pathétique.
