Martyr
« Sortons ensembles. »
Ma réponse, ce jour là, me conduisit devant les portes de l'enfer.
Toute ma vie, j'avais été quelqu'un de bien. Du moins, c'est ce que je pensais. J'étais une personne tout à fait normale, ordinaire, à qui l'on avait inculquée des valeurs. La gentillesse, la bonté, la bienveillance. J'étais tout ce qui est des plus altruistes. Venir en aide à son prochain, savoir écouter les autres, avoir bon cœur. Toutes ces valeurs, pour beaucoup aujourd'hui disparues, m'avaient rendu heureuse. Le sourire des autres faisait naitre le mien, et le bonheur semblait déteindre d'une personne à une autre dés lors que l'une d'elle respirait la joie. Cette petite bulle dans laquelle je vivait me protégeait. Cette petite bulle pourtant si fragile. J'étais bien loin d'être naïve, à me complaire dans ce monde que je voulais rose, mais je me forçais à toujours sourire jour après jour. Sourire assez pour ceux qui n'en avaient plus la force.
Si seulement quelqu'un pouvait sourire pour moi désormais.
Plutôt bonne élève et toujours bien entourée, je n'avais jamais fait de vagues. Je ne me faisais pas spécialement remarquer, mais ce sourire que j'arborais semblait inévitablement attirer les autres vers moi. C'est naturellement que mes amis se multipliaient, et que mes journées, longues et agréables, se succédaient paisiblement. L'école était pour moi loin d'être une corvée, j'aimais apprendre et surtout, j'aimais passer ces moments de joie avec tous ceux qui m'étaient chers. Ou que je croyais m'être cher.
Et moi, leur étais-je chère ?
Le lycée était pour moi une grande étape à franchir, un pied dans le monde des « grands ». J'attendais ce jour avec excitation depuis des semaines, loin de me morfondre à l'idée que les vacances se terminent. Cette nuit là, je me rappelle ne pas avoir pu fermer l'œil, trop occupée à me demander si j'allais me retrouver dans la même classe que mes amis, à imaginer mes nouveaux camarades, mes nouveaux professeurs. J'inventais déjà une journée type, animée par des rires aux éclats, par des cours plus difficiles, et des pauses déjeuners bien méritées sous un soleil éclatant. Je nous imaginais déjà chercher notre « base secrète » où l'on viendrait tous se poser pendant notre temps libre, durant lequel on se raconterait tous nos potins. Une salle de classe vide, un parc, ou bien un coin reculé dans la cours. Ou même le toit ? Non, le toit était assurément un des endroits des plus fréquentés par les élèves, à l'inverse des clichés que nous offrait les manga.
Ma vie, à ce moment là, était bien trop parfaite...
Avec notre entrée au lycée, un sujet devint bientôt le centre des conversations : les garçons. Etait-ce normal de ne parler que de ça, du matin au soir et du soir au matin ? Je supposais que oui, pourtant bien loin de m'intéresser sérieusement à ce genre de chose. Je n'avais jamais eu de petit-ami. Les déclaration ne manquaient pas, mais je me contentais de dire « merci ». Et puis, au collège, rien n'est jamais très sérieux, c'est à peine si on comprend quelque chose à l'amour, non ? Pourtant, au lycée, tout semblait bien différent. L'amour... L'amour semblait être quelque chose de récurent.
L'amour... L'amour n'arrive jamais sans la haine.
Il y avait un garçon, en deuxième année. Il faisait parler de lui depuis son arrivée ici. Tout lycée à son lot d'élèves populaires, et d'élèves moins populaire. Et lui, faisait sans aucun doute et définitivement partie de la première catégorie. Il s'appelait Kaito. Kaito Shion. Et ce beau mec, là, les cheveux bleus électrique, comme ses yeux d'ailleurs, meilleur sportif de son année et surprenamment intelligent, faisait succomber toutes les filles. Le genre de garçon modèle que toutes rêves d'épouser un jour. Et pourtant, à moi, il ne me faisait pas grand effet, alors forcément, le jour où il m'adressa la parole, et que toute l'école fut au courant, ce jour là...
...ce jour là, ma vie entière bascula.
Un peu plus de deux mois s'étaient écoulés depuis la rentrée des classes. J'avais eu la joie de me retrouver dans la même classe que ma meilleure amie, Meiko. Et bien sûr, tout se déroulait comme je l'avais imaginé dans ma tête durant l'été. Ce film parfait que je m'étais passé en boucle en fermant mes paupières. Notre endroit secret le parc derrière l'école, entouré d'un parterre de fleur et de buissons. On s'y retrouvait à la moindre occasion. Tout était vraiment comme j'en avais rêvé, à un détail près. Ces quelques semaines passées m'avaient apprit une chose : que les gens parlaient énormément. Encore plus qu'auparavant, plus sérieusement, plus méchamment. Heureusement, je n'étais pas concernée par ce dernier détail, au contraire.
C'est ce que je préférais croire.
Il n'était pas rare que les élèves parlent de ceux de première année, fraichement débarqués. Les rumeurs se mettaient à tourner, et les histoires aussi. Personne n'y échappait, pas même moi. Apparemment, je faisais parler les garçons. Plusieurs étaient d'ailleurs venus, comme auparavant, à qui je répondais « merci », comme auparavant. Des compliments par ci, des petits mots par là, c'était à la fois agréable et gênant. Et puis un jour, c'est lui qui est venu. Mes amis avaient commencé à me taquiner avec ça. Un peu plus chaque jour. Au début, je me disais qu'ils se trompaient, qu'ils me charriaient de tous mes refus envers les garçons. Et puis, toutes les filles se mirent à me regarder étrangement, certaines semblaient envieuses, d'autres jalouses, et je pouvais même apercevoir de l'admiration dans le regards des autres. En quelques jours, tout le lycée parla de moi. Et un lundi matin, après la dernière de cours, je me retrouvaient derrière un bâtiment que je ne connaissais pas, face à lui.
« - Sortons ensembles.
- D'accord. »
Cette décision fut la pire de toute ma vie.
Je ne savais pas moi même pourquoi j'avais dit oui, après tout. Les filles me trouvaient populaires, les garçons aussi. Après tout, pourquoi pas ? C'était l'occasion rêvée, non ? Il semblait tellement parfait. Je ne connaissais absolument rien à l'amour ou aux sentiments, mais je commençais à passer de bons moments avec lui, sous le regard approbateur de mes amis. Ils m'avaient tous convaincu que c'était une bonne idée, que je devais sortir avec des garçons. Que si le plus beau mec des deuxièmes années venait lui même me demander, j'aurais été folle de refuser.
Mais cette folie, ce jour là, me manqua.
Deux semaines entières s'écoulèrent alors que j'étais maintenant au centre de toutes les conversations. Surtout chez les filles. J'entendais souvent parler du « couple parfait » que l'on était censé former. Je ne m'étais jamais trouver plus jolie qu'une autre, mais la beauté, ici, semblait parfois gouverner les choses. Il m'invita diner un vendredi soir. Il connaissait la galanterie, fallait-il le reconnaitre. Pour un garçon de dix-sept ans, il faisait plutôt bien les choses. Pourtant, quelque chose n'allait pas. Il était gentils, mignon, et semblait attentionné avec moi, mais je ne ressentais rien... Alors, quand un peu plus d'une heure après, il m'invita chez lui, et que je ne su dire non à son sourire qui avait l'air sincère, je fus prise d'un mal-être que je n'avais jamais connu jusqu'alors. Arrivée chez lui, le gentils garçon qui était doux avec moi, et qui était délicat même lorsqu'il me prenait la main, changea du tout au tout. Ces baisers n'étaient plus doux, et sa main cessa d'être délicate. La seule chose que je fus alors capable de faire, ce fut de fuir.
Le lendemain matin, je le quittais.
Le lundi qui suivit, ma vie changeait.
Si le diable avait un nom, il porterait le sien.
