Il y avait des journées comme ça, qui commençaient vraiment très bien. Merveilleusement bien ! En fait, dès la soirée à précéder cette fabuleuse matinée, les choses avaient déjà commencé en beauté. Et par surprise en plus ! Une bien belle surprise.

Quand ce sage confident plein de bon sens et son chanceux protégé de plus en plus confiant s'apprêtaient à aller enfin se coucher. Une fois que leur petit repas nocturne composé de ces mets peu recommandables pour la santé mais terriblement délicieux avait été terminés, Eric avait baillé bruyamment en prévenant son invité qu'il n'avait pas intérêt à le réveiller en plein milieu de la nuit parce qu'il mourrait de peur d'aller aux toilettes tout seul. Ou parce qu'il pleurnichait en pensant trop à sa pute de petit ami qui, à l'heure qu'il est, l'avait remplacé avec un beau gosse beaucoup moins pathétique que lui.

Tout en rejoignant lui aussi son lit, Clyde se disait que la gentillesse de ce gros con restait une chose décidément bien aléatoire. Tout en considérant que tacler vivement ces vilaines paroles ne serait pas raisonnable et pourrait se solder par une nuit passée à dormir dehors, dans le froid et l'obscurité.

Tout ça à cause de Craig... Ce bien mauvais meilleur ami qui venait pourtant de lui envoyer un message ! Un message inespéré, le fan de cochons d'Inde amorçait rarement en premier leurs conversations par SMS.

En fait, sans se douter d'un tel miracle, machinalement, le gamin avait consulté son téléphone portable pendant qu'il s'installait sur ce matelas finalement pas si inconfortable. Et ainsi tout de suite remarquer la notification d'un nouveau message venant de Craig ! Tout tremblant de surprise et d'excitation, à se retenir de rire pour une raison inconnue mais sûrement proche de la joie sincère, Clyde avait quand même hésité avant de le consulter. D'abord pris d'un frisson d'angoisse, l'éternel soupirant sans cesse éconduit de Bebe Stevens pensait à un message d'insulte signant la fin de leur amitié et toute récente histoire d'amour pas encore complètement officielle, non confirmée par les deux intéressés. Face à une nouvelle pareille, une rupture pire que toutes ses précédentes, l'éventuel ancien meilleur ami et ex petit ami de Craig Tucker savait qu'il en pleurerait à chaudes larmes toute la nuit. Quitte à en réveiller Cartman qui, excédé et furieux que ses efforts aient été gâchés si bêtement, chasserait ce pitoyable loser à grand coup de pied.

Alors que l'unique coupable était celui qui était tombé amoureux de son meilleur ami en premier, et s'étant foutu de la gueule de ce pauvre ami d'une manière bien déloyale par la suite ! D'ailleurs, s'il ne ressentait pas encore des sentiments divers et variés envers son pote, Clyde aurait, sans hésiter, supprimé ce fameux message. Ou mieux, il aurait ignoré cette missive électronique qui devait à coup sûr lui balancer ses quatre vérités.

Mais non, Craig n'était pas comme ça. Il n'annonçait jamais ce genre de nouvelle par SMS et préférait le faire en face à face, par respect ou pour faire admirer son stoïcisme à toute épreuve. Peut-être aussi pour décourager toutes les filles qui voudraient sortir avec lui et l'humiliation publique qu'elles risquaient. Donc, logiquement, il ne pouvait s'agir que d'une bonne nouvelle. Normalement. Si Craig restait toujours Craig, même en étant gay et amoureux de son meilleur ami. Et probablement aussi un peu agacé et vexé par les doutes et la lâcheté de ce même ami... Mais visiblement pas assez déçu par les agissements de ce gars qu'il devait aimer assez pour lui envoyer un si beau message. Beau pour ceux qui savaient lire entre les lignes et connaissaient assez bien le tempérament du fan de cochons d'Inde. Ce dernier prenait très rarement la peine d'écrire un si long message détaillé et où Clyde y ressentait une grande tendresse. Pour ne pas dire de l'amour...

Non, Craig ne lui avait pas avoué ses sentiments en lui ouvrant son cœur et lui expliquant combien il le trouvait séduisant et intéressant (Pas encore !). Son éternel complice lui avait juste écrit que comme son cher ami était parti sans choisir ce qu'il voulait comme bonbons et sucreries du colis envoyé par sa grand-mère, il allait devoir tous les apporter demain à l'école. Juste pour lui, mais seulement s'il venait le voir assez vite (Sous-entendant en premier, et sans l'éviter pendant presque une semaine). Sans être froissé par cette dernière évocation, celui qui s'était en effet volontairement éloigné un court instant de son compère avait juste ri doucement en se faisant la réflexion que Craig était vraiment très attentionné quand il le voulait.

Le commun des mortels jugerait que ce SMS restait d'une banalité extrême, alors que Clyde trouvait que c'était le message le plus touchant du monde. Il pensait aussi que c'était le plus mignon, tout en prenant même la peine d'y répondre à l'instant, en pianotant sans trop réfléchir sur son téléphone, simplement emporté par son euphorie et ses sentiments plus uniquement dictés par la sacro-sainte amitié. Il y avait un petit quelque chose en plus, d'indéfinissable mais bien présent. Quelque chose d'assez fort pour lui avoir fait envoyer ladite réponse sans plus attendre. Un message se composant uniquement de smiley joyeux et souriants, ce qui ne changeait pas trop de ses habitudes. Sauf pour les petits cœurs ajoutés à leur suite, comme si la chose était parfaitement normale maintenant qu'il sortait (peut-être) avec son meilleur ami. Une réaction très naturelle. Quelque chose de très gay en tout cas.

Heureusement que Cartman dormait à poings fermés et n'avait pas lu le message par-dessus son épaule, ce gros porc trop curieux aurait confirmé ce fait avec sa délicatesse habituelle. Craig, lui, au moins, le prendrait avec beaucoup plus de sentiments. Peut-être même qu'il laisserait tomber ses barrières, ne pouvant pas rester imperturbable devant tant d'émotions, et rougirait de cette manière si adorable...

En attendant, celui qui allait se retrouver tout ému et rougir comme une tomate, c'était bien lui. Pas à cause du fait que Craig se montrait si gentil et lui offrait généreusement tous ces biens sucrés, mais parce que son meilleur pote faisait ça simplement pour lui faire plaisir. Comme Craig l'aimait plus qu'amicalement, cela le rendait heureux (à sa manière) de faire quelque chose de positif pour son cher ami. Cela expliquerait beaucoup de choses. Toutes ces petites choses plutôt gentilles que son complice avait faites, discrètement et avec tellement de nonchalance apparente que le bienheureux à qui toutes ces attentions étaient destinées n'avait pas compris tout de suite. Ou n'était pas prêt à les comprendre. Apprendre que son meilleur ami était gay et que lui-même n'était
peut-être pas complètement hétéro, à surtout ressentir un début d'attirance et d'affection forte pour cet ami en question.

En cogitant à ce sujet et devant des preuves accablantes, le gamin se sentait à nouveau très confus et troublé. En plus de se faire la réflexion que le chauffage était bien trop fort dans cette chambre. Se tourner et retourner de trop nombreuses fois avant de trouver une position vraiment confortable. Et, au final, considérer qu'il était de son devoir de trouver un petit quelque chose pour dignement remercier son presque petit ami pour toutes ces touchantes preuves d'amour. Un cadeau personnel, unique, et percutant !

Une idée à l'avoir au moins aidé à s'endormir sans trop de difficultés, et dont la solution l'avait motivé à se lever bien plus tôt que d'habitude. Sans traîner au lit en espérant que son hôte lui apporte le petit-déjeuner, qui aurait de toute façon été assurément piégé (Cartman serait capable de lui préparer des pancakes au laxatif...) Sans non plus passer un temps fou dans la salle de bain, car l'envie sincère de faire une surprise à Craig supplantait ses petits rituels consacrés à l'observation de son reflet, ce soin immensément minutieux pour se coiffer et magnifier son style censé être cool...

Ce matin, la seule chose à occuper totalement ses pensées était ce cadeau pour son meilleur ami. Qui, fort heureusement, n'avait pas besoin d'être acheté ou commandé. Le présent se trouvait déjà chez lui, à l'attendre sagement dans sa chambre, peut-être même que ce beau cadeau n'aurait hélas pas le temps d'être emballé dans un joli papier cadeau. Tant pis. De toute façon son père rangeait toujours les emballages à un endroit improbable.

Tandis qu'il terminait de s'habiller, Clyde faisait une estimation sûrement très très très bancale du temps qui lui restait pour aller chez lui chercher en vitesse le cadeau, le fourrer dans un sac, attraper ses affaires d'école, et filer ensuite chez Craig pour lui remettre ce si beau cadeau le plus vite possible sans risquer de rater le bus. Ce qui voudrait dire que la découverte de la surprise se ferait donc sans lui, alors que le gamin avait toujours adoré observer les déballages de cadeaux. À chaque anniversaire c'était son instant préféré, après le gâteau d'anniversaire et le buffet, bien entendu. Le passage où il pouvait danser avec des filles et les draguer, aussi. Et le moment était terriblement mal choisi pour penser à des trucs pareils. En plus il n'était pas censé s'imaginer avec quelqu'un d'autre ou faire du charme à des filles puisque Craig était son petit ami ! Mais rien ne l'empêchait de trouver des filles belles et les complimenter. Ou non, ne pas leur offrir des compliments et seulement en faire à Craig. Pourtant être bisexuel le laissait libre de mettre sur un pied d'égalité l'aspect attirant des femmes et des hommes... Sauf que des choses faites habituellement avec les jeunes filles et ses anciennes petites amies ne seraient peut-être pas possibles avec un garçon. Comme de danser ensemble à une fête ou s'embrasser sans prêter attention à ce que pouvaient penser les autres.

En attendant, Clyde pouvait au moins affirmer qu'Eric Cartman avait vraiment un sommeil de plomb. Son hôte à avoir été malgré tout plutôt sympathique n'avait pas ouvert un œil en entendant son invité se lever et arranger un peu son lit. Ni ricaner méchamment quand son pauvre petit protégé s'était buté les orteils contre un meuble en jurant misérablement d'une voix plaintive et étouffée. Pour oublier cette douleur fulgurante à chaque pas mesuré en descendant l'escalier, le gamin se consolait en se disant qu'au moins la mère de Cartman n'était pas encore rentrée. Sauf si elle était déjà dans sa chambre, à essayer de rattraper un peu d'heure de sommeil suite à sa très probable courte nuit...

Dans tous les cas, son cher confident se rendrait compte de la vraie version lui-même au moment d'appeler sa mère pour qu'elle lui prépare son petit-déjeuner. Et en oublierait complètement l'ami qu'il avait invité et hébergé la veille. Cet invité qui avait lui aussi autre chose en tête, quelque chose d'assez fort et motivant pour le faire courir dès le matin. À une heure beaucoup trop matinale pour s'agiter ainsi, mais visiblement la passion l'emportait toujours sur ce qui restait de logique.

Dans sa précipitation, en s'engouffrant chez lui, ce grand amateur de tacos n'avait pas tout de suite été frappé par ce détail. Ce petit quelque chose à ne plus être présent dans cette maison depuis un certain temps maintenant. Sûrement pas de cette manière aussi abrupte et déstabilisante. À apparaître par surprise au moment où on l'attendait le moins. Ce genre de fragrance typiquement féminine, une forte odeur de parfum capiteux et sucré à embaumer toutes les pièces.

Un parfum de femme, bien sûr. Un parfum à lui sembler étrangement familier. Un parfum assez élégant pour aller avec ces ravissants escarpins oubliés au bas de l'escalier.

Depuis le décès de Mme Donovan, aucune femme n'avait foulé le plancher de cette maison. En presque cinq ans, ce mari éploré suite à la disparition de son épouse avait sûrement fréquenté d'autres personnes. Il restait un être humain, même si ses supposées relations étaient restées brèves et secrètes. Pour préserver son image de veuf inconsolable, ou ménager son enfant encore affecté de se retrouver orphelin de mère.

Quoiqu'il en soit, récemment, Mr Donovan devait être très attaché à une femme qu'il avait invité à la maison en profitant de l'absence tombant à pic de son fils. Cette même femme, probablement conviée à un dîner romantique de dernière minute, avait sans doute passé une agréable soirée à la maison, et était peut-être même encore là, dans la chambre de son père... !

Prudent et ne tenant pas à être choqué à vie, Clyde ne se risquait pas à aller vérifier. Il préférait gravir chaque marche sur la pointe des pieds, étouffer un petit cri de panique en voyant que la porte de cette pièce à peut-être abriter un terrible secret était entrouverte, et foncer dans sa chambre sans se risquer à jeter un œil sur cette affaire d'adultes à légèrement le dépasser. Mais à ne pas non plus lui faire oublier sa mission très importante : Le cadeau destiné à Craig, qui était soigneusement rangé dans son armoire et s'était retrouvé installé dans un petit sac en plastique propre avant de retrouver son nouveau propriétaire. En attendant ce moment fort en émotions, le grand admirateur de Bebe Stevens le tenait précautionneusement contre lui, serré contre son cœur qui battait de plus en plus vite. Ne lâchant pas son précieux chargement même pour prendre son sac à dos et fermer le plus doucement possible la porte de sa chambre avant de partir sans faire plus de bruit. Et en ne cherchant pas à savoir si quelqu'un venait de se réveiller, ça serait bien trop gênant. Et foutrait complètement en l'air son plan si parfait pour montrer à Craig qu'il pouvait être un bon petit ami très attentionné et prévenant...

Cependant, en étant dans son rôle de fils modèle et bienveillant, Clyde était plutôt heureux pour son père. Sincèrement content, bien qu'encore un peu sous le choc même si quelques indices avaient été aperçus. Bien sûr, sa mère lui manquait toujours beaucoup et il pensait souvent à elle, mais cette femme encore inconnue pouvait être très sympathique. Enfin, seulement si la nouvelle petite amie de son père ne se mettait pas en tête de remplacer sa seule et unique mère. Et il ne fallait pas qu'elle soit homophobe, sinon inviter Craig deviendrait compliqué. Enfin, son père non plus n'était pas au courant que le meilleur ami de son fils était récemment devenu son petit ami.

Ça aussi ça allait être un moment délicat, puisque les parents de Craig seraient également prévenus et donc plus vraiment à observer d'un bon œil la présence de Clyde Donovan dans leur maison... Pour l'heure, au lieu d'avoir à affronter le regard de Mr ou Mme Tucker et répondre à coup de mensonges, c'était le visage étonné et encore un peu endormi de celui auquel il pensait si souvent qui lui faisait face.

C'est vrai, en plus d'avoir oublié de manger quelque chose avant de partir accomplir son importante mission, Clyde venait d'omettre que son pote se réveillait souvent assez tôt pour pouvoir s'occuper convenablement de Stripe. Lui donner à manger, jouer avec lui, préparer son foin à grignoter pendant la journée... Penser à son cochon d'Inde avant son propre cas, et donc laisser à son presque petit ami le loisir de l'admirer vêtu de cet adorable pyjama Red racer et les cheveux pas encore coiffés convenablement. Toutefois, le soupirant de Bebe Stevens ne devait pas complètement se laisser hypnotiser par cette troublante vision... Tout bonnement adorable ! À lui donner envie de faire un long câlin à son ami, se sentir immensément bien en sentant son corps si proche du sien, profiter quelques instants de cette si douce chaleur, et peut-être même oser relever un peu la tête pour l'embrasser... En plus, Craig le regardait justement avec un mignon petit sourire, et le saluait comme d'habitude malgré leur petite brouille d'hier. Un détail devenu tellement insignifiant à côté de choses plus importantes et romantiques. Comme certains messages...

Peut-être même que son complice repensait justement à ce petit SMS très romantique (et gay), plein de smileys et de cœurs, qu'il avait reçu hier soir. Qu'il avait sûrement relu ce matin, en se réveillant. Et dont l'auteur se trouvait justement devant lui !

Ouais, vu son sourire un brin amusé, c'était carrément sûr que le gamin au bonnet péruvien repensait à ce message devenu déjà bien célèbre. Surtout à ces satanés petits cœurs très significatifs de l'état d'esprit actuel de son cher ami. Un ami qui lui avait d'ailleurs tendu prestement le fameux cadeau, pour ne pas complètement perdre ses moyens sous la panique et inventer une excuse encore fumeuse pour se tirer d'affaire. Comme quoi il se serait levé exprès plus tôt pour venir chercher toutes les sucreries promises, en loupant volontairement une occasion de dormir un peu plus longtemps et son petit-déjeuner qu'il prenait toujours plaisir à préparer lui-même...

À vrai dire, Clyde n'aurait pas dit non pour goûter dès maintenant à quelques bonbons venant des meilleures boutiques de Denver. Mais le contenu du paquet qu'il mettait devant le nez de son pote et la réaction de ce dernier restaient en tête des choses bien plus importantes que satisfaire sa gourmandise. Et, retrouvant un peu de sa superbe et son self-control, pour apporter de l'émotion un poil plus tendre à la situation, le gamin avait esquissé le sourire le plus charmeur qu'il avait en stock pour expliquer que c'était un cadeau. Et vu la texture molle de la surprise planquée dans le sac il ne pouvait pas s'agir d'une mauvaise blague. Comme un sex-toy offert au plus mauvais moment. Cela serait en plus assez étonnant venant de Clyde, censé avoir une phobie et une peur panique de ces jouets pour adulte. Ou une grenouille qui lui sauterait au visage, une blague qu'ils se faisaient souvent étant petits.

Sauf qu'il était question d'un cadeau très sérieux, offert dans un but bien précis, que Craig s'était enfin décidé à découvrir. Et observer avec un certain scepticisme cette fabuleuse idée de présent dont Clyde semblait si fier.

- Un t-shirt Cow days... ?

Affirmatif, un t-shirt Cow days officiel. Clyde hochait timidement la tête, un grand sourire aux lèvres, en ne quittant pas son petit ami des yeux. Même quand Craig se mettait à renifler le cadeau avec attention et venait donc de comprendre le détail le plus important. Ce vêtement ne venait pas d'un magasin ou d'une boutique en ligne, sinon il ne porterait pas cette odeur familière que le fervent défenseur de cochons d'Inde avait eu l'occasion de profiter en détail lors du moment Brenda Love.

- C'est le tien ! Celui que tu avais acheté au festival de cette année !

Depuis son plus jeune âge, Clyde adorait les Cow days, ce festival annuel de leur ville. Craig avait beau lui répéter que ce genre d'événement renfermait aussi beaucoup d'arnaques, le gamin tenait à participer à toutes les activités qu'il pouvait. En dévorant bien sûr à une vitesse fulgurante toutes les économies que son père lui avait laissées pour l'occasion. Si bien qu'il n'avait bientôt plus assez d'argent pour s'offrir le célèbre t-shirt avec le logo du festival. Mais à chaque fois, avant que ce bouffeur de tacos parfois assez immature se lamente sur son sort et se laisse berner par Cartman pour arriver à grappiller la somme qui lui manquait, son sauveur et fidèle meilleur ami lui donnait généreusement les quelques dollars manquants. En ne prenant même plus la peine de repousser l'élan de joie de son compère quand celui-ci se jetait dans ses bras pour le remercier avec des larmes de joies pas du tout simulées ni dissimulées.

C'était sûr, vu ses légers rougissements et son sourire tout de même discret, Craig devait repenser à ces anecdotes si précieuses pour leur amitié. Tout comme ce t-shirt allait devenir important pour leur relation, un peu plus forte qu'amicale. En plus ce vêtement pouvait se qualifier de presque neuf, son ancien propriétaire l'avait seulement porté une ou deux fois.

- Je voulais t'offrir quelque chose de très personnel ! Qui te ferait directement penser à moi. Enfin je me doute bien que tu penses à moi mais...

- Clyde...

Craig n'osait pas le regarder dans les yeux, mais avait prononcé son prénom dans un murmure à lui en donner d'agréables frissons. Un délicieux murmure que son compère avait parfaitement entendu. Aussi bien entendu que cet écho à l'apostropher et qui venait le saluer en courant. Sûrement une des rares filles à sincèrement le respecter et l'apprécier, Tricia se tenait devant le meilleur ami de son frère pour le saluer chaleureusement et lui faire savoir que sa visite surprise si matinale était une merveilleuse idée. Surtout si ça troublait autant son grand frère, mais la jeune fille avait gardé cette dernière constatation pour elle. Même si elle ne masquait pas un léger petit sourire amusé en observant son frère aîné qui venait de cacher précipitamment un cadeau très romantique dans le sac lui ayant servi d'emballage. Mais quelques détails précis ne pouvaient pas se planquer aussi facilement, tels que ces petits rougissements provoqués par certains sentiments et une joie sincère. Cependant, même fortement déstabilisé par cet ami décidément bien attentionné, Craig ne s'était pas démonté et enchaînait très vite avant que sa sœur ne fasse une remarque gênante ou que ça soit Clyde qui s'y mette et sorte quelque chose de stupide.

Pour se débarrasser de ces deux éléments bien trop dangereux pour ses émotions rendues tout à coup très sensibles, le fan de cochons d'Inde expliquait très calmement que cette visite inattendue tombait en effet très bien. Son cher ami Clyde venait justement de se proposer pour accompagner Tricia voir Karen, comme lui-même devait passer chez Kenny avant de partir à l'école... Vraiment, quel heureux hasard !

À vrai dire, celui censé être l'auteur de ce plan si ingénieux l'ignorait complètement avant de savoir ces quelques détails primordiaux. Lui qui avait fait ce détour simplement pour offrir quelque chose de mignon et sincère à son petit ami, pour ensuite le convier à un nouveau rendez-vous dans un cadre beaucoup plus intimiste... Mais, en complices à s'ignorer ou en parfaite adéquation sans avoir eu besoin de se consulter, le frère et la sœur avaient pris les choses en main avant de laisser à Clyde le temps de dire un mot malheureux bon à briser la magie de cette scène.

L'éternel admirateur de Bebe Stevens avait à peine eu le temps d'admirer le sourire aussi discret qu'adorable de son meilleur pote, tout content de s'être tiré de ce mauvais pas et sûrement grandement touché par ce cadeau.

Oui, vraiment, vu comment Craig serrait le sac dans ses bras comme s'il s'agissait d'un bébé cochon d'Inde. Un bien très précieux, dont celui qui était toujours son meilleur ami aurait aimé lui parler plus en détail et en profiter pour glisser dans la foulée cette nouvelle invitation. Très différente des précédentes, dans un lieu tout aussi opposé et donc spécial. Chargé de souvenirs, qui parviendrait sûrement à faire évoluer leur relation sans brusquer les choses et encore résulter sur une situation embarrassante. Ou à se clôturer sur un départ précipité...

Mais il aurait été inutile de lutter pour achever cette mission, la petite sœur de Craig le tirait d'un air décidé par le bras pour ne pas perdre de temps. Et, comme son frère, quand Tricia avait une idée en tête toute résistance ou moyen de capituler était inutile.

Néanmoins, cette promenade matinale avec Tricia n'était pas désagréable. La balade était même plutôt reposante, si on excluait cette petite série de questions un peu... étranges.

Tout en lui tenant toujours le bras et le regardant très sérieusement dans les yeux pour y déceler le moindre mensonge, la jeune fille lui avait d'abord demandé s'il comptait se marier quand il serait plus grand. Une question que posaient souvent les filles, et même les garçons entre eux pour se taquiner. Sauf que là, ce n'était pas une fille ordinaire, il s'agissait de la petite sœur de son meilleur ami très proche de devenir son petit ami ! Tricia le prenait donc un peu de court, mais ne devait certainement pas être au courant pour sa relation avec Craig. En plus, ce dernier n'était pas du genre à se confier à sa sœur ou ses parents, ni à ses amis proches d'ailleurs...

Ça voudrait dire que Craig ne faisait pas confiance à son éternel complice pour ne jamais lui avoir parlé de son homosexualité ? Même de façon détournée. Enfin, comme ce sujet abordait également des sentiments tournés vers un certain ami qui, en apprenant que son pote était gay, l'aurait harcelé de questions pour savoir si ce cher Craig était amoureux. Sans se douter que le fervent défenseur de cochons d'Inde avait des sentiments assez forts pour ce loser qui faisait passer les tacos avant la vie d'un pote.

Malgré tout un peu amusé par ce qui aurait pu devenir une situation gênante mais réaliste, Clyde se voyait bien titiller gentiment son compère en énumérant tous les gars de la classe pour savoir lequel lui plaisait le plus. Et donc rougir fortement au moment où son cher ami gay lui aurait avoué qu'il était complètement con. Car c'était lui qu'il préférait et aimait plus que les autres... Pas terrible comme déclaration. Le plus grand admirateur de Bebe Stevens préférerait largement des aveux plus romantiques, dans un décor assorti, avec de tendres embrassades pour les illustrer. Si seulement Craig pouvait approuver ce genre de mièvreries...

- Alors ?

En attendant de confirmer officiellement leurs sentiments, l'un des membres de ce couple assurément prometteur devait déjà penser à l'étape du mariage comme lui signifiait le petit rappel à l'ordre de la part de sa future belle-sœur.

Sans tourner le sujet à la rigolade ou se forcer à raconter une cérémonie où Bebe serait la mariée officielle et la seule femme de sa vie, Clyde s'entendait répondre posément et sincèrement que ça ne lui déplairait pas. Qu'il y avait beaucoup repensé récemment mais hésitait encore entre un mariage simple et convivial en petit comité, ou bien une cérémonie dispendieuse pour vraiment marquer le coup et rendre ce jour inoubliable à la fois romantique et digne d'une fête. Connaissant Craig, il pencherait probablement pour la première idée : Un mariage chiant mais agréable. Alors que Clyde se laisserait dangereusement tenter par la seconde : Une cérémonie très festive, tapageuse et coûteuse. Comme semblait le penser Tricia en train de hocher la tête en affichant un petit sourire, visiblement satisfaite de cette réponse. Observant également que c'était une bonne chose de ne pas être trop radin quand c'était pour faire plaisir à la personne aimée. Ajoutant même qu'il pourrait se charger du buffet ainsi que de la célèbre pièce montée indémodable et immanquable (Délicieuse aussi), de manière à faire quelques économies.

Toujours aussi ravi par la gentillesse de la sœur de son meilleur ami, Clyde commentait que c'était une excellente idée. Et expliquait, plus rêveusement, qu'il avait déjà eu l'occasion d'admirer sur Internet de superbes pièces montées. Dont une vraiment magnifique, à en tomber par terre, au chocolat noir, agrémentée de plein de petits chocolats en forme de cœur. Une véritable merveille ! Et une pièce montée qui plairait beaucoup à Craig, comme venait de le signaler à juste titre Tricia.

En effet, son meilleur ami savait parfaitement que son compère adorait le chocolat mais il trouvait juste un peu incongru que la sœur de celui-ci fasse ce genre de remarque beaucoup trop à double sens.

Et l'air si innocent, parfaitement calme, de cette gamine bien trop futée pour son âge n'arrangeait rien. À part répondre avec un petit rire nerveux, Clyde ne préférait pas se risquer à s'enfoncer davantage dans ce jeu de dangereux quiproquos. Ou lui demander carrément si elle était au courant pour les préférences dites anormales de son grand frère. Ce n'était pas le genre de discussion à avoir de si bon matin, surtout après un moment aussi touchant avec celui qui restait son meilleur ami et petit ami...

Hélas, au lieu de sagement clôturer cette conversation rendue délicate au moment où un certain sujet venait d'entrer en scène, la jeune fille continuait de plus belle en questionnant à nouveau très sérieusement l'ami si gentil de son frère qui l'accompagnait. En voulant cette fois savoir si ça l'embêterait de ne pas avoir une grande famille idéalement nombreuse mais plutôt beaucoup d'animaux de compagnie. Pour ne pas dire un grand nombre de cochons d'Inde au lieu d'avoir toute une armée de marmots pleurnichards qui auraient une chance sur deux d'être roux... Au moins, Tricia restait subtile et ne citait pas de noms ou de détails trop compromettants. Sauf que le futur mari de son frère n'avait pas besoin de beaucoup d'éléments trop explicites pour se retrouver terriblement confus et donc fatalement maladroit.

- Non, non... Ça ne me dérangerait pas, j'aime bien les cochons d'Inde.

Tandis que Clyde Donovan ne s'illustrait pas vraiment dans l'art de la subtilité, en faisant des gaffes sans le vouloir alors qu'à peine quelques minutes plus tôt il se promettait de rester prudent. De ne surtout pas évoquer Craig, ni leur relation de plus en plus romantique. Et voilà qu'il excellait pour servir les meilleurs indices au sujet d'une éventuelle romance...

Heureusement, malgré une certaine maturité, Tricia restait une petite fille. Curieuse, mais encore peu familière de toutes ces histoires à sûrement encore grandement la dépasser. Donc, c'était impossible que dans son esprit l'homosexualité soit rattachée à quelque chose de précis, réel. Que ce thème obscur puisse concerner directement son frère aîné.

À son âge, Clyde se souvenait que ce genre de truc ne faisait pas partie de son environnement ou de ses priorités. Sauf quand c'était pour en rire innocemment, en disant que tel ou tel gamin était gay. Une bonne blague qui ne le ferait plus du tout rire aujourd'hui puisque l'éternel admirateur de Bebe Stevens connaissait maintenant très bien le sujet. Pour avoir un meilleur ami gay, pas parce qu'il était gay lui-même, ce n'était pas la même chose !

Enfin, au point où en était la situation, Clyde ne s'en étonnerait pas s'il avouait à Tricia son attirance pour une certaine personne que tous les deux connaissaient très bien...

Heureusement, en parfait accord avec l'image de l'enfant encore candide qui ne cherchait pas à décortiquer la moindre phrase, la jeune fille avait simplement conclu qu'elle était vraiment contente que le cher ami de son frère passe si souvent à la maison ces temps-ci. Lui au moins était beaucoup plus gentil et jovial que Craig qui passait plus de temps auprès de Stripe qu'avec sa propre famille !

Définitivement soulagé, celui qui aurait volontiers souhaité avoir une petite sœur comme Tricia approuvait gaiement en lui annonçant qu'il risquait de s'inviter encore un certain temps chez les Tucker. Et cette fois-ci sans faire de bourde en voulant lui expliquer la raison exacte de sa présence devenue quasiment habituelle, Tricia n'avait peut- être pas besoin de savoir si brutalement que son frère était gay et sortait avec son meilleur pote.

Comme si elle n'avait pas déjà eu l'honneur d'être l'unique spectatrice d'un certain coming-out...