Alors j'en arrive là à me demander si c'est normal et puis j'écris comme ça me viens, parce que mon cher Perceval devait sortir, un jour ou l'autre. Ce personnage-là me bouffait de l'intérieur.

Oh mon Dieu, c'est écrit bizarre ! Ouais, je ne vous le fais pas dire.

Oh mon Dieu, c'est trop le fouillis ! Un truc de fou.

Oh mon Dieu, ce mec me sort par les trous de nez. Moi aussi.

Oh mon Dieu, les lamas volent ! Sérieusement, j'aurais bien aimé en voir un voler, une fois. j'ai jamais eu de chance dans ma vie.


Chapitre 1 : Disséquons, mes amis.

Perceval Louis était un garçon presque normal, à ceci près qu'il avait eu une vie de merde, et que ça n'allait pas aller en s'améliorant. Il n'avait jamais vécu dans un placard et n'avait pas grandi dans un orphelinat sordide, ne s'était jamais fait battre par personne et avait même une sœur, une presque vraie, qu'il attendait tous les soirs à la sortie du collège, malgré le fait que cela faisait beaucoup gueuler cette dernière.

Perceval Louis était un adolescent quasiment comme les autres, à ceci près que tout s'embrouillait dans son esprit. Tous les matins il se levait, et il se couchait tous les soirs en ne se demandant pas ce qu'il allait faire le lendemain, parce que cela devenait floue à partir du moment où il essayait de penser à un quelconque avenir. En gros, Perceval Louis était dans l'adolescence et il se posait certaines questions. Souvent, c'était sur la vie et sur la mort, et il essayait de sourire après ça, mais c'était chaud.

Souvent, aussi, c'était le destin qui le rattrapait, si ce mot avait simplement un quelconque sens.

Souvent, il se demandait ce qu'il foutait là.

Souvent, il se faisait royalement chier.

_ Monsieur Louis, pourriez-vous venir me voir à la fin de l'heure ?

Perceval releva la tête de sa feuille, fixant la prof d'anglais un court instant. Elle était déjà repartie dans un discours sans fin sur les figures de style et les métaphores, les oxymores et d'autres conneries... pas qu'il ne trouvait pas cela intéressant, mais si. En fait, c'était chiant, ça le faisait chier, et ça devait suinter par tous les pores de sa peau.

Ça devait se voir comme le nez au milieu de la figure.

Après tout, c'était perdu d'avance, n'est-ce pas ? Les profs n'arrivaient pas à le saquer de toutes façons.

Alors le reste. S'envole.

_Qu'est-ce qu'elle te veux ? Lui demanda Samuel.

Il haussa les épaules. Comme s'il en avait quelque chose à foutre, de ce qu'elle lui voulait. Un truc en rapport avec son travail, et patati, et qu'il devrait se mettre un peu à bosser, et que ça se contente du strict minimum, et que ça en glande pas deux, et qu'il devait venir la voir s'il y avait un problème à la maison, qu'elle était là, qu'ils pouvaient discuter sans qu'elle n'en parle à personne, qu'il y avait l'assistante sociale pas loin, et est-ce qu'il voulait qu'elle lui prenne un rendez-vous ? Genre.

Perceval poussa un profond soupir et se renfonça contre le dossier de sa chaise. Il en avait marre...

Le reste de l'heure s'écoula dans un sorte de brouillard il fut debout dès que la sonnerie retentit, et alla se poster devant le bureau de la prof :

_Vous vouliez me parler, madame ? Demanda t-il en prenant son air le plus attendrissant.

Il fallait un peu ouvrir les yeux, plus que d'habitude, et puis prendre son petit air compréhensif, style que l'on se sentait impliqué et que l'on reconnaissait l'autorité naturelle du sujet en face de soi.

_Ah oui. Monsieur Louis, dit la prof en prenant appui sur son bureau. Avez-vous conscience de l'approche de la fin du premier trimestre ?

Ah. Oui. Il avait le pif pour sentir ses choses-là.

_Oui, répondit-il laconiquement

Il sentit venir la suite. La professeur, elle, soupira.

_Vous n'êtes donc pas sans ignorer que les conseils de classe approchent... Vous voyez ce que je veux dire ?

Il acquiesça.

_Monsieur Louis, vous avez des... capacités, souffla t-elle. Ce serait dommage qu'elles soient gâchées à ce point. Au niveau de vos résultats, à ce jour, nous ne pouvons que songer à une ré-orientation, vous comprenez ? A moins que nous ne remarquions des changements notoires, c'est la seule possibilité qui s'offre à vous. J'ose imaginer que vous ne souhaitez pas cela ?

Il balbutia quelque chose en retour, les yeux désormais rivés sur le sol.

_Monsieur Louis, c'est de votre avenir que l'on parle, vous en avez conscience ? Vous ne pouvez pas continuer comme ça...

Si, il le pouvait très bien. Il ne s'imaginait pas un avenir autre que celui de vivre sous un pont, ou bien dans la forêt... Et puis il y avait autre chose aussi. Cette autre chose qui le titillait et attisait sa curiosité. Ce truc qui lui faisait entrapercevoir des rêves de grandeur et une destinée hors du commun. Mais bien sûr, ce sont de ces faits dont l'on ne peut rien dire. De temps à autre, il s'imaginait qu'il était peut-être un peu fou.

_Il faut que vous vous ressaisissiez... D'accord ? Ce n'est plus qu'une question de semaines, mais quelques semaines peuvent tout changer... j'ai conscience que tout ne doit pas être rose, mais chaque élève a ses propres difficultés... je suis là si vous souhaitez parler. La conseillère d'orientation est là, l'assistante sociale et là, l'infirmière... tout le personnel est à votre entière disposition, et ceci n'a rien d'une exagération. Tout est destinée à ce que vous réussissiez au mieux. Du moins faut-il que vous y mettiez du vôtre.

Il hocha la tête.

_Allez-y. Ne ratez pas votre bus ! Mais songez-y: tout dépend de vous. Et de votre volonté. Vous en avez, et vous avez des capacités. Donnez du vôtre. D'accord ?

Il lui sourit et se détourna du bureau, après avoir lancé un « Au revoir ! » par-dessus son épaule. Il s'élança dans le couloir et dévala les escaliers, se lançant à toutes jambes à la poursuite de ce tourbillon d'élèves. Ouf. Poète qu'il était.

Erin l'attendait déjà devant la grille il va s'en dire qu'elle tapait exagérément du pied. Elle devait pioncer depuis pas mal de temps déjà. Avec un sourire, le jeune homme alla à sa rencontre.

Erin, c'était ce petit bout de fille aux longs cheveux blonds qui voltigeaient de partout en mèches rebelles, de grands yeux marrons et un sourire à faire fondre la banquise. Erin, c'était une sorte de rayon de soleil dans la grisaille ambiante. Ça pouvait presque être une raison de vivre.

_Hey ! Fit-elle en le voyant arriver. Qu'est-ce que tu fou...

Le reste s'enchaîna trop vite pour que quelqu'un puisse suivre. Elle fut projetée au sol par un espèce de môme braillard, qui ricana avant de passer son chemin. Perceval fit une embardée puissante et saisit le mioche par le col.

Dans le même temps, il remarqua que le mioche faisait sa taille, voir même un ou deux centimètres de plus, et que c'était le petit con qui avait l'insigne honneur de le regarder de haut. Voir même que ce petit con avait plus de muscles que lui. Il avait toujours était fin, tiens, pour la peine.

_Tu présentes tes excuses, mon coco, cracha t-il avant de réaliser ce qu'il était en train de faire.

La figure de l'autre se décomposa. Pourtant, c'était bien un sourire goguenard qui se peignit sur sa face.

_Mon coco, répéta le mioche en sourdine. Mon coco...

Il se débattit pour s'extraire de la poigne, et y parvint. Merde.

_Putain, mais vas-y ! Qu'est-ce que tu me chies ? Tu cherches la merde, c'est ça ? Tu cherches la merde ?

Il empêcha le « Non, je l'ai déjà trouvée. » de sortir de ses lèvres. Il valait mieux que ça en matière de répartie. On commençait à les regarder avec intérêt : après tout, c'était toujours un moyen de passer le temps... Du moment que l'on ne se prenait pas un coup perdu.

_Val... gémit Erin. C'est bon, on s'en va. Je m'en fiche, je vais bien... j'ai rien, on s'en fout...

_Ouais, on s'en fout, là ! Fit l'autre en écho. Tu l'écoutes et tu te casses !

Putain. Ce mioche était en quoi ? Cinquième ? Quatrième ? On les faisait de plus en plus mal... Et de plus en plus grand... Non. Après tout, c'était lui qui était petit.

_Ouais, on va faire ça, siffla t-il, non sans jeter à l'autre un regard condescendant.

Ce n'était pas une fuite, c'était une retraite stratégique. Il n'avait rien à gagner dans cette espèce de conversation on ne peut plus stérile. Et puis il était le grand après tout, il aurait dû s'en foutre, et l'autre mioche aurait dû s'écraser devant lui que diable !

_Ouais. Vas-y. Cassez-vous les cas soc' !

Et il cracha au pied d'Erin.

Perceval l'observa un moment, puis s'avança, et d'une méchante torsion de l'épaule, lui envoya un foutu gros pain dans la face que le môme évita, il faut l'avouer, avec une certaine grâce. Le mioche lui balança alors un coup de pied en direction de certaines choses à qui ils avaient toujours tenu.

Il le vit arriver, le pied.

Puis il le vit disparaître. Car il se trouvait derrière le môme. Comme ça. Pouf.

Merde.

Ledit môme se trouva propulsé à une dizaine de mètres et racla le sol. Il poussa aussitôt un puissant hurlement à faire froid dans le dos, se tordant de douleur sur l'asphalte grisâtre, ahanant misérablement. Perceval regarda ses mains d'un air hébété. Vit Erin.

_Allez, viens ! On se carapate !lança t-il sans se soucier des regards trop insistants.

Ils se taillèrent devant la haie d'honneur que leur proposaient les élèves. A coup sûr, c'était de la peur que l'on lisait sur leur visage. De la peur, de la répulsion, et beaucoup d'incompréhension.

Putain les gars. Mais qu'avait donc fait ce type ?

C'était quasiment du surnaturel, merde. Non : c'était du surnaturel à l'état brut. Du bien violent. Une hallucination collective.

_Pourquoi t'as fait ça, merde ? Cracha Erin en se portant à sa hauteur.

Bon. Il marchait un peu vite, certes. Mais fuir très loin, c'était la meilleur chose qu'il ait jamais fait.

_Réflexes, dit-il laconiquement.

Elle leva les yeux au ciel. La cité scolaire disparut au détour du chemin.

_Tu vas avoir des problèmes : Matthias a des grands frères. Et puis... ça a recommencé, non ?

Il fixa la ligne d'horizon.

_Ouais. Ça l'a refait, souffla t-il. C'était si calant que ça ?

_Pas mal... ouais. Enfin, en partant du principe que ce que tu as fait est potentiellement impossible, on va dire que c'était un effet de notre imagination torturée. Téléportation, non ?

_C'est l'idée, dit-il, évasif.

Elle lui dédia son plus grand sourire, qui n'avait rien à envier à celui de son prof de maths. Un gros truc bien flippant qui vous faisait frissonner.

_Un jour, je te disséquerai, dit-elle d'un ton très sérieux. Et l'on comprendra.

_Je tiens à ma vie et à mon bide. Attend déjà que je clamse et on en reparle, ricana t-il en fixant ses deux grandes orbes marrons.

Ils ne se ressemblaient en rien et c'était normal. Mis à part leurs nez, peut-être. Deux becs de piafs au milieu de la face, mais ce n'était pas une question de génétique. Tout au plus un coup de chance.

_On fera des... expériences, gloussa t-elle. Peut-être qu'en fait, tu es...

_Superman réincarné. Je sais.

_Avec ça, on pourrait...

_Conquérir le monde et réduire l'espèce humaine en esclavage.

Elle prit une mine boudeuse qui ne la quitta pas jusqu'à ce qu'ils pénètrent dans le bus.

_Et tes rêves ? S'enquit-elle.

_Je t'ai dit de laisser tomber, c'est rien... C'est des rêves, quoi. Chelous les trois quarts du temps.

_Si tu le dis... Si tu le dis...

Ils s'enfoncèrent dans un mutisme profond.

Mais parlons de ce Perceval Louis qui nous tombe du ciel, ainsi que des grandes lignes de sa grande vie.

Perceval Louis avait une histoire, et voilà l'histoire incroyable de sa vie qui n'est palpitante que si elle est racontée. Ça a une tout autre gueule quant on la vit, cette histoire. C'est pas un truc pour faire pleurer les gonzesses, c'est quelque chose de dur qui fait mal de temps en temps, parce que l'on ressent comme un vide, et l'on pense au « si ».

Perceval Louis avait vécu pendant trois ans au côté de Monsieur et Madame Louis. Le premier s'appelait Papa et la deuxième Maman. C'était des bribes de mots et de sons, de multiples odeurs qui lui reviennent, de temps en temps, des flashs indistincts qui lui sautent au visage. Et puis Maman était morte d'un sorte de cancer qui l'avait bouffée de l'intérieur, et Papa s'était remarié avec Adèle, qui était gentille. Alors il avait une petite sœur, presque petite sœur, mais sœur de cœur, parce qu'après tout, cela ne comptait pas, les histoires de sang.

La petite sœur s'appelait Erin Louis, elle était la meilleure sœur du monde, la plus mignonne et la plus gentille, et il y avait eu l'accident.

Il s'en souvenait très bien, de ça, même si c'était quelque chose dont on ne veut pas se souvenir, une suite sans fin d'événements qui finissent par aboutir au moment présent. Lui, il était à l'école, alors il avait prit le bus et il était rentré. A l'abri-bus, il n'y avait eu personne.

Ni Papa. Ni Adèle. Ni Erin qui court partout en hurlant et en dérangeant les passants pressés.

Il était rentré à l'appartement comme un grand.

Il avait même regardé la télé tout de suite et avant de faire ses devoirs, car il n'avait habituellement pas le droit, mais personne n'était là pour lui dire ce qu'il devait faire, parce qu'il était seul.

Trois heures plus tard, on avait sonné à la porte et des gens avaient pénétrés dans l'appartement, l'avait vu, lui avaient dit bonjour, et est-ce que ça allait bien ? Il avait répondu oui. Ensuite, ils avaient suivis les sortes de grands inconnus il y avait même des policiers.

Ton maman et ton papa sont morts dans un accident de voiture, mais ta petite sœur va bien.

Il leur avait dit que ce n'était pas sa maman, mais que c'était Adèle. Il ne se souvient plus très bien pourquoi il avait dit ça à cet instant, mais ça lui avait paru très important. Ensuite, c'était parti en couilles.

Tout avait changé et basculé, il n'avait jamais fait les exercices dans le cahier que la maîtresse lui avait demandé de faire. Erin était restée hospitalisée très longtemps, parce qu'elle avait perdu beaucoup de sang. Mais finalement, elle était venue lui dire bonjour, et ils s'étaient dit bonjour, et ils avaient même un peu rigolé.

Erin ne savait pas vraiment ce que c'était, la mort. Elle voulait juste voir Papa et Adèle, qui était sa Maman à elle. Elle ne comprenait pas que c'était fini. Qu'ils ne reviendraient plus.

Dans la foulée, tiens, il avait appris qu'il était un enfant adopté en fait, et que ce n'était pas vraiment ses véritables parents, les tous premiers. Oui, Maman et Papa, c'était pas vraiment ses vrais parents, parce qu'ils en avaient d'autres, quelque part dans la nature. Des géniteurs.

(Arrêtez de faire turbiner vos cervelets, franchement.)

Il avait pleuré. Beaucoup. Parce que tout se cassait la gueule.

Ensuite, il avait fallu vivre, tout simplement.

Rien du côté du père, un frère du côté de la mère, qui n'avait pas que ça à faire et avait un casier judiciaire pour des larcins pas si petits que ça.

Ils avaient fait des sauts. Des trucs de familles d'accueil. Un foyer, ces temps-ci.

Et c'était tout, sa vie c'était quelques lignes et très peu de pleurs.

Le genre de récit qui se vend très bien, des émissions de télé-réalité pouvaient s'arracher sa vie, mais il s'en battait joyeusement les couilles.

Car Perceval Louis avait certes une vie de merde, mais il avait un secret.

Et dit comme ça, ça rendait très mal.


Au plaisir d'avoir lu, et mille et mille baisers qui s'envolent presque dans l'air.

Faîtes des enfants.