Livre I (Chapitre 1)

Conscience

Lorsqu'il se leva ce matin du 31 juillet 1990, une chaleur étouffante régnait dans son petit placard, au dehors les oiseaux excités par le thermostat s'égosillaient furieusement. Il allait faire beau, un temps idéal pour quiconque s'apprête à en profiter. Quiconque mis à part lui.

Dans cette atmosphère suffocante, couché, les yeux grands ouverts et fixant une petite araignée qui jouait à l'acrobate, il s'octroya une parenthèse de conscience, une sorte de face à face avec soi ; c'était un jour important après tout, on n'a pas dix ans tous les jours...

Il n'était plus un petit garçon désormais. Il grandissait et ce faisant, il assimilait de mieux en mieux certaines choses. Il n'était pas normal de ne jamais avoir vu ses parents, même pas en photo. Il n'était pas normal de devoir dormir dans un placard alors qu'il y avait une chambre libre sous le même toit, une chambre pour jouets. Il n'était pas normal de ne pas avoir d'amis. Il n'était pas normal...

Et tendis qu'Harry faisait mentalement cette longue liste de ce qui n'était pas normal dans son existence, il se rendait compte, avec une clarté inédite, de cette présence qu'il charriait avec lui du levé au coucher, comme un vieil ami ; sa solitude. Elle était en lui et avec lui, presque palpable. Une entité à part entière. Il ne l'avait jamais ressenti aussi intensément qu'à ce moment-là.

Souvent, Harry rêvait qu'un parent lointain viendrait le chercher un jour pour l'emmener avec lui ; il aurait alors quitté les Dursley pour de bon. Il aurait été heureux, entouré. C'était cette douce utopie qui lui permettait de ne pas flancher lorsqu'on lui faisait vivre les pires mesquineries. Les années passant, il devait admettre qu'il n'y avait aucun espoir pour que ce scénario se réalise, mais au fond de lui, il ne pouvait s'empêcher d'y croire encore. Car, sinon, la vie ne lui réservait rien de bien réjouissant, rien d'autre qu'un quotidien morne et solitaire.

Tu es faible, Harry.

Il sursauta dans son lit de fortune et se cogna la tête contre le plafond. Les larmes aux yeux, il se teint le front entre les mains, abasourdi par le choc. Contre sa paume, sa cicatrice palpitante était chaude comme la braise. Il resta ainsi un moment, jusqu'à ce que la douleur démunisse plus ou moins. Il allait avoir un joli bleu, encore un. Son imagination lui jouait des tours et il se figurait entendre sa voix intérieure lui chuchoter ses propres et mortifiantes pensées à l'oreille...

Je ne suis pas faible, se rependit-il dans un murmure, je ne suis qu'un petit garçon.

Non, tu ne l'es plus.

La voix en lui avait retentit de nouveau, il put mieux l'analyser cette fois. En réalité, il n'entendait pas vraiment les mots, il les ressentait, les pensait... ou quelque chose les pensait en lui ? L'idée le fit frissonner.

Personne ne peut te sauver Harry, personne ne viendra pour toi. Il te faut abandonner ces faux espoirs, sinon, tu resteras ainsi, faible et pathétique. Existes-tu seulement ?

J'existe ! répliqua-il, presque malgré lui, affolé pour de bon. Bien sûr que j'existe !

Le cœur battant, le crane en feu, Harry tenta tant bien que mal de se ressaisir. Il vivait l'un de ces moments étrange et inexplicable qui avait coutume de lui arriver. Son esseulement devait avoir eu raison de lui finalement. Il était devenu fou !

Tu n'as pas de famille. Tu n'as pas d'amis. C'est ton anniversaire aujourd'hui et pourtant, personne ne te le souhaitera. Tu es un fantôme ...

Cette constatation le heurta profondément, l'emplit de colère et de chagrin.

Tais-toi ! tais-toi ! tais-toi... se répéta-il, désespéré que cet état de conscience soit si vif et si éloquent.

Jamais sa cicatrice ne l'avait fait autant souffrir. Il était en sueur désormais, nauséeux et tremblotant. Il se concentrait si fort sur son envie de faire taire cette voix en lui, qu'il fut au bord de l'évanouissement.

Refuser de se battre, continuer à se mentir, c'est le choix des faibles Harry ...

Il y parvint néanmoins, car la voix faiblit et disparue. Cette présence qu'il ressentait en lui devint moins concrète, plus diffuse. Il resta un moment sur le bord du lit, faible et étourdi. Il mit un instant à se reprendre et lorsqu'il fut capable de raisonner à nouveau, il eut le sentiment accablant d'avoir fait une énorme erreur. Que venait-il de faire concrètement ? Faire taire la voix de la vérité ? Refuser d'admettre une douloureuse réalité ? Il était vraiment faible. Faible et pathétique et son existence était dépourvue d'intérêt.

Non ! Je ne veux pas rester ainsi. Que dois-je faire, que dois-je faire ? supplia-t-il.

Il ferma les yeux un moment, concentra toute son énergie à la recherche de cette voix, de cette présence jusqu'à lors ignoré mais (il en était certain désormais) partie intégrante de lui. Il la fit rejaillir comme on tirerait un être cher suspendu au bord d'un précipice ; avec toute la force que procure le désespoir.

Il faut être prêt à changer les choses, s'entendit-il dire. Es-tu prêt Harry ?

Je suis prêt !

Ça ne peut se faire que dans la douleur...

Ça ne sera pas une première.

Dans ce cas écoute-moi. Ecoute-toi, car on ne fait qu'un... tu sais ce que tu dois faire.

S'il y avait eu quelqu'un pour assister à ce qui était en train de se passer dans le placard du 4 Privet Drive en cet instant, outre l'incompréhension, cette personne en aurait ressenti un profond effroi. Le petit garçon se métamorphosait à vue d'œil. Ses traits innocents se durcirent, son air de désarrois laissa place à un masque d'impassibilité et son regard vert si agréable d'ordinaire devint dérangeant, troublant.

Harry se leva, un peu maladroit dans sa démarche, comme s'il n'était pas habitué à sa propre physionomie. Il se dirigea vers un coin du placard, prit une grande inspiration et avec calme et froideur se cogna consciencieusement le front contre le mur. Une fois. Deux fois. Trois fois. Le sang gicla. L'écho de ces coups se répercuta dans toute la maison. Vernon et Pétunia sursautèrent dans leur lit, même Dudley en fut réveillé le cœur battant.

Dans son placard, après un énième coup, Harry s'évanouit.