Plusieurs personnages de P&P (pour ne citer que Charles et Jane) sont totalement absents de ce récit. De plus, par rapport à tous mes écrits, c'est dans cette histoire que je fais le moins de liens avec P&P. Par choix évidemment. Par ailleurs, n'étant pas historienne (bien qu'ayant fait de nombreuses recherches), je n'ai pas la prétention de maîtriser totalement les caractéristiques complexes de l'époque médiévale. Je vous demande donc d'être indulgentes à cet égard. Ce premier chapitre est plus court (que ce à quoi je vous ai habituées), mais il est tout de même suffisamment long pour vous donner une bonne idée de la direction que va prendre cette histoire. Veuillez me transmettre vos impressions. Le second chapitre est déjà prêt... j'ai hâte de savoir si vous voulez la suite... Miriamme (ps, Merci à Marie-Paule, j'ai hâte de savoir ce que tu vas penser de La grande traversée et de Vue sur le fleuve...). Bonne lecture.

Première partie

-C'est maintenant où jamais votre majesté, chuchota Maria, dame de compagnie de la princesse Élisabeth, en refermant délicatement la porte de sa chambre, non sans s'être assuré au préalable que personne ne l'avait suivie.

Malgré la peur et l'horreur qu'une guerre engendre toujours, la dame de compagnie de la princesse se réjouissait plutôt que la panique générée par l'attaque surprise du Peuple des Montagnes offrit à la princesse une chance inespérée de fuir le château sans être dérangée.

-Tu as raison Maria. Je n'ai croisé que des soldats qui courraient vers l'aile ouest, là d'où provenaient la plus grande concentration des tirs de l'ennemi. Personne n'a fait attention à moi.

-Tant mieux, se réjouit la domestique avant de se tourner vers la jeune femme pour la presser : Changez-vous vite Majesté. Tenez, passez ces vêtements de paysanne.

Recevant un par un les morceaux de son maigre déguisement, Élisabeth frissonna de dégoût en pensant à son fiancé qui avait regagné ses propres appartements et qui était fort probablement occupé à revêtir l'armure rutilante qu'elle lui connaissait déjà puisque c'était ainsi vêtu qu'il s'était présenté à elle au moment où il était venu conclure cette entente empoisonnée avec son père.

En effet, Bastien de la Tourelle, tout en muscle et en rondeur, était arrivé au château deux jours plus tôt afin d'offrir ses services au père tant aimé d'Élisabeth : le Roi Théodore II. Ce chevalier errant avait appris de source sûre que le Château de Royaume de Grés allait être assiégé sous peu par l'armée du peuple des Montagnes.

Bastien de la Tourelle tout en faste et en apparat, offrit donc au Roi de disposer d'un millier d'hommes qu'il dirigeait en échange de la main de sa fille unique dont la beauté était vantée par tous les ménestrels du continent.

Après une discussion orageuse avec son père, Élisabeth se vit contrainte à tout le moins de subir la présence de l'horrible personnage à la silhouette porcine avec qui le Roi Théodore envisageait conclure une entente.

-Père, je vous en conjure. Que puis-je faire? Que puis-je dire pour vous convaincre de renoncer à ce projet?

-Ma fille bien aimée, le sort en est malheureusement jeté. Il y va de l'avenir de notre Royaume.

Comprenant au terme de cette longue et ultime discussion que les terres centrales qui composaient le Royaume de Grés de même que tous ses habitants étaient perdus sans l'intervention de l'armée de Bastien, la princesse sanglota une dernière fois dans les bras aimants de son père avant de se redresser et prendre congé en lui en promettant de réfléchir une dernière fois à l'offre – somme toute extrêmement généreuse – que venait de lui faire ce jeune seigneur issu de la noblesse.

-Mais père, on raconte sur lui des choses horribles, réitéra Élisabeth, incapable de s'imaginer partager la couche d'un tel homme.

Le roi repoussa ensuite du revers de la main les avertissements de son plus vaillant conseiller, décida de ne pas accorder foi aux commérages des domestiques et refusa tout bonnement de croire que son sauveur put être aussi cruel et barbare qu'on le laissait entendre.

Élisabeth en eut pourtant définitivement la preuve pas plus tard que le lendemain lorsqu'elle assista impuissante à l'assassinat de son père, alors qu'elle était cachée derrière le long rideau rouge qui était suspendu en permanence au-dessus du trône. Si elle n'avait pas eu l'intention d'aller annoncer à son père qu'elle se résignait à accepter Bastion comme époux, jamais elle n'aurait su ce dont son fiancé était capable et surtout que c'était lui et personne d'autre qui était responsable de la mort du roi Théodore II.

Elle était restée figée et silencieuse, avait dû lutter contre la colère et s'était empressée de ravaler ses larmes. Il lui avait même fallu attendre que le groupe entier ait entièrement quitté la pièce avant de retourner dans sa chambre où elle était restée enfermée jusqu'à ce qu'un messager se présentât à sa porte pour lui apprendre la nouvelle du décès de son père. Négociant ensuite avec son futur époux afin que les obsèques du Roi Théodore aient lieu avant leurs épousailles, la jeune princesse ne devait qu'à ce contre temps d'avoir échappé aux regards lubriques et aux gestes déplacés de son fiancé.

L'attaque soudaine de l'armée du Peuple des Montagnes à l'aube même du jour où le royaume de Grés se préparait à honorer la dépouille du roi Théodore II et à assister à un mariage, offrit finalement à la jeune femme l'occasion qu'elle n'espérait plus de prendre la fuite. Ayant terminé de préparer les maigres effets qu'elles devaient emmener avec elles, Maria incita sa maîtresse à se presser, l'entraînant dans le corridor, marchant silencieusement devant elle pour la protéger d'éventuelles attaques.

-Plus vite Majesté… il nous faut gagner l'aile ouest, rapidement, chuchota-Maria.

Faisant pleinement confiance à la mémoire de la princesse pour repérer, puis pénétrer dans l'étroit passage secret qui avait été érigé lors de la construction du Château et dont le plan se transmettait uniquement de mères en filles, la jeune servante avait ensuite laissé la princesse prendre les devants et l'avait suivie docilement pendant de longues minutes.

Un peu plus loin dans un camp militaire

Dans une tente installée au cœur de l'étroite forêt qui bordait le futur champ de bataille, le Général de l'armée du Peuple des Montagnes, William Darcy, déroulait minutieusement sur la table centrale qu'il venait de dégager, une peau de bête sur laquelle il comptait bien rajouter les détails précis que son Capitaine lui rapporterait du champ de bataille. En retrait, tranchant un morceau de pomme à l'aide d'un couteau d'une taille démesurée, Sorel Morel, son aide de camp, finissait son goûter et attendait ses ordres.

-Rappelle-moi de dire à Polus qu'une trentaine d'hommes doit se diriger vers le flan Ouest, commença le Général en jetant un œil par-dessus son épaule, ils devront passer par le nord, mais commencer à bombarder l'ouest avec les trébuchets. Il ne faut pas oublier que les hommes de Bastien sont entre les mûrs du Château et qu'ils sont nombreux, compléta-t-il ensuite en désignant les points stratégiques qu'il avait déjà marqués sur la carte.

-Ouais. On mentionne que Bastien aurait emmené mille hommes avec lui. Peut être plus, précisa l'aide de camp en plantant la pointe de son couteau dans la table de bois.

-Ils sont certainement plus nombreux, si l'on compte les hommes du roi Théodore. Ôte ton couteau de là Sorel, s''emporta le Général avec humeur, combien de fois t'ai-je répété d'arrêter de les laisser traîner partout?

-À vos ordres Général, bredouilla l'homme à la chevelure grisonnante en ramassant l'arme blanche qu'il avait lui-même fabriquée.

Au moment où il vint pour sortir de la tente, l'aide de camp s'immobilisa, réagissant avec méfiance au bruit de galop qui se rapprochait à toute vitesse. Ordonnant à Sorel de reculer, le Général atteignit l'entrée à son tour, souleva lentement le pan gauche de la tente et poussa un soupir de soulagement en reconnaissant son visiteur.

-Général, le salua respectueusement le nouveau venu.

-Je vous écoute Capitaine.

-On vient d'attraper un fugitif. Il a emprunté un passage secret, sur le flan Ouest. Nous l'avons ramené avec nous.

-Cet homme était-il seul?

-Nous n'avons vu personne d'autre avec lui.

-Croyez-vous être capable de tirer avantage de ce passage pour pénétrer à l'intérieur du Château? S'informa ensuite William Darcy.

-Je vais aller vérifier, si vous m'y autorisez.

-Certainement, mais auparavant, faites donc en sorte que le prisonnier soit ramené directement ici. Je préfère l'interroger moi-même.

-À vos ordres Général.

Après avoir salué respectueusement son supérieur, le Capitaine retrouva son destrier et rebroussa chemin.

-Sorel, aide moi à faire de la place veux-tu? Ordonna William en jetant un œil autour de lui.

-Nous devrions l'attacher ici, suggéra l'aide de camp en désignant le poteau central de la section gauche de la tente. Ces lanières de cuir et ce poteau feront l'affaire.

Deux minutes plus tard, trois cavaliers revinrent dans la tente et déposèrent un corps inerte à l'endroit désigné par Sorel. Comme le prisonnier était vêtu d'une longue tunique, aucune partie de son corps n'était visible. Laissant ses hommes nouer les liens du prisonnier au poteau central, William rapprocha sa chaise de la table et s'installa pour étudier la carte afin d'essayer de déterminer le plus précisément possible l'emplacement du passage secret. Lorsque le capitaine Polus et Sorel en eurent terminés avec le prisonnier, William demanda à l'officier de lui désigner sur la carte, l'endroit où ils l'avaient capturé. Une fois que le Général eut terminé d'inscrire l'emplacement du passage secret sur son plan, il ordonna au Capitaine et à ses hommes de retourner sur le champ de bataille et laissa Sorel leur répéter ce qu'il avait décidé un peu plus tôt et qui concernait l'attaque du flan Ouest du Château.

Cinq minutes après leur départ, le prisonnier se mit à gesticuler. Comme celui-ci semblait souffrir et se prenait la tête à deux mains, William versa de l'eau dans son écuelle et s'approcha doucement de celui-ci pour lui offrir à boire.

-Tiens, voici de l'eau.

Surprise d'entendre une voix aussi près d'elle, la princesse Élisabeth se recula un peu trop vite et perdit l'équilibre en atteignant la limite de ses liens. Comme elle tombait lourdement sur le derrière, le capuchon qu'elle portait sur la tête glissa vers l'arrière, révélant ainsi une partie de ses cheveux bruns bouclés. Éblouis tout autant que surpris, le Général se redressa aussitôt et se recula pour mieux l'observer.

-Tu es une femme!? La fixait l'aide de camp bien plus ébahi que le Général.

-Qui es-tu? Lui demanda finalement William Darcy en retrouvant la parole à son tour.

-Je… travaille au Château. Répondit Élisabeth en essayant de reproduire la façon de parler des domestiques.

-Le roi ne te traitait pas bien? Lui demanda le Général d'un ton moqueur.

-Je fuyais le Château… J'travaille pas pour le roi, bredouilla la jeune femme en gardant humblement les yeux rivés au sol comme l'aurait fait n'importe quelle paysanne devant un homme de son rang.

-Mais nous ne l'avons pas encore pris, s'esclaffa Sorel en s'approchant d'elle pour lui donner une petite estocade sur le bras.

-Aie, réagit-elle en se saisissant le bras là où il venait de la toucher.

Apercevant sa blessure une fois que la prisonnière eut soulevé la manche de sa tunique, William ordonna à Sorel de préparer une cuvette avec des linges et de l'eau potable. Lorsque l'aide de champ commença à nettoyer la plaie de la jeune femme, celle-ci profita des quelques secondes où il se trouvait près d'elle, ramassa l'étroite partie de ses liens qui n'était plus tendue, la lui passa autour du cou et le ramena contre elle en envoyant tout son poids vers l'arrière.

-Détachez-moi, où cet homme mourra… Ordonna-t-elle au Général qui la fixait avec stupéfaction.

-Même si je te détachais, sais-tu combien de mes hommes se trouvent dehors? Ceux-ci n'ont pas vu de femmes depuis des mois. Comment diable te défendras-tu contre eux? Lui opposa-t-il en désignant l'entrée de la tente d'un geste éloquent.

-J'ai un otage…

-Un aide de camp dont mes hommes et moi n'avons que faire, se moqua-t-il, mes officiers te choisiront volontiers, termina-t-il soulagé de savoir que puisqu'elle ne le connaissait pas du tout, elle n'avait aucun moyen de comprendre qu'il bluffait.

Lâchant un cri rauque pour souligner son impuissance, Élisabeth libéra le vieil homme, l'envoyant valser vers la gauche où il resta accroupi en proie à une violente quinte de toux. Ramassant l'écuelle remplie d'eau tiède qu'il avait préparée à son intention, Élisabeth commença à nettoyer sa plaie tout en grimaçant de douleur sous l'œil amusé du Général et le regard mauvais de l'aide de camp qui se massait maintenant la gorge avec une pommade de sa fabrication.

-Une femme de chambre qui sait se battre… je n'ai pas vu ça souvent… commenta le Général comme s'il se parlait à lui-même.

-Je ne vous ai pas menti… j'vous jure. J'accompagnais la princesse… elle est passée avant moi, rétorqua-t-elle, devinant qu'elle avait tout à gagner à le distraire de cette pensée avec une nouvelle surprenante.

-Tiens, tiens! Et pour quelle raison une princesse voudrait-elle fuir son propre Château alors que celui-ci n'est pas encore tombé aux mains de l'ennemi? Ironisa William qui commençait à se douter qu'il fut possible qu'elle parlât d'elle-même.

-Certains ennemis se présentent en ami… voire même quelques fois en héros, ajouta-t-elle d'un ton hargneux.

-Oh, on dirait bien que tu as déjà rencontré Bastien de la Tourelle.

-Vous le connaissez? S'intéressa-t-elle les yeux remplis d'espoir.

-Je suis le serviteur du frère aîné de Bastien de la Tourelle, lui apprit-il sans la quitter des yeux, le roi Alfred de la Tourelle est mon seigneur et maître.

-Oh?

-Rassure-toi … mon souverain, Alfred de la Tourelle déteste son frère… ils sont en guerre depuis toujours… précisa le Général en s'essayant sur sa chaise et en se tournant pour lui faire face.

-C'est à cause de ce maudit Bastien si la princesse a été obligée de fuir le Château. Son père a échangé sa main contre mille hommes bien entrainés. Elle était d'accord avec cet arrangement, jusqu'à ce que son père soit assassiné… sous ses yeux. Lui expliqua-t-elle en réprimant difficilement sa colère.

-Je reconnais bien là les méthodes de Bastien, confirma William en grimaçant. Donc, si je t'ai bien comprise, tu affirmes que le roi serait mort?

-Oui. Vous allez m'aider à fuir, me laisser partir? Se risqua-t-elle en l'implorant du regard.

-Non… désolé … tu es notre prisonnière… ta capture nous assurera peut être la victoire… tout otage est un otage précieux… Philosopha-t-il en jetant un œil vers son aide de camp qui coulait vers la jeune femme un regard songeur.

-Pffff, une simple domestique... un otage précieux, nargua-t-elle.

-Pas besoin d'être fin stratège pour deviner que tu es bien plus qu'une simple femme de chambre, lui annonça-t-il.

-C'est vrai ça, l'approuva Sorel.

-Vous ne me croyez pas?

-Écoute moi bien, reprit le Général, j'ai beau détester Bastien de la Tourelle «au moins autant que son frère» pensa-t-il simultanément, lorsqu'on est en guerre tous les coups sont permis. Tout ce que je puis faire pour toi, c'est de transmettre ta requête à mon souverain une fois qu'il sera ici. Nous verrons bien ensuite ce qu'il entend faire de toi.

-Vous allez me garder ici? Dans votre tente? S'emporta-t-elle soudainement.

-Tu préfères sans doute mon lit?

-Salaud! Lâcha-t-elle avant de cracher sur le sol.

-Méfie-toi. Je suis un homme moi aussi… et il y a bien longtemps que je n'ai pas eu de femmes dans mon lit, lui confia-t-il avant d'éclater de rire en découvrant sa mine déconfite.

La bouche définitivement close, Élisabeth chargea ses yeux de toute la haine qu'elle ressentait envers celui qui se montrait en parole aussi menaçant que son fiancé. Finissant de nettoyer sa plaie tout en surveillant les allées et les venues du Général, la princesse s'installa le plus confortablement possible, bien enveloppée dans sa longue tunique sombre. Au bout d'une vingtaine de minutes à surveiller l'homme qui restait toujours assis devant la table où un amoncellement de minces couches de cuir recevait les mots qu'il inscrivait minutieusement, la jeune femme ressentit le besoin de s'allonger. Au bout de quelques minutes, la fatigue eut raison d'elle la plongeant dans un profond sommeil.

Lorsqu'elle se réveilla après quelques heures de repos et que dans le camp entier régnait un silence rassurant, Élisabeth se redressa sur les genoux et chercha les deux hommes des yeux. Elle découvrit le Général profondément endormi sur un lit de fortune à l'autre bout de la pièce, mais aucune trace de son aide de camp. Profitant de ces précieux instants, elle se redressa davantage et fit l'inventaire de ce qui l'entourait et des possibilités d'évasion qui s'offraient à elle. Étirant ses liens au maximum, elle arriva à s'approcher du fond de la tente, à en soulever le bord et à regarder dehors où elle découvrit un sentier qu'elle pourrait emprunter en autant qu'elle fut en mesure de se détacher. Revenant lentement sur ses pas, elle découvrit une racine arrachée du sol et dont la pointe était assez coupante pour qu'elle puisse l'utiliser pour affaiblir ses liens de cuir. Travaillant péniblement pendant plusieurs longues minutes, elle finit par briser l'une des lanières de cuir. Rassurée par l'efficacité de son travail et par l'encouragement involontaire que lui fournissait le souffle régulier du Général, Élisabeth termina sa besogne puis se dirigea vers le fond de la tente. Ce faisant, elle ne réalisa pas que le précieux rouleau contenant ses lettres de noblesse était resté sur le sol. Elle émergea de la tente en rampant, replaça délicatement la toile bien à plat sur le sol, se releva silencieusement puis s'enveloppa à nouveau dans sa tunique avant de se mettre à avancer le long de l'étroit sentier.

Après quelques dizaines de mètres, le chemin devint de plus en plus large et de nombreuses voix devinrent dangereusement distinctes. Devinant qu'elle se dirigeait directement au cœur du campement des hommes du Général, Élisabeth revint sur ses pas et quitta le sentier pour marcher directement dans le bois sans se soucier des branches qui lui fouettaient le visage et s'accrochaient régulièrement à sa tunique. Après quinze minutes de marche, elle arriva au bord d'une petite rivière qu'elle connaissait bien pour s'y être baigné toute petite et y avoir attrapé ses premières truites mouchetées. Laissant le sol dur et plein de racines récalcitrantes pour marcher dans l'eau, la princesse commença à remonter le courant, sachant qu'il n'y avait qu'en passant par là qu'elle s'éloignerait à coup sûr de ses deux ennemis actuels, Bastien de la tourelle et William Darcy, Général de l'armée du Peuple des Montagnes, bien que le Général eut facilement paru le plus rassurant des deux. Sa seule chance de survie, était d'arriver à la Commanderie de son royaume située au sommet de la colline. Les moines de cette congrégation connaissaient et respectaient son père. Ils accepteraient certainement de la cacher le temps qu'il faudrait pour qu'elle trouvât une solution à son problème.

L'eau était plus froide que dans son souvenir et le courant plus intense. Marchant de plus en plus difficilement, la princesse finit par sortir de l'eau pour regagner la rive où elle ne tarda pas à grelotter. S'enveloppant davantage dans sa tunique, elle continua à avancer, luttant contre le sommeil et la fatigue qui la gagnaient peu à peu. Des voix devinrent tout à coup distinctes, la prenant par surprise. Elle devina que les hommes à qui elles appartenaient étaient à cheval puisqu'ils se rapprochaient très rapidement. Cherchant une cachette ou un arbre assez gros pour la camoufler, Élisabeth accéléra le pas pour atteindre un amoncellement de roches qui se trouvait sur l'autre rive. L'eau glacée rendit ses pieds si lourds qu'elle perdit malheureusement l'équilibre. Tombant tête première dans l'eau peu profonde, elle fut ensuite rapidement entraînée par le courant, redescendant la rivière jusqu'à perdre toute l'avance qu'elle avait gagnée sur les hommes des Montagnes.

-Hey, je crois que je vois un corps dans l'eau, lança un cavalier en dirigeant son cheval vers la rivière.

-Ouais, tu as raison… tu crois que c'est la fille qu'on cherche?

Les deux hommes firent avancer leurs montures jusque dans l'eau, s'approchèrent de la jeune femme et la découvrirent inanimée - l'hypothermie ayant fait son œuvre, plus efficacement que ses ennemis. Soulevant la princesse pour la sortir de l'eau, les deux hommes de mains de Bastien de la Tourelle la hissèrent sur la monture du plus jeune et se remirent en selle pour retourner au Château. Lorsqu'ils atteignirent la muraille Est, d'où ils étaient sortis une heure plus tôt, les deux cavaliers furent pris dans une embuscade et furent assassinés avant même d'atteindre le Château. Les hommes des Montagnes qui héritèrent de la prisonnière, la crurent tout d'abord morte. Ils avaient même décidé de la laisser là, davantage intéressés par les magnifiques destriers qu'ils venaient de gagner qu'à un cadavre de femme, aussi belle soit-elle.

-Eh, Jules, attend… j'crois que j'l'ai vu bouger…

En effet, comme pour appuyer son propos, Élisabeth revint lentement à elle puis se mit à tousser violemment. Surpris tout autant que content d'avoir mis la main sur une aussi belle prise, celui qui était le plus près de la jeune femme, redescendit de sa monture, s'approcha d'elle, lui souleva la tête en la ramassant par les cheveux et l'exhiba tel un trophée devant son compagnon.

-Une belle prise, non? Ricana-t-il.

-Tu parles. Embarque-la vite sur ta monture Jules. Vite avant qu'un autre détachement ne se rende compte que nous sommes ici.

-Aide-moi à la faire monter veux-tu? L'implora celui qui lui tenait toujours la tête en réalisant qu'elle commençait à se débattre.

-Lâchez-moi! Hurla-t-elle.

Tentant de se lever à nouveau, Élisabeth poussa le cavalier qui tentait de l'immobiliser vers la gauche et se mit à courir en direction du Château. Lorsqu'elle vit que la herse s'ouvrait et qu'un cavalier arborant les armoiries de Bastien en ressortait, elle changea d'idée et bifurqua vers la droite.

Le compagnon de Jules la ramassa par le capuchon de sa tunique, la hissa sur sa monture où il la coucha de travers sur le flan, s'installa derrière elle et lança son destrier au galop en direction de la forêt. Les regardant prendre la fuite, Jules rejoignit son cheval, retira son épée, l'empoigna par la garde et s'empressa de croiser le fer avec le cavalier qui arrivait du Château. Après avoir porté un coup mortel à son ennemi, Jules sauta sur son destrier et s'empressa d'aller rejoindre son compagnon.

Sachant très bien qu'il ne lui servait à rien de se débattre alors qu'ils allaient aussi vite, Élisabeth redressa un peu la tête, espérant accumuler assez d'indices pour comprendre où ils avaient l'intention de l'emmener. L'étendard qu'elle découvrit sur les premières tentures qu'elle eut l'occasion de voir, lui révélèrent qu'ils la conduisaient dans le campement qu'elle avait entr'aperçu en quittant la tente du Général. N'ayant plus le choix, elle commença à se débattre en espérant désarçonner son cavalier. S'arrêtant avant de perdre l'équilibre, l'homme sauta en bas de sa monture et la ramassa violemment par la taille pour la faire descendre de cheval. Il la jeta ensuite sur son épaule et lui fit franchir une respectable distance avant de la jeter sur une couverture installée près d'un feu. La lumière des flammes révéla au moins autant ses formes que le désir naissant dans les prunelles de tous les cavaliers qui s'étaient approchés. Élisabeth ne put retenir son cri lorsque l'un d'eux s'allongea à côté d'elle avec un regard qui en disait très long sur ses intentions, soutenu par le rire encourageant de tous ces compagnons.

-Qu'est-ce qui se passe ici? S'enquit une voix que la jeune femme fut très contente de reconnaître dans les circonstances.

-Rien mon Général. Ce n'est qu'une femme que nous avons trouvée en patrouillant, banalisa Jules, se voulant rassurant.

-Vous voulez en profiter vous aussi? Lui proposa celui qui était allongé près de la jeune femme et qui l'empêchait de parler.

-Laissez-moi la voir, ordonna William en s'approchant d'elle. La reconnaissant, il fronça les sourcils et s'écria : C'est bien ce que je pensais! Laissez la parler.

-Ne me laissez pas avec eux… je vous en prie Général, bredouilla la jeune femme en claquant des dents aussitôt que l'homme eut retiré sa main de sa bouche.

-Ramenez-la dans ma tente… cette jeune femme est ma prisonnière…

-Oh non! protestèrent plusieurs hommes.

-C'est pas juste! Renchérit un autre.

-Je t'avais dit de ne pas la ramener ici, Jules! Le critiqua son compagnon.

William coupa court à leurs protestations et ordonna qu'elle soit conduite dans sa tente séance tenante et que les hommes trouvassent une autre façon de se distraire. Jules la ramassa alors sur son épaule et lui fit franchir la distance qu'elle avait elle-même déjà parcourue au début de la nuit, mais qui ne lui avait pas parue si longue alors. Dès qu'il entra dans la tente du Général, Jules la réinstalla sur le sol et prit bien soins de la rattacher. Tout en nouant ses liens, il en profita pour la toucher, posant ses mains sur ses seins et tentant même de l'embrasser. Se débattant du mieux qu'elle le put, Élisabeth réussit à lui donner un coup de pied dans les parties provoquant sa colère et une douleur qui le força à s'éloigner.

William pénétra dans la tente à l'instant même où Jules arrivait à l'autre bout de la tente et s'accroupissait, la main entre les deux jambes.

-Tu as de la chance que le Général soit arrivé, autrement je t'aurais étranglée de mes mains… La menaça-t-il en la regardant d'un œil mauvais.

-Allez dormir Capitaine! Clama le Général, un léger sourire sur les lèvres. Je vais prendre la relève…

Dès que Jules fut parti, William prit place devant sa table de travail, se remettant à prendre des notes sans se soucier de sa prisonnière. De son côté, Élisabeth se mit à pleurer doucement, la tête recouverte de sa capuche, ne voulant surtout pas attirer l'attention de son geôlier. Couchée à même le sol, jambes remontées, toute recroquevillée, la jeune femme se mit rapidement à trembler, puis à claquer des dents. Intrigué par l'étrange bruit régulier qu'il entendait de son côté, William se releva, s'approcha lentement d'elle et toucha à ses vêtements. Constatant que sa tunique était toute trempée, il comprit qu'elle avait été assez folle pour tenter de fuir en passant par la rivière.

-Eh, vous m'entendez? S'inquiéta-t-il en touchant son front.

N'obtenant aucune réponse, le Général lâcha un juron, se surprenant lui-même puisque ça ne lui était jamais arrivé auparavant. Laissant la jeune femme quelques secondes, il quitta sa tente et se rendit vers celle de son aide de camp afin de lui demander de s'occuper d'allumer un bon feu. Pendant que Sorel préparait le bois, William fouilla dans sa besace, sortit sa longue tunique de nuit et ramassa une couverture chaude avant de revenir vers la jeune femme. Après lui avoir détaché les mains, il lui retira sa tunique mouillée, la maintint fermement le temps de lui passer la sienne et la transporta dans son propre lit qui avait l'avantage d'être situé tout près du feu. Lorsque Sorel quitta la tente pour retourner se coucher et qu'il réalisa que la jeune femme tremblait toujours, William s'allongea tout près d'elle et entreprit de lui frictionner le dos pour la réchauffer. Au bout de plusieurs minutes, elle cessa tranquillement de trembler et recommença à respirer normalement.

Le Général, qui avait connu bien peu de femmes dans sa vie, constata que son corps réagissait à son contact et en humant le doux parfum que dégageait sa longue chevelure. (Eut-il réalisé plus tôt que ses cheveux étaient aussi longs, qu'il aurait immédiatement deviné qu'elle ne pouvait pas être une paysanne). Sachant maintenant qu'il s'agissait de la princesse Élisabeth de Grés et ayant pu constater par lui-même que sa beauté n'était pas surfaite, il comprit mieux pourquoi ses hommes s'étaient mis en colère lorsqu'il avait ordonné qu'elle fût ramenée dans sa tente. Il devina aussi qu'il avait tout à gagner à s'éloigner d'elle afin de ne pas être soumis à la tentation. Reconnaissant ensuite la nécessité de se changer les idées, il se releva, retourna s'asseoir à la table et essaya de se concentrer sur son travail. Au bout d'une dizaine de minutes, il abandonna, expira profondément puis finit par aller s'étendre sur la toile à même le sol, là où elle avait été installée au peu plus tôt. Se forçant à fermer les yeux, il essaya de s'endormir, tourmenté par un désir qu'il ne savait pas comment dompter.

À suivre …

Quelques intéressées aimeraient aller lui montrer comment contrôler ses pulsions?

Alors, voulez-vous la suite...