Bonne lecture !

Quando, quando, quando ?

Prologue

Berlin, Allemagne

Restaurant italien "A Mano„*

Une belle soirée pour une belle journée, se dit Ludwig en tirant sa chaise de la table qu'il a réservée avec Gilbert quelques heures plus tôt. L'ambiance de ce restaurant est plutôt agréable ; pas bondé à l'excès comme les pubs et les bars à bières auxquels sont habitués les deux frères, mais tout autant chaleureux et accueillant que les premiers. Juste avec le raffinement en plus et l'odeur de bière permanente qui colle à la peau et aux habits en moins.

Cette petite réflexion amène le blond à sourire légèrement, alors qu'il prend place et qu'un serveur s'empresse de venir les saluer avec toute la politesse du monde, puis de mettre à leur disposition le menu de la maison. La distorsion de ses lèvres d'habitude résolument pincées n'a pas échappé à l'aîné du plus grand et du plus costaud jeune homme, qui le dévisage maintenant avec ses yeux rouges carmins, amusé.

—Dis donc Luddy, t'as l'air bien content ce soir, tente t-il en guettant la réaction de son frère, qui comme il s'y attendait s'est immédiatement braqué.

—Qu'est-ce que tu racontes encore Gil, répond le concerné en plongeant vivement son nez dans le document qui leur a été donné. «Oui je suis content, on a fait du bon boulot aujourd'hui alors je peux bien apprécier un peu la bonne cuisine italienne, pour une fois.»

—Vraiment...? ironise son frère en croisant les bras. «Et moi qui pensais que tu n'arriverais pas à ingurgiter autre chose que des saucisses, des pommes de terre et de la bière..., je dois t'avouer que j'ai eu un peu peur de t'amener ici pour le dîner.»

Ludwig roule des yeux en reposant le menu sur la table.

—Tais-toi un peu Gil, ça me fera des vacances, concède t-il finalement. «Et j'espère que tu es prêt à passer ta commande, voilà le serveur qui revient.»

Gilbert papillone alors un instant des cils, hagard, avant de se retourner vivement, manquant de peu de percuter avec sa tête couverte d'une tignasse de cheveux blancs comme la neige le ventre dudit serveur, qui se hisse malgré tout à la hauteur des deux frères. Le blond jette un regard déconfit à son vis-à-vis qui s'était mis à frénétiquement fouiller et retourner dans tous les sens le menu, puis relève ses yeux bleus clairs et profonds sur le jeune homme face à eux.

—Pour ma part je prendrai volontiers une escalope à la milanaise, dit-il calmement en rendant le bout de papier. «Sans rien du tout d'autre. Pas d'accompagnement.»

Le serveur note la commande, discrètement amusé, pendant que Gilbert repose son menu en levant les yeux au ciel.

—Luddy, tu vas arrêter d'être aussi radin ? soupire t-il, exaspéré. «On peut quand même se permettre de s'acheter une bouteille de vin pour fêter une si bonne journée, c'est pas la mort !»

—Tant que c'est toi qui paies Gil, répond simplement son interlocuteur en haussant les épaules, «on peut prendre tout ce que tu veux.»

L'albinos lâche encore une fois un soupir en toisant son frère, puis donne à son tour sa carte des menus au serveur, qui trouve décidément toute cette situation très cocasse.

—Donnez-moi un plat de pastaciuttas, souffle t-il, avant de reprendre des couleurs et de sourire. «Avec une belle et grosse bouteille de vin ! La meilleure que vous avez !»

—Mais pas trop chère non plus, tempère le blond en croisant les bras sur son torse puissant.

—Fiche nous la paix Luddy, t'as voulu jouer ton Harpagon alors reste dans ton coin avec ton plat merdique et laisse-moi trinquer à mon dur labeur ! Serveur, vous pouvez disposer ! tonne alors le plus petit avec une voix ironiquement solennelle.

Ludwig pouffe, attirant alors l'attention de son frère une fois que l'employé s'en est allé avec leurs commandes.

—On peut savoir ce qui te fait rire, frère indigne ? s'insurge faussement ce dernier en haussant un sourcil.

—Si c'est la meilleure bouteille qu'ils te donneront à tes frais, je te préviens, on la descendra à deux, répond posément le blond en bravant le regard de son aîné.

Aîné qui passée la surprise du moment, éclate ensuite d'un petit rire sans joie qui attire quelques regards désintéressés sur eux.

—Alors là, tu rêves si tu crois que je vais te laisser ne serait-ce que le privilège de lécher mon verre quand on partira, Ludwig. Tu es bien trop radin pour ton propre bien.

—Je ne suis pas radin, réplique son interlocuteur en secouant la tête. «Je suis juste pragmatique et...économe, je dois l'avouer. Je ne vois pas moi-même l'urgence de m'enfiler une bouteille de vin maintenant, mais si mon cher frère me passe un verre, je ne vais tout de même pas avoir la malséance de refuser...!»

—Je t'ai dit non Ludwig. Je vais boire mon vin tout seul, et même si je dois rentrer avec à la maison, ce n'est pas grave ! Je vais la finir là-bas !

—Ah, s'exclame sourdement le blond, «parce que tu penses que tu seras encore en état de conduire quand on partira d'ici ? Je te connais Gil, et toi aussi d'ailleurs. Tu seras pompette avant même d'avoir atteint la moitié de la bouteille. Or moi je ne prendrais que quelques verres, alors je te conseille de bien réfléchir !»

—Quoi, s'offusque l'albinos en posant une main contre sa poitrine, «tu insinues que MOI Gilbert Beildschmidt je tiens mal l'alcool ?! Non mais c'est une blague, Ludwig !»

—Tu tiens bien la bière, mais le vin aussi peut être très alcoolisé. Surtout les vins du Sud, on ne sait jamais avec ces fous de Latins...

Gilbert soupire une fois de plus, puis hausse les épaules.

—Bon, je vais te laisser boire. Mais juste un coup hein ! Je compte bien m'enfiler cette bouteille, et si je dois finir bourré, faudrait pas qu'on se retrouve tous les deux au poste de police ! Tu vas conduire...

—C'est une évidence, le tance le blond.

—Ah ! Voilà nos commandes. C'est du rapide ici ! Miam, en plus ça sent super bon ! Grazie, signore ! Et surtout n'oubliez pas mon vin, hein ! C'est la fête ce soir !

Ludwig partage un regard surpris avec le serveur, à qui il adresse des excuses silencieuses à travers ses orbes bleutées. Le jeune homme se contente de lui sourire gentiment, avant de s'incliner et de disparaître. Le blond baisse alors les yeux sur son plat, fumant.

C'est vrai que c'est vraiment très appétissant.

lllllll

Une demi-heure plus tard...

Ludwig et Gilbert portent simultanément leurs verres remplis à ras-bord de vin rouge à leurs lèvres, savourant le liquide légèrement sucré et bien sûr (très) alcoolisé qui lui a été servi. L'albinos est le premier à terminer son breuvage, avec un sourire victorieux déformant son visage. Son cadet hausse un sourcil avant de déposer le sien, encore presque plein.

—À quoi tu joues Gilbert ? soupire t-il, las.

Tout cette escalope lui a rempli le ventre comme jamais une choucroute n'avait réussi à le faire. Il se sent tellement épuisé...il lui faudra faire une bonne séance d'exercices pour brûler toute cette bouffe qu'il a ingurgitée, ou du moins se sentir à nouveau libre de ses mouvements. Et encore avec ce vin...il sent qu'il va exploser en mille morceaux couverts de milanaise. Il n'arrive vraiment plus à ne pas empêcher son gosier de s'éclater...

Il aurait vraiment mieux fait de laisser Gilbert à son vin, ce sont maintenant des grammes d'alcool inutiles dans son sang. Et connaissant l'intransigeance de la police de son pays, il risque se faire taper sur les doigts même comme son taux d'alcoolémie doit être bien inférieur à la limite pour pouvoir prendre le volant.

Justement, son frère s'enfile un autre verre cul-sec sous le regard sonné des autres clients, comme si c'était un défi. Ludwig soupire une fois de plus, certainement la centième fois depuis le début de ce repas avec son grand frère.

—Gilbert, tu ne devrais pas boire aut-...

—Dis Luddy, ça te dirait qu'on appelle des musiciens ? dit alors son aîné, passant carrément du coq à l'âne. «C'est pas que tu m'ennuies, hein, mais on dépense plutôt pas mal de tunes ici, faut quand même qu'on en profite !»

—Gilbert, c'est ridicule, on devrait rentrer maintenant...

—Allez quoi ! Je suis sûr qu'ils sont compris dans notre repas...Holà, euh, signoren ?! s'époumonne alors l'albinos en faisant d'énormes et très voyants signes de main en l'air.

Là maintenant, tout le monde les regarde, certains avec une lueur d'amusement dans les yeux, d'autres avec des yeux ronds comme des soucoupes, d'autres encore chuchotent entre eux. Ludwig roule des yeux, las, vraiment las des bêtises de son frère. Mais où sont donc ces fichus musiciens, pour lui donner ce qu'il veut pour qu'ils puissent rentrer !?

Le blond suit alors les yeux des autres clients désormais, qui gravissent les escaliers et s'arrêtent à l'étage dévoilé, où sont disposées les tables sûrement VIP de l'établissement, vus les seaux de champagnes, vins et autres liqueurs onéreux posés en plein centre des tables plus joliment et méticuleusement décorées que celles en contrebas. L'Allemand hausse un sourcil face à cette injustice, c'est bien un truc des gens du Sud ça...mais quel est cet attroupement autour de cette table en particulier, celle accolée contre le mur ?

Au milieu des babillages de son frère, qui doit déjà —sans aucune surprise — être salement éméché par l'alcool, Ludwig essaie de tendre l'oreille. Un juron dans la langue locale parvient alors à son oreille, le surprenant. Une bagarre ? Non...Puisqu'après, un rire cristallin retentit au milieu de la masse. Une chaise est alors brusquement tirée en arrière, quelqu'un s'est visiblement remis debout en vitesse. Et surtout, en colère.

Un type en chemise blanche impeccable et pantalon noir émerge alors de la petite masse, s'empare de sa veste sur le dossier du siège et s'asseoit nerveusement une table inoccupée plus loin. Les musiciens, qui évidemment se trouvent à cet étage, ne lui prêtent qu'une attention minime, avant de tous se remettre à parler en même temps à l'unique personne assise, dont seules les jambes parfaitement moulées dans un pantalon sombre lui aussi sont visibles de là où Ludwig se trouve.

Après un tonitruant éclat de rire, un des musiciens, un gras gaillard aux cheveux abondants et frisés, arborant une traditionnelle moustache italienne, fait un signe joyeux à quelqu'un en contrebas, qui s'avère être un énième de ses pairs, qui après avoir pris son violon, s'empresse de monter les marches lesquelles à voir ses yeux brillants, semblent le mener vers la gloire.

Ludwig se détache alors de la scène, regardant discrètement dans toute la salle. Comme lui, beaucoup sont intrigués par ce qui se passe à l'étage, et rares sont ceux qui décident de regarder ailleurs, ou de continuer comme si de rien n'était leurs conversations, comme Gilbert en ce moment et un gars à lunettes et aux courts cheveux blonds, qui l'écoute patiemment—miracle !— déblatérer des âneries, ce qui arrive inévitablement quand l'alcool commence à lui monter au cerveau.

Dimmi quando tu verrai*

Dimmi quando, quando, quando...?

L'Allemand tressaille, d'où vient cette voix ? Il suit encore une fois de plus la direction des yeux des autres, et la première chose qu'il voit est le visage fermé et la mine bougonne de celui qui a quitté la table en premier. Les cheveux d'un marron foncé, les yeux dorés légèrement voilés et obscurcis par une émotion clairement négative, le jeune homme se rend rapidement compte qu'il est le centre d'attention d'un client, pendant que les autres sont occupés à se tortiller en dix pour pouvoir apercevoir derrière la marre de musiciens le propriétaire de cette voix angélique.

L'anno, il giorno e l'ora in cui,

Forse tu mi bacerai...

La musique manuelle retentit plus forte, mais aussi plus douce. Ses joueurs commencent heureusement à s'écarter progressivement, ce qui signifie que le chanteur est en mouvement. Ludwig n'arrive toujours pas à décoller ses yeux de l'autre, l'isolé, qui lui rend maintenant son regard brûlant, les lèvres légèrement entrouvertes. Mais le blond n'en a cure. Ni de ses yeux ambrés maintenant, ni du bavardage intempestif de son frère en face de lui, ni des murmures curieux et intéressés des autres clients. Il n'y a qu'elle. Cette voix qui le transporterait presque hors de son corps...

Ogni instante attenderò,

Fino a quando, quando, quando...

Il passe une langue tiède sur ses lèvres asséchées par le vin, puis constate avec plaisir que l'orchestre improvisé s'est fendu en deux pour laisser le passage à l'ange, qui continue de chanter en s'avançant dans celui-ci.

D'improvviso ti vedrò,

Sorridente accanto a me !

Il est là. L'homme à la voix merveilleusement magnifique est là, captant l'attention de toute la salle, Gilbert et son interlocuteur silencieux y compris. Ludwig quitte alors des yeux l'inintéressant grognon, surprenant sur le coup ce dernier. Il ne verra pas ses yeux se baisser et ses sourcils tristement se froncer.

Les cheveux auburn, beaucoup plus clairs que ceux de l'autre, mais les yeux de cette même couleur dorée, mais encore plus belle, et amplifiée par cette voix semblant s'écouler directement des orgues du paradis. Et là, Ludwig remarque cette boucle, longue et tendue comme la corde d'un arc, qui semble tressaillir à chaque marche que le chanteur descend. Il écarquille les yeux, puis les rétrécit. C'est juste...Il est juste...parfait...

Se vuoi dirmi di sì...

Une chemise Versace bariolée de chaînes s'enroulant ensemble, de motifs tous plus originaux et colorés les uns que les autres, le tout en parfaite harmonie avec son pantalon cintré couleur bleue de nuit, et ses chaussures plates mais tout aussi élégantes qui semblent venir de l'une des plus grandes maisons de mode italienne. Sa chemise est ouverte de quelques boutons au niveau de la poitrine, dévoilant une belle peau légèrement hâlée par le doux soleil de Venise. Il tourne alors lentement et avec classe sur lui-même, collé de tous côtés par les musiciens tout autant ébahis, et Ludwig doit se retenir de pousser un petit cri d'extase qui l'aurait bien embarrassé.

—Mais c'est qui celui-là encore ?! beugle alors son frère en battant une main en l'air, désinvolte. «Matthew, tu connais ce connard ? Il nous a pris tous les musiciens...!»

Le concerné laisse alors échapper un petit rire discret, avant de se redresser sur la chaise qu'il occupe maintenant au milieu de la table et des deux frères. Ludwig sursaute soudain lorsque l'inconnu toussote pour prendre la parole. Quand est-ce que ce type est arrivé là ?! Bon sang, Gilbert...

—HAHAHA ! rit fortement une autre voix, cette fois à l'opposé du dénommé Matthew, qui lance d'ailleurs une œillade désapprobatrice à l'origine de cette dernière. Une fois qu'il s'est retourné, Ludwig est surpris de voir une copie (presque) conforme du blond s'ébrouer à sa gauche. «Tu ne connais pas Feliciano Vargas, bouffon ?! C'est un grand chanteur d'opéra, il a fait des tournées internationales qui ont attiré des centaines de milliers de gens qui n'ont rien à faire de leur fric, héhé !»

L'Allemand frotte vivement ses yeux, se demandant si ces derniers ne lui jouent pas des tours. Est-ce que son inconscient de frère vient vraiment d'inviter deux parfaits inconnus à leur table, juste comme ça, et en plus ils ont ramené leur propre bouteille de vin ?! Et vues les joues rouges du dénommé Alfred—qui doit être le jumeau de l'autre, exaspéré déjà par lui—il doit lui aussi avoir autant bu que son camarade aux cheveux blancs, qui profite d'ailleurs d'une autre de ses blagues vaseuses pour s'esclaffer comme un cheval qui se cabre, en généreuse compagnie des autres blonds, enfin, surtout Alfred.

Mais ce chanteur dont Ludwig a déjà oublié le nom, sous le coup du choc de voir les deux nouvelles têtes, continue son spectacle, sous le regard admirateur et intensément intéressé du public, qui a les yeux brillants. Le blond lève à nouveau les siens sur le précédent objet de son intérêt, et tressaille une fois de plus en remarquant que l'auburn s'est considérablement rapproché de sa table, cependant ignoré par Gilbert et sa bande d'incultes. L'Allemand se sent défaillir en le voyant ensuite de plus en plus proche, et lorsqu'il voit que l'ange s'est stoppé devant lui, à sa gauche, interloquant Alfred, qui se retourne ensuite avec une mine blasée, son coeur rate vivement un battement effréné.

Ludwig déglutit bruyamment. Maintenant que la musique est finie, tout le monde s'est tu et observe le chanteur et les musiciens qui l'accompagnent toujours, le regardant eux-aussi. Lorsqu'il se penche, un énorme et lumineux sourire aux lèvres dévoilant ses deux rangées de dents éclatantes comme de l'ivoire, sur lui, Ludwig doit se retenir de ne pas pousser un petit cri gênant. Mais aussi et surtout de ne pas se lever pour en coller une à Alfred, qui lui fait des grimaces grossières derrière le cantateur, sans doute pour le pousser à se ridiculiser devant tout ce monde.

Une main fine et aux longs doigts doux comme de la soie se pose alors sur sa joue, le glaçant sur place. Les yeux rivés sur l'instrument du musicien qui intime maintenant à Alfred d'arrêter ses pitreries, Ludwig ne dit rien, et croit mourir lorsque les lèvres chaudes et pulpeuses du chanteur s'écrasent sur sa joue, surprenant autant les artistes que le public, et encore plus la tablée du blond.

Feliciano se penche alors encore plus, ravi de l'effet qu'il procure au grand Allemand, car il n'y a pas de doute que c'en soit bien un, vu comment il s'est raidi quand il lui a embrassé la joue. Lèvres contre l'oreille pâle comme un linge, l'Italien sourit contre cette dernière.

—Je te veux dans mon lit cette nuit, souffle t-il lascivement, amenant son interlocuteur à tressaillir, sentant une douce et brûlante chaleur se répandre dans son bas-ventre. «Alors ?»

Ludwig reste impassible sur sa chaise une seconde avant d'acquiescer implicitement. Il en a envie, il ne va pas se leurrer...alors autant satisfaire son tout nouveau fantasme maintenant plutôt que de se morfondre le restant de ses jours sur sa chance ratée.

Immédiatement après, l'auburn se détourne avec la vigueur et le tact théâtral des artistes habitués à la scène, puis rote sur lui-même en accompagnant de sa voix paradisiaque les violons et les guitares basses, au plus grand plaisir de toute l'assemblée et même des responsables du restaurant, qui sont tout heureux de cette publicité gratuite et ont déjà sorti une grande photo du chanteur, "Feliciano Vargas", qui, en gros plan sur cette dernière, les yeux pleins de la lumière des projecteurs, fait son travail, tenant un micro argenté et les lèvres entrouvertes ourlées en un sourire, sans doute en pleine prestation. Ils vont sûrement faire signer la photo pour la plaquer au mur de l'établissement pour autant de temps que le cantateur sera connu, célèbre et adulé pour sa voix d'or. C'est-à-dire à jamais, pour Ludwig.

Jamais il n'avait entendu un grain de voix aussi magnifique, aussi parfait. Feliciano a ce genre de vocal qui est devenu si rare de nos jours, le genre qui touche non seulement les oreilles de sa beauté, mais aussi le corps, l'âme et l'esprit. Ce n'est pas qu'une belle voix comme les milliards d'autres qui existent, c'est une voix unique et spéciale, venant elle-même d'une personne hors du commun.

Ce n'est qu'à cet instant que l'Allemand remarque le bout de mouchoir de table blanc, sur lequel sont griffonnés un nom d'hôtel, puis de quartier, et enfin le numéro de la chambre. Et en relevant par réflexe le regard sur le chanteur, ce dernier n'essaie même pas de détourner les siens pour occulter le fait qu'il regardait sans aucune gêne le blond, depuis certainement un petit moment. Il lui sourit largement comme sur la photo, amenant le blond à baisser le regard, puis le relever lorsque l'Italien entame à la volée un autre chant, plus gai et plus ambiancé, qui ravit toute l'assemblée qui se met alors à applaudir d'un commun accord. Certains se lèvent même et commencent à danser, entourant la voix d'or.

Ludwig soupire alors, puis regarde ses mains. Il l'aimait bien la première chanson, pourtant.

lllllll

Hôtel Adlon, Berlin*

Suite 201

Arrivé plus en avance que son "invité" dans la suite à deux chambres qu'il partage avec son grand frère, Feliciano laisse enfin tomber son large sourire de convenance, et se place devant le miroir encadré des toilettes pour masser ses mandibules. Elles commencent à s'endolorir à force d'être étirées à tort et à travers, et surtout, tout le temps. Souvent, se dit alors le chanteur en s'appuyant plus fortement les joues, il aimerait tout le temps tirer la gueule comme Lovino, au moins il n'aurait plus à s'en faire à ce niveau là.

Il voudrait bien s'en empêcher, de continuer à sourire, mais le jour avait juste été trop bon pour lui. Une fois atterri à Berlin pour un séjour initialement d'une semaine, il avait été immédiatement reçu par l'ambassadeur italien, à qui il avait consenti au prix fort d'une longue et chaleureuse amitié —ce dernier ayant côtoyé le grand-père Vargas— une petite séance de chant pour le repas qu'il tenait avec les autres officiels italiens présents dans la capitale allemande.

Lovino ayant refusé de l'accompagner, Feliciano avait dû s'entourer d'une armada de locaux pour pouvoir se repérer dans la ville et trouver le QG de l'Italie dans cette dernière. Il avait alors fait ce pour quoi il était né, c'est-à-dire chanter, se téléporter dans un autre monde où seuls lui et sa voix émanent, émerveillant le public, qui à la fin de sa prestation lui a jeté fleurs et champagnes onéreux à souhait, en mains propres ou livrés directement dans sa suite.

D'ailleurs, il en a déjà ouvert un, puis disposé deux verres cristallins sur un plateau d'argent, plus la bouteille luisante. Il se dirige alors vers le salon, on vient de sonner à sa porte et il sait—enfin, il espère que ça soit lui et non le room service ou une connerie du genre—qui est là. Ne serait-ce pas ce charmant blondinet qui lui a immédiatement tapé dans l'oeil au restaurant, tout à l'heure ?

Oh oui, c'est lui, le judas ne ment jamais. Les joues toujours rouges et un...bouquet de fleurs à la main, son futur coup de la nuit se tient, l'air maladroit et gêné, devant la porte, les cheveux toujours impeccablement lisses sur sa tête. Ah, que l'auburn a hâte de les lui foutre dans un état pas possible au lit tout à l'heure...ce sera un vrai délice !

Feliciano virevolte sur lui-même, vérifie une dernière fois que tout est en ordre dans son salon, que les verres sont bien propres et le champagne bien ouvert, puis se positionne devant un miroir mural pour ajuster son peignoir blanc nacré sur lui. C'est-à-dire, défaire légèrement la ceinture toute douce de ce dernier, faire négligemment glisser un pan de l'habit sur son épaule, la dénudant, et laisser une belle et fine cuisse s'échapper "malencontreusement" de sa prison de tissu. Cet Allemand doit bien comprendre qu'il n'est pas là pour s'enfiler des bières devant un match de foot, mais bien pour lui donner du plaisir. On ne sait jamais, avec ces Germains...

Une deuxième sonnerie, et l'Italien se décide à partir ouvrir. Il est juste parfait, tout est juste parfait. Ils vont discuter un peu histoire de meubler le silence, vont finir de boire le champagne, puis vont faire l'amour jusqu'au matin. Matin où Feliciano a d'ailleurs quelque chose d'important à faire à la première heure. En espérant que son amant d'une nuit aussi...

Il tourne la poignée de la porte, et le visage du blondinet se plante dans ses iris. Titubant gauchement sur ses jambes, ce dernier baisse furieusement la tête et lui tend le bouquet de...marguerites (?). Feliciano sourit alors, un sourcil haussé, puis le prend doucement.

—Merci ? dit-il avec une certaine ironie qu'il ne voulait pas. «Elles sont jolies et ont l'air d'être toutes douces ! C'est pour moi ?»

—Oui bien sûr, minaude le blond en retrouvant une stature droite. «Vous avez très bien chanté ce soir, c'était, enfin...c'était la moindre des choses en fait.»

—Oh je t'en prie, répond l'Italien en lui prenant la main, avant de la tirer contre lui, pour la poser sur sa hanche. «Tu vas faire beaucoup mieux pour moi ce soir. Si bien sûr tu te souviens de ce que tu es venu faire ici ?»

—Évidemment, réplique son interlocuteur en refermant silencieusement la porte. «Il n'y a personne ?»

—Oui, sourit l'auburn en enroulant ses bras autour du cou de l'autre. «Personne à part nous deux. Tu veux qu'on prenne un verre ?»

Le blond enroule alors ses bras autour de ses hanches, le collant contre son torse puissant. Immédiatement, Feliciano se sent en sécurité, comme un insecte bien au chaud dans un cocon qui absorbe tous les chocs sans même qu'il ne le sache. Il se sent juste...bien...contre ce morceau de buste chaud et protecteur. Il ne voudrait jamais le quitter...

—Oui, merci...mais tout d'abord, je pourrais vous embrasser ?

Feliciano papillone des cils, un peu surpris par la requête de son futur amant. Il ne s'imaginait pas que ce grand homme apparemment si taciturne lui demanderait quelque chose comme ça...Il aquiesce alors lentement, et il lui sourit alors, avant de fermer les yeux en même temps que l'Allemand.

Devi dirlo perché

Non ha senso per me la mia vita senza te...

Un baiser effréné, et les deux amants tombent immédiatement sur le matelas. Feliciano ne se sentait pas d'attaque à poireauter encore avant de pouvoir plonger dans le lit aux draps pâles et moelleux avec Ludwig, de son nom d'après les maigres informations qu'il a pu recueillir avant qu'ils ne se jettent l'un sur l'autre. Tirant sur la chemise énervante du blond, il sourit pendant que l'autre lui dévore le cou lorsque les boutons de cette dernière finissent par lâcher, en même temps que son propre peignoir est balancé sans ménagement au sol.

Dimmi quando tu verrai,

Dimmi quando, quando, quando...

Feliciano soupire d'aise, la bouche occupée par un phallus en tous points magnifique et parfait. Il passe une langue salivante et gourmande sur la veine pulsante du membre fort de l'Allemand, et il se délecte ensuite du visage tordu par le plaisir et une émotion instable matérialisée par un mouvement implicite et discret des hanches. Une rotation, et le blond pose une main tiède et autoritaire sur la tête de l'auburn, qui exécute l'ordre avec enthousiasme. Finalement, la verge du blond gonfle encore plus, et Feliciano entend enfin ce qu'il attend depuis le début de leurs ébats. Des gémissements étouffés qui lui demandent de continuer son oeuvre, ce qu'il fait avec un plaisir non feint. Il pousse lui aussi un grognement d'excitation et de plaisir lorsque la grande et large main du plus grand frappe fortement son arrière-train.

E baciandomi dirai,

Non si lasceremo mai !

—Oh oui oui oui ! Vas-y plus fort, défonce-moi bordel !

Et Ludwig ne se fait pas prier. Il plaque résolument ses poignets au-dessus de sa tête, et fait des va-et-vient de plus en plus violents et saccadés. Feliciano se mord la lèvre, avant de détourner furieusement la tête sur le côté, laissant le blond lui labourer le cou de suçons et de morsures plaisantes. Il redresse ensuite les hanches, puis les jambes, déstabilisant son partenaire, ce qui lui permet de rouler sur le côté et de changer de position. C'est lui qui est maintenant au-dessus, et lorsqu'il passe sa langue sur ses lèvres, il sent le membre durci de l'autre trembler et se raidir en lui.

Un autre sourire plus mutin distord alors ses lèvres, puis l'Italien entame avec la même frénésie que son amant tout à l'heure les mouvements essentiels du sexe à deux. Ludwig enfonce furieusement sa tête dans l'oreiller près de cette dernière, puis son jeu de reins commence lentement mais sûrement à s'accorder avec celui de l'auburn, qui n'arrête plus alors de gémir.

Trois autres positions sulfureuses plus tard, les deux corps sont comme pris et possédés par le même démon, qui les pousse dans leurs derniers retranchements, les obligeant à s'agripper violemment l'un à l'autre, les respirations sifflantes et les membres raides. C'est Feliciano qui pousse sans surprise le dernier cri rauque et épuisé de la séance de luxure.

Puis, repaits comme le seraient deux lions après un grand et gros repas, les deux amants déboîtent leurs corps l'un de l'autre, puis roulent chacun à un côté du vaste lit. Le chanteur halète toujours, encore ivre de ces merveilleuses sensations qu'il n'avait plus ressenti depuis longtemps, à cause de son travail et de ses histoires malheureuses en amour.

De son côté, Ludwig paraît plus calme, les cheveux en bataille et les membres encore tremblants de l'effort fourni. Il n'arrive pas à croire qu'il vient de réaliser l'un de ses fantasmes les plus fous, celui de coucher avec un parfait inconnu qui lui aurait plus ou moins plu. Et encore heureux, vu l'Italien en sueur près de lui, ses beaux cheveux auburn collés à son front, la respiration sifflante et les lèvres rouges et gonflées, ce serait un euphémisme de dire qu'il lui plaît "plus ou moins". Il est carrément dingue de ce type...un visage d'ange tombé du ciel, un corps de rêve et une telle adresse au lit...quoi de plus demander chez un partenaire ?

«Ludwig ?

Le blond tressaille, puis se tourne vers son amant, qui lui sourit tendrement, avant de tendre la main pour caresser avec quelques doigts sa joue blanche. Il sent cette dernière lui brûler au contact de la chaire de l'autre.

—O-oui ? balbutie t-il, encore sous l'effet de l'émotion.

—C'était génial, rit l'auburn en se rapprochant encore plus, jusqu'à se coucher sur son torse puissant. «Je savais que tu serais un bon morceau. Mon instinct me trompe rarement sur ces choses là.»

—Oh, je euh...merci...

Feliciano approfondit alors son sourire, l'oeil doux. Il n'a jamais vu quelque chose d'aussi mignon que ce grand dadet timide comme une collégienne devant son premier amour. En laissant courir un index autour du mamelon de ce dernier, il constate que sa poitrine se soulève soudain.

—Dites-moi, Felicia-...

—Oh je t'en prie, le coupe le concerné en continuant à laisser courir ses doigts sur les bras musclés. «On vient de se connaître le plus intimement possible, alors plus besoin de politesse entre nous. Donc fais comme moi et tutoie-moi.»

Ludwig reste une seconde silencieux, mais se reprend rapidement. Cet Italien alors, c'est un vrai spécimen à part...

—D'accord. Je voulais savoir, comment vous...enfin, comment est-ce que tu as fait pour me repérer au milieu de tout ce monde ? Le restaurant était vraiment plein ce soir...

—Eh bien, répond du tac au tac l'auburn en levant les yeux au plafond. «Je suppose que ce n'est pas le hasard si mon frère, Lovino, m'a indiqué quelque chose en contrebas, je ne sais plus ce que c'était, et là, je t'ai vu. Et immédiatement, j'ai eu envie de...me rapprocher. Les musiciens m'ont reconnu et m'ont demandé une petite prestation. Je ne pouvais pas leur refuser ça !»

—Ton frère ? Celui qui a juré et s'est énervé ?

—Oui, répond son interlocuteur en baissant les yeux, ce que Ludwig remarque sur-le-champ, malgré la reprise rapide de Feliciano. «Il a horreur que je me produise comme ça...sur un coup de tête.»

—Je te plains si c'est lui ton manager dans ce cas, minaude ensuite le blond en posant sa grande main sur la tête du plus petit, lui avalant presque toute cette dernière. «Il faut que tu fasses de temps en temps des petits shows comme ça pour te faire connaître, pour t'attirer la sympathie des gens et de tes fans en général. Ce serait mauvais que tu deviennes comme ces divas qu'on ne voit que derrière le voile, et qui finissent pour la plupart mal et criblées de dettes.»

L'Italien soupire, appréciant le toucher de son amant.

—Je lui dis sans arrêt de lâcher du lest, mais il ne m'écoute jamais ! Pour lui, je ne dois chanter que pour remplir les caisses. Et quand je me décide à faire quelque chose de moi-même, il se met dans tous ses états et me laisse tomber en pleine route. Ce voyage à Berlin, c'était mon idée, et il m'a suivi parce que, soit disant, il n'avait rien de mieux à faire. Ce dîner au restaurant, pareil. Il était bougon comme pas possible, il fallait que je chante ou j'allais mourir.

Le blond laisse échapper un petit rire, et ses yeux bleus parcourent silencieusement le torse et le dos dénudés de son partenaire. Il fait alors lentement descendre sa main le long de la colonne vertébrale, et il sourit légèrement à son tour en sentant l'auburn se blottir encore plus contre lui.

—Ton frère n'a pas l'air très commode, dit-il simplement, ne sachant pas vraiment quoi ajouter. «Tu devrais peut-être songer à changer d'agent, ou au moins à prendre un deuxième. La famille fout souvent beaucoup trop la pression, à mon avis. Surtout pour une chose aussi délicate que la musique.»

—Tu n'y penses pas, s'esclaffe alors l'autre en l'enjambant pour se retrouver sur son bassin, et Ludwig fait par réflexe passer ses mains sur ses hanches voluptueuses. «Fratello me tuerait si j'osais seulement penser à le seconder ou à le remplacer !»

Les deux laissent ensuite échapper un petit rire, avant de se fondre à nouveau l'un en l'autre.

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Bonsoir à ceux qui liront à...23 heures, bonjour à ceux qui liront plus tard ! Je suis ravie de vous accueillir sur ma fiction Hetalia, dont le pairing principal est l'un de mes préférés, le Gerita ! Mais ne vous en faites pas, il y aura plein d'autres couples ! J'ai tout plein d'idées pour la suite, mais comme vous le savez déjà, l'encre de ma plume, c'est vous ! Alors, une ou deux review par ci, un ou six coeurs par là, ça fait toujours plaisir et c'est hyper encourageant ! Merci d'avance ;}

Quelques petites explications :

* : restaurant a mano a berlin, ça existe vraiment ! Je ne me suis pas franchement renseignée, désolée...mais ce n'est pas bien grave pour l'histoire, heureusement :)

* : cette chanson, je pense que les amateurs de parfum la reconnaîtront ! Je vous la donne au chapitre suivant, mais entretemps, je vous mets au défi de la retrouver, héhé !

* : l'hôtel adlon existe pour de vrai, aussi ! Il me semble avoir lu que c'est de là-bas que MJ avait montré son enfant, le visage caché par une serviette, aux journalistes !