Rappel : les TMNT ne m'appartiennent pas - tous les droits sont réservés à leurs créateurs.
Une Araignée Dérangeante
Allongé sur son hamac chancelant, et serrant sa couverture rouge entre ses doigts crispés, Raphael fixait avec dégoût et appréhension la bestiole noire et velue qui s'était confortablement nichée dans un coin obscur du plafond de sa chambre. Il refusait de s'endormir, certainement pas avec cet arachnide susceptible de planter ses crocs acérés dans sa gorge. Son corps surélevé par ses huit pattes poilues le répugnait au plus haut point, tout comme ses pupilles rougeâtres, lesquelles semblaient le surveiller de façon addictive ; son venin, il le redoutait. Raphael se tortilla nerveusement à ces pensées qui lui arrachèrent un frisson des plus intenses. Le coeur au bord des lèvres, il ne détacha pas une seule seconde ses yeux émeraude de cette bête, simplement pour ne pas la perdre de vue si elle venait à se déplacer. Un souvenir surgit alors du plus profond de sa mémoire, et envahit inconsciemment ses pensées les plus intimes.
Avec toute la délicatesse dont il était capable de faire preuve, le jeune mutant de huit ans au caractère déjà bien trempé poussa la lourde porte boisée de la chambre de son grand frère, pour s'y introduire avec une discrétion qui lui était peu connue. Elle grinça lorsqu'il la referma, ce qui lui soutira une grimace amère. Ainsi, il considéra chacun de ses pas jusqu'au lit déchiré quoique confortable de son aîné.
Les lèvres entrouvertes, Leonardo dormait paisiblement, une bougie mauve pâle encore allumée auprès de lui ; Raphael devina aussitôt le parfum à la lavande qui en émanait. La bougie fondait, décorée par des gouttes séchées de cire, et bientôt, elle s'évanouirait pour laisser l'obscurité avaler la moindre once de lumière et de sécurité. Le cadet soupira, puis il se pencha lentement vers son frère, intoxiqué par la douce fumée qui se dégageait de sa bougie préférée.
-« Léo ? » chuchota-t-il de sa voix enfantine.
Ledit Léo ne répondit que par un grognement somnolent, presque plaintif, tout en rabattant sa couverture doucereuse sur son visage. Plissant sévèrement les yeux et mordant âprement l'intérieur de sa joue, Raphael posa une main sur son épaule, puis il le secoua affectueusement.
-« Léo ! » insista-t-il.
Sursautant presque, éberlué d'avoir été ainsi arraché à Morphée, Leonardo sépara aussitôt ses paupières pour révéler de magnifiques yeux azur, encore enfantins et gorgés de rêves. Désorienté, il libéra son visage de sa couverture pour croiser le regard de son petit frère.
-« Raph ? murmura-t-il encore embrumé par le sommeil. Que se passe-t-il ? »
Fidèle à lui-même, Raphael détourna rapidement les yeux, les bras nonchalamment croisés. Un léger "pf" échappa ses lèvres.
-« Y'a un cafard dans ma chambre, alors soit tu le tues, soit tu me fais une place. »
Surpris, Leonardo ne fit que frotter ses petits yeux fatigués. Un profond bâillement fit craquer ses mâchoires, et il marmonna quelque chose d'incompréhensible avant de se laisser lourdement retomber sur son oreiller moelleux. Le langage yaourt de son frère, Raphael n'avait jamais réussi à le comprendre. Aussi, dans un profond soupir, il souleva d'un geste net ses couvertures pour s'y glisser. Exténué, il s'allongea de tout son poids sur la carapace de son aîné en bâillant, frottant sa joue contre ses rainures âpres et rugueuses.
Après toutes ces années la porte boisée de son grand frère grinçait encore, aussi, Raphael jura entre ses dents, manquant de donner un violent coup de pied à cette porte effrontée et peu silencieuse. S'approchant à pas de velours du lit de Leonardo, rongé par le temps et les déchirures, le mutant acerbe observa son aîné tranquillement endormi.
Leonardo n'avait plus besoin de bougies pour dormir, ainsi, Raphael peinait à distinguer ses formes. Tout aussi affectueusement que jadis, il tapota le bras de son frère, lequel avait dûment travaillé ses sens. Aussi, il ouvrit instinctivement un oeil. Ses entraînements intensifs avaient porté leurs fruits : même la nuit, Leonardo était attentif aux sons et à son environnement, chose que Raphael était parfaitement incapable de faire.
-« Raph... ?
-Sh, pousse-toi », grogna le cadet en fuyant son intense regard bleuté.
Leonardo demeura silencieux quelques secondes, puis il se décala prudemment pour laisser l'espace nécessaire à son petit frère fougueux. Remarquant la confusion dans les yeux de son aîné, Raphael ne prononça mot, se contentant de soulever les lourdes couvertures de velours pour pouvoir s'y engouffrer. Sa carapace faisant face à Leonardo, le mutant impétueux plissa les yeux, le visage à demi enseveli sous le bleu nuit des couvertures.
-« Un co-locataire importun s'est encore installé pour la nuit ? s'amusa l'aîné.
-La ferme…, marmonna sèchement Raphael. J'aimerais bien t'y voir, toi, elle est énorme c't'araignée. »
Leonardo esquissa un sourire débordant de sympathie et de compréhension ; même encore à dix-sept ans, Raphael demeurait prisonnier de sa phobie, et le mutant aux yeux lapis-lazuli avait fini par comprendre que le confinement souterrain que son frère méprisait tant pouvait en être la cause. Le temps et l'enfermement n'avaient fait que développer cette phobie irrationnelle.
-« Et puis... ne va surtout pas t'imaginer que j'ai peur, bougonna Raphael comme pour se défendre. J'n'aime juste pas les insectes. »
À ces mots, un sourire sardonique étira les lèvres de Leonardo qui rétorqua par un mais oui, c'est ça moqueur, ce qui arracha un grognement de frustration du plus profond de la gorge de son cadet. Voyant que son petit frère ne fit que se recroqueviller sur lui-même à la suite de cette remarque, le jeune leader grimaça amèrement. Prudemment et comme pour se racheter, il posa une douce main sur la carapace craquelée que lui offrait inconsciemment Raphael, explorant ses rainures et apaisant chaque fissure de part ces palpations consolatrices. Ces caresses arrachèrent un tremblement convulsif au cadet. Il se crispa sous ce toucher, lequel il trouva pourtant étrangement rassurrant.
-« Tu sais ce que Donnie te dirait ? » chuchota Leonardo.
Haussant un sourcil, Raphael lui destina un regard confus par-dessus son épaule musclée et écailleuse.
-« Que les araignées ne sont pas des insectes, compléta Leonardo en souriant.
-Pf, peu importe, tu vois très bien où je veux en venir », rétorqua sèchement Raphael en détournant à nouveau les yeux.
Cependant, il dut dissimuler son sourire sous les couvertures de son frère, lesquelles étaient imprégnées de son odeur. Le parfum de Leonardo avait toujours eu des propriétés réconfortantes et sécurisantes, et il l'adorait, bien secrètement.
Leonardo soupira tristement tandis que ses doigts dérivèrent sur sa peau reptilienne, explorant les multiples cicatrices qui la décoraient. À son plus grand étonnement, Raphael ne rejeta pas ses cajoleries comme il avait coutume de le faire, bien au contraire, il semblait se détendre. Comme pour confirmer ses pensées, son cadet hargneux soupira de bien-être, visiblement réchauffé et consolé.
-« Demain j'irai la tuer, ça te va ? déclara finalement Leonardo.
-De toute façon, tant qu'elle n'est pas morte j'retourne pas dans mon lit », lâcha froidement Raphael.
Leonardo ne put retenir un rire, tout en se détournant de son frère. Il plissa les yeux en sentant sa carapace se frotter contre celle de Raphael, et il constata qu'elle était effectivement beaucoup moins massive que la sienne. Secouant légèrement la tête, il scella finalement ses paupières, mais quelques minutes plus tard, il sursauta presque en sentant un poids sur sa carapace décorée de bleu. Jetant un regard confus par-dessus son épaule, il comprit avec stupéfaction que Raphael avait simplement collée sa joue contre sa carapace. Les yeux clos, son frère paraissait apaisé et privé de toute inquiétude quant à cette araignée terrifiante. Un sourire aux lèvres, Leonardo laissa sa tête retomber sur son oreiller, songeant que son cadet avait déjà trouvé le sien, comme lorsqu'ils n'étaient encore que des enfants innocents. L'espace d'un instant, chacun se laissa bercer par les battements du coeur de l'autre.
-« Merci frangin... », murmura Raphael contre sa carapace chaude quoique âpre.
Le lendemain, leur rivalité reprendrait de plus belle, simplement pour compenser ces élans affectifs qu'ils n'étaient plus habitués à donner ou même à recevoir. Plus encore, ils ne savaient plus comment y réagir. Crispés par la pudeur, le sommeil ne les emporta pas immédiatement, laissant le temps à Raphael d'adresser ses dernières pensées à son frère.
… t'as qu'à considérer ma colère et ma violence comme la preuve irrévocable que je t'aime.
