Yuya, jeune femme d'une vingtaine d'année courrait à travers les rues de la ville. Elle courrait à en perdre haleine comme si le diable était à ses trousses. Elle courrait pour sa vie. Elle dérapa sur le sol trempé battu par la pluie mais se ressaisit rapidement et repartie de plus belle en jetant un œil par-dessus son épaule. Personne en vue, mais elle ne s'accorda aucun moment de répit, pas même une seconde pour reprendre son souffle. C'était bien trop risqué.

« Je ne dois pas m'arrêter…pas encore.»

Yuya était trempée jusqu'aux os. Elle était transie de froid et la peur lui tenaillait le ventre. La robe blanche, déchirée et sale qui lui servait d'habit, lui collait tant et si bien à la peau qu'on pouvait distinguer facilement son corps nu se dessiner dessous. Mais elle s'en contrefichait éperdument. Il était près de trois heures du matin et le peu de personnes qu'elle croisait n'avait même pas le temps de se retourner sous leur parapluie qu'elle avait déjà disparu.

Ses longs cheveux blonds lui tombaient dans les yeux se plaquant inexorablement sur son visage tuméfié. Des larmes de souffrance et d'un profond désespoir ruisselaient le long de ses joues sans qu'elle ne cherche à les arrêter. Elle ne savait pas où aller mais certainement pas à la police. Habillée de cette façon ils l'a prendraient assurément pour une prostitué pour qui la soirée se serait mal terminée. Mais ce qui lui était le plus douloureux, c'était qu'elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle se trouvait, elle ne reconnaissait rien. Elle ne savait même pas si elle était encore à Tokyo. Lorsqu'elle avait été enlevée et séquestrée par un psychopathe fou il y a six mois et jetée dans une cabane en rondin sans fenêtres, elle n'avait su combien de temps s'était écoulé. Elle n'avait pas revu une seule fois la lumière du jour avant aujourd'hui.

Mais alors qu'elle tournait le coin d'une rue, tête baissée pour se protéger les yeux de la pluie et des rafales de vent, elle ne put éviter le couple qui sortait de boîte de nuit caché sous leur parapluie. Elle percuta de plein fouet un jeune homme brun et ils tombèrent tous deux à la renverse sous le cri alarmé de la femme brune qui l'accompagnait.

-Kyoshiro !

Elle se précipita pour l'aider à se relever mais il fut plus rapide et adressa à son amie un petit sourire pour lui signifier qu'il allait bien. Ce qui le tracassait en revanche c'était la jeune personne qu'il venait d'heurter et qui avait toutes les peines du monde à se remettre sur ses pieds. Sans se concerter le couple se baissa d'instinct sur elle pour lui venir en aide, mais au moment où leurs mains touchèrent la peau de la petite blonde elle se mit à hurler.

-Ne me touchez pas !

Elle voulut reprendre sa course mais ses jambes se dérobèrent sous elle et Kyoshiro la rattrapa in extrémis dans ses bras avant qu'elle ne touche à nouveau le sol.

-Noooonn ! Lâchez-moi !

-Tout va bien mademoiselle. Tentait de la rassurer le jeune homme. On ne vous fera pas de mal, on veut juste vous aider.

La voix de ce garçon avait quelque chose de doux et de rassurant. Il semblait sincère. Alors contre toute attente Yuya se laissa faire, vaincue par la fatigue et le froid. Elle regarda un instant son interlocuteur et murmura tout bas avant de perdre connaissance.

-Je vous en prie…ne me faites pas de mal…

Kyoshiro et sa petite amie Sakuya s'échangèrent un coup d'œil perplexe et inquiet.

-Kyoshiro, que faisons-nous ?

Sakuya avait du mal à maîtriser le tremblement de sa voix tant elle était stupéfaite par ce qui venait d'arriver. De plus, l'état dans lequel se trouvait la jeune fille la terrifiait. La robe blanche bien que trop transparente à son humble avis n'était pas la première chose qui attirait son attention, mais plutôt ces multiples bleus et hématomes qui jonchaient ce corps d'un aspect famélique.

-Ne restons pas là, elle va attraper froid. Déclara Kyoshiro. Allons chez moi, je pense avoir tout ce qu'il faut à l'appartement pour m'occuper de ses blessures. Viens Sakuya !

Sans un mot elle suivit son petit ami en maintenant le parapluie au dessus du corps blessé de Yuya.

L'appartement de Kyoshiro se trouvait à dix minutes à pieds mais ils y parvinrent en seulement cinq minutes. Il y avait urgence. Arrivés devant l'immeuble ils empruntèrent les grandes portes et s'engouffrèrent dans l'ascenseur à destination du cinquième étage.

-Sakuya, fais couler un bain. Ordonna Kyoshiro quand ils pénétrèrent dans le grand appartement.

-Oui !

Seulement quelques minutes plus tard il déposa son précieux et léger fardeau dans la baignoire sans lui retirer sa robe. Le contraire lui aurait semblé trop irrespectueux, que ce soit envers la jeune martyre ou sa petite amie.

-Je vais chercher quelques bandes et pommades. Je te la confie.

Avant de quitter la salle de bain il déposa un baiser sur le front de Sakuya.

-Ne t'inquiète pas, tout ira bien. Rappelle toi que je suis un futur médecin.

-J'ai confiance en toi !

Puis il quitta la pièce, les laissant seules. Sakuya reporta son regard sur la jeune femme et écarta des mèches de cheveux qui lui barraient le visage. Elle frémit et retira vivement sa main quand elle aperçut les yeux de Yuya papillonner et s'ouvrir doucement. Des yeux émeraude assez ternes se plantèrent dans le regard sombre de Sakuya.

-Où…où suis-je ? Bredouilla Yuya.

-Tu es en sécurité dans la maison de Kyoshiro. Répondit Sakuya avec un sourire chaleureux. Tu te sens mieux ?

-Je…je crois.

Yuya avait eu si froid à courir presque nue sous la pluie. Bien qu'on fût en plein été, les torrents d'eau qui s'étaient déversés sur elle pendant plusieurs heures avait pénétré son corps tout entier glaçant sa chair et ses os. Elle avait fini par capituler en sombrant dans les bras d'un inconnu. Et voilà qu'elle reprenait connaissance au milieu d'un bain chaud qui lui faisait merveilleusement du bien. Elle observait avec attention et suspicion la jeune femme brune agenouillée devant elle. Elle ne semblait pas lui vouloir du mal. Peut-être pouvait-elle alors lui faire confiance. Mais lorsque Kyoshiro pénétra de nouveau dans la salle de bain elle se crispa et tourna vers lui un regard apeuré.

-Oh je vois que tu as repris connaissance. S'exclama ce dernier joyeusement. J'espère que ce bain t'a fait du bien, tu avais grand besoin de te réchauffer.

Pendant qu'il parlait il installa son nécessaire médical sur un petit meuble. Il sentait peser sur lui le regard anxieux de leur invitée surprise.

-Tu n'as aucune crainte à avoir. Sakuya et moi faisons des études de médecine. Pour le moment je ne suis que pharmacien, mais j'ai grand espoir de devenir un jour le meilleur médecin de tout le Japon.

-Oui c'est vrai. Renchérit Sakuya. Pour ma part je ne pense pas être très douée pour ce domaine, mais Kyoshiro excelle dans tout ce qu'il entreprend.

-Je vois. Murmura Yuya qui tâchait de se détendre.

Rassurée par l'expression de la jeune femme blonde, Sakuya se leva.

-Je vais aller te chercher quelques uns de mes vêtements. Je reviens tout de suite.

Elle sortit à son tour. Seul avec Yuya, Kyoshiro poursuivit son monologue afin de ne pas l'effrayer par un silence trop pesant.

-Sakuya et moi sommes ensembles depuis deux ans, mais nous ne vivons pas sous le même toit. Mais j'ai un colocataire. Il n'est pas là cette nuit, il ne rentrera que demain soir. Tu passeras la nuit ici. De toute façon, dans ton état…

Mais il ne termina pas sa phrase. Yuya venait de se redresser et posait un pied sur le tapis de bain. Kyoshiro lui tendit aussitôt une serviette quand Sakuya entra dans la salle de bain des affaires dans les mains.

-Est-ce que…bredouilla Yuya sentant les larmes lui monter aux yeux. Est-ce que je pourrais rester seule un instant…s'il vous plaît ?

Le jeune couple de ne se fit pas prier et déserta la salle de bain en prenant bien soin de refermer la porte derrière lui.

Yuya s'approcha du miroir qui ornait le mur au dessus du lavabo et sentit son cœur bondir dans sa poitrine quand son reflet lui apparut. Elle était pâle comme la mort et ses yeux cernés lui donnaient l'impression d'être un cadavre vivant. Ses joues étaient creusées et sa peau était d'une couleur insipide, sans vie. Tout son aspect lui inspirait qu'horreur et dégoût. Elle ne se reconnaissait pas. Elle ne ressemblait plus en rien à la jeune fille pimpante et pleine de joie d'il y a six mois. Son âme était morte le jour où cet homme l'avait kidnappé, tourmenté, battu, presque violé, jour après jour. Mais elle était finalement parvenue à s'enfuir…Elle avait couru avec ce qui lui restait de force et de vie, guidé par un instinct de survie et d'espoir. Elle était en vie. Brisée, mais en vie.

Elle se contempla encore quelques instants laissant des larmes amères couler le long de son visage. Comment pourrait-elle se reconstruire après une telle épreuve ? Cet individu fou avait brisé son corps et son âme faisant d'elle la plus malheureuse de toutes les femmes. Mais quand on s'appelait Yuya Shiina on se devait d'être plus forte que ça. Elle n'avait pas le droit de se laisser aller de la sorte, mais pour le moment c'était trop dur. Elle aurait besoin de temps et de patience pour à nouveau faire pleinement confiance aux humains et se reconstruire.

Se souvenant de l'endroit où elle était elle renifla, essuya ses larmes et entreprit de se sécher avant d'enfiler les vêtements prêtés par Sakuya. Un simple jogging avec un tee-shirt noir. Ce serait amplement suffisant pour cette nuit. Elle attrapa un élastique qui traînait dans un coin et s'attacha les cheveux à la va vite. Elle respira un bon coup et rejoignit ses sauveurs dans le salon.

Kyoshiro et Sakuya se levèrent du canapé à son entrée et lui offrirent leur plus beau sourire afin de la mettre en confiance. Avant qu'ils n'aient eu le temps d'émettre le moindre son Yuya avait commencé à parler fixant sur eux un regard sans vie et lointain.

-Merci de m'avoir amené chez vous et pris soin de moi…Je vous dois beaucoup…mais je pense que je devrais partir maintenant. Je ne voudrais pas être une gêne pour vous.

Yuya leur était reconnaissante de l'avoir recueilli mais elle ne les connaissait pas et elle ne voulait pas être un fardeau pour eux.

-Je n'ai pas encore soigné tes blessures. Dit gentiment Kyoshiro en lui offrant une chaise pour s'asseoir. Assieds-toi, je vais regarder à tout ça et ensuite je te montrerai la chambre où tu pourras passer la nuit.

-Mais…

-Nous n'allons pas te laisser repartir sous cette pluie à une heure aussi avancée. C'est trop dangereux.

-Kyoshiro a raison. Renchérit Sakuya. Tu devrais passer la nuit ici. Je serai très inquiète si tu repartais maintenant.

Vaincue pas les arguments de ses hôtes Yuya acquiesça d'un hochement de tête. Elle prit sur elle pour ne pas fuir quand Kyoshiro s'approcha d'elle avec sa trousse de soins et qu'il apposa de la pommade sur ses divers hématomes.

-Quel est ton nom ? Demanda alors celui-ci pour la distraire de ses pensées.

-Je m'appelle Yuya Shiina.

Yuya ne parut pas remarquer Kyoshiro se figer ni même échanger un regard abasourdi avec Sakuya. Tous deux avaient eu vent d'une histoire sordide qui s'était passée il y a de cela six mois. Une jeune fille avait disparu à Tokyo par un beau matin d'hiver et personne n'avait su ce qui s'était réellement passé. L'enquête policière avait cependant conclut à un enlèvement.

-Enchanté Yuya, moi c'est Kyoshiro et ma petite amie c'est Sakuya, mais je crois que tu l'avais déjà compris. Dit-il dans un sourire afin de faire disparaître l'étonnement qui marquait son visage.

Yuya ne se sentait pas la force de leur adresser ne serait-ce qu'un maigre sourire. Sa joie de vivre et ses sourires avaient disparu le jour où sa vie avait basculé dans l'enfer et le néant.

-Dans quelle ville sommes-nous ? Demanda-t-elle soudainement.

-Nous sommes à Kyoto. Répondit aimablement le jeune homme.

Kyoto. Yuya faillit s'étrangler à cette révélation. L'expression furtive qui se peigna sur son visage disparut rapidement mais n'échappa pas à l'œil de Kyoshiro. Elle était à plus de 500 kilomètres de chez elle. Elle était si loin. Comment ferait-elle pour rentrer chez elle sans un seul sou en poche ?

Ils échangèrent quelques banalités et quand Yuya fut entièrement pommadée et pansée, Sakuya la guida jusqu'à la chambre d'ami.

-Si tu as besoin de quoique ce soit Yuya, appelle nous. Notre chambre est juste à côté. Celle d'en face appartient à Kyo, mais il n'est pas là cette nuit alors tu n'as pas à t'en faire.

-Kyo ? Répéta machinalement Yuya tout en balayant la chambre du regard.

-Oui, Kyo est le meilleur ami de Kyoshiro. Il ne rentrera que demain soir. Je te souhaite une bonne nuit Yuya. Repose-toi bien.

Une fois seule, Yuya ferma la porte à double tour et avança jusqu'au lit où elle se laissa tomber dessus tel un poids mort. Mais c'était réellement le cas. Elle n'était qu'un zombie. Elle se sentait si lasse et dépourvue d'énergie. Parviendrait-elle à trouver le sommeil ? Elle se glissa cependant dans les draps braquant des yeux fatigués sur le plafond. Une quantité d'images et de souvenirs atroces se bousculaient dans sa tête mais elle tenta désespérément de les chasser. Il fallait oublier, tout oublier. Mais comment ? A force de chercher une solution qui n'existait probablement pas elle ne réalisa même pas qu'elle avait fermé les yeux et qu'elle avait glissé bien malgré elle dans les bras de Morphée.

Dans la chambre d'à côté, enlacés tendrement l'un contre l'autre, Kyoshiro et sa dulcinée se posait mille et une question au sujet de Yuya. Sans le savoir ils avaient retrouvé et secouru cette jeune fille que tout le monde pensait morte. Elle semblait si triste, si perdue, si terrifiée. Ils allaient l'aider autant que possible. Ils n'avaient aucune idée de ce qu'elle avait traversée mais ils s'étaient mis d'accord sur le fait qu'elle pourrait rester autant qu'elle le voudrait.

Cependant, un détail taraudait Sakuya. Elle craignait le retour de Kyo et la rencontre avec la petite blonde. Elle confia ses doutes à Kyoshiro qui lui assura qu'elle n'avait aucune raison de s'inquiéter à ce sujet. A son retour il parlerait sérieusement à son ami et l'obligerait à se montrer courtois et amical avec Yuya. Mais il s'agissait de Kyo alors rien n'était moins sur. Kyoshiro se mordilla la lèvre inférieure avant de se dire qu'il n'y pouvait rien pour le moment. Il se laissa happer par le sommeil sa belle dans les bras.

Demain serait un autre jour…