One-shot écrit dans le cadre de la cent-septième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Anarchie". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP.
Corrin attendit qu'il fasse nuit noire avant de traverser le château sombre, presque désert, d'un pas rapide qui trahissait sa fébrilité, et sa peur. Nul ne savait qui pouvait se cacher dans les corridors obscurs, guettant la moindre occasion de fondre sur le prince, la lame brandie, pour le faire passer dans l'instant de vie à trépas. Depuis deux ans, il avait réchappé à pas moins d'une cinquantaine de tentatives d'assassinat.
Bien sûr, son époux le suivait comme son ombre, l'arc déjà prêt à transpercer la moindre menace d'une flèche. C'était bien pour ça qu'il était encore en vie. Et il souhaitait que ça dure le plus longtemps possible.
Parvenu à l'une des portes qui s'ouvrait sur l'une des cours intérieures du château, Corrin s'étonna sincèrement de n'avoir été victime d'aucune agression. Le sentiment de danger permanant avait bien vite remplacé la sécurité relative dans laquelle il vivait jusqu'à lors. Il ouvrit la poterne, s'assura que les lieux étaient déserts, qu'aucune arme ne scintillait dans la lumière de la lune, puis il s'avança dans la poussière.
Tout près de lui, une autre porte menait aux cuisines. Il donna plusieurs petits coups sur le battant et elle s'ouvrit. Il n'eut pas le temps de prononcer une parole que deux bras émergeaient par l'ouverture, tenant un petit paquet blanc qui gigotait doucement. Ils le lui remirent sans perdre de temps et la poterne se referma avec un bruit sourd. Corrin grimaça; ce claquement sec dans le silence avait peut-être attiré du monde ! Son époux lui effleura l'épaule d'une main douce et lui désigna le corridor secondaire qui serpentait jusqu'à la sortie du château. Corrin acquiesça; il prit à peine le temps de rajuster le petit paquet blanc dans ses bras et trottina aussi silencieusement que possible vers la lourde porte.
Là, un garde, sans même regarder son prince, le petit paquet gazouillant qu'il tenait et l'homme qui les accompagnait, tourna le verrou et entrebâilla le battant. Corrin et Niles se faufilèrent dehors. Ils descendirent les flancs pentus du promontoire où se dressait le palais jusqu'à la capitale. Corrin ignorait à ce moment-là qu'il ne reverrait plus jamais le château Krakenburg.
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Au matin, ni le prince ni son époux ne s'attardèrent à la capitale. La ville était devenue trop dangereuse. Partout, c'était l'anarchie. Des gens hurlaient, se battaient, pillaient les magasins et détruisaient les maisons. Ils convergeaient tous vers le château Krakenburg, qu'ils tentaient de mettre en pièces depuis plus de deux ans. Depuis que leur roi, Xander, avait épousé Nyx la sorcière, une ensorceleuse crainte et haïe par tout le royaume. Depuis que la fratrie royale au grand complet avait été accusée par une branche cousine d'avoir assassiné leur père pour prendre le pouvoir. Depuis que la terreur, l'exaspération et la colère qui avaient couvées si longtemps, agitées et amplifiées par le règne cruel de l'ancien roi, ne demandaient qu'à jaillir.
C'était pour ça que Corrin avait de justesse réchappé à cinquante tentatives d'assassinat. Que le palais n'était plus un lieu sûr, avec ces mercenaires, ou bien ces gens en colère, embusqués n'importe où. C'était pour cela que, aujourd'hui, il fuyait avec Niles et un bébé, Siegbert, le minuscule, adorable enfant de son frère Xander. Pour le mettre en sécurité. Là où personne ne pourrait attenter à la vie du "fils de la sorcière et du parricide".
Au matin, Corrin, le visage largement dissimulé par la capuche qui tombait devant ses yeux sanglants, attacha son neveu à sa poitrine grâce à ses langes. Il frotta tendrement son nez contre les mèches noires aux reflets mauves, puis il enlaça fermement le bébé qui gazouillait et traversa la foule ivre de rage en sens inverse. Niles, pareillement encapuchonné, le suivit, l'arc au clair afin de dissuader tous ceux qui voudraient les attaquer.
Bousculés, ballotés de tous les côtés, ils parvinrent finalement à la sortie de la ville. Corrin eut un violent pincement de coeur en pensant à ses frères et sœurs qu'il avait laissés là-bas, mais ce n'était plus le moment de douter. Ils avaient tous été d'accord. Protéger leur fils et neveu, et ce frère tant aimé, c'était tout ce qui comptait pour eux. Douce, tendre famille qu'il ne reverrait peut-être jamais...
Une larme perla à ses cils, mais bébé Siegbert, de sa petite main potelée, la fit disparaître.
Corrin, Niles et bébé Siegbert montèrent sur un chariot qui faisait route vers la campagne, moyennant quelques pièces au propriétaire. Perché au sommet d'immense botte de foin, Corrin regarda l'immense ciel bleu qui s'étendait à l'infini au-dessus de leurs têtes. Il regarda Niles qui l'observait en souriant doucement, la chemise à peine ouverte et les cheveux dansant dans la brise. Il regarda bébé Siegbert qui tentait d'attraper les nuages avec sa petite main. Toute cette anarchie à cause, ou presque, de cet enfant ? Le monde allait vraiment de travers. Corrin s'allongea sur le dos et ferma les yeux.
