— L'est où ton putain d'paternel ? Tu vas cracher le morceau merde ?!
L'homme aux cheveux rouges frappa encore une fois la joue déjà écarlate de sa victime.
— J'vous ai… déjà dit… qu'c'était pas mon père…
— Mais putain j'm'en fous de ça, tu sais où il est et tu vas nous le dire, sale morveux !
Le jeune homme, encore une fois frappé, s'affaissa au sol quand l'autre lui lâcha le col de son tee-shirt. Il cracha du sang sur le béton froid du sous-sol dans lequel il se trouvait. Il avait l'impression d'être torturé ici depuis des jours mais l'horloge n'affichait que minuit moins vingt. Deux heures qu'il était malmené.
Il regarda son bourreau, dos à lui maintenant, énervé par la situation. Les muscles de son dos s'assouplissaient à chaque respiration, chaque détail apparaissait à travers le tee-shirt noir moulant qu'il portait. Il serrait ses poings gantés de cuir noir. Il devait certainement chercher un nouveau moyen de le faire parler. Mais le jeune homme n'avait rien à dire, il ne savait rien, mais personne ne semblait le croire ici. Il jeta un coup d'œil sur les hommes en costume autour de lui. Aucune issue possible.
— Je… ne sais rien…
— Tch !
L'homme se retourna subitement en prenant d'un geste vif le revolver de son holster et pointa le front de l'interrogé.
— C'est pas ce qu'on m'a assuré pourtant ! Comment tu te sens, hein, poil de carotte, maintenant que je menace ta propre vie ?! Tu vas toujours jouer les muets ?
Le jeune homme écarquilla les yeux de stupeur. Etait-il sérieux ? Allait-il mourir là, tout de suite, comme ça ?
Soudain, le bruit d'une porte en fer rouillée grinça en écho dans toute la pièce. Un son déchirant qui fit soulever le cœur de chacun. Le bourreau releva son arme pour se tourner vers le bruit et le jeune blessé fut alors quelque peu soulagé de ne plus sentir la Mort si proche.
Un homme s'avança vers le tortionnaire aux cheveux de feu, accompagné de deux gardes du corps. Sa stature si imposante fit naître un silence grave et respectueux dans tout le sous-sol. Il était grand et fort, très élégant dans son costume noir tiré à quatre épingles et avait un regard froid et déstabilisant.
Il le regarda intensément et le pauvre rouquin ne put que baisser les yeux. Qui était cet homme qui avait fait taire en un seul coup tous ces singes aux énormes muscles ? Une sorte de chef ? Même le bourreau aux cheveux rouges l'avait salué poliment à son entrée, d'un signe de tête. Se pourrait-il que… ?
— C'est lui le gamin ?
Ichigo sentit un frisson le parcourir en comprenant directement que le si mystérieux nouveau venu venait de parler de lui. Sa voix, qui avait soudainement interrompu le flot de ses pensées, était grave, feutrée et autoritaire, sans appel.
— Ouais… Mais il veut pas parler, ce foutu gosse… ; répondit son bras droit.
— Tss… c'est donc que tu t'y prends mal, Renji.
Nouveau frisson. Cet homme le terrifiait vraiment ou alors était-ce à cause de cette ambiance dans laquelle il baignait depuis plusieurs heures et qui l'avait mené à bout ? Il avait eu l'impression que l'homme avait souri sur ses derniers mots, ce qui ne laissait rien de bon à prévoir. Qu'allait-il lui faire ? Et lui, qu'allait-il répondre puisqu' il ignorait tout de ce qu'on lui demandait ?
Il releva la tête et vit le fameux « Renji » quelque peu énervé, certainement à cause de la remarque acerbe de son patron qu'il fixait du regard, croisant les bras en attendant la suite. Ichigo tourna alors la tête vers la nouvelle personne et sentit son cœur battre plus fort dans sa poitrine quand il la vit inexorablement s'approcher de lui pour le toiser de haut, les mains dans les poches de son pantalon noir. Le garçon n'eut pas le courage de le regarder dans les yeux et d'ailleurs sa nuque le faisait trop souffrir. Il préféra perdre son regard dans le vide et attendre sa sentence.
— Tu me l'as bien amoché…
Ichigo, sur ces mots, passa discrètement sa langue sur sa lèvre inférieure. Le goût terreux et ferrique du sang. Il en était sûr. Il imagina clairement quelle tête il devait avoir après tous les coups qu'il s'était pris ce qui justifiait bien les dires de l'homme. Il avait été amoché.
Il vit ensuite l'homme s'abaisser à sa hauteur, s'accroupissant élégamment avec souplesse. Il le trouva si près de lui qu'il essaya de se reculer mais le mur était déjà tout contre son dos. Il sentit le parfum musqué et viril de son vis-à-vis qu'il ne regarda dans les yeux qu'un seul instant. Deux orbes bleus si hypnotiques qu'ils auraient pu lui faire faire n'importe quoi. Mais être si près de cet homme que tout le monde craignait finit paradoxalement par calmer le jeune homme. Il avait l'impression, l'intime sentiment, qu'il ne lui ferait pas de mal, ou du moins de mal injustifié, que ses bras musclés pouvaient tout détruire mais aussi tout protéger, et que ce torse fort et imposant pouvait le réchauffer.
Il entendit la respiration calme de l'homme et, si près, leurs souffles se mélangèrent, juste quelques instants. Ichigo se sentait tellement fatigué mais tellement plus apaisé aussi maintenant qu'il ne voyait plus toutes ces idiotes brutes épaisses qui l'entouraient tout à l'heure.
Soudain, l'homme avança sa main vers Ichigo. Ce dernier retint son souffle une seconde. Il le touchait. Plus précisément, il lui avait pris le menton entre trois de ses doigts pour relever sa tête et soutenir son regard dans le sien. À nouveau, ses deux orbes bleus le fixaient intensément. Il se laissa noyer dans ses yeux si magnifiques il n'avait plus la force pour rien d'autres de toute façon.
Finalement, l'homme coupa ce lien si particulier, laissant le jeune homme encore groggy, et se leva tout sourire pour dire à son bras droit :
— Tu t'es trompé Renji, ce gamin n'en sait pas plus que toi et moi.
— Quoi ?! Mais ! s'exclama le subordonné, perdant tout de suite son calme à l'idée d'avoir fait une erreur; ce n'est pas possible ! Il est…
— Je sais, je sais…
L'homme se retourna, pensif et d'autant plus sérieux. Sans un regard pour son assistance, il prit le chemin pour quitter le sous-sol. Juste avant de partir, il dit à l'adresse de son bras droit :
— Le garçon. Je le veux dans mon bureau. Tout de suite.
Puis la porte se referma derrière lui en un grincement sordide.
OoOoOoOoOoOoOo
Ichigo fut jeté froidement sur la moquette noire qui couvrait le bureau du patron. Il ne pouvait pas se relever, ses poignets étaient attachés solidement dans le dos et sa tête lui faisait affreusement mal. Le vertige le prenait sans parler de cet horrible goût de vomi et de sang qui envahissait sa bouche.
— Bien. Laisse-nous.
Le garçon leva les yeux et distingua bien mieux l'homme qui l'avait tant hypnotisé dans le sous-sol. Avec la pénombre, il n'avait pas remarqué que ses cheveux en bataille étaient d'un étrange bleu turquoise, presque identique à la couleur primaire de ses yeux. Il en resta stupéfait un instant avant de se rappeler sa position.
Devenait-il fou ? Pourquoi était-il si attiré par l'homme qui avait ordonné son enlèvement ? Comment avait-il pu se sentir… détendu –oserait-il ce mot ?- à son contact ? Si le syndrome de Stockholm ou quelque chose du genre venait à le frapper, il ne donnait pas cher de sa peau. Il fallait qu'il trouve un moyen de sortir d'ici rapidement !
Mais dès à présent, il devait s'avouer vaincu et ravala donc ses idées de grand héros courageux pour l'instant. Il le regarda, impuissant, enlever sa veste de costume, la poser lassement sur son fauteuil de bureau et tirer les manches de sa chemise blanche à trois-quarts. Ichigo songea un instant à ce qui pouvait lui arriver. Et si cet homme allait le frapper ? Il serait même certainement encore plus violent que son sous-fifre. Ichigo serra les dents. Il ne voulait pas mourir comme ça. Certainement pas.
— Nous ne nous sommes pas présentés. Excuse-moi mais je suis de la vieille école. Je m'appelle Grimmjow Jaggerjack... et toi ?
Ichigo se crispa. Ce mec le terrifiait vraiment. Il était si à l'aise dans cette situation alors que tant de sang avait certainement déjà coulé sur ses mains. Comment une personne pouvait-elle parler sans trembler quand une autre couverte de blessures et attachée gisait à ses pieds ?
De plus, le jeune homme savait pertinemment que son nom ne lui était pas inconnu, puisqu'il l'avait kidnappé. Cette formalité n'était donc là que pour installer un malaise plus grand encore et affirmer le rapport de force entre les deux hommes.
— Kurosaki… Ichi…go…; arriva-t-il à extirper de ses lèvres.
Grimmjow sourit.
— Bien.
Ichigo le vit s'approcher de lui et soudain, il se sentit soulever en l'air, tenu par deux bras musclés. Il retint son souffle, le dit Grimmjow Jaggerjack était bien en train de le porter, il ne rêvait pas. Se doutait-il qu'avec le traitement qu'il avait eu il n'arriverait pas à se mettre debout ? Tant est si bien que le bleuté le posa doucement sur le canapé en cuir noir qui se trouvait près de la porte du bureau. En fait, deux se faisaient face autour d'une petite table de verre. L'espace était confortable, viril, presque chaleureux. Mais Ichigo garda en tête que des crimes avaient aussi très bien pu se réaliser ici même dans ce bureau, sur cette moquette, contre cette table… Il tenta de ne pas montrer son visage surpris par ce geste plutôt doux parmi tous les autres qu'on lui avait administré pendant deux heures. Se pourrait-il que sous ce masque de tyran se cache comme en chacun de nous, un tant soit peu d'humanité ? Ichigo se promit de réfléchir à cette question plus tard (s'il en avait l'occasion). Pour l'heure, il devait faire face à un homme dangereux qui en voulait à sa famille. Il le vit s'asseoir sur le sofa d'en face et s'allumer lentement une cigarette, jetant son paquet Malboro sur la table en verre. Il prit une bouffée de tabac et expira calmement.
— Alors… À nous deux, veux-tu ?
Comme s'il avait le choix… Il osa le regarder quelques secondes, tirant sur sa clope calmement. Il essaya de paraître aussi détendu que lui, histoire de ne pas se montrer comme une gamine en pleurs et de rassembler le peu de courage qui lui restait.
— Il s'avère que tu ne peux pas beaucoup m'aider… C'est embêtant ça…
Encore une fois, le souffle d'Ichigo resta coupé un instant. Il ne mentait pas mais est-ce qu'il le croyait vraiment ? Ou est-ce qu'il allait se charger de le torturer pour le faire parler même s'il ne savait foncièrement rien ?
— J'aurais dû intervenir plus tôt, veux-tu bien m'excuser ?
Ichigo leva la tête, étonné :
— Je ne comprends pas…
— J'ai bien vu dans tes yeux que tu ne savais pas où Urahara se cachait, c'est bien cela ?
— O-Oui… je… je ne sais vraiment pas…
— J'aurais dû venir plus tôt pour t'éviter toutes ses blessures, dans ce cas. Je n'aime pas le sang versé sans raison. Mais une fois Renji lancé, il a du mal à s'arrêter.
Ichigo le vit sourire. Cela l'amusait-il d'avoir des hommes si violents comme sous-fifres à ses ordres ? Il lui parut soudain… effrayant…Cet homme en face de lui aimait la force, le pouvoir et le contrôle sur tout, il en était persuadé.
— Quoiqu'il en soit, j'aimerais en savoir un peu plus sur toi, tu m'intrigues. Quel est ton lien exact avec Urahara Kisuke ?
Ichigo hésita à répondre. Est-ce que ses mots allaient mettre son parent en danger ? Mais après tout, Grimmjow n'accepterait pas son silence, il fallait bien dire quelque chose, alors autant avouer la vérité. Et pour cela, il voulut être bref et ne pas jouer les mélodrames.
— Je considère Kisuke comme un membre de ma famille… en fait il était juste un bon ami de mon père et… j'ai été confié à lui à la mort de mes parents.
Il leva les yeux pour voir Grimmjow s'adosser au canapé et croiser une de ses jambes sur l'autre de manière virile. Il continuait à fumer et il sourit aux mots d'Ichigo.
— Touchante histoire, petit… Et étonnant geste de bonté de la part d'un tel homme.
Ichigo serra les dents. Pourquoi disait-il cela ? Que pouvait-il connaître de Kisuke ? Comment, même, ses deux hommes pouvaient-ils s'être déjà rencontrés ? En y réfléchissant, Ichigo ne trouvait que des différences entre les deux. Ils appartenaient à deux mondes opposés. Comment Kisuke, un homme qu'il connaissait si chaleureux, bienveillant et tendre avec tout le monde, pouvait-il s'entretenir, même une seule fois, avec un homme tel que celui qui se tenait juste en face de lui ? Il dégageait une aura malfaisante, passionnée de violence criminelle, tout le contraire de son tuteur. Et cela ne lui plaisait pas du tout qu'ils puissent s'être déjà parlés.
— Tu trouves étrange que je parle ainsi d'Urahara n'est-ce pas ?
Face au silence et à l'effacement d'Ichigo, Grimmjow continua :
— C'est parce que tu ne le connais pas comme je l'ai connu… Ton pseudo-père est un voleur, une habile main pour me piquer une petite fortune que je tiens bien à récupérer.
— C'est impossible ! Jamais il n'aurait pu faire ça ! s'échauffa Ichigo en un instant, n'acceptant pas que l'on insulte son tuteur.
— Pourtant les comptes sont là, petit, il a réussi à me voler mon fric… Je t'accorde qu'on pourrait difficilement le croire quand on voit ce type pour la première fois, on baisserait sa garde sans problème, et pourtant il…
— Non ! Kisuke est un honnête homme, il a toujours travaillé dur pour gagner sa vie, il n'est pas un voleur, il y a erreur ! Je… je ne peux pas le croire…
Grimmjow eut un rire sec puis se leva, écrasant son mégot dans le cendrier en verre. Mains dans les poches, il toisa à nouveau de haut sa proie. Ichigo gardait la tête baissée, refusant de faire le chiot triste et sans défense qui regarde son maître mais Grimmjow en avait décidé autrement. D'un geste vif, il le poussa pour qu'il s'adosse complètement au canapé, puis il attrapa fermement ses cheveux roux pour plonger son regard dans le sien.
— Es-tu en train de me traiter de menteur, gamin ?
Ichigo serra plus fort ses dents pour ainsi éviter de dire ce qui ferait sa perte. Il ne voulait pas croire cet homme, c'était certain, mais il ne pouvait pas non plus assurer que c'était faux. Kisuke était-il vraiment un voleur ? Il ne pouvait pas un instant y songer, ni même espérer trouver un motif valable si c'était vraiment le cas. Pourquoi aurait-il fait cela ? Ils vivaient modestement mais ils n'avaient jamais eu de problèmes d'argent. Kisuke faisait tourner sa boutique, les affaires marchaient bien et lui avait toujours eu ce qu'il voulait. Alors pourquoi ?
Grimmjow, face à ce silence, lâcha sa prise :
— Et une autre question me vient à l'esprit…
Ichigo le vit prendre une arme qu'il avait coincée dans sa ceinture au dos, il sentit son estomac se retourner, sa gorge se nouer et son cœur battre plus vite. En un instant, le revolver était à quelques centimètres de son front.
— Que vais-je faire de toi, maintenant ?
Si Ichigo avait été debout, il serait sans doute tombé. Même assis, il sentait tous ses membres faiblir et tentait en vain de maîtriser ses tremblements. Il ne voulait pas laisser à Grimmjow le plaisir de le voir si désemparé. Mais il devait avouer que faire face à une mort imminente était plus que terrifiant, et d'une certaine façon, c'était déjà mourir.
— Alors ? Une idée ? continua Grimmjow de plus belle; tu n'as nulle part où aller et de toute façon tu en sais bien trop pour que je te laisse filer…
Il détendit le bras, ne menaçant plus aussi directement la vie du jeune homme. Il regarda ensuite son arme de manière pensive :
— Te flinguer serait facile, rapide et ça m'éviterait beaucoup de tracas.
Ichigo sentit un poids invisible s'affaisser sur lui de manière aussi brusque que ses mots qui étaient sortis de la bouche de son tortionnaire. Ce poids lui semblait être la peur, la peur de la mort qui l'écrasait de toute sa force pour lui couper le souffle et le rendre aussi petit et sans défense qu'un insecte. Mais il ne voulait pas mourir, il ne voulait pas, non…
— Mais; fit Grimmjow à la vue de sa proie prise d'effroi; tuer un innocent ne fait pas partie de mes principes.
Et il rangea son arme d'un geste vif et précis avec un mince sourire.
— Du calme, je ne tiens pas à te tuer. Je t'ai dit que je n'aimais pas le sang qui coule sans raison.
Ichigo eut l'impression de perdre l'équilibre. Trop d'émotions fortes l'habitaient en peu de temps. Un trop plein d'énergie avait été consommé, un trop plein de peur l'avait assailli. Tout cela si rapidement que son cerveau n'arrivait pas à comprendre tout ni à se calmer.
En un seul flash dans sa tête, il revit sa fin de journée à la manière d'un cauchemar : alors qu'il rentrait de la fac, on lui avait jeté un sac sur la tête pour mieux le menotter dans le dos et le pousser dans une voiture afin de le conduire il ne savait où se faire tabasser à coups de poings par un psychopathe pendant deux heures sans rien y comprendre, puis être entraîné dans ce bureau clos où personne ne pourrait l'aider et dans lequel sa vie était toujours dangereusement menacée notamment par un flingue presque posé sur son propre front dégoulinant de torpeur. C'en était trop. Ichigo savait qu'un corps humain normalement constitué ne pourrait survivre longtemps à ce petit jeu de balançoire entre la vie et la mort.
Il sombra dans l'inconscience.
