La rencontre.
C'était un matin semblable à bien d'autres, rien ne présageait ce qui arriva ensuite. Cela fait plusieurs semaines que je me suis installé dans ce village géré d'une main de maître par Mortimer, la vieille tortue. Bien qu'il soit toujours en compagnie d'Opélie ou de sa sœur, je ne sais pas comment que ce maire peut rester derrière son bureau alors que le temps, par moment, est vraiment agréable. Alors que certains villageois se lancent à la chasse aux insectes ou à la pêche, lui préfère rester à l'intérieur mais dans un sens, il le fait peut-être par choix. J'ignore l'âge qu'il peut avoir mais si Mortimer a dépassé la centaine, le fait de minimiser ses forces devient tout à fait compréhensible.
Je me nomme Jordan et je suis un jeune homme de seize ans, pas très grand et mes cheveux sont châtains tandis que mes yeux sont verts. J'ai quitté le foyer familial il y a de cela plusieurs mois car je voulais faire mes preuves, démontrer à ma mère que je pouvais m'en sortir tout seul. Je me souviens encore du soir même où je me tenais sur le bord de la route, une valise dans ma main droite tandis que les gouttes de pluie glissaient le long de mon parka. Il fallait croire que le ciel n'était pas convaincu de mon initiative et me le faisait comprendre à sa façon. D'ailleurs, j'étais à deux doigts de rebrousser chemin et de présenter mes excuses à ma mère lorsqu'un taxi s'arrêta juste devant moi.
La fenêtre de sa portière baissée, le conducteur m'invita à monter et même si je ne parvenais pas à distinguer son visage correctement, j'acceptai sans opposer la moindre résistance et une fois que je me trouvai sur la banquette arrière, la voiture reprit sa route. Tout le long du trajet, je regardai droit devant moi et à ce moment, l'étrange individu me posa tout un tas de questions. L'une d'entre elle m'a fit rire car mon bienfaiteur pensait que j'étais une fille, ce qui n'était pas du tout le cas. Suite à cette interrogation, j'ai du décliner mon identité et lorsque je lui ai demandé à mon tour à quel endroit comptait-il m'emmener, je n'ai eu droit qu'à du silence en guise de réponse. De toute évidence, si mon chauffeur avait souhaité me faire du mal, il aurait pu m'en faire dès le début, ce qui n'était pas le cas.
Lorsque je foulai le sol de ce village, le soleil commençait à se lever à l'horizon tandis que les derniers nuages gris disparaissaient au fur et à mesure que le jour pointait. La valise à la main, je fus surpris de voir le taxi repartir en passant par les deux immenses portes se trouvant dans la roche entourant ce coin de paradis. Lorsque les battants se refermèrent, j'ai vu que leurs gardiens n'étaient autre que des chiens, ce qui m'étonna fortement. Pour être sûr de n'être victime d'aucune illusion, je me frottai les paupières et regarda une nouvelle fois mais non, j'allais parfaitement bien. Me sentant seul et peu rassuré, je ne m'étais pas rendu compte que mon chauffeur m'avait déposé près du bâtiment administratif du village.
Là, j'ai pu faire la connaissance du maire qui vint très vite à ma rencontre et avec sa permission, je n'ai pas tardé à m'installer dans cette charmante bourgade. Ma vie ici est plutôt tranquille et pour rien au monde je voudrais la troquer. Lorsque mes finances sont faibles, j'ai juste besoin de pêcher un peu, de fouiller le sol pour y trouver des fossiles ou de chasser quelques insectes et la minute d'après, mon porte-monnaie est plein de nouveau. Oui, je me sens vraiment bien ici et j'envisage d'y rester jusqu'à ma mort. De temps en temps, je reçois du courrier de ma mère ou de mon père pour me donner des nouvelles de leur vie.
Ils me manquent un peu, c'est vrai et même si je me suis montré très gentil au sein de ce village, je n'ai, hélas, la chance de pouvoir leur répondre. Ce matin, le village est en ébullition et c'est dans cette atmosphère que je sors de ma petite maison avant de me poster sur les dalles de pierres. Là, je regarde droit devant et constate que plusieurs habitants se sont réunis sur la place de la mairie, discutant tous à voix basse. Qu'est-ce qui se passe pour que ces derniers agissent de cette façon ? Le meilleur moyen d'obtenir la réponse serait de les rejoindre et de leur demander directement mais je n'aime pas trop me mêler aux autres, surtout dès le matin.
- Allez, partons à l'aventure, dis-je avant de quitter ma demeure.
Courageux mais surtout curieux, je ne tarde pas à franchir la place de la mairie et de saluer mes amis du revers de ma main droite. Parmi mes voisins se trouve une souris, un chat et un pingouin de la même couleur : bleu, deux chèvres dont l'une est violette et l'autre, blanche et pour conclure, un écureuil vert et un lion plutôt normal. Enfin, je dis normal alors que tous sont doués de la parole, sont habillés comme vous et moi mais surtout, savent se tenir sur leurs deux jambes et vivent à l'intérieur de maisons toutes aussi sympathiques les unes que les autres. En fait, avec le recul, je me dis que la vie au sein de ce village n'a rien de normal mais ce n'est pas moi qui vais me plaindre. Ils m'ont accepté tel quel et pourtant, je ne suis qu'un simple être humain.
Je poursuis mon chemin jusqu'à la première plage du village. C'est la plus petite et très vite, je dois me baisser pour me saisir d'un coquillage que je sais reconnaître entre mille : une jonque. Une fois dans ma main, je la glisse dans ma besace qui me donne l'impression d'être sans fond lorsque je remarque une demeure que je vois pour la toute première fois. Voilà pourquoi ceux que j'ai laissé derrière moi se sont réunis sur la place du village, c'est parce qu'un nouvel habitant s'est installé parmi nous.
