La lune éclairait les pas du jeune homme. Autour de sa silhouette fine et élancée, une cape noire battait dans la nuit, brodée près du cœur d'un M royal. Le M des Mangemorts. En dessous de ce M, un serpent, montrant clairement le niveau élevé dans la hiérarchie que le personnage occupe. Seul à avancer sur le pavé car, depuis le couvre-feu, seuls les Sang-pur et les Mangemorts en question ont le droit de quitter leurs domiciles.

Un frisson d'anticipation parcourut son échine. Après une journée passée dans les camps, à exterminer allègrement les Sang-de-Bourbe, Cracmols, Moldus informés de l'existence de la magie et autres rebelles, l'homme avait besoin de s'accorder une pause, en se vautrant dans les plaisirs interdits de la luxure, de la boisson, de la drogue de qualité. De s'enfouir entre les cuisses tièdes et accueillantes d'une prostituée du Chemin de Traverse, dans un bordel discret réservé à l'élite. Boire un verre en se délectant du spectacle d'une fille se déshabillant au rythme de la musique, livrant sa peau en pâture aux regards pervers posés sur elle.

L'homme savait parfaitement où il allait. À côté de Gringotts, un bâtiment sobre, surmonté d'un panneau où l'on pouvait lire, en lettres d'or : « Les plaisirs de Madame Rosépine ». Pour un peu, il s'en serait frotté les mains. Ladite Madame Rosépine était la tenancière de la maison close la plus luxueuse du Chemin de Traverse, rien de comparable avec les bouges de basse catégorie de l'Allée des Embrumes.

Encore un point fort, selon lui, du régime du Seigneur des Ténèbres depuis la victoire à Poudlard trois ans auparavant et la mort de Harry Potter. Voldemort savait plaire à ses hommes de main. La preuve, les bars, maisons closes et autres lieux déconseillés proliféraient depuis son accession au pouvoir suprême. Une putain, un verre et de la drogue. Oui, Voldemort savait plaire.

Madame Rosépine était devenue célèbre en relativement peu de temps, écrasant toute concurrence. Elle était de Sang-mêlé, et c'était une très belle femme encore à quarante-cinq ans, une sorcière redoutable et pleine de culture et de talent. Généreuse, douce même si ses fureurs étaient célèbres, elle s'était adaptée sous le nouveau régime et en retirait énormément d'argent. C'était selon son avis que l'on dictait les lois envers les prostituées. Elle était non seulement riche, mais aussi très influente. Madame Rosépine était presque intouchable.

Bien entendu, ses charmes et ses talents de femme d'affaires n'étaient pas les uniques raisons de son ascension. Chez elle, l'on trouvait les plus belles filles du pays, réservées à un élite à la bourse rebondie. La maison était réputée comme très discrète, bien entendu, mais aussi très propre, ce qui était appréciable. Les filles n'étaient pas battues, ni malades, ni sales. Lorsque souvent, un client les malmenait, elles disposaient aussitôt de soins. Elles étaient bien alimentées et traitées, sinon payées : le nouveau régime n'en exigeait pas tant, puisque pour tout dire, elles étaient prisonnières des bordels. La maquerelle faisait en sorte de les entretenir, pour qu'elles ne s'ennuient pas. Beaucoup étaient non seulement jolies mais aussi cultivées, et pour les clients de marque, il était normal de discuter après l'acte de choses étonnamment complexes.

Chez Madame Rosépine comme ailleurs, les filles étaient souvent de classe « inférieure », des Sang-de-Bourbe, des Cracmolles, des traîtresses à leur sang. Quelques unes étaient déposées là comme butin de guerre, ou alors vendues. Des fois aussi elles entraient par manque de choix, réduites à gagner leur vie en se prostituant c'était là une minorité, payée bien sûr, et libres de partir ou non.

Il n'y avait pas que la prostitution dans son sens le plus basique chez Madame Rosépine. Il y avait aussi vente de boissons au prix fort, voire de drogues sous le manteau. Pour ceux qui n'avaient pas les moyens de s'offrir les services d'une fille à prix d'or, la salle principale offrait des spectacles de danse, de chant, de strip-tease. Il y avait aussi des fumoirs, pour que ces messieurs puissent jouer aux jeux d'argent et notamment de cartes, ainsi que des boudoirs, afin que les dames venues au bordel puissent se retirer pour bavarder autour de sucreries. Chez Madame Rosépine était donc avant tout un lieu du monde, où l'on venait pour se faire bien voir, jouer, consommer, discuter politique et économie, avant de monter avec une fille. Et bien entendu, l'on venait voire la magnifique Madame Rosépine en personne.

Madame Rosépine connaissait donc un vif succès qui allait en augmentant, tant qu'elle devait chaque soir renvoyer plus de la moitié de sa clientèle faute de place. Néanmoins, ce soir, l'homme qui marchait vers la maison close fronça les sourcils en voyant une foule épaisse et compacte devant l'entrée. Des gardiens de sécurité à la carcasse conséquente, baguette en main, montaient la garde devant la porte double du bordel. L'homme ralentit un peu, puis décida de remonter le courant pour pénétrer dans l'établissement. Son statut lui permettait l'entrée partout. Même chez la belle Rosépine.

-Hé vous là ! On ne vous dérange pas au moins ? Pourquoi vous ne faites pas la queue comme tout le monde, le héla une voix d'homme dans la file d'attente.

L'autre se retourna vivement, sa poitrine et le M chevauchant un serpent bien en vue à la lueur des candélabres surmontant la porte. Il vit un homme à l'allure de souris, fermement tenu par une grosse blonde en rose bonbon, blêmir de peur en le reconnaissant.

-Je...je suis dé...désolé...Mons...ieur...Monsieur Zabini...

-Silence, imbécile, siffla le Mangemort. Statut du Sang ?

L'homme transpirait autant que son éléphante d'épouse et ne put répondre, se contentant de montrer d'un revers de main sa cape vert bouteille avec un S blanc à la place du cœur.

-Sang-mêlé, hein ? Dégage, et que je ne vous voie plus ici, ni toi ni ta grosse vache.

La grosse vache eut le bon goût de cacher son indignation et de tirer son mari éperdu hors de la foule. Blaise Zabini passa près des gardes qui eurent l'intelligence à leur tour de ne pas l'arrêter mais de hocher la tête vers lui en salutation respectueuse.

Et le jeune homme de vingt ans pénétra dans la réception. C'était un long hall immense, au sol de marbre blanc, aux murs vert sombre décorés de peintures de valeur représentant diverses histoires d'amour de l'Antiquité et de la mythologie gréco-romaine, avec un haut plafond semblable à celui de la Grande Salle de Poudlard à cette différence près qu'il ne représentait pas le temps qu'il faisait dehors, mais un paradis éternel, avec des nuages cotonneux, un soleil couchant, un arc-en-ciel, un ciel bleu pâle. Au bout de l'entrée, un escalier en fer à cheval en marbre, or et bois de rose desservait les étages supérieurs.

L'escalier était flanqué de portes doubles à gauche et à droite, l'une partant vers la salle principale, l'autre vers les quartiers des filles et autres domestiques, protégés par des sortilèges. Le gigantesque hall était éclairé de candélabres en or massif où ronflaient des torches en flammes. À la droite immédiate de l'entrée, une réception derrière laquelle se trouvait une belle jeune blonde semblable à un mannequin arborait une petite robe noire moulant son corps de déesse et un sourire éclatant.

-Bonsoir, Monsieur Zabini, susurra-t-elle en le reconnaissant.

-Bonsoir, Hélène. Voici mes cinquante Gallions d'entrée.

-Merci, Monsieur Zabini. Puis-je vous débarrasser de vos vêtements ?

Blaise lui tendit sa cape en gardant sa bourse près de lui et demanda,

-Pourquoi y a-t-il tant de monde dehors ce soir, Hélène ?

-Oh, vous n'êtes pas au courant ? Mais voici ma patronne qui arrive. Elle vous l'expliquera mieux que moi. Bonne soirée, Monsieur Zabini.

-Bonne soirée, Hélène.

Blaise se tourna vers une femme qui descendait l'escalier d'un pas vif mais élégant. Vêtue d'une splendide robe empire rouge sang, montée sur des talons aiguilles de la même couleur, la fameuse Madame Rosépine venait vers lui en souriant. Ses cheveux blonds coulaient librement entre ses reins et elle darda son regard pervenche sur le jeune Mangemort en ouvrant ses bras délicats et pâles, comme une mère. Blaise alla la prendre entre les siens et l'étreignit avant de lui demander, rieur,

-Comment va ma Vélane préférée, ce soir ?

-Oh, Blaise !

Elle se dégagea, la moue belliqueuse, et lui asséna une tape sur le torse.

-Blaise, tu sais bien que je ne suis pas Vélane, comment oses-tu me le sortir à chaque fois ?

-Parce que tu es si belle en colère, lança-t-il avec un clin d'œil. Et d'ailleurs, tu ne me feras pas avaler que tu n'as pas un peu de sang Vélane en toi. Tant de beauté ne serait pas possible sinon.

Les yeux bleus de la dame étincelèrent de rage.

-N'essaie même pas de masquer une insulte à mon sang de sorcière en me faisant un compliment ! M'as-tu déjà vu me transformer en harpie sous le coup de la colère ? Non ? Bon ! Je suis la preuve qu'une femme peut être belle sans cousiner avec ces atroces filles de rien. Je ne suis pas la seule d'ailleurs. Ta propre mère est très jolie.

-Elle te passe le bonjour et t'invite à prendre le thé au Manoir dès que possible.

Madame Rosépine lâcha un soupir à fendre l'âme.

-Hélas, mon chéri. Je ne peux pas me libérer en ce moment. Avec toute l'agitation ambiante...

Blaise fronça les sourcils.

-Oui, d'ailleurs, pourquoi y a-t-il tant de monde ? Je sais que tu as du succès mais tout de même, ta foule va jusqu'en plein milieu du Chemin de Traverse !

Elle lui offrit un sourire complice.

-N'en as-tu pas entendu parler, mon cher ?

-Non. Je viens de passer, à la demande du Seigneur des Ténèbres, deux semaines en Espagne, dans un camp d'extermination puisque comme tu le sais, le Ministre de la Magie espagnol, Raoul Fernandez, a préféré collaborer avec nous...j'ai fait un saut au Manoir où mère m'a demandé de vous transmettre le message puisque je venais ici après. Le temps de me laver, de me changer, et me voilà...

-N'as-tu eu aucune nouvelle en Espagne, Blaise ? Ni même en revenant ?

-Non. J'étais trop fatigué. De toute manière je ne ferai mon compte-rendu au Maître que demain matin.

-Alors tu as raté une superbe nouvelle qui est la cause de tout ce monde. J'ai acheté, à prix d'or il faut le dire, au Seigneur des Ténèbres en personne, trois jeunes beautés aussi célèbres que Harry Potter en personne et qui ont été capturées la semaine dernière !

Elle battit des mains comme une enfant en ajoutant,

-Et ce soir elles feront le show, avant d'être disponibles...en chambre !

-Trois ? Au Maître en personne ? Capturées par les Mangemorts ? Je ne tiens plus de curiosité, ma chère Sveltlana.

Sveltlana Rosépine le traîna vers la salle bondée où le spectacle des nouvelles allait commencer.

-Eh oui Blaise, cela a fait les gros titres. On ne désemplit pas...je te le dis pour t'éviter d'être étonné.

-Qui ?

-Hermione Granger, Ginny Weasley et Luna Lovegood.

Blaise écarquilla des yeux.