Titre complet : Nuit Blanche (ou La Couleur du Diable)


Chapitre un : Dénonce la couleur.

Un coude sur la table, secoué par les mouvements de la main qui le prolongeait, un stylo s'y trouvant prisonnier. La tête blonde de leur propriétaire était soutenue par le poignet gauche. Les paupières encore maquillées d'un noir qui s'étalait un peu luttaient pour obtenir le droit de se refermer, tandis que l'esprit se battait pour qu'elles restent levées.

Et il écrivait, le garçon.

Il écrivait, il écrivait, il écrivait…

Sa tête aux cheveux décolorés ignorait jusqu'au nombre de lignes que l'encre de son stylo noircissait. Il fallait juste qu'elle soit pleine.

Pleine de quoi… Le contenu importait peu.

Juste que le noir devait dévaster cette blancheur imprimée, à l'aide d'une arme dont l'encre est seule munition.

« Reita… »

L'arme dérapa, et déchira le champ de bataille bicolore.

Un côté encore vierge de toute violation, un côté emplit de mots de désolation.

Il se sentait mal, ce jeune homme. Quelque chose en lui pressentait… Quoi, il l'ignorait. Mais c'était malin, c'était malsain, c'était… Comme la fin de son âme qui se cachait au fin fond de son corps, comme si elle avait peur d'être exposée.

« Excuse moi de t'avoir effrayé. » reprit la petite voix « J'étais juste venu te dire d'éviter de t'endormir là, comme on retourne aux dortoirs demain… Avec le voyage, tu vas être épuisé. Va te coucher, s'il te plaît… »

« -Je ne vais pas tarder… Laisse moi juste le temps de ranger.

-Oui… Oh, et… » Il s'arrêta sur le pas de la porte « Si tu as encore faim ou soif, ma mère t'a laissé de quoi te satisfaire, dans la cuisine.

-Elle est loin, ta cuisine. » soupira l'aîné.

Le cadet haussa les épaules et sortit de la pièce. Aussitôt, Reita –Suzuki Akira, de son nom d'origine- sentit une ambiance lourde emplir la pièce, l'écrasant par la même de son imposante pression.

Un voile noir passa devant ses yeux d'argent, et il se prit la tête entre les mains.

Son petit ami avait raison, il était vraiment en état de fatigue certaine.
Une sensation d'effacement, une sorte de torpeur, s'empara de son être ; et il lui sembla qu'il serait partit bien loin si cette adorable petite voix ne l'avait pas rappelé à lui.

« Reita… Reita… ? … Akira ! On va finir par être en retard ! »

En… retard ?

Difficilement, ses paupières se soulevèrent, offrant ses yeux fragiles à l'éclat du Soleil d'hiver. Il ne les rabaissa pas pour autant, par pur élan de masochisme.

« De… hein ? » Parvint-il à articuler

« -Bagages, trains, internats… ! T'as quand même pas oublié pendant la nuit ?! Je t'avais prévenu d'aller te coucher ! En plus, il est déjà dix heure, donc t'as six heures le temps de tout préparer !

-T… Tout ?

-Oui, tout !... Tu pensais quand même pas que j'allais faire ton sac à ta place ?! Allez, bouge ! »

Puis, avant de s'en retourner, le plus petit déposa un plateau qu'il avait laissé sur la commode, n'ajoutant rien. Reita lui sourit en guise de remerciement, bien que l'autre l'ignora complètement.

Oh, il savait bien que ce n'était pas par méchanceté, mais par simple fierté du petit blond… Pour preuve qu'il tenait à lui, ce geste anodin ! Il aurait très bien pu le laisser dormir jusqu'à pas d'heure, et ainsi n'avoir rien de prêt pour le départ.

Le must dans l'histoire, c'était que, en plus, il avait eu le petit déjeuner au… bureau.

Qu'est ce qu'il foutait là, déjà ?

Intrigué par ce soudain trou de mémoire, il se mit à farfouiller l'amas de feuilles toutes plus vierges les unes que les autres. Quant à l'unique stylo qui se trouvait là, l'encre avait séché à l'intérieur depuis bien longtemps.
Le jeune homme marqua un arrêt, une sorte de malaise prenant le pas sur sa curiosité.

Sans aucun signe avant coureur ou autre facteur, il frissonna violemment, ses longues mains se plaquant d'elles mêmes sur ses bras.

Un coup d'œil rapide à la pièce, une nouvelle angoisse.

Pourquoi était-il venu ici ? Il détestait ce bureau…

Non, même, il le haïssait. Déjà que la maison de son petit ami, en général, ne lui plaisait que trop peu, mais alors cette pièce… !

Il n'y était même jamais entré, refusant toujours les invitations de Ruki.

Rien que de passer dans le couloir le rebutait, c'était dire si il était mal à l'aise en ces lieux.

Il soupira à ces pensées, se convainquant que mieux qu'il pouvait qu'il ne s'agissait que de foutaises.

Bon, après, l'auto-persuasion n'était pas son fort non plus. Bien qu'il avait comme conviction d'être comme Saint Thomas et un bon nombre d'hommes bien terre à terre… Il ne croyait que ce qu'il voyait !

Alors à cause de quoi se justifiait-il par celle-ci ? Il n'avait strictement rien vu d'anormal, seulement constaté qu'il était étrange qu'il se trouvât dans cette pièce…

Ses épaules se haussèrent pour lui-même, et ses doigts attrapèrent le mug encore chaud de thé sombre. N'osant pas pour autant regarder autour de lui, son regard se centra sur la seule et unique fenêtre de la pièce.

Celle-ci se trouvait juste au dessus du bureau, le meuble étant collé au même mur. De ce fait, le large rebord servait d'étagère. Un vieux livre qui portait sur les bases fondamentales de la littérature classique japonaise, sa couverture de cuir brun aux lettres dorés recouverte par une épaisse couche de poussière grise et, visiblement, à l'aise. Une lointaine toile d'araignée pendait encore à sa conséquente épaisseur, le reliant à une paire de ciseaux de fer rouillé.

D'ailleurs, cette chère compagne grisâtre semblait s'attacher plus facilement aux traces rougeâtres formées par le temps sur les lames.
Agrémentant ce tableau aux tons un peu blafards, une lampe de bureau verte soutenait tant bien que mal sa tête vide de toute ampoule, au poids de la poussière qui s'étalait sur sa couleur.

Mais, étrangement, cette dernière ressortait toujours autant.

Et Reita ne l'aimait pas.

Autant lui détestait le vert, autant son petit ami avait fait faire sa chambre en ces tons, pour son plus grand malheur.

Enfin, dans le noir, lorsqu'ils dormaient, il ne le voyait plus.

Seulement, quand ils faisaient l'amour, ça le perturbait plus que de raison, l'absorbant complètement dans une crainte qui n'avait pas de nom.

D'ailleurs, Ruki avait fini par se rendre compte du problème… Lui proposant carrément un jour, de but en blanc, d'utiliser le salon ou la chambre de ses parents. Et si l'on retirait le côté non civilisé de la proposition, elle devenait très attrayante, donc aussi vite adoptée.

Des petits coups successifs contre la porte le sortirent de ses réflexions sur le givre étincelant qui collait à la vitre, ainsi que son nez de la tasse fumante.


. : A Suivre :.