Auteur: Ariani Lee

Fandoms: Losts Souls? / The Walking Dead

Disclaimer: Les personnages de Lost Souls ? appartiennent à leur adulée créatrice, Poppy Z. Brite, et l'univers de The Walking Dead à Robert Kirkman. Ecrit pour l'event « Apocalypse Now ! » sur la Plume de Clio. Ce texte est un AS ( pour Alternative Situation, j'ai inventé un genre nouveau dans le Xover, mouahahah !).

Bêta-lecture : Lyly [u]

Personnages:Steve Finn,Ghost, Nothing, Twig et Molochaï.

Résumé: L'espèce humaine s'éteint, ravagée par une pandémie dévastatrice. La maladie n'a pas de nom connu, les autorités n'ont pas eu le temps d'en trouver un ou de le communiquer. Personne n'est immunisé, personne n'est à l'abri. Parmi les rares humains qui survivent encore tant bien que mal, terrifiés à l'idée de perdre une personne de plus, nous retrouvons un jeune homme dur, en colère contre le destin, un garçon pâle aux étranges pouvoirs, et un vampire…

UNDEAD / Première partie

Ghost avait prédit ce qui allait se produire.

Nothing le savait parce Steve le lui avait expliqué, en même temps que tout le reste.

L'histoire, au fond, n'était ni très longue ni vraiment compliquée. Juste complètement délirante. Nothing se raisonnait en repensant à sa propre nature. Après tout, il était un vampire au XXIème siècle, alors pourquoi pas ça ? Mais ça ressemblait tellement à un scénario de film catastrophe que même pour lui, la situation était parfaitement surréaliste.

Trois années avaient passé depuis la dernière fois qu'il avait vu Steve et Ghost quand tout avait commencé. C'était allé très vite. Un beau matin, après avoir passé quelques jours enfermés avec ses deux acolytes à boire comme des trous et à baiser jusqu'à n'en plus pouvoir, Nothing s'était réveillé et c'était la fin du monde. Des gens couraient en tous sens, hurlant de peur, alors que d'autres personnes dont la démarche raide et le teint grisâtre disaient long sur l'état de santé, tentaient de se saisir d'eux. Perché dans leur chambre d'hôtel, Nothing avait tout observé depuis la fenêtre. La situation s'était dégradée à une vitesse ahurissante. Les rues s'étaient jonchées de cadavres éviscérés ou rongés jusqu'aux os. L'odeur du charnier montait jusqu'à lui la puanteur grasse et écœurante de la viande pourrissant au soleil, difficilement supportable pour son odorat de vampire, mêlée à celle pire encore, lourde et suffocante, du sang vicié. C'était assez puissant pour lui retourner l'estomac.

Ce soir-là, pour la première fois de sa vie, Nothing avait allumé la télévision pour regarder les informations, mais toutes les chaînes affichaient des messages d'excuses pour le dérangement. Il s'était alors rabattu sur la radio, et n'avait réussi à entendre que quelques flashes spéciaux. Cela parlait de pandémie, d'échelle mondiale, de contagion par simple contact et de panique collective, cela disait aux citoyens des Etats-Unis d'Amérique de s'enfermer chez eux avec autant d'eau potable et de vivres qu'ils pourraient en trouver et de rester à l'abri en attendant les directives du gouvernement. Ces émissions avaient été les dernières, il n'y avait plus rien eu après ça. Rien que des parasites crépitant sur les ondes. En écoutant ce grésillement, ce silence radio qui faisait penser à la neige qui envahissait les écrans des télévisions quand celles-ci ne captaient plus rien, Nothing s'était demandé si le gouvernement n'était pas quelque part en train de se faire bouffer par les malades ou de crever la gueule ouverte, lui aussi.

Puis à l'aube, il avait vu un cadavre bouger dans la rue.

Ce n'était pas un survivant, ça ne pouvait pas l'être, parce que son abdomen était vide – ce n'était plus qu'une carcasse sanguinolente avec des lambeaux de T-shirt d'une couleur indéfinissable. Et pourtant c'était debout et ça avait commencé à bouger. Un pied devant l'autre, la démarche saccadée, ce qui restait d'entrailles dégoulinant le long de ses jambes et salopant un peu plus le bitume.

Ses deux compagnons étaient encore en train de cuver leur champagne, endormis dans le lit, tandis que Nothing regardait, médusé, partagé entre horreur et incrédulité, le répugnant spectacle qui se déroulait dans la rue éclairée par le soleil naissant. Les morts se réveillaient, lentement. Ceux qui avaient encore deux jambes pour se tenir debout s'étaient mis à marcher, les autres à ramper, à se traîner sur le sol à la force des – ou du – bras. A ce moment-là, Nothing avait su ce qu'il voulait faire, ce qu'il allait faire.

Retrouver Ghost et Steve.

L'envie de retourner à Missing Mile n'avait jamais quitté le jeune vampire. Trois années s'étaient écoulées depuis leur rencontre. Il aurait pu le faire, rien ne l'en aurait empêché, mais il s'était abstenu. Parce qu'il ne pouvait pas s'empêcher de redouter les conséquences que sa présence aurait pu avoir pour eux.

Nothing était convaincu que, d'une manière ou d'une autre, il portait malheur. Sa vie n'avait été qu'une longue suite de morts violentes, tous les gens qui avaient compté pour lui avaient péri dans des circonstances affreuses. La première chose qu'il avait faite en venant au monde avait été de tuer sa mère. Quelques années plus tard, il avait assisté et même pris part au meurtre de Laine, un garçon aussi paumé qui lui et qui avait néanmoins été le seul être humain à vouloir le comprendre, à l'aimer sincèrement. C'était son grand-père qui était mort ensuite, puis Christian, et enfin Zillah.

Zillah avait compté pour lui, c'était indéniable. Il avait été son amant, son père, il lui avait appris ce qu'il était, qui il était. Même si au bout du chemin Nothing s'était rendu compte que Zillah ne l'aimait pas, que Zillah était incapable d'aimer quelqu'un d'autre que lui-même. Même s'il en était venu à presque le détester après avoir ouvert les yeux sur quelques-unes des très nombreuses raisons qui faisaient de lui quelqu'un de haïssable, même si Nothing avait eu le cœur brisé en comprenant que son père n'avait fait que le manipuler. Même si Zillah avait été cet enfant de salaud, cruel et méchant et égoïste avec un cœur de pierre, il avait compté pour Nothing et il était mort. Pour lui, savoir qu'au fond son père n'avait fait que payer pour ses actes ne changeait rien. Il devait forcément y être pour quelque chose…

Du fond du cœur et du fond de son âme, Nothing tenait bien trop à Ghost pour prendre le risque de l'exposer à ça. Quant à Steve, même s'il ne pouvait pas et ne pourrait jamais lui pardonner d'avoir tué Christian… il savait que Ghost serait fou de chagrin s'il devait lui arriver quelque chose. Et aussi parce qu'à son corps défendant, une partie de lui se sentait solidaire du jeune homme. Il savait pourquoi Steve avait fait ça, il le comprenait et pensait que s'il l'avait pu, il aurait fait la même chose. Oui, s'il n'y avait pas eu Ghost, Nothing aurait peut-être bien tué Steve Finn. Mais en même temps, il n'était pas sûr qu'il s'en serait pour autant senti mieux. Il doutait fort que la mort de Zillah lui ait apporté le moindre réconfort. Peut-être était-il un peu moins en colère, mais il n'aurait pas non plus parié là-dessus. Ce qu'il avait vu de Steve et ce qu'il savait de lui avait montré avec beaucoup de clarté que son péché était précisément la colère. C'était un éternel enragé et c'était bien pour ça que lui et Ghost avaient tellement besoin l'un de l'autre. Ghost avait besoin des nerfs de Steve, de son énergie et de sa force, de sa tangibilité pour s'ancrer dans le monde réel et ne pas se perdre. Steve, lui, avait besoin du calme et de la sérénité de Ghost, sans qui il aurait probablement fini en prison dès qu'il aurait eu l'âge d'y aller, pour meurtre ou quelque chose dans ce genre-là.

Nothing savait que Steve ne pouvait pas être heureux, qu'il en était tout simplement incapable. Aussi estimait-il qu'il était assez puni pour ce qu'il avait fait… Rien n'aurait pu lui ramener Christian, de toute façon…

Mais à ce moment-là, il doutait que sa présence ait pu mettre Steve et Ghost plus en danger qu'ils ne l'étaient déjà. Les vampires ne pourraient de toute façon pas rester où ils étaient pendant longtemps, il leur faudrait forcément se déplacer à un moment où à un autre, aller quelque part, n'importe où. Ce serait donc Missing Mile. En priant pour ne pas trouver la vieille bicoque vide en arrivant, ou pire. La simple pensée de Ghost mort ou dans cet état lui donnait la nausée.

Quand Twig et Molochaï avaient émergé, encore pas mal dans le cirage, Nothing leur avait expliqué la situation en quelques mots et leur avait annoncé sa décision de partir. Les deux vampires n'avaient pas bronché, ils s'étaient levés et s'étaient simplement préparés à partir.

Ils avaient été pendant des décennies les fidèles compagnons de Zillah et suivaient à présent Nothing avec la même loyauté indéfectible, la même confiance aveugle – bien que dans leur cas, c'eut tout aussi bien pu n'être que de l'inconscience. Jamais Nothing n'avait eu l'impression de les voir réfléchir à quelque chose. Leur absence de réaction face à ce qui se passait ne faisait que le conforter dans cette idée. En réalité, ils s'en fichaient. Ils étaient blasés. Peut-être, peut-être… Peut-être vivaient-ils depuis trop longtemps.

Ils avaient quitté l'hôtel sans croiser âme qui vive ni mort-vivant, par un escalier de secours qui donnait sur la ruelle où était garé leur van – une habitude que Nothing avait prise et conservée de Zillah et qui se révélait utile. Car à peine s'étaient-ils engagés sur la route que les créatures qui s'y trouvaient convergeaient lentement vers eux. Une de celles à côté desquelles ils étaient passés avait tiré mollement sur la poignée de la portière côté conducteur. Celle-ci était fermée, bien sûr, mais Nothing avait croisé le regard du zombie, et ses mains s'étaient spasmodiquement crispées sur le volant.

Les yeux de la morte l'avaient regardé sans le voir. Le blanc était injecté de sang et les iris, trop larges et encerclant une pupille minuscule, étaient d'un vert pâle et vaguement fluorescent qui ne pouvait pas être naturel. L'être qui avait jadis été une femme n'était plus qu'une enveloppe qui marchait, sans âme – morte. Ça n'avait plus rien d'humain.

Ils avaient quitté la ville en roulant aussi vite que le leur permettait la camionnette – elle n'était pas de première jeunesse. Ils avaient roulé longtemps, sur les routes désertes seulement hantées par quelques créatures qui se tournaient vers eux quand ils passaient mais n'essayaient pas de les poursuivre.

Twig et Molochaï dormaient sur le matelas à l'arrière et Nothing, les yeux fixés sur la route, réfléchissait. Il se demandait quels effets cette maladie pourrait avoir sur leurs organismes de vampires. Ils avaient un système immunitaire extrêmement résistant et ils guérissaient à une vitesse extraordinaire – il n'avait pas oublié le visage de Zillah, aussi lisse et beau que le jour où il l'avait vu pour la première fois, quelques nuits à peine après que Steve l'ait défiguré à coups de batte de base-ball.

Mais il n'avait pas non plus oublié l'effet qu'avait eu sur lui le sang malade de Wallace Creech. Il avait cru mourir de douleur et d'écœurement. Cette maladie-là… Il était certes possible qu'ils ne puissent pas la contracter… mais il ne prendrait pas le risque. Il ne voulait même pas penser à ce que ça pourrait lui faire. Il lui semblait encore entendre les remontrances exaspérées de Christian, ce soir-là – N'avez-vous ni goût, ni odorat ? Parce que si son cancer était avancé au point de vous rendre tous malades à ce point, Wallace Creech devait avoir l'odeur d'une tombe fraîche ! – et cela aurait suffi à lui ôter toute envie d'essayer.

Mais Twig et Molochaï ne voyaient pas aussi loin, ou ne se souvenaient pas aussi bien, et Nothing avait rapidement appris qu'il se trompait.

Deux jours après qu'ils aient quitté la ville, Nothing s'était mis à guetter le bord de la route en quête d'une station-service qui n'eut pas été envahie par les créatures. Quand enfin il en avait trouvé une, il avait aussi trouvé le premier survivant qu'il avait vu depuis le début de toute cette histoire.

Il y avait déjà un moment qu'il guettait avec angoisse la présence d'un être humain encore en vie. Non seulement à cause de la faim qui commençait à se faire sentir, mais aussi parce qu'il avait de plus en plus peur pour Ghost et pour Steve. Lorsqu'il avait vu l'homme, certes pâle et pas l'air très en forme, qui leur faisait signe depuis les pompes à essence, il avait été intensément soulagé.

Ils n'avaient échangé que quelques mots. L'homme s'appelait Oswald et semblait mal en point, il transpirait abondamment et sa voix était éraillée mais il était bel et bien vivant, conscient. Nothing n'avait pas eu l'occasion de discuter davantage avec lui car ses deux compagnons avaient débarqué par l'arrière du van et s'en étaient emparés. Twig l'avait empoigné par les cheveux et lui avait violemment tiré la tête en arrière avant de lui arracher la gorge – réellement arracher – avec ses dents et de boire au flot de sang épais et sombre qui avait jailli de la blessure. Molochai avait pris un des poignets de l'homme pour s'y abreuver et tendu l'autre à Nothing, le regard interrogateur.

Le jeune homme, toujours assis derrière le volant, avait été partagé entre la consternation et l'inquiétude. Il avait secoué la tête et Molochaï avait laissé retomber l'autre bras d'Oswald. Le pauvre gras était déjà mort ou ne valait guère mieux, il était trop tard pour intervenir, et Nothing n'était pas assez affamé pour prendre le risque de s'intoxiquer. Ça avait réellement été une expérience traumatisante, et après tout il avait vécu pendant quinze ans sans se nourrir de sang. Ça ne lui aurait pas plu mais il aurait très bien pu le refaire. Il préférait ça au sang d'un homme qui avait l'air d'être malade comme un chien, et dont la couleur marron n'était guère engageante, alors il avait attendu que les deux autres aient fini. Ils avaient repris la route en abandonnant sur place le cadavre exsangue, après avoir fait le plein et rempli un demi-jerrycan de ce qu'il restait d'essence dans les pompes. Nothing avait également emporté de la nourriture. Pas grand-chose, l'endroit était désert et avait apparemment déjà été visité plusieurs fois. Twig et Molochaï, repus et apparemment un peu barbouillés, s'étaient rendormis sur le matelas pendant que Nothing conduisait en mâchant des rondelles de banane séchée. Pas qu'il eut aimé la banane, en vérité, mais il n'avait pas vraiment eu le choix et s'il devait rouler jusqu'à Missing Mile, il ne pouvait pas le faire l'estomac vide.

Nothing avait rapidement appris que la maladie ne faisait pas que relever les morts. Oswald avait été porteur du virus, apparemment, et ce dernier était passé dans son sang avec des conséquences évidentes. Twig et Molochaï étaient tombés malades. Bien sûr.

Le virus ne les avait pas tués, ne les avait pas vraiment changés en zombies non plus. Mais ils étaient devenus complètement tarés – encore plus qu'avant, quoi. Ils avaient commencé à s'entredévorer, sous le regard horrifié de Nothing. Il avait fini par être obligé de les abandonner en route, d'une part parce qu'il n'avait pas le cœur à les tuer, et d'autre part parce qu'ils étaient nettement plus vifs que les mort-vivants et que Nothing ne se donnait pas gagnant dans un combat contre eux deux. Ils étaient trop dangereux. Trop dangereux pour lui, et pour Ghost et Steve s'ils étaient encore en vie à son arrivée à Missing Mile.

Quand Nothing avait débarqué devant la vieille maison, un peu moins d'une semaine plus tard, étourdi de faim et de fatigue, il avait cru être victime d'une hallucination en voyant Ghost, assis sous le porche, qui se levait et venait vers le van. Il avait ouvert la porte et dégringolé de la camionnette sans même couper le contact. Ghost l'avait quasiment reçu dans ses bras et Nothing l'avait serré contre lui de toutes ses forces – Ghost, Ghost, Ghost, Ghost en vie. Étreindre son corps frêle, enfouir son visage dans la soie de ses cheveux translucides… Nothing avait senti le soulagement gonfler ses yeux de larmes.

Puis Ghost avait appelé Steve, et quand le guitariste s'était encadré dans l'ouverture de la porte, le vampire avait compris que réellement, il n'était ni en train de rêver ni d'halluciner.

- Putain de bordel de merde ! Avait juré Steve avec sa poésie habituelle. T'avais raison !

Ils l'avaient emmené à l'intérieur en le soutenant et l'avaient installé dans un fauteuil. Affaissé contre le dossier, Nothing les avait regardés tout fermer soigneusement. Ils avaient verrouillé plusieurs loquets, serrures et sécurités qui d'après ses souvenirs ne s'étaient pas trouvés là lors de sa précédente visite, avant de barrer la porte à l'aide d'une planche massive sans même avoir l'air d'y penser, comme si tout cela avait été un rituel bien rôdé. Il avait regardé autour de lui, curieux, et découvert les fenêtres fermées elles aussi, verrouillées, oblitérées par les volets et barricadées. Steve et Ghost évoluaient avec une facilité née de l'habitude dans cet intérieur bizarre, malgré l'obscurité crépusculaire qui y régnait. Une poussière légère voletait dans l'air, pailletant d'argent l'or des quelques rais de la lumière de fin d'après-midi qui parvenaient à filtrer à l'intérieur.

Nothing avait été tiré de sa contemplation et de ses extrapolations par Steve qui lui avait offert un grand verre plein d'un liquide rouge et épais. Il avait eu du mal à en croire ses yeux mais Ghost avait mit un terme à son incrédulité muette.

- C'est celui de Steve, avait-il dit d'une voix où perçait son émotion.

Le vampire avait levé les yeux vers le guitariste et leurs regards s'étaient croisés. Celui de Steve n'était guère amène, mais Nothing savait qu'il ne le portait pas dans son cœur. Il avait ses raisons, tout comme Nothing avait les siennes de ne pas l'aimer non plus, mais cela ne l'empêchait pas de reconnaître une main tendue quand il en voyait une. Et par les temps qui couraient, personne ne pouvait s'offrir le luxe de refuser une telle chose. Il fallait se concentrer sur le présent et Christian, tout comme Ann, appartenait désormais à un passé qu'il fallait laisser derrière, essayer d'oublier. Steve avait fait le premier pas, et Nothing avait accepté le verre qu'il lui tendait en disant merci.

Steve était allé prendre place dans le divan d'en face, à côté de Ghost qui semblait soulagé. Nothing avait avalé le contenu du verre en quatre longues gorgées qui avaient un arrière goût âcre d'herbe et de whisky, incapable de s'arrêter, puis s'était laissé aller à une torpeur reconnaissante contre les coussins du vieux fauteuil. Il y avait plus de deux semaines qu'il n'avait plus chassé et ne s'était plus nourri. Le sang courait dans son organisme, dispensant ses bienfaits à ses cellules affamées.

- Ghost disait que tu viendrais, avait dit Steve. Alors on a commencé à se prélever du sang, en petite quantité. Y en a encore au frigo.

- On a évité de mélanger, on savait pas si ça risquait pas de te rendre malade.

Nothing avait hoché la tête, la gorge serrée de reconnaissance, puis les deux amis avaient commencé à lui raconter toute l'histoire. Nothing les avait écoutés en les observant plus attentivement.

Ghost n'avait absolument pas changé, il était le même que la dernière fois où il l'avait vu. Toujours aussi mince, toujours aussi pâle, les mêmes cheveux d'un blond presque blanc, les mêmes yeux délavés au regard vieux de plusieurs siècles quand il n'avait jamais que vingt-cinq ans. Son éternel chapeau de paille était posé sur le dossier du divan, à côté d'une chemise jetée là et qui devait appartenir à Steve. Seuls les rubans semblaient un peu plus fanés que la dernière fois.

Steve, par contre, accusait le poids des années, de l'alcool et des horreurs qu'il avait vécues. Ses cheveux étaient trop longs, prématurément filés d'argent, des rides profondes s'étaient creusées aux coins de sa bouche, de ses yeux et sur son front, une légère couperose marquait la peau de son visage. Il était plus maigre aussi, ses joues s'étaient creusées. Nothing se sentait coupable vis-à-vis de lui. Il allait mal, il était très affaibli et pourtant il avait donné son sang pour lui. Ou pour que Ghost ne le fasse pas seul, ce qui serait sans doute arrivé dans le cas contraire. Mais dans un cas comme dans l'autre, le jeune homme aurait voulu pouvoir rendre à Steve sa force d'autrefois. En écoutant leur récit, il avait compris qu'en réalité le problème ne venait pas de là. Steve était juste à bout, trop fatigué de ces histoires, et il n'avait plus aucune envie de se battre.

Ghost avait prédit ce qui allait se produire. Steve avait expliqué à Nothing que Ghost avait commencé à faire des cauchemars quelques semaines avant le début de tout ce bordel. Bien sûr, Ghost avait toujours fait et ferait toujours des cauchemars, des cauchemars atroces qui auraient poussé n'importe quel être humain normalement constitué à se suicider pour ne plus jamais rêver. Mais c'était différent. Ce n'étaient pas des songes qu'un esprit ou un fantôme venait lui semer dans l'esprit au moment où il s'endormait, pas de ces visions que les morts qui se rassemblaient autour de lui lui faisaient avoir, pour le torturer ou simplement pour qu'il sache. Ghost s'était réveillé plusieurs fois tétanisé, ou en proie à de véritables terreurs silencieuses. Il avait rêvé de ce qui allait arriver, il avait vu les gens dévorés vivants par des créatures qui semblaient humaines ou malades jusqu'à crever, il avait vu les morts se relever et marcher. Il avait vu la maladie ravager la terre entière jusqu'à ce qu'il ne reste presque plus personne.

Il avait rêvé longtemps avant d'en parler à Steve. Quand il l'avait fait, le guitariste n'avait pas voulu le croire, il n'avait pas pu. Steve estimait qu'il avait vu assez d'horreurs comme ça, il avait perdu Ann, avait été témoin de choses impossibles – même si le mot « impossible » devenait très relatif quand on connaissait Ghost depuis si longtemps. Mais Steve avait nié pendant longtemps que cela allait arriver, comme si le refuser avait pu l'empêcher. Cependant, il avait accepté de faire ce que Ghost voulait, pour le rassurer. Parce que Ghost effrayé, c'était bien le putain de truc le plus flippant qu'il pouvait imaginer.

Alors il avait dévalisé le supermarché le plus proche pour acheter des vivres en se disant que ça servirait toujours, il avait barricadé les fenêtres, condamné la porte de derrière et acheté des munitions en quantité. Quelques jours plus tard, à peine, ils avaient commencé à en entendre parler aux infos. Encore deux jours et le virus touchait Missing Mile.

Steve voulait partir, prendre la route, bouger, mais Ghost avait refusé, du moins pas tout de suite. Il disait que Nothing allait venir, et il avait commencé à se tirer du sang. En petites quantités, progressivement, parce que d'après lui, il serait mort de faim – mais c'était une question de pure logique en l'occurrence, pas besoin d'être médium pour deviner qu'un vampire ne pouvait pas tenir bien longtemps dans ces conditions. Steve s'y était mis aussi, parce qu'il ne voulait pas que Ghost s'épuise davantage. Les cauchemars l'avaient déjà méchamment affaibli, il ne voulait pas qu'il se ruine à faire ça. Et ce matin, Ghost était sorti s'assoir devant la maison. Ils n'étaient pas trop dérangés par les zombies parce que la baraque était isolée et que les rôdeurs, comme ils les appelaient, tendaient à se rassembler dans des endroits qui étaient plus peuplés.

- Je me suis assis sur les marches pour t'attendre, avait terminé Ghost. Et tu es arrivé.

Un lourd silence s'était abattu sur le salon. La nuit était tombée et Nothing se demandait ce qu'ils allaient bien pouvoir faire, à présent.