L'esprit ankylosé, elle courut pendant près d'un kilomètre avant que son talon gauche ne casse net. Pour de vrai, cette fois...

Elle se laissa glisser sur le trottoir, elle se laissa glisser dans l'horreur. Pleurs, sanglots... Réaction incontrôlable. Un tourbillon incompréhensible, irrésistible, l'entraînait vers le vide et le chaos. Elle ne pensait pas, elle ne pensait plus. C'était trop dur... Seuls ses nerfs la guidaient. Ses nerfs, et le vide.

Relevant la tête, elle avisa une brasserie un peu plus loin. Sans prendre la peine de sécher ses larmes, elle se redressa, ouvrant la bouche pour respirer, titubant sur sa chaussure brisée. Elle entra dans le restaurant, ne prêtant aucune attention aux clients qui observaient, stupéfaits, cette fille en larmes, bien trop chic pour ce genre d'endroit.

Elle ne pouvait pas attendre. Elle se dirigea vers le comptoir, passa commande. Uniquement des plats froids, qu'elle emporta rapidement sur un plateau. Elle n'aurait pas su dire à quoi ressemblait la serveuse... Elle n'avait pas fait attention. Ou bien elle avait déjà oublié...

Elle s'assit sur une banquette dans un coin, tournant le dos au reste du restaurant. Elle déballa tous les aliments et les déposa devant elle, puis s'arrêta.

Elle ne pouvait pas faire ça... Non. Ce n'était pas possible... Pas maintenant, pas après tous les efforts qu'elle avait fournis pour s'en sortir. Non. Non. Non !

Elle passa une main sur son visage, sanglotant doucement.

Mais elle avait si mal... Si mal... Ce n'était pas possible, pas possible d'avoir si mal. Et ce vide... Il fallait combler ce vide.

Elle expira doucement.

Oh oui... Oui, être pleine, ne plus avoir mal. Oh oui, s'il vous plaît... Faites qu'elle n'ait plus mal, plus mal, plus mal...

Elle s'empara de l'énorme part de browni et la croqua, tendant déjà la main vers la tarte aux fraises. Elle fit passer le tout par une gorgée de soda fortement sucré, se laissant aller au bien-être éphémère provoqué par la libération des endorphines. Elle avait du mal à respirer, mais que c'était bon... Que c'était bon de ne plus penser à autre chose qu'à la prochaine part, qu'à la prochaine portion source de bien-être.

Ce n'était pas qu'elle refusât de penser à ce qui allait se passer ensuite. Non... Elle ne pensait pas, tout simplement. Son cerveau s'était mis en mode automatique durant cette situation de crise. Il avait trouvé tout seul ce qui le soulagerait... Car oui, elle se sentait soulagée... Encore une bouchée, encore une, juste une... Et une autre. Ne pas penser. Oui. Ne plus jamais penser, jamais.

Jamais.