Disclaimer : Cette fiction est la traduction de "Sleep of the Just", par Mark of the Asphodel (l'original ici : s/5473202/1/Sleep_of_the_Just) que je remercie de me laisser assouvir ma soif de traductions :D
Les personnages et l'univers appartiennent à Intelligent Systems, le texte et tout le travail créatif qu'il y a derrière à Mark of the Asphodel, je ne tire aucun profit financier ou autre de toute l'affaire et vous connaissez la chanson depuis le temps.
Avertissements : Aucun couple qui ne soit rendu possible par l'épilogue du jeu. Si vous voulez voir Innes déclarer sa flamme à Ephraim ou vice-versa, ce n'est pas la bonne histoire. Fans d'Ephraim, prenez garde : c'est le point de vue d'Innes. Vous n'aimerez peut-être pas ce que vous entendrez... mais prenez-le toujours avec un grain de sel.
– J'abandonne. Pardonne-moi, Eirika. Je ne suis pas digne de ta main.
Des cailloux s'enfonçaient dans ses genoux, et un fer de lance argenté était pointé sur sa gorge, mais Innes de Frelia n'avait aucunement peur. Le visage de son ennemi n'exprimait ni soif de sang ni jugement, rien qu'une sorte d'exaspération perplexe. Innes garda ses propres traits maîtrisés et regarda fermement Ephraim dans les yeux. L'instant était parfaitement dramatique, jusqu'à ce qu'Ephraim essuie la sueur qui lui coulait sur le visage dans un geste grossier et peu séant.
– Lève-toi, idiot, grommela-t-il.
Innes resta à genoux ; il ne se releva que lorsqu'Eirika elle-même descendit de la loge royale et lui prit la main. Elle prit aussi la main de son jumeau, et pendant un moment, les deux hommes restèrent debout au milieu du terrain, Eirika formant un pont entre eux. Le public éclata en applaudissements et en clameurs à la vue du gracieux spectacle donné par la princesse de Renais. Innes se força à sourire aux étendards hissés à chaque étage des gradins ; il ne pouvait regarder les visages flous de la foule, et ne supporterait pas non plus de continuer à regarder Ephraim un instant de plus. Il restait concentré sur Eirika ; elle lui adressait un regard qui ne portait pas de regrets, mais pas non plus de mépris. Innes croyait y lire une question à laquelle il ne pouvait ni ne voulait répondre.
Innes se retira dans sa chambre au château de Mulan, où les murs massifs du poste frontalier arrêtaient les piaillements inutiles des spectateurs. Il ferma la porte au nez même de sa sœur, mais cela dit, il avait demandé à plusieurs reprises à Tana de ne pas le suivre. Innes s'assit dans la chaise ornée que la garnison freliane avait fournie à son prince, serra les accoudoirs de ses mains tremblantes, et fixa un point du mur opposé. Il ne se sentait pas comme un homme dont les aspirations auraient été détruites ; au lieu de cela, il se sentait comme s'il était tombé de très haut et avait été rattrapé au tout dernier moment par une main invisible. Le grand plongeon s'était produit, mais il avait le temps de s'arrêter et de réfléchir avant d'être précipité contre le sol.
– Ça a marché, murmura-t-il pour lui-même. Tout a fonctionné comme prévu. Ce fut un triomphe.
Et pourtant, un certain malaise lui mordait toujours le creux du ventre.
-x-
Innes découvrit que son vif engouement pour la princesse de Renais n'était qu'une affection passagère ; sitôt qu'ils n'étaient plus à proximité l'un de l'autre, le charme était rompu et Innes retrouvait la raison. Cette révélation ne lui vint pas en un éclair ; non, elle s'installa en lui telle une ombre rampante, entachant ses jours d'une appréhension qu'il n'avait jusque-là jamais ressentie, même dans ce trou à rats de Carcino où tout espoir de survie avait semblé perdu. Il se réveilla finalement en pleine nuit, submergé par sa propre peur, et réalisa qu'il avait commis une erreur qui était, dans un sens, aussi grave que n'importe quelle erreur de jugement au milieu d'une bataille. Innes, qui s'enorgueillissait du flux d'information constant autour de lui et s'autorisait à définir le monde en brèves assertions, à séparer le bien du vil, l'utile du misérable... Innes avait été aveugle à une partie de lui-même, qui se faisait appeler Amour mais n'était en réalité qu'Illusion. Et il s'était bruyamment et catégoriquement offert à l'Illusion.
Mais Innes ne pouvait pas revenir sur ses paroles, pas après l'aveu fait à Eirika à la veille de leur victoire sur le Roi Démon. Alors que s'était approché le jour du duel promis par Ephraim, Innes avait passé de longues heures chaque nuit à examiner ce dilemme dans sa tête. Il pouvait battre le prince de Renais, prendre Eirika comme épouse, et jubiler d'avoir humilié Ephraim en public. Il n'aimait pas Eirika, mais il l'appréciait, et l'alliance siérait à Renais et Frelia. Mais en repensant à sa discussion avec Eirika dans les Bois de Lombres, il se souvenait du choc qu'il avait lu sur son visage alors qu'il parlait, et il avait compris que ses paroles n'étaient pas celles d'une femme amoureuse. Il n'aimait peut-être pas Eirika, mais elle-même ne brûlait point pour lui.
Une fois ceci admis, Innes s'était dit qu'il pouvait, une fois Ephraim vaincu, avoir la grandeur d'âme de laisser son épouse durement conquise choisir elle-même sa destinée. Mais cela n'était pas non plus sans risques. Innes risquait de réaliser, dans le feu de la victoire, qu'il ne pouvait aller jusqu'au bout de son plan. Son cœur l'avait déjà trompé une fois, dans les mois qui avaient mené à ce moment dans les bois de Lombres, et il ne pouvait se fier à lui. Qui sait, peut-être qu'en voyant la supériorité très nette d'Innes sur son frère, Eirika aurait décidé que le prince de Frelia était tout compte fait un très bon parti. Quand serait venu pour eux le moment de se repentir de leur hâte, les documents auraient déjà été signés et le mariage scellé par un contrat officiel.
La stratégie la plus appropriée était cependant la plus simple : Innes pouvait délibérément perdre le duel pour perdre tout droit à la main d'Eirika et ainsi mettre fin à sa cour sans ternir l'honneur de la noble dame. Ainsi, alors qu'Ephraim voulait en découdre au sabre, une arme qui n'avantagerait ni l'un ni l'autre, Innes avait insisté pour que l'outil de leur duel fût la lance. Vaincre le meilleur lancier de Renais sur son propre terrain aurait de fait été un agréable triomphe, mais la requête d'Innes faisait pencher la balance de telle sorte qu'Ephraim aurait dû le vouloir pour le laisser gagner. Et puisque le lancier n'aurait jamais eu cette délicate attention, même s'il avait cru qu'Innes était réellement amoureux d'Eirika, l'archer avait eu beaucoup d'efforts à faire pour en arriver à une défaite convaincante.
Fidèle à lui-même, Ephraim s'était comporté sur le terrain de joute comme si ce n'était qu'un autre de leurs duels des temps passés, et non comme si le bonheur d'autrui était en jeu. Trop peu gracieux pour s'incliner devant Innes, trop obtus pour sentir les troubles qui agitaient l'esprit de son adversaire, Ephraim s'était jeté dans la mêlée comme le chiot surexcité qu'il était. Innes n'avait remarqué qu'au moment où il avait commencé à flancher le regard légèrement malaisé d'Ephraim, comme s'il n'avait pas compris pourquoi ils faisaient cela. Bien sûr qu'il ne comprenait pas.
Innes avait correctement fait ses jeux ; Ephraim avait peut-être le pardon difficile, mais il était merveilleusement facile à duper. Eirika, infiniment plus complexe que son rustre de frère, n'était pas si prévisible, et Innes avait envers les émotions enchevêtrées de la princesse la même méfiance qu'envers les siennes. Mais Ephraim... avait joué à la perfection le rôle qu'Innes lui avait assigné. Le rôle du vainqueur. Innes enfonça ses ongles dans le bois verni de la chaise. Il s'était mentalement préparé pour le duel comme un condamné pour l'exécution – ou le suicide. Et dans un sens, ce duel avait été exactement cela. Quand il émergerait de ses appartements, Innes de Frelia ne serait plus ce qu'il était, ou ce qu'il voulait être. Innes serait, pour l'éternité aux yeux du public, l'inférieur.
Qu'il eut choisi ceci ne lui apportait qu'un faible réconfort. Innes doutait qu'un suicidaire appréciât davantage le moment de sa mort.
Fin du Prologue
Notes de Mark of the Asphodel : Voilà, c'est ma première intrusion dans le monde de Magvel, le premier de trois épisodes d'intrigues politiques d'après-guerre, où Innes travaille avec (et contre) Ephraim pour rebâtir Magvel. Merci à mon bêta-lecteur, Writer Awakened !
