Fire Emblem : Awakening

ファイアー・エンブレム:覚醒

シー1章・「今大丈夫、あなたを損じません。」

Chapter C.1 - Easy now, girl. I won't hurt you.

-Haa... haaa...

Des soubresauts rythmait ses paroles, les larmes tombaient en petites gouttelettes sur le dos de sa main, posée sur sa cuisse, fermée par la rage et le regret. Elle n'avait pas dormi depuis des jours. Depuis ce jour.

Ces cauchemars incessants revenaient à mesure qu'elle essayait d'oublier.

Elle se levait toutes les nuits sans pouvoir recouvrer le goût du sommeil.

Sans pouvoir se rappeler à quoi il ressemblait.

Mais on n'oublie pas aussi facilement, on ne peut oublier un échec, on ne peut oublier la mort.

Et c'est ce qui faisait qu'elle, grande stratège du camp des Veilleurs, l'un de ses piliers principaux, en venait à s'effondrer sur son lit à chaque fois qu'ils rentraient d'une bataille ou qu'ils s'aventuraient sur les terres de Plegia.

-Emmeryn...

Cachant son visage d'une main, elle finit par prendre son mouchoir et le passer sur les yeux, se tamponnant tranquillement. Mais à mesure qu'elle le faisait, ses pleurs redoublaient et le mouchoir finalement ne servait qu'à absorber le maximum d'eau qu'il pouvait contenir.

Elle le lança donc vulgairement sur le sol, comme harassée par ses propres pleurs, par sa faiblesse. Il n'y avait rien de plus honteux pour un membre des Veilleurs, qui plus est le stratège en chef, que de pleurer de la sorte sans jamais s'en remettre. Le Prince et sa sœur avaient déjà leur peine pour eux, elle ne pouvait se permettre de leur en rajouter. Mais avait-elle fait le nécessaire? Le possible? S'était-elle déjà assez battue pour que cette situation n'arrive pas? Parfois, elle en doutait.

Non, elle en doutait toujours.

Il n'était plus question de sauver un royaume, ni le monde tout entier.

Mais de sauver sa propre conscience de cette folie.

Elle ne pouvait tout simplement pas supporter d'autres vies sacrifiées.

La grande reine du Royaume d'Ylisse n'était plus.

Reine mais aussi aînée, elle était celle qui rayonnait pour son peuple. Elle s'était sacrifiée pour lui autant que pour Plegia.

Ce jour-là elle n'avait rien pu faire, stratège qu'elle était; les plans n'avaient pas prévu qu'elle se laisse aller à la mort. Mais elle s'en voulait de ne pas avoir réussi à faire quelque chose, de n'avoir pas tenté, figée dans la stupeur et l'adrénaline du combat, d'empêcher la Sainte Reine de plonger tête la première du rocher de Grima.

Comme tous les soirs, elle se repassait la bataille détail par détail.

Non il n'y avait pas eu de failles lorsqu'elle avait envoyé les Wyvernes en avant pour accompagner le Prince, non plus lorsque les chevaliers pégases s'étaient lancés pour revenir au plus vite renforcer leur défense. Derrière, les guerriers les plus féroces décimaient tous les ennemis qui venaient en renforts et les mages avaient lancés leurs sorts de protection sur le groupe d'assaut.

Non, vraiment. Il n'y avait rien... D'ailleurs, si une sorcière du clan adverse ainsi qu'un prêtre du royaume n'étaient pas venus pour leur donner un coup de main, certainement qu'ils auraient pu être bloqués pendant de longues minutes. Peut-être même qu'ils n'auraient jamais réussi à franchir les sables du désert, ni les portes de l'autel.

Finalement elle effectua une inspiration saccadée avant de soupirer, plia ses jambes et entoura ses genoux de ses bras pour poser son menton dessus. Pour le peu de temps libre qu'elle avait, elle pouvait se permettre de se laisser aller : après, elle ferait un saut dans les bains et se remettrait à neuf. Tout le monde n'y verrait que du feu.

-Este?

Elle sursauta, tourna la tête vers l'entrée, aux aguets. Quelqu'un l'avait interpellé mais elle ne s'y était pas préparée. Elle essaya de se frotter les joues, les yeux et chercha son mouchoir pendant de longues secondes.

-O-Oui? …

Elle n'avait pas eu le temps d'arranger sa voix, elle paraissait fluette, presque cassée. Si quelqu'un entrait sans prévenir, elle n'aurait pas le temps de cacher tout son bazar ni même d'arranger sa tenue.

-Je t'ai apporté des gâteaux, tu n'es pas venue manger.

Elle resta pétrifiée sur place : il était si tard? Elle n'avait même pas remarqué l'heure. Elle finit par se maudire elle-même, serrant les dents, évitant de dire des grossièretés mal placées. Elle ne pouvait se permettre d'afficher une telle image devant les autres.

Tu fais bien ridicule ma cocotte. Pensait-elle en se chaussant les pieds de ses longues bottines.

Elle les mettait en sautillant jusqu'au battant de la tente et finit par ouvrir, essoufflée, les cheveux en pagaille et les vêtements dépareillés. Mais elle n'y pensa pas de suite lorsqu'elle vit l'impressionnante silhouette devant elle : grande et imposante, il n'y avait pourtant que de la douceur dans ce visage délicat, encadrés par de longs cheveux blonds. Si la nuit imposait une certaine obscurité, elle n'arrivait pas à éteindre la lueur qu'émanait ce drôle de personnage.

-Libra! S'exclama-t-elle, surprise. Elle avait été tellement absorbée par ses soucis, qu'elle avait spontanément traduit sa voix par celle d'une de ses camarades, se sentant alors totalement idiote. Du coup, se rendant compte de sa tenue, elle tenta en vain de se recoiffer et de réajuster ses vêtements. Désolée, je ne savais pas que c'était toi... Oh mais! Il pleut et je t'ai laissé dehors tout ce temps!

Elle ne savait plus où donner de la tête, elle le fit entrer à la hâte et referma rapidement le battant derrière elle. S'il y avait quelque chose de bien honteux, c'était son étourderie du moment. Elle bondit pour attraper une serviette par là, sans trop savoir ce qu'elle faisait, puis vint vers lui dans la précipitation.

-Désolée, vraiment...

Mais contre toute attente, seul un doux sourire ornait à présent les lèvres du moine, comme si tout cela n'avait que peu d'importance, sans pour autant qu'il ne se moque d'elle.

Libra était un homme extrêmement calme, il avait la faculté d'apaiser les têtes brûlées du camp et les conflits pouvaient être endigués à la source grâce à lui. Il était connu pour s'être férocement battu pour la Sainte Reine, mais aussi parce qu'il avait l'apparence d'une femme très belle. Bien entendu, la stratège ne s'était pas fixée sur cette image, il fallait simplement reconnaître qu'il était apaisant, serein et qu'il donnait l'envie irrésistible de se confier à lui malgré l'impressionnante impassibilité de son visage.

Il pencha légèrement la tête sur le côté, la regardant paisiblement.

-Ne t'inquiète pas pour cela, en revanche... tu n'as pas l'air en forme?

-Ah... si, si! Je... je faisais juste une revue des batailles que nous aurions à faire plus tard, j'espérais prendre de l'avance en me concentrant sur les stratégies et les capacités de chacun... maintenant que toi et Tharja êtes là, ce serait bête de ne pas avoir recours à vos qualités! Haha!

Ce sourire pourtant était crispé, cachait mal ses véritables pensées. Il n'y avait pas une once de vérité dans ce qu'elle disait, et elle comprit bien vite qu'il n'était pas dupe non plus lorsqu'elle vit son regard posé sur la quantité impressionnante de mouchoirs qui s'entassait sur son lit à la place de ce qui aurait dû être des cartes et des statistiques : niveau crédibilité = zéro. Il avait haussé un sourcil, esquissé un sourire quelque peu moqueur.

Elle toussota et finalement tendit l'espèce de serviette :

-Bref.

Puis elle remarqua que la serviette n'en était pas une, elle ressemblait plutôt à un débardeur à dentelles qu'elle utilisait pour ne pas user ses vêtements de combats. Son visage vira au rouge, elle jeta négligemment l'habit derrière elle en espérant qu'il ne l'ait pas vu, et finit par le débarrasser de son plateau.

-Hm, oublie la serviette. Installe-toi, je vais faire un feu!

Elle déposa le plateau sur une table de chevet et ramassa à la hâte tous les mouchoirs qui traînaient par-ci par-là pour les jeter dans une poubelle bien pleine. Elle lui prit sa longue cape et la mit à sécher sur une chaise, avant de rallumer le feu d'une espèce de foyer de fortune démarqué par des cailloux assez imposants. Il s'était installé sur un tabouret non loin d'elle.

-Hm, dis-moi Este.

Elle tressaillit en remuant le petit bois. Elle savait qu'il allait poser cette question, qu'elle ne serait pas éternellement seule dans ses pensées et qu'il en viendrait à la bousculer dans cette routine nouvelle qui s'était installée entre elle et les batailles. Elle savait qu'il ne la lâcherait pas tant qu'elle ne sortirait pas d'ici, c'était ce qui l'inquiétait. Il mit d'ailleurs un certain temps, la fixant comme jamais, avant de reprendre.

-J'espère que tu manges bien tout de même? Tu m'as l'air bien pâle, ce n'est pas bon de sauter les repas.

Elle ne savait pas si elle devait être soulagée, mais elle profita de cette question pour changer le cours de la discussion, sans vraiment se douter que c'était déjà son intention. Libra était un homme bien attentionné, pas seulement parce qu'il était homme d'église, mais aussi parce qu'il appréciait d'aider les autres lorsqu'il le fallait. Il avait beau ne pas beaucoup parler, son regard en disait long, et souvent détendus par son aura, les autres cessaient irrémédiablement tout conflit. C'était ce que l'on pouvait considérer comme une personne indispensable en ces temps de guerre.

-Ah... oui oui, je n'ai juste pas vu l'heure passer, ne t'en fais pas! Je ne peux pas me battre le ventre vide après tout.

Toujours ce sourire crispé, ce manque de confiance qui brusquement la cloua au sol comme un rocher sur une pauvre plante. À présent elle ne ressemblait pas à grand chose. Du moins, ni physiquement, ni mentalement. Ses yeux marquaient le coup d'une fatigue néfaste et elle ne pouvait pas défendre correctement sa bonne santé au vu de son teint blafard.

-Essaie d'avaler quelque chose, demain sera une journée plus tranquille, tu auras peut-être le temps de te poser.

Il sourit alors qu'elle le regardait, les flammes du foyer éclairant sa peau blanche, ses yeux verts et son expression si calme et sereine. Elle ne put qu'abandonner l'idée de s'enfermer dans ce monde plein de miasmes et de déprime qu'étaient les souvenirs. Elle voulut ne serait-ce qu'un instant prier avec cet homme qui lui tendait imperceptiblement les bras. Pourtant elle ne pouvait totalement s'en défaire.

-Oui...

Comme il semblait attendre un geste de sa part, elle prit rapidement le repas et commença à manger, sans beaucoup d'entrain. Pour une fois qu'il avait l'air délicieux, elle ne semblait pas apprécier. Rien que le fait de piquer quelques morceaux et de les mettre à la bouche fut pour elle un acte totalement forcé qu'elle réitéra autant de fois que son être pleurait le contraire. Elle ne pouvait faire autant de mal à une personne qui s'était déplacée pour la voir, surtout pas après l'avoir laissée quelques minutes sous la pluie. Mais le silence paraissait avoir marqué leur discussion déjà peu animée, et elle ne s'en rendit compte qu'après, lorsqu'elle finissait déjà la moitié de son écuelle. Ce fut Libra qui le rompit :

-Este?

Elle tourna la tête, gênée de l'avoir tant fait attendre mais préférant ne rien dire.

-N'hésite pas à venir me parler si jamais tu ne te sens pas bien. Les dieux sont à l'écoute de tous.

Elle avait beau ne pas croire en ces dieux-là, elle savait qu'il y avait quelque chose qui la soutenait, si ce n'était lui. Peut-être que pour cela elle lui serait toujours redevable. Elle finit par sourire mais un sourire qui cachait mal la tristesse et le doute qui régnaient en elle. Même son hochement de tête n'avait rien de convainquant, pourtant elle ne manquait pas de sincérité.

-Hm hm!

Il l'avait compris, il décida pourtant de ne pas s'attarder. Se levant après s'être assuré qu'elle avait bien tout mangé, il étira ses lèvres dans un sourire plus franc.

-Je ne vais pas rester.

-Oh?

-J'étais venu pour voir comment tu allais, les autres aussi s'inquiètent pour toi. Je vais faire le tour du camp et les rassurer. Toi, repose-toi! Si jamais ça ne va pas, tu sais où est ma tente.

Elle sentit brusquement la distance reprendre avec lui, comme s'ils ne s'étaient jamais connus. Cette séparation soudaine la tiraillait de l'intérieur. Savoir qu'il s'en allait sans passer plus de temps avec elle la rappela à la réalité, elle faillit lui attraper le poignet pour l'en empêcher : son hésitation dura une seconde de trop.

Elle finit par hocher doucement la tête et déposa l'assiette, à regret.

-Oui, merci. Ne t'inquiète pas, je ramènerai tout ça en cuisine.

Ce n'est que lorsqu'il quitta totalement la tente et s'en éloigna qu'elle sentit le poids de la solitude lui peser un peu plus sur le cœur, jusqu'à ce qu'elle se décide finalement à pleurer une nouvelle fois. Ce n'était pas dans ses habitudes de pleurer pour la solitude. Depuis quand s'était-elle tant habituée à la compagnie? Elle n'avait pas de souvenirs de cette solitude si pesante et angoissante.

Ces dernières larmes furent pourtant pour elle une sorte de libération, puisqu'elle se sentit fraîche, disponible, apaisée. Elle regarda son assiette puis le tabouret où il s'était assis. Elle n'avait pourtant rien dit. Elle n'avait même pas essayé de le mettre à l'aise. Elle ressentit alors une honte extrême qui lui monta aux joues.

Elle aurait pu au moins lancer une discussions construite et concrète.

-Non mais quelle idiote!

Et de ranger en se promettant de se faire pardonner par un quelconque moyen. C'est justement en rangeant qu'elle se rendit compte qu'il avait oublié sa cape. Une cape blanche avec au dos l'emblème d'Ylisse en doré qu'avait fait créer le Prince pour tous ceux qui se battaient au nom des Veilleurs. L'occasion se présenta à elle, elle ne pouvait plus passer à côté. Elle tint la veste assez longuement entre les mains, l'analysant sous toutes ses coutures comme si elle pouvait posséder un pouvoir spécial. Elle finit par étirer ses lèvres dans un sourire imperceptible, puis soupira en la pliant en deux.

Le parfum qu'elle dégageait détendait déjà ses épaules et sa nuque endolories.

Elle hésita quelques secondes avant de grimacer.

Je m'apprête à faire quelque chose de vraiment stupide...

Vérifiant que personne ne l'espionnait en fouillant de gauche à droite, elle ferma correctement le battant de sa tente et s'allongea ni une ni deux sur son lit de fortune, s'enroulant dans sa couverture et la fameuse cape.

Elle était encore imprégnée de la chaleur de son propriétaire ainsi que de son parfum.

Non, ce n'est pas ce que vous pensez! Pensa-t-elle en se justifiant pour elle-même.

Ce n'était pas elle qui risquait de la réchauffer, trempée qu'elle était, et pourtant elle trouva en elle tout le réconfort qui lui fallut pour se détendre. Elle voulait vérifier si l'aura de cet homme pouvait imprégner tout ce qu'il touchait, et elle fut plus que satisfaite.

Dehors, la pluie battait la toile de la tente, le sol boueux et les arbres sombres qui s'élevaient haut. Même la chouette n'émit aucun cri, certainement à l'abri de la tempête.

Le calme revint, elle expira doucement.

Elle ne se sentit plus seule.