Le soleil commence à faiblir. Rue Barnette du haut de ses 12 ans et surtout du haut d'un arbre d'une vingtaine de mètre regarde de l'autre côté du lac Séminole au centre des terres du district 11. Il paraît qu'à une époque ce lac était immense et on ne pouvait distinguer le ciel de l'eau. Aujourd'hui il est possible d'en connaître le tour d'un seul regard. Ce lac est loin d'être le plus grand du district 11 connu pour ses nombreux points d'eau permettant l'agriculture, seule richesse du district. Rue a toujours aimé voir de loin. Son sens de l'observation lui permet d'assimiler sans avoir à prendre des notes. Il faut dire qu'avec ses cinq frères et sœurs et le travail aux champs elle n'a pas le temps d'apprendre à écrire. Mais grâce à son attention particulière elle a appris le nom de toutes végétations vitales autour du district ainsi que les dangers à éviter. Ses parents se tuant à la tâche sans réussir à nourrir toute la famille à la fin du mois, son père avait pris le temps de lui montrer comment survivre en forêt. A chaque saison il était possible de trouver de quoi compléter la pension en forêt. Ses parents occupés aux champs, elle partait parfois trois jours en forêt afin de ramener des vivres. Il était rare qu'elle s'absente autant. En effet, ses parents étaient pauvres mais pas au point d'abandonner leurs enfants dans la forêt. Et puis, Rue étant l'ainée, elle est indispensable au foyer. Lorsqu'elle ne cueille pas des baies, elle aide à la maison ou aux champs.
« Rue tu le vois ? J'espère qu'il n'a pas dépassé le Pitou ! » Lui demanda son frère Tom en haussant assez la voix pour que sa sœur puisse l'entendre de son perchoir. Tom ressemble comme deux gouttes d'eau à Rue. A 11 ans il dépasse déjà sa grande sœur d'une tête et paraît plus âgé. De bonne consistance il peut assurer des journées de travail comme un homme. Contrairement à sa sœur aux allures assez frêles, Tom a développé une musculature à faire rougir les athlètes. Muscles dont il a conscience et n'hésite pas à les faire jaillir dès que la fille cadette de la voisine le regarde.
Rue scruta encore l'horizon. Pas facile de voir autre chose que des végétations et des pics montagneux appelés communément Pitou qui s'étendent de l'autre côté du lac.
« Non, vu son état il ne doit même pas avoir traversé le lac ! » S'écria Rue toujours concentrée sur la vue, les yeux plissés. Ses yeux s'agrandirent lorsqu'elle vit enfin ce pourquoi elle s'était perchée sur cet arbre.
« Un kilomètre au Nord-Ouest ! ». Rue descend de l'arbre en quatrième vitesse ce qui ne cesse de surprendre son frère qui la regarde souvent comme une alienne à ces moments-là. Une fois descendue la traque recommence. Six heures qu'ils pourchassaient le griffon. Depuis que son frère s'entraînait au tir il faisait mouche presque à chaque fois. Avec sa puissance la flèche a transpercé une aile avant de se loger dans le flanc du griffon en début d'après-midi mais celui-ci réussi à s'enfuir. Tom suivit sa trace pendant deux heures avant de demander de l'aide à sa sœur.
Lorsque Tom est venu demander son aide il dit à son père qu'un renard blessé l'avait distancé et que Rue pouvait l'aider à pister celui-ci. Son père avait hésité. Rue devait l'aider à finir la récolte avant la nuit. Demain il risquait de pleuvoir et ils étaient déjà en retard. Et puis un renard pouvant constituer un repas supplémentaire serait dur à retrouver. Mais avec la fin des récoltes vient le début du jeu de la faim. Ce jeu est nommé hunger game comme si le fait de traduire jeu de la faim en anglais rendait le terme moins effrayant. Ce n'était pas le premier Hunger game mais le premier redouté par la famille. Le jeu consiste à envoyer des tribus, soit un garçon et une fille tirés au sort et ayant entre douze et dix-huit ans, s'entretuer dans un écosystème où seul le dernier survivant pourra s'échapper. Rue avait eu douze ans cette année. La jeune fille avait besoin de se changer les idées. Le père Barnette acquiesça en signe d'accord.
A peine l'orée du bois traversé Tom raconta à sa sœur ses péripéties de la journée.
« … et soudain le lièvre change brusquement de direction. J'avais déjà bandé l'arc mais ce changement m'a surpris et il s'est enfuit. Mais deux secondes après son passage je vois une grosse masse passer lentement sur ses traces. Je n'ai vu que les plumes dépasser des ronces et j'ai tiré.
Des plumes ?
Oui je me suis rendu compte une fois la flèche partie qu'il s'agissait d'un griffon. J'ai pris peur et je suis tombé en arrière. Mais il ne m'a pas attaqué, il a tenté de s'envoler puis est partit au galop.
Tu es fou ! Un griffon peut te lacéré en moins de temps qu'il t'en faut pour dire ouf ! On ferait mieux de rebrousser chemin et demander l'aide des villageois.
Non attend ! Il ne pourra pas survivre à cette blessure et il est petit. Surement un bébé. Il nous suffit juste de le retrouver. »
C'est ainsi que le limier et le chasseur poursuivent le griffon à l'heure actuelle. Sa viande est un peu fade mais un gibier pareil peut nourrir leur famille pendant plusieurs jours.
Le griffon, au milieu d'une clairière, respire bruyamment. Il entend des pas se rapprocher mais ne peux se relever. Il ne peut s'envoler avec une de ses ailes d'aigle déchirée. Son corps de lion bien utile pour distancer ces ennemis est devenu trop lourd à porter. Depuis qu'il s'était servi de son bec d'aigle pour retirer la flèche enfoncée profondément dans ses chairs trop de sang s'était échappé de la blessure.
Rue et Tom voient le griffon et s'arrête derrière un arbre à cent mètre de lui. Un griffon peut faire dix fois la taille d'un lion mais celui-ci en fait à peine le double. Les villageois ont organisé une traque quinze jours avant afin de tuer un griffon détruisant les vergers et causant la perte de nombreux compagnons. Il est rare d'en voir. Encore plus rare d'en voir plus d'un à la fois. A voir la taille de celui-ci les Barnette en déduisent qu'il doit être le rejeton du griffon abattu durant la traque. Tom s'approche suffisamment pour rendre le coup fatal. La flèche fuse est le griffon ne bouge plus. Restant à distance pendant un long moment dans l'attente d'une réaction de l'animal, les enfants en profitent pour avoir un peu de repos. Tom se lève et se dirige vers la bête au moment où Rue se demande comment la transporter. Tom prend les deux pattes arrières de l'animal et commence à le tirer sur le chemin de la maison. Rue attrape la longue queue de lion qui traine au sol et s'agrippe aux branches et l'enroule autour de son bras tout en suivant son frère. La queue est légère et n'empêche pas Rue d'avoir un bon rythme de marche. Tom par contre transpire sous l'effort considérable, surtout pour un enfant de son âge, qu'il accomplit sans se plaindre ni s'arrêter. Heureusement, ils ont passé toute l'après-midi à tourner en rond en suivant la piste du griffon et arrivent devant la porte de la maison une heure plus tard.
