L'inspecteur Murdoch et le Docteur Francis s'insupportaient mutuellement.

Murdoch n'avait absolument pas honte de dire qu'en perdant Julia, en plus de perdre son grand amour, il avait perdu sa meilleure partenaire: Julia était, tout comme lui, une visionnaire! Elle comprenait l'importance de récolter les indices directement sur la scène de crime, et d'examiner le corps aussitôt qu'il était découvert… Si l'on attendait niaisement qu'il soit ramené à la morgue, on se retrouvait avec des pièces à convictions inutilisables, des preuves abîmées, autant par des facteurs aussi divers que le temps où la température, que par les agents maladroits qui avaient emporté le corps.

Certains, un peu trop pieux au goût de Murdoch, croisaient les mains du défunt sur sa poitrine, dans un geste religieux absolument stupide si on considérait le fait que cela risquait d'entraver considérablement les recherches de son meurtrier… Comment l'âme pouvait-elle trouver le sommeil dans ce cas ? L'inspecteur s'étonnait à chaque fois que cette question n'effleure même pas l'esprit de ces crétins bien intentionnés… Une fois, Murdoch avait même dû en empêcher un d'essuyer les mains pleines de sang du défunt ! Quand on est croyant à ce point-là, on devient curé ou pope, pas policier…

Le docteur Francis savait cela, et pourtant, il ne comprenait pas ! Murdoch se demandait comment cela pouvait être possible, c'était pourtant d'une telle évidence !

Mais le docteur Francis ne voulait pas bouger de sa morgue, faisait bien sentir à Murdoch qu'il le dérangeait lorsqu'il l'appelait, et son arrogance commençait sérieusement à taper sur les nerfs de l'inspecteur…

C'est pour ça que lorsque Julia, de passage à Toronto, avait proposé de l'aider, il n'avait pas hésité. Et lorsque le Docteur Francis, furieux, les avait surpris, il s'en était voulu.

Le docteur Francis avait aussitôt décrété qu'il repartait la d'où il venait, et avait immédiatement déposé sa démission.

Et maintenant, le pauvre inspecteur ne voulait pas qu'il parte. Et il s'en voulait terriblement.

La colère et la haine qu'il avait lues dans les yeux du légiste l'avaient perturbé. Jamais quelqu'un ne l'avait regardé ainsi, et pourtant, il en avait envoyé des criminels à l'échafaud…

Songeur et troublé, il remercia Julia, s'excusa, et rentra au poste de police, sachant qu'il allait se faire fustiger par l'inspecteur Brackenried…

Cela ne rata pas, cependant, Brackenried l'averti qu'il avait refusé la démission et obtenu un délai du Docteur Francis. Le Légiste et sa femme resteraient au moins une semaine de plus à Toronto pour un mariage. Maintenant, il ne tenait qu'à Murdoch de s'expliquer, et de se faire pardonner…

L'inspecteur promit qu'il ferait de son mieux et parti sur le champ…

Il se dépêcha de se rendre chez le légiste et frappa à la porte. Une femme aux cheveux châtains, la trentaine et plutôt jolie lui ouvrit. Il la salua rapidement.

-Bonjour Madame, je suis l'inspecteur William Murdoch et je…

-Ah, oui, Robert m'a parlé de vous… Pardon Monsieur, mais il est encore très en colère contre vous, et je ne pense pas que cela soit une bonne idée de lui parler…

-Pardonnez-moi d'insister Madame, mais je lui dois au moins des excuses en bonne et due forme…

La femme acquiesça.

-Comme vous voudrez, mais je vous aurais prévenu.

La femme le conduisit à travers la maison et jusqu'au bureau de son mari. Aussitôt qu'il le vit, le Docteur Francis sembla lutter contre une rage folle. Cependant, il réussit à se contrôler, et les mains crispées sur le dossier de sa chaise à en faire blanchir les jointures, les mâchoires serrées, il ordonna à sa femme de les laisser discuter. Elle partit sans demander son reste…

-Que voulez-vous, Murdoch !

Sa voix était glaciale et son ton sec comme un coup de feu.

-Je voudrais m'excuser, répondit doucement William.

-Vous excuser de quoi ? De m'avoir tiré de ma morgue à chaque fois qu'un nouveau cadavre se présentait ? D'avoir contesté nuit et jour mes décisions ? Ou bien de m'avoir humilié devant votre chère et tendre ?

-Julia va bientôt se marier et n'a rien à voir la dedans, docteur… Je suis entièrement fautif…

-C'est bien ce que je dis ! répondit le légiste.

-Cependant, je pense qu'il est nécessaire d'éclaircir quelques points… Commença Murdoch, sans agressivité. Je ne conteste pas nuit et jour vos décisions. Nous avons malheureusement une sérieuse différence d'opinion, et là ou vous vous plaignez d'être dérangé dans votre travail, il faut bien que je fasse le mien… Vous savez que…

-Oui, oui, les preuves doivent être récoltées sur place au risque d'être endommagées, l'interrompit le légiste, vous me l'avez assez souvent répété pour que je le sache…

-Alors pourquoi ne le faites-vous pas ? Demanda William. Est-ce simplement parce que cela fait des années que vous travaillez comme cela, et que l'innovation de mes méthodes vous oblige à bouleverser vos habitudes ? Pourtant, ces méthodes ont fait leurs preuves, et vous le savez, notre poste de police à statistiquement vingt pourcent d'affaires en plus qui sont élucidées…

A l'annonce de cela, William cru voir la mâchoire du légiste se serrer. Il reprit.

-Ou bien y a-t-il autre chose ? Je vais finir par croire que vous avez quelque chose contre moi…

-Je n'ai pas.. !

Le docteur Francis s'interrompit. Puis, il reprit.

-C'est simplement que votre arrogance et votre suffisance met mes nerfs à rude épreuve…

Murdoch haussa un sourcil, sceptique.

-Mon arrogance et ma suffisance, docteur Francis ? Il me semble pourtant que vous pouvez me faire concurrence sur ce point. Moi au moins je n'invective pas tout le monde en prenant les gens à témoin…

Les mâchoires du légiste se resserrèrent un peu plus et Murdoch crut entendre ses dents grincer. En revanche, il fut sur d'entendre ses jointures, toujours crispées sur la chaise, craquer. La voix du docteur Francis s'éleva, étouffée.

-Partez, Murdoch, ou je risque de faire quelque chose que nous allons tous les deux regretter.

L'inspecteur inclina légèrement la tête.

-Je reviendrai, Docteur Francis.

-Mieux vaut éviter, marmonna le légiste entre ses dents.

Murdoch le salua légèrement de la tête et s'en alla.


Mes chapitres sont tellement courts pour cette histoire que je me suis dis que j'allais me faire descendre comme pour "Calice d'un loup ou imprégné d'un vampire", alors j'ai mis le chapitre 2 ici. Par contre, l'histoire est déjà très courte à la base, donc ça la raccourcit encore plus. D'ici une semaine, deux maximum, j'aurais terminé cette histoire... :)

Et comme le Docteur Francis n'a pas de nom dans l'histoire (comme le Docteur Roberts), je l'ai appelé comme ça, je ne sais pas d'où ça me vient, mais il m'est impossible de l'appeler autrement maintenant^^