Au sortir du néant
(Cicatrices de la création)
OOO
Un air de fin d'été.
Dehors, le soudain orage avait surpris les derniers flâneurs de Magnolia par sa violence. Le soleil s'était couché depuis quelques heures déjà, et les lampadaires faisaient vibrer les ruelles de leur éclairage fantasques. La ville alors si festive, avait rapidement été plongée dans une douce stase d'amertume, tout le monde s'était comme barricadé, chacun chez soi dans la torpeur chaleureuse de cette fin août. Ainsi je me retrouvais bientôt sous une douche tiède, sans la possibilité de pouvoir échapper à la pluie diluvienne qui s'abattait alors dans les rues.
Au hasard des tournants, la mémoire se tordait plus douloureusement que jamais. Les souvenirs de cette époque où la magie me semblait la plus belle des fédérations, la plus belle des distractions, la plus belle des solutions à tous nos problèmes, tous ces souvenirs me revenaient alors. Cette époque où je considérais Fairy Tail comme ma famille, et ses occupants comme mes frères et sœurs, cette époque fastueuse qui nous avait tous rassemblés derrière une bannière à laquelle nous croyions plus que de raison. Au hasard des chemins aux fleurs flétries et de ces places aux fontaines taries, ces moments passés en compagnie de mes amis d'antan refaisaient surface.
Et puis, je repassais devant ce bâtiment si beau et coloré, cette guilde qui nous avait accueilli, qui maintenant était en ruines. Et ce bruit de la pluie qui martelait sans jamais s'arrêter la façade. Maintenant cette grande bicoque avait quelque chose de cynique, comme si l'âme même de Fairy Tail jetait sur moi un regard sévère et distant. Tout avait disparu.
Aussi je me mettais à genoux devant cet édifice qui nous avait tous bercés étant plus jeunes et immatures. Je me mettais à genoux pour tendre mon visage à cette nuit qui s'annonçait longue et douloureuse.
Un instant pour accueillir sur mes yeux toutes ces larmes, puis sourire de l'absurdité de la situation, se relever et entrer dans ce tas de décombres.
Je pénétrai lentement dans l'édifice, comme au ralenti, comme si j'avais prémédité ou rêvé sans fin ce moment, sans trop savoir ce qui m'y attendais. Mais la grande guilde de Fairy Tail, même si elle avait perdu de sa superbe, restait toujours un bâtiment agréable à visiter. Les lanternes et les torches n'étant plus d'actualité, je marchais à présent dans une semi-obscurité plutôt apaisante.
OOO
Maintenant, j'étais seul avec les gouttes d'eau clapotaient sur le parquet humide pour seul accompagnement. De mon sac je tirai du papier et une lettre, je me posai au comptoir où Mira nous avait servi tant de boissons et de repas, et je commençai à écrire. Les mots mirent un moment à me venir, mais j'avais choisi le bon endroit. En prenant le temps de contempler les vestiges de cette guilde, tout finit par me revenir. Et la rage, le désir de créer furent alors plus puissant :
« Portail temporel
Non je n'ai pas oublié ce lieu, cette guilde dans laquelle j'ai vécu…
Je n'ai pas oublié la force de ton âme, la détermination qui t'animais
J'aurais aimé être aussi puissant et valeureux que toi
Que les autres mêmes !
J'ai l'impression aujourd'hui, de n'être que le plus grand fardeau de cette terre
Et pourtant, je n'aime pas le dolorisme
Je n'aime pas les êtres trop égocentrés
Mais toute cette vie de souffrance, pour en arriver à ce constant : tout a disparu
Et rien ne vaut la peine sans vous
Je ne peux pas vivre sans la guilde, sans toi ni les autres
Mais surtout sans toi
Dans le fond, je pensais pouvoir échapper à ces pensées maladives
Et pourtant… c'est peut-être cette pluie qui m'a décidée
A venir, comme dans une sorte de pèlerinage
Sur les lieux même de nos plus belles années
J'aimerais te conter mes errances sans fin
Mes incertitudes
Mes angoisses dans les paysages gouvernés par la tiédeur et la banalité
Dans ces villes où la magie n'est plus, où la famine persiste en dépit des efforts
La guerre est la plus forte à faire la grande souffrance
J'ai erré ainsi, comme un ermite, un vulgaire vagabond étranger à son monde
Tout cela pour finir ici, avec toi dans mes pensées
Et sans pouvoir vraiment y faire quoi que ce soit
Tu sais
Plus j'y pense, et plus cette nostalgie me rend malade
Mais elle est là
Les années passent, et ces souvenirs sont plus forts que tous
Je n'ai pas envie de me complaire dans leur gargarisation
Et pourtant ils me sont toujours restés de fidèles compagnons
Fatalement
Où que j'aille
Ils me poursuivent
Me hantent, comme ton visage et tes traits si beaux
A présent
Dans ce lieu si cher à mon être, je me rends compte de la chance que j'ai eu
De tous vous connaître
Et les mots ne me manqueraient pas
Pour décrire l'influence que tu as eu sur moi…
Aussi idiot pouvais-tu être par moments
Je garde pour toujours ces images mouvantes de ta resplendissante énergie
De ton entrain
Et je regrette de n'avoir pas pu en profité d'avantage
A présent que la créativité a quitté ce monde, que depuis deux ans déjà j'erre
Et je ne trouve remède à ma peine grandissante
C'est peut-être en couchant ces mots ici et maintenant
Que je parviendrai à apaiser mes blessures
Que je pourrai faire votre deuil à tous
A vous tous, personnages si attachants et inspirants
Deux ans sans vous côtoyer, sans avoir de vous nouvelles
Et Deux ans surtout, sans avoir pu apprécier l'étendue de votre univers
De votre monde
De notre monde puisque nous le partageons
Cela m'attriste tant
De ne pas avoir pu vous sauver de l'oubli progressif
Mais finalement, peut-être que c'était inévitable
J'essaie de me rassurer en me le disant
On finit toujours par se désintéresser un jour ou l'autre
On change de perspective, les nouvelles idées fusent
Mais finalement elles ne font que nous retenir un petit moment
Et la paresse finit par prendre le dessus, toujours
Dans cette décrépitude
Tout reste à refaire
A reconstruire, peut-être
Mais est-ce que je pourrais y croire, moi ?
Alors que depuis si longtemps, rien de productif n'est sorti de moi
J'erre, toujours et encore
A la recherche d'une éventualité
Mais forcément, sans action de ma part, l'éventualité ne vient pas
Et vous restez dans l'oubli
Et c'est ainsi
Que ce cercle vicieux continue de vous soumettre
A l'oubli
A l'oubli inaltérable
La fin de la mémoire
Les danseurs finissent par s'épuiser, relâchant leur combat contre le temps
Ils ont beau se concentrer, tout le reste du monde les prend trop au dépourvu
Et ainsi, j'essaie de m'expliquer les raisons qui m'ont poussé à vous délaisser pour d'autres choses. Ces 'choses' qui finalement prennent tant de place même si on ne sait pas ce qu'elles sont exactement. Elles sont tout et rien à la fois. Ces choses du quotidien qui nous empêchent de revenir à vous.
La chute de nos aventures était-elle donc inévitable ?
Peut-être que les gens en ville, le public, avait raison au final
Peut-être que c'est lui a eu raison de peu à peu négliger notre histoire collective, car nous ne pouvions justement plus l'intéresse
C'est peut-être la qualité même de nos êtres qui a fait défaut
J'aimerais ne pas y croire
A présent je continue de me lamenter ici, dans un souterrain de regrets
Sans voir seulement que tout n'est pas perdu
Qu'une lueur naît à l'instant dans le ciel au dehors
Que sans doute il n'est pas trop tard pour relancer une machine rouillée
J'aimerais que cette lueur soit belle, puissante, rayonnante comme toi
Mais peut-on vraiment compter sur elle ?
A cette heure, j'ai évité toutes mes obligations, j'ai fuis, deux ans durant, la moindre responsabilité, j'ai tout reporté à plus tard. J'ai préféré me confiner dans un grand champ d'abysses et de spectres plutôt que d'affronter la réalité. La sagesse du vieux maître de la guilde ne m'a pas aidé visiblement, toujours aussi borné dans la procrastination. »
OOO
J'arrêtai d'écrire pour un moment, songeant à tous ces mots qui fusaient ainsi, simplement, et à la soudaine facilité qu'il me prenait à écrire, à produire.
Soudain alors que je tournai la tête à nouveau vers le ciel, je vis clairement une lumière chaude et incandescente se rapprocher de l'entrée de la guilde. Toi.
Tu approchais, toi aussi tu venais à la guilde.
Je n'en revenais pas.
Se pourrait-il… ?
Notre rendez-vous, tu ne l'avais donc pas oublié.
Je continuais d'écrire :
« L'être le plus influent de ma vie, il allait enfin réapparaître, celui que j'avais si profondément et durablement aimé
Rien ne pourrais nous séparer à nouveau
Car maintenant nous allions êtres réunis dans une fracture de notre imagination
Aucune rage aveuglante ne saurait nous retirer à notre passion commune
Aucun raide mesquin, aucune apparition féerique ne pourrait nous empêcher de profiter l'un de l'autre à nouveau. Tu serais mon étoile, mon soleil et ma fournaise adorée, je serais ta lune et ton igloo préféré. Tu serais ma peur, je serais ta nudiste préférée, nous serions tout l'un pour l'autre, dans le défilement quasi nauséeux des rôles que nous avions toujours aimé nous attribuer.
Notre vie était un vaste jeu
Jeu de dupes, jeu de pouvoirs
Où le vainqueur pouvait toujours profiter de l'autre à sa guise
Tandis que le vaincu faisait semblant d'être humilié
Alors qu'il adorait les élans de tendresse de l'autre
Voler une âme, je sais ce que c'est figure-toi
C'est toi, qui m'a volé la mienne, peu à peu
On peut se dédier à tout
A l'amour, à la haine, à la perversion
Mais on ne peut pas se dédier autant que nous deux
A la construction
D'un univers
Pas autant qu'à nous deux
Pour ce qui est de façonner tout le reste
J'ai confiance en toi
Je sais que tu ne m'a jamais déçu
Malgré les difficultés, tu étais dans les parages pour subvenir à mes besoins
Beauté de la beauté »
Et puis alors que je continuais d'écrire, tu t'installa près de moi, sourire aux lèvres, ton écharpe de tous les mythes accrochée au cou. Tu te plaça en face de moi sur le comptoir, avant de me regarder droit dans les yeux.
- Alors… tu es revenu ?
- Oui, dis-je simplement et tout timidement.
- Pourquoi m'as-tu abandonné ?
- J'avais… d'autres impératifs j'imagine.
- La belle excuse. Des « choses » plus urgentes.
- Je regrette… je regrette beaucoup tu sais.
- Je n'en doute pas. Mais pourquoi faut-il toujours que ce genre de relation ne soit qu'éphémère ?
- C'est aussi une étape parmi un tout plus grand, tu ne penses pas ? demandais-je avec sincérité.
Tu hésitas avant de soupirer bruyamment :
- Il n'y a qu'un lâche qui abandonne ses histoires en cours pour dire cela. Une étape n'a de sens que si elle est terminée et permet de mener à le suivante. En l'état, tu as laissé beaucoup trop de plaies ouvertes sans les refermer.
- C'est vrai.
- Mais tu as au moins la décence de l'admettre.
- Nous avons vécu tant de beaux moments, admettais-je, il me serait difficile de tous les énumérer ni de tous penser à les clore parfaitement.
J'aurais aimé plus de consécration…, mais j'imagine que c'est impossible. Mon destin était de finir écrasé par la banalité du quotidien.
Surprenant mon troublant interlocuteur, j'avançai la paume de ma main pour venir le caresser :
- Tu n'as plus la chaleur d'antan toi non plus, dis-je en riant légèrement.
- C'est ta perceptibilité qui a changé. Je suis toujours aussi chaleureux, et je pourrais l'être plus. Simplement, tu es maintenant drogué à moi, tu ne ressens plus comme au premier jour nos contacts charnels.
- Et je me sens de plus en plus fatigué de tout ceci.
Sur ses mots, mes yeux se fermaient par intermittences, comme si le brouillard mental dans lequel j'étais à présent ne faisait que de s'épaissir et troubler mes sens.
- Si tu n'as pas changé, alors tout est possible entre toi et moi.
- Tu désires me retrouver c'est ça ?
- Je crois bien que oui, mais je ne sais pas par où commencer, avouais-je, soudain pris d'une inquiétude puissante.
- Ne vas pas te faire à l'idée que tous tes problèmes seront réglés. Mais je pourrais bien t'aider à en finir avec ce monde d'errance.
Il se releva et me prit par la main, m'entraînant avec lui au dehors, dans cette vieille ville que la pluie avait maintenant délaissée au profil d'une vaste ambiance de fumigènes bleutés.
- Bientôt, toi et moi si tu le souhaites, nous referons le monde à notre façon.
- J'aimerais tant que ça soit aussi beau qu'à nos début, dis-je avec des étoiles dans yeux.
- Cela ne sera jamais pareil… mais un jour qui sait ! Tu retrouverais les sensations proches. En tout cas je ne me porterai pas garant de notre succès vu l'état de cet monde. Tout y est sans saveur, sans nouveauté, tout se ressemble affreusement.
- C'est le monde dans lequel j'ai évolué depuis notre séparation.
- Alors essayons de l'éponger au mieux.
Je ne pouvais qu'acquiescer. Ce moment que nous partagions alors.
C'était
Comme la plus belle des façons de se retrouver
Et de se promettre des jours meilleurs
En faisant ce geste
En laissant les mots venir
Avec cette lettre ouverte
Je venais de le libérer
Et nous allions
Enfin
Pouvoir nous retrouver
Avec toujours à l'esprit
Ce fait, terrible malgré tout
Que nous ne pourrions jamais réparer toutes les erreurs commises
Ni égaler nos anciennes mainmises
Et cependant nous allions y croire, j'y croyais du moins
Et ces lignes en étaient la preuve
Dans la plus dévastée des régions
Nos cœurs à l'unisson
Racontaient le début d'une nouvelle ère
Peut-être
Que rien ne saurait gâcher
Ou peut-être
Que cette promesse
Ne serait qu'une vaine tentative de plus
Allez savoir
Avec ce genre de personne
Difficile de tout prévoir
- N'est-ce pas, Salamuse ?
Il me sourit alors, imitant mon intonation joueuse :
- N'est-ce pas, Créatineur ?
FIN (?)
