Eté 1988.
A quelques kilomètres de la belle cité d'Edimbourg, quelque part dans le Lothian, dans un petit recoin caché entre deux collines, se trouvait un petit cottage. Aucune route n'y menait, seulement un petit chemin à travers les broussailles qui zigzaguait dans la plaine, comme un serpent. Par beau temps, il était très visible et plaisant à arpenter. Parfois longeant la côte, parfois s'enfonçant dans les bois, on se perdait avec plaisir dans les magnifiques paysages écossais qu'il nous faisait traverser. En revanche, si le temps venait à tourner à l'orage, alors quiconque empruntait ce petit sentier était sûr de se perdre et de ne jamais retrouver son chemin jusqu'au petit cottage de pierre.
Une fois son seuil franchi, il était impossible de ne pas noter le contraste entre la clarté solaire qui régnait à l'extérieure, et la pâle et froide lumière dans laquelle baignaient toutes les pièces de la demeure. Tandis que le vent soufflait dehors en ce doux matin d'été, aucun son ne se faisait entendre à l'intérieur. Ce silence, presque mélodieux, était régulièrement brisé par le bruit d'une gouttelette d'eau sur la vaisselles sales de la veille laissée dans l'évier, par le frottement des pages d'un livre, ou encore par le léger cliquetis des aiguilles à tricoter, près de la cheminée.
L'âtre fumait encore du feu de la veille, mais aucune chaleur, aucune lumière ne s'en dégageait. Tout près, dans un vieux fauteuil usé et rongé par les mites, dormait paisiblement un jeune garçon. Il n'avait sans doute pas plus de dix ans. Brun, les cheveux en bataille, il était recouvert d'une épaisse couverture cousue en un patchwork de tissus colorés. Il respirait doucement, régulièrement, sans qu'aucune de ses inspirations se vint rompre le sentiment de paix qui se dégageait de ce charmant tableau.
Soudain, un craquement sonore résonna dans toute la maison. Bien qu'aucun bruit ne le suivit vraiment, le calme avait été brisé à jamais. Le jeune garçon enfouit sa tête dans la couverture, les aiguilles à tricoter s'arrêtèrent de tricoter, les gouttes d'eau s'arrêtèrent de goutter, et tout semblait attendre que quelque chose se passe. Ce qui ne manqua pas d'arriver. Un homme d'une quarantaine d'années, grand, quelque peu dégarni et vêtu d'une longue cape noire ainsi que d'une drôle de coiffe pointue fit son apparition dans le salon.
– Debout, dit-il d'un ton las, Thomas debout !
Le jeune garçon se redressa, toujours emmitouflé dans sa couverture, les yeux à demi clos par le manque de sommeille. Le quadragénaire se servit un café qu'il réchauffa en agitant savamment une sorte de brindille au dessus de sa tasse, puis s'installa dans un fauteuil en face de celui où Thomas peinait à se réveiller, et s'apprêtait à débuter la lecture d'un grand journal légèrement jauni. D'un léger geste de la main, l'homme fit sonner un petit clochette dont le tintement sourd et puissant rappelait plutôt celui d'une cloche de cathédrale annonçant l'heure du Jugement Dernier. Cette fois, Thomas eut bien besoin de lâcher sa couverture pour protéger ses tympans. Des plaintes endormies se firent entendre à l'étage, suivies de bruits de pas et quelques minutes plus tard une dizaine d'enfants et de jeunes adolescents descendirent dans le salon en pyjama. Un à un, ils s'installèrent à table. Les plus vieux allaient chercher de quoi nourrir la petite assemblée tandis que les plus petits, encore somnolant, tentaient de distinguer non sans mal leurs cuillères de leurs fourchettes.
Thomas rejoignit les plus grands en cuisine et commença à servir en silence les petits attablés. Bien que son visage soit encore celui d'un jeune garçon, Thomas était plutôt grand pour son âge. Grand et maigre, comme beaucoup de pré-adolescents comme lui. Une fois tout le monde servi, Thomas s'installa devant son bol et commença à déguster avec plaisir son unique toast légèrement beurré ainsi que son chocolat chaud brûlant. Le quadragénaire tourna la tête vers lui, sans pour autant quitter des yeux son journal, et demanda d'un air distrait :
– Depuis combien de temps vis-tu avec nous, Thomas ? Un mois ? Peut-être deux... Et toujours aucune lettre ? Tu es bien sûr d'être inscrit sur les listes de maisons d'accueil ?
Un garçon un peu plus épais que les autres, environ âgé de treize ans, pris la parole pour Thomas :
– Oui m'sieur. J'y ai été avec lui m'sieur. Y'a pas d'doute, il est bien inscrit.
– Bien, bien..., répondit l'homme, ça ne devrait plus tarder alors.
Une petite rouquine, âgée de sept ans tout au plus, et assise en face de Thomas, leva ses grands yeux verts de son bol pour les poser sur lui avec attention.
– Tu pars à Poudlard, Tom ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.
– J'espère bien ! répondit l'homme avec un rire nerveux, avant de poursuivre dans sa barbe : Nous manquerait plus que ça tient, un autre Cracmol !
Thomas répondit en souriant à la rouquine, sans prêter attention à ce qui venait d'être dit :
– Oui, on attend juste que ma lettre arrive. Ensuite Nick m'emmènera à Londres pour que j'achète le matériel scolaire, et puis je prendrai le train.
Le fameux Nick, assis à côté de la petite fille aux cheveux de feu, était le plus âgé du groupe. Tout juste diplômé l'année précédente, il allait rentrer au Ministère de la Magie en tant que secrétaire en même temps que Thomas entrait à Poudlard. Il sourit gentiment à sa voisine de table lorsque Thomas le désigna du menton, mais celle-ci le regarda à peine et se retourna vers son interlocuteur initial :
– Mais alors, reprit-elle, ça veut dire qu'après on se verra plus ?
– J'espère que si ! Et si ce n'est pas ici, ce sera ailleurs ! Toi aussi tu entreras à Poudlard un jour, tu sais.
– Je sais pas. J'espère...
Contrairement à la plupart des jeunes habitants du monde magique, les orphelins des maisons d'accueil étaient rarement sûrs de leurs capacités avant de recevoir leur lettre. La plupart d'entre eux n'avaient jamais réussi à utiliser la magie auparavant. Certains auto-proclamés spécialistes justifiaient ce blocage par un manque d'affection, de stabilité familiale ou encore par le mauvais traitement que beaucoup y recevaient. D'autres, moins connus, l'attribuaient au sentiment de peur et d'insécurité de ces enfants promenés pendant toute leur enfance d'une maison à une autre. Beaucoup d'entre eux doutaient d'être vraiment des sorciers : lorsque l'on ne donnait pas ses parents, on ne sait pas d'où on vient.
Thomas, lui, avait toujours su. Tout jeune déjà, il lui arrivait de faire des choses qu'il ne maîtrisait pas. Alors qu'un garçon plus âgé le martyrisait, il réussissait à disparaître une heure ou deux pour ensuite réapparaître des kilomètres plus loin. Il disait alors qu'il avait juste cherché à fuir aussi loin que possible de son agresseur. De même, il se souvenait lors d'une soirée particulièrement glaciale d'avoir allumé un feu dans la vieille cheminée de sa chambre, et ce sans la moindre difficulté. Il n'en était plus capable désormais. Il lui semblait qu'il maîtrisait moins ses pouvoirs. Un plat en lévitation, une assiette qui explosait avant d'avoir touché le sol, telles étaient les manifestations incontrôlées de sa magie, toujours dépendantes de ses émotions.
L'été venait à peine de commencer, et Thomas attendait avec impatience. Il attendait le jour de sa délivrance, l'annonce de sa libération prochaine. Bientôt, il entrerait à Poudlard, la plus grande école de magie qui ait jamais existé.
