« Tiens », articula froidement Hermione, en lâchant une pile de documents sur la table.

« Qu'est-ce que c'est ? » demanda Malefoy sans daigner relever la tête de son journal.

« Tes obligations de Préfet en Chef. Et plus exactement, une pile d'autorisation de sortie pour la petite excursion à Pré-Au-Lard pendant les vacances de Noël. Tu serais prié de vérifier que tout est bien en ordre. »

Enfin, Malefoy releva lentement la tête, et dévisagea quelques secondes Hermione comme si elle était folle à lier. Il lâcha finalement un ricanement moqueur, et d'un geste désinvolte, écarta la pile de papier de son champ de vision.

« Tu ne crois quand même pas que je vais me taper le sale boulot ? J'ai pas choisi ce poste, je te rappelle. Et ça, ça fait partie des choses que je n'ai pas choisi et que je n'ai pas l'intention de faire... » ajouta-t-il en pointant du doigt les documents, le regard de nouveau rivé sur son journal.

Hermione se massa la tempe nerveusement. Drago l'observait du coin de l'oeil se délectant du spectacle : sa bouche fremissait de colère, ses yeux étaient réduits à de minces fentes horizontales et ses mâchoires se contractaient dangereusement. Il voyait bien qu'elle tentait tant bien que mal de réfréner sa colère, mais ça n'allait pas durer longtemps. Il lui suffisait de garder son air nonchalant et bientôt, elle exploserait. Il la connaissait suffisamment pour prévoir ce genre de réaction à la seconde près. Cinq, quatre, trois, deux, un...

« Par Merlin, mais fais quelque chose de constructif ! Si tu ne veux pas faire le travail alors, au moins, démissionne !», s'étrangla-t-elle, plaquant ses deux mains sur la table et le surplombant dans une vaine tentative d'intimidation.

« Impossible. Je ne suis pas prêt à renoncer à la salle de bains des préfets. Pour les bains en question, premièrement, et puis pour tout ce qu'on peut y faire... », répliqua-t-il avec un sourire suggestif.

Elle leva les yeux au ciel et d'un geste rageur, saisit la pile de documents et tourna les talons. Il avait encore gagné. Malefoy la regarda s'éloigner avec un petit sourire aux lèvres. C'était si facile de lui faire perdre son calme ; elle prenait tout bien trop sérieusement. Ce qu'elle pouvait être agaçante, avec ses airs de Miss Je-Sais-Tout moralisatrices. Comme si son poste de préfète était la chose la plus importante au monde. Si ça ne tenait qu'à lui, il se passerait bien de cette corvée. D'ailleurs, il avait bien tenté de refuser mais McGonagall avait été catégorique : c'était lui, et pas un autre, qui devait assurer cette fonction et c'était non négociable. Parait-il qu'elle avait ses raisons et qu'il n'avait aucun droit de regard là-dessus. Pour une école qui se targuait d'être un exemple de tolérance et de liberté, il trouvait ça assez ironique. Contre toute attente, il avait trouvé son point de chute : il profitait de tous les avantages de la qualification et laissait Granger se charger du reste. Et puis, s'il devait être absolument honnête, il fallait bien avouer que ça l'amusait de la voir s'énerver pour un rien, et ça valait bien toutes les corvées du monde.

Drago regarda distraitement sa montre. Il était déjà tard. D'un geste las, il froissa son journal, le jeta dans la poubelle la plus proche, puis s'achemina tranquillement vers sa Salle Commune.

Si la Salle Commune de Serpentard n'avait jamais été un endroit particulièrement chaleureux, elle était maintenant devenue d'un glauque saisissant. Malefoy retint un frisson de dégoût en passant l'immense mur en pierre qui s'ouvrait sur les cachots. Une lumière verte venue du lac balayait lentement les épais murs noirs qui encadraient la pièce, et donnait aux visages des quelques élèves qui y trainaient encore, un aspect maladif et spectral. En guise de fond sonore, le bruit répétitif d'une goutte d'eau s'écrasant sur le sol venait tout juste briser le silence pesant de la salle. Une onde froide semblait s'être déployée sur les cachots, emportant avec elle l'éclat prestigieux des Serpentard. Désormais, il flottait comme un air de désolation dans les sous-sol de Poudlard, à l'image des vestiges abandonnés d'une ville ravagée par une épidémie.

Malefoy s'avança vers le petit groupe d'élèves qui s'était approprié les fauteuils de cuir de la Salle Commune et se pressait autour du feu vacillant.

« On t'attendait », articula lentement Théodore Nott, avec son austérité habituelle. Et sa voix se perdit en écho contre le plafond voûté des cachots.

« Joli comité d'accueil », railla Malefoy. « J'espère que vous avez aussi préparé un petit toast en mon honneur »

Nott le dévisagea avec froideur, et sans prendre la peine de répondre, il plaqua sur la table la dernière édition de la Gazette des Sorciers.

« Tu l'as lu ? », s'enquit Théodore en lui glissant un regard en biais pour guetter sa réaction.

« Oui. » répondit simplement Malefoy.

Une fille au teint hâlé et aux longues boucles brunes bondit sur ses pieds, faisant chatoyer la lumière aquatique sur ses cheveux d'ébène. Ses sourcils se froncèrent en une grimace qui marquait son indignation, donnant à son visage une sévérité qui tranchait avec la douceur de ses traits.

« C'est une honte ! s'écria-t-elle, les poings crispés.

- Rassieds-toi, Calypso » ordonna fermement Nott. « Ce genre de réaction pathétique n'est pas digne d'une Serpentard.»

Elle pinça les lèvres mais obtempéra et se rassit, les yeux baissés. Drago intercepta un regard noir de Zabini mais il ne sut interpréter à qui il était adressé. Un nouveau silence s'installa, à peine troublé par le crépitement des flammes et le clapotis de l'eau qui gouttait sur le sol.

« Viens-en au fait, Nott. Je ne vois pas bien ce qui me vaut l'honneur de cette petite réunion improvisée » soupira Malefoy avec lassitude, les bras croisés pour stipuler son ennui.

« On ne peut pas fermer les yeux sur ce qui se prépare. Nous sommes en danger, lança-t-il, avec amertume.

- TU es en danger, le corrigea une élégante blonde, dont les cheveux d'or étaient relevés en un chignon délicat.

- Ne crois pas que tu t'en sortiras indemne, Daphné. Vous tomberez tous de votre piédestal à un moment ou un autre ! Et quand ce moment arrivera, je paierai cher pour voir votre chute vertigineuse !, cracha Nott, la voix vibrante de colère.

- Payer cher ? Faudrait encore qu'il te reste un gallion ! » se moqua Pansy, dont le visage renfrogné laissait entrevoir un sourire mesquin.

Malefoy haussa les épaules, signalant ainsi son désintérêt total de la conversation, et se dirigea lentement vers la porte de son dortoir. Au moment où sa main se posa sur la poignée de la porte, la voix de Nott retentit dans son dos, cinglante :

« Je ne m'attendais pas à une autre réaction que la fuite, venant de toi ! Tu as toujours été lâche, Malefoy, comme ton père ! »

Drago pivota lentement sur lui même pour faire face à son détracteur. Un silence de mort était tombé sur la salle, éteignant le discret murmure des conversations. Même le feu semblait crépiter en silence, s'alimentant de la tension électrique qui régnait désormais dans les cachots. Tous les Serpentard présents dans la pièce s'étaient tournés vers eux, attendant prudemment le dénouement de la situation. Calypso avait plaqué une main choquée sur sa bouche, Daphné restait silencieuse, la tête haute et un sourire amusé aux lèvres tandis que les prunelles de Pansy courraient de droite à gauche, apeurées, attendant nerveusement la riposte. Un bruit aquatique vint troubler le silence mais aucun élève ne se tourna vers les fenêtres de peur de s'attirer les foudres d'un combat bien trop dangereux pour eux.

Malefoy s'avança d'un pas, les sourcils arqués dans une expression de défi.

« J'ai pas bien entendu, Nott, t'as dit quelque chose ? J'ai du mal à t'entendre parce qu'à chaque fois que tu ouvres la bouche je te revois en train de chialer comme un môme le jour où tu as appris que ton moins-que-rien de père allait finir ses jours à Azkaban, du coup, j'ai beau essayé, j'entends rien d'autre », darda-t-il d'une voix méprisante. Il sortit sa baguette d'un geste vif dont on devinait les réflexes acérés et la pointa sur Nott. « Mais je t'en prie, répète, je te promets d'ouvrir grand les oreilles, cette fois. »

Le visage de Nott se décomposa alors qu'il cherchait du soutien à gauche et à droite mais se confrontait à une foule de Serpentard indifférents. Bien que Malefoy ne l'ait jamais porté dans son coeur, il devait bien reconnaitre que Théodore était intelligent, et il savait qu'il allait faire le bon choix. En effet, le garçon croisa les bras mais garda le silence, le visage déformé par une colère noire dont les mâchoires serrées trahissaient l'expression.

« Effectivement, il me semblait bien que c'était pas si intéressant que ça » se moqua Malefoy tout en rangeant sa baguette.

Il se tourna de nouveau et cette fois-ci, pénétra dans son dortoir et s'affala sur son lit. La maison Serpentard était désormais si désertée qu'il avait hérité d'une chambre pour lui tout seul. La chambre était inoccupée, laissée telle qu'elle aurait dû être : des bannières aux couleurs de Serpentard s'étendaient sur les quatre imposants murs de pierre, un lit superposé était disposé dans chacun des angles de la pièce et un tapis vert et argent couvrait le sol. Mais le reste de la chambre était vide, rien dans les armoires, les lits intacts, et une seule valise trônant au centre de la pièce, celle de Drago. Il y régnait une atmosphère pesante et suffocante : on ne voyait ni le jour qui se lève ni la nuit qui le remplace, car la pièce était toujours baignée par cette étrange lumière des profondeurs, d'un vert bleuté, à peine concurrencé par le frémissement incertain des bougies. Des bruits aquatiques lointains venaient parfois déjouer la monotonie du silence et certains Serpentard prétendaient même entendre le chant des sirènes pendant leur sommeil.

Il entendit frapper et se rassit sur le lit, attendant que la porte s'ouvre. Zabini fit son apparition et Drago se laissa retomber sur ses draps vert et argent, invitant son ami à s'avancer d'un geste de la tête. Blaise ne se fit pas prier et vint s'asseoir près de lui.

« Qu'est-ce que tu en penses ? » demanda-t-il sans préambule.

Drago leva un sourcil interrogateur.

« De l'article, je veux dire, précisa Blaise.

- Rien, répondit le blond avec froideur.

- Ne fais pas l'idiot, tu sais très bien ce qu'il se passe... Et Nott l'a compris aussi. Votre nom est devenu une menace. Le porter risque de vous coûter cher.

- Et qu'est-ce que ça peut me faire ?

- Tu sais, moi je suis hors d'atteinte, si je dis ça c'est pour toi. Tu es en première ligne, Malefoy. »

Un reflet vert balaya la chambre, caressant le visage de Blaise et faisant ressortir ses yeux d'un noir d'encre dans lesquels brillait une étrange émotion. Drago se releva lentement, s'appuyant sur ses coudes, et dévisagea Blaise quelques secondes avant d'esquisser un sourire en coin railleur.

« Depuis quand tu es devenu altruiste, toi ? Fais attention, mon grand, continue comme ça et tu vas finir à Poufsouffle. »

Zabini se redressa et toisa Malefoy longuement, un regard dur au visage. Il y avait quelque chose derrière ce regard, quelque chose qu'il n'osait pas mettre en mots mais qui dormait au fond de lui. Une inquiétude pressante et accablante, qui venait assombrir ses traits fins. Oui, il y'avait quelque chose derrière l'avertissement de Blaise, mais Malefoy n'aurait su dire quoi. Zabini se dirigea vers la porte mais, s'arrêtant la main sur la poignée, il se retourna et ses prunelles noires soutinrent celles de Drago avec une férocité qu'il ne lui connaissait pas.

« Tout le monde n'est pas dans ton cas, Malefoy. C'est un sale temps pour les fils de Mangemorts. Et moi, contrairement à toi, je ne suis pas obsédé par ma petite personne. Moque-toi si ça t'amuse, mais il y a certaines personnes que je ne veux pas voir tomber... Tu peux fermer les yeux, mais ça ne changera rien : quelque chose se prépare. »

Il sortit sans rien ajouter, laissant Drago seul dans sa grande chambre dont l'obscurité était devenue pesante. Il avait beau feindre de ne pas comprendre les avertissements de son ami, au fond de lui, Drago savait très bien tout ça. Quelque chose se préparait. Quelque chose de terrible. Il pouvait le sentir dans les tréfonds de son esprit. Cette sensation trouble et envahissante le prenait aux tripes, lui nouait l'estomac, bouillonnait dans les méandres de son cerveau. Un frisson glacé lui parcourut l'échine. Quelque chose allait arriver. Et il était aux premières loges.


Voilà le premier chapitre. J'espère qu'il vous plaira. On n'entend pas trop parler d'Hermione dans ce chapitre mais ça va venir ! Je voulais avant tout montrer l'ambiance électrique chez les Serpentard. Alors, qu'est-ce que vous en pensez ? Une petite review me ferait trèèèès plaisir !