Hello ! Ceci est une mini-fic (sept chapitres sont prévus et quatre d'entre eux sont écrits) centrée sur des personnages secondaires, voire méconnus, ce qui m'a laissé quelques libertés quant à leur caractère et leur passé. J'espère que ça vous plaira :)


Chapitre 1 : Plainte d'une ombre

J'ai pris conscience que j'étais une ombre très tôt, avant même d'entrer à Poudlard. Petit, j'étais une ombre silencieuse dans le bureau de ma grand-mère. Je ne jouais pas : j'imaginais mille péripéties dans ma tête. Cela peut paraître ridicule, mais je songeais à des jeux plutôt que les exécuter parce que je connaissais ma nature pataude, écervelée. Je tombais et me blessais plus souvent qu'à mon tour, ce qui provoquait irrémédiablement l'agacement de ma grand-mère. Les sortilèges de guérison sont ceux que je maîtrise le mieux, pour avoir vu ma grand-mère les prononcer si souvent, les lèvres pincées et l'air excédée.

« Fais plus attention, Neville. »

C'était maladroit. Cependant, aujourd'hui, je comprends qu'elle ne faisait que s'inquiéter. Papa aussi était un peu distrait. Contrairement à moi, il était brillant, mais il n'en était pas moins distrait.

Contrairement à moi, Papa n'était pas une ombre.

Ce sentiment d'inconsistance n'a eu de cesse de croître lors de mes études à Poudlard, où je fus (contre toute attente) réparti à Gryffondor. Autant dire que je n'en revenais pas ; je m'attendais à ce que l'on me renvoie chez moi avec une lettre signée par la main de Dumbledore, afin d'expliquer à ma grand-mère que je n'avais pas le niveau suffisant pour intégrer une classe de première année. Je me prenais parfois à rêver qu'on m'envoyait à Poufsouffle, dans un élan d'espoir, mais Gryffondor... ça ne m'avait pas effleuré.

Le Choixpeau ne m'a pas rendu service, ce jour-là. Une maison si éclatante n'est pas l'endroit rêvé pour entreposer une ombre. Plus je côtoyais mes camarades brillants à l'uniforme rouge et or, plus je devenais transparent. J'ai cru pourtant l'espace d'une année que j'étais capable de devenir une personne tangible, à l'image des élèves qui m'entouraient, après avoir rejoint l'Armée de Dumbledore. J'ai eu tout le loisir de comprendre que cette bouffée d'air pur ne rendrait mon asphyxie que plus délectable : l'A.D. a cessé d'exister et moi avec.

Ma sixième année promettait d'être longue, ennuyeuse, impalpable. Certains se souvenaient que j'avais combattu aux côtés de Harry au Département des mystères l'année précédente, mais de nouveaux troubles frappèrent Poudlard et on eut sitôt fait de m'oublier.

Je disparaissais de jours en jours, quand elle est apparue ; Daphné Greengrass, un éclat à Serpentard.

Elle était lumière, la lumière la plus vive que j'ai jamais vue. Je l'observais principalement en cours de botanique, derrière quelque plante que j'étais occupé à tailler. Puis en soins aux créatures magiques. Puis en cours de défense contre les forces du Mal. Puis dans la Grande Salle. Puis à la bibliothèque. Puis dans les couloirs.

L'école ne m'a jamais parue si petite que cette année, alors que je la croisais partout où j'allais. Un jour où j'ai manqué de lui rentrer dedans en me rendant précipitamment à la volière, elle m'a offert un sourire resplendissant et quelques mots :

- Encore toi ! Décidément...

J'étais abasourdi. Alors comme ça, elle me voyait ?

- Bon... heu... à plus tard, Londubat, a-t-elle lancé en notant que je restais muet.

Elle me voyait et elle connaissait mon nom. Si à l'époque j'avais été capable de faire apparaître un Patronus, c'est le souvenir de cette rencontre que j'aurais utilisé. (Toutefois, aujourd'hui, ce n'est clairement pas à elle que je pense quand j'ai besoin de puiser dans mes souvenirs pour invoquer ma fidèle grenouille argentée.)

Daphné Greengrass était amie avec Pansy Parkinson, mais elle ne partageait pas sa haine des Gryffondors. Je revois encore son expression tantôt coupable, tantôt outrée, quand Parkinson accompagnée de sa bande s'arrêtait dans les couloirs pour se moquer de moi.

Daphné trouvait mes capacités en botanique épatantes – je ne fais que je reprendre ses propres termes. Comme on se croisait souvent, au bout d'un moment, elle vint tout naturellement s'asseoir à côté de moi à la bibliothèque, afin qu'on travaille ensemble. Cela nous forçait à parler peu (ou alors à chuchoter), mais c'était loin de me déplaire. Je n'étais pas très doué pour m'exprimer. Ça s'est bien arrangé depuis que j'enseigne à Poudlard ; n'empêche qu'en ce temps-là, j'étais bien content quand Mrs. Pince venait nous interrompre, tandis que la conversation commençait doucement à dépasser mes limites en matière d'aisance orale.

Daphné était étonnante. Elle parlait de tout et de rien avec véhémence, souvent en prenant un air important. Elle ne doutait pas de grand chose, et surtout pas d'elle-même.

- Ton problème, Londubat, c'est que tu ne te fais pas assez confiance. Tu es un Sang-Pur, que diable ! De quoi as-tu peur ?
- Je ne vois pas ce que le sang vient faire là-dedans, répliquai-je d'une petite voix.

Son expression se teinta d'exaspération, comme si je ne comprenais pas le protocole d'une potion particulièrement enfantine, chose qui arrivait fréquemment jusqu'à ce que je me débarrasse de cette discipline de malheur.

- Enfin, évidemment que ça change quelque chose ! Je ne dis pas qu'il faut exterminer les Nés-Moldus, ni même les Moldus, ajouta-t-elle précipitamment. Seulement... ça ne va pas. Non, ce n'est pas bien de se mélanger aux personnes sans pouvoirs magiques. Imagine qu'il y ait de moins en moins de Sorciers à cause de cela ? Songe qu'il y a des familles de Sorciers qui perdent leurs capacités, petit à petit, de génération en génération ! Nous devons faire attention. Si nous ne perdurons pas, on reviendra tout simplement au Moyen-Âge et on se fera brûler par des idiots qui croient tout savoir ! C'est une idée qui m'est intolérable.

Ses tirades passionnées me faisaient sourire. Je la trouvais merveilleuse car, en dépit de l'éducation qu'elle avait manifestement reçue, elle se sentait obligée de justifier toutes ses remarques qui allaient dans le sens de la supériorité du sang pur. Elle avait très peur des Moldus, mais elle trouvait que c'était encourageant que certains Sorciers naissent parmi eux : cela faisait « toujours plus de Sorciers pour résister à la cruauté irréfléchie des individus morbides incapables d'utiliser la magie ».

Daphné était pleine de paradoxes, et cela se confirma le jour où je la vis ouvrir devant moi un recueil de poèmes d'auteurs moldus.

- N'en parle à personne, siffla-t-il, rougissante. Seulement, j'aime bien ce qu'ils écrivent quand ils oublient d'être violents, ces demeurés.

Je lui donnai ma parole.

Daphné était éblouissante à mes yeux et, quand elle me parlait, elle me communiquait toute sa lumière. En janvier, ma nouvelle amie me présenta un garçon aussi sombre qu'elle était lumineuse : Théodore Nott. Le premier sentiment qu'il m'inspira fut sans doute de la jalousie, dans la mesure où Daphné lui parlait autant qu'à moi, néanmoins ce sentiment s'évapora au fur et à mesure que nous passions du temps tous les trois. Théodore ne manifestait pas beaucoup d'intérêt à son égard. Enfin, il ne donnait pas l'impression de s'intéresser à quoi que ce soit. Je crois cependant qu'ils étaient amis car Daphné parvenait parfois à le faire crisper le coin de ses lèvres fines et il l'écoutait placidement s'emporter dans de longs monologues – ceux-ci lui valaient la colère de Mrs. Pince.

Théodore et moi ne parlions pas beaucoup. Pour ma part, j'échangeais surtout avec Daphné pendant que Théodore faisait ses devoirs ou lisait un roman dans le plus grand silence. Les autres Gryffondors ne remarquaient même pas que je me liais d'amitié avec deux Serpentards. Harry était sans doute occupé à sauver le monde en compagnie de Ron et Hermione, tandis que Seamus et Dean passaient tout leur temps ensemble, comme à leur habitude. Et moi, j'apprenais à vivre sans eux.

Mon entente avec Daphné et Théodore subit un retournement de situation, le jour où celui-ci profita de l'absence de Daphné (qui était en cours d'histoire de la magie) pour m'adresser la plus grande phrase que je n'avais jamais entendue de sa bouche :

- Tu te fais des idées au sujet de Daphné ; tu n'as aucune chance avec elle.

Sa déclaration me laissa bouche bée. De suite, je sentis de vieilles peurs remonter à la surface, pensant qu'il insinuait que Daphné se moquait de moi derrière mon dos... ou pire. Je demandai à Théodore d'être plus précis, mais il se contenta de hausser les épaules. Je ne compris ses allusions que le surlendemain.

Daphné nous lisait à voix basse quelques extraits de Chants d'ombre, un poème de Senghor. Ce titre m'interpella, évidemment, mais je sentis peser sur moi le regard de Théodore. Il fit ostensiblement couler son regard sur Daphné ; je la regardai à mon tour, et là, mon cœur se ratatina douloureusement dans ma poitrine.

Mon amie n'avait d'yeux que pour Blaise Zabini alors qu'elle récitait plus qu'elle ne lisait d'autres vers d'amour. Blaise était assis à une table plus loin, seul, la plume levée au-dessus de son parchemin. Il n'écrivait pas. Il tendait l'oreille. L'encre de sa plume immobile coulait lamentablement sur son devoir.

Je me suis vraiment senti débile. J'ai rassemblé mes affaires le plus vite possible avant de quitter la bibliothèque en trombe, sans me soucier de Daphné qui me demandait où j'allais. Mrs. Pince lui tomba dessus à bras raccourcis, mais c'était bien le cadet de mes soucis. Je me sentais honteux, trahi et – surtout – d'une bêtise consternante. Comment avais-je pu croire qu'elle... c'était ridicule !

Mes pas me menèrent inconsciemment jusqu'à la Salle sur Demande qui était mon refuge, l'endroit où j'avais passé les meilleurs moments de ma vie avec l'A.D. Personne ne m'y trouverait, du moins le croyais-je.

La Salle se transforma pour moi en une petite pièce douillette, chaleureuse, où de nombreuses plantes poussaient un peu n'importe où. Je ne pus m'empêcher de sourire en les reconnaissant ; la plupart d'entre-elles libéraient des parfums aux propriétés apaisantes et on utilisait leurs feuilles pour préparer des potions qu'on servait aux individus dépressifs.

- C'était pas nécessaire... marmonnai-je, un brin amusé.

Un unique fauteuil trônait au milieu de la pièce à peine éclairée de quelques bougies. Je m'y laissai tomber en soufflant, après avoir balancé mon sac, mais bondis sur mes jambes lorsque la porte s'ouvrit en grinçant. J'attrapai ma baguette sans réfléchir.

- Hé. Du calme, lança Théodore d'un ton neutre.
- Qu'est-ce que tu fous ici ?!
- Je t'ai suivi. Comme j'ai vu que tu entrais dans la Salle sur Demande, j'ai essayé plusieurs trucs.
- Quels trucs ? grognai-je en baissant ma baguette.
- « J'ai besoin de retrouver Neville Londubat » n'a rien donné. Alors je me suis mis à ta place, j'ai pensé « J'ai besoin d'avoir la paix » et ça a marché.

Théodore Nott dans toute sa splendeur : discret, habile, perspicace, le tout avec une bonne dose de nonchalance pour le moins énervante. Il aurait fait un remarquable tueur à gages.

- Comme tu l'as si bien deviné, j'ai envie d'être seul. Va-t-en.

Le Serpentard referma la porte derrière lui. D'un coup de baguette, il fit apparaître un tabouret sur lequel il s'assit, après quoi il m'invita à prendre place sur le fauteuil. J'obéis, sans pour autant pouvoir m'empêcher de le trouver rudement culotté.

- Je t'avais prévenu, dit-il.

Je détournai le regard, refoulant de toutes mes forces les larmes qui me piquaient les yeux.

- Elle t'aime bien. C'est pas facile, pour elle, avec Parkinson qui la harcèle à ton sujet...
- Génial, reniflai-je. Ça me fait une belle jambe.
- Ça fait plusieurs années qu'elle est secrètement amoureuse de Zabini.

J'essuyai rageusement mon visage. Les choses ne pouvaient pas être pires : je venais de me prendre un vent de la part Daphné sans avoir rien essayé, et j'étais en train de pleurnicher devant Théodore Nott. Si quelqu'un venait à le savoir, je prendrais cher jusqu'à la fin de ma scolarité.

- Et comment tu sais ça, toi ?
- Je suis un peu plus observateur que la plupart des gens, c'est tout.

Un long silence suivit sa déclaration. Maintenant que j'y pensais, Théodore n'agissait jamais : il ne faisait que regarder autour de lui d'un œil morne, comme si tout l'indifférait. Il était pourtant bien renseigné, preuve qu'il faisait plus cas de ses congénères que prévu.

- Pourquoi m'as-tu suivi ? ajoutai-je, plus enclin à entretenir une conversation civilisée.

Théodore sembla réfléchir sérieusement à la question.

- J'imagine que tu m'as fait de la peine.
- Dis plutôt que je te fais pitié...
- Ce n'est pas parce que tu es frustré que tu dois la détester, fit-il remarquer, elle n'a rien fait pour. Daphné est très douée pour apporter de la lumière aux autres, on n'a pas à se l'accaparer égoïstement.

Ce « on » me désorienta quelque peu, tout comme cette façon de percevoir Daphné comme un soleil. Cela me poussa à croire que le Serpentard taciturne partageait avec moi une pensée que je pensais être le seul à posséder. C'était un sentiment bien étrange.

Suivant les conseils (ou plutôt les ordres) de Théodore, le soir même, j'allai m'excuser auprès de Daphné. Elle fit de son mieux pour paraître hautaine, mais s'exprima d'une voix tremblante :

- C'était très blessant de partir d'un seul coup, sans me répondre. Ne-refais-jamais-ça.

À ce moment-là, je pris conscience qu'elle me considérait réellement comme son ami. Ça m'a fait un bien fou, parce que je n'étais pas uniquement un bon copain ; j'étais en réalité le bon copain de la plupart des Gryffondors de mon année, à commencer par Harry, Ron, Dean et Seamus. De ce fait, je n'étais pas suffisamment proche d'eux pour qu'une de mes réactions les atteignît.

Alors que j'ébouriffai les cheveux de Daphné et qu'elle râlait, je croisai l'éternel regard attentif de Théodore. Vrai qu'il était toujours à l'affût, celui-là...