Prologue
A 21 ans, Mr George Simon Darcy, tout juste sorti diplômé de Cambridge, rencontra celle qui allait devenir Mme Darcy et lui donner deux beaux enfants, Miss Anne Felicity Fitzwilliam.
Après lui avoir fait la cour pendant deux longues années, et malgré les réticences de la famille Fitzwilliam -le Comte de Matlock, le père d'Anne, était fâché que le beau de sa fille, bien que possédant une grande fortune, ne soit pas titré ; le frère et la sœur d'Anne étaient à la fois jaloux et méprisants de l'amour que se portaient leur sœur et son beau- George Simon Darcy et Anne Felicity Fitzwilliam s'unirent un beau jour de mai 1784.
De leur amour naquit quelques mois plus tard Fitzwilliam Thomas Darcy. Dès qu'il eut l'âge, Fitzwilliam fut envoyé à l'école afin de poursuivre le même chemin que son père -et que tous les jeunes garçons de bonnes familles, mais il ne fut pas séparé de ses parents -contrairement aux autres jeunes garçons- qui avaient accompagné leur fils et avaient élu domicile dans leur hôtel particulier de Londres, Derby House, revenant à Pemberley à chaque vacances de leur fils pour profiter de l'immense demeure en famille.
Fitzwilliam se trouvait à l'école lorsqu'il fut rappelé à Derby House durant sa onzième année, afin de rencontrer sa petite sœur, Georgiana Rose Darcy. Une fois présentés au nouveau membre de la famille, les Darcy père et fils rendirent visite à leur épouse et mère respective. Celle-ci, après un accouchement difficile, était très faible et d'une pâleur qui inquiéta fortement son époux. Ce dernier fit donc quérir le médecin avant que celui-ci ne quitte la demeure pour une entrevue sur l'état de santé de Mme Darcy. Le médecin jeta un regard désapprobateur sur le jeune Fitzwilliam et la visite fut donc écourtée pour lui. Le docteur informa M. Darcy que son épouse avait donné naissance à des jumeaux, mais que le garçon était mort-né. M. Darcy ne se remit jamais entièrement de cette nouvelle, mais tenta de faire bonne figure pour sa femme et ses deux enfants, pour qui il se devait d'être un modèle.
Mme Darcy se remit peu à peu de son difficile accouchement mais pu tout de même élever sa petite fille et la voir grandir. Cependant, Mme Darcy n'était pas entièrement guérie et malgré toutes les précautions que son mari et elle prenaient, neuf ans après la naissance de leur fille, Mme Darcy retomba enceinte. Son mari qui, malgré les nombreuses années, n'avait jamais oublié la perte d'un enfant et la santé fragilisée de sa femme, était très soucieux et constamment en alerte quant aux moindres désirs de sa bien-aimée. Malgré sa grossesse et les aléas qui vont avec, Mme Darcy avait insisté pour rentrer à Pemberley en compagnie de leurs enfants, étant donné que Fitzwilliam était en vacances.
En se réveillant un matin, une semaine après leur arrivée à Pemberley, M. Darcy avait un mauvais pressentiment, qui se renforça lorsque son majordome vint le chercher afin d'aller régler une dispute entre plusieurs métayers, ce qui l'obligea donc à quitter la luxueuse demeure et par conséquent sa femme.
Après quelques heures à débattre avec des métayers en colère, M. Darcy se hâta de retourner auprès de sa femme, et dans son impatience, ne remarqua pas la voiture du médecin de famille s'avancer à toute vitesse vers la grande porte et le médecin lui-même en sortir et se précipiter à l'intérieur. Il comprit toutefois que quelque chose n'allait pas quand il aperçut les servants s'affoler dans tous les sens, cherchant à se rendre utile à leur maîtresse par tous les moyens. Sur son chemin vers la chambre de son épouse, il croisa sa fille Georgiana, pleurant dans les bras de son grand frère, lui aussi le regard hagard, perdu et emplis d'une infini tristesse lorsqu'il croisa celui de son père. Sans un mot, M. Darcy fila vers la chambre de sa femme et découvrit celle-ci étendue sur son lit, d'une pâleur comparable à celle qu'elle affichait il y a neuf ans de cela, après la naissance de leur fille et la perte de leur fils. Son regard, fixé sur sa femme, ne manqua pourtant pas les draps tâchés de sang qu'une femme de chambre se dépêchait de sortir de la pièce. Il distinguait au loin le médecin s'entretenir avec leur femme de charge, Mme Reynolds, lui demandant d'apporter du linge propre et des bassines d'eau chaude et quelques autres choses dont M. Darcy, trop occupé à observer sa femme de plus en plus pâle, n'entendit que d'une sourde oreille. Il s'avança près du lit où elle reposait paisiblement, les yeux clos, la respiration lente. Il aurait pu croire qu'elle dormait si ce n'était la pâleur de son teint et les tremblements qui la secouaient par moment. Il déposa un doux baiser sur son front et sentit qu'il était brûlant. Le médecin se rapprocha de lui, et dans une voix pleine de compassion, annonça à M. Darcy que sa femme était sujette à une infection qui avait déclenché une très forte fièvre et lui avait fait perdre l'enfant qu'elle portait. C'est avec la gorge serrée et la voix pleine d'émotion que M. Darcy demanda au médecin « Va-t-elle s'en sortir ? ». La réponse de celui-ci fit perler des larmes sur les joues de M. Darcy.
Après quelques instants passés à silencieusement pleurer et observer sa femme, M. Darcy fit quérir Fitzwilliam et Georgiana. Il s'installa sur la rocking-chair près du lit de sa femme et attendit que leurs enfants arrivent, réfléchissant à la manière dont il allait leur annoncer la triste nouvelle. Lorsqu'ils arrivèrent, M. Darcy fit signe à Georgiana de venir prendre place sur ses genoux, tandis que Fitzwilliam alla se poster au pied du lit où reposait sa mère, la fixant, immobile. Ils restèrent quelques instants silencieux, chacun se demandant comment aborder le douloureux sujet de la probable et prochaine disparition de la figure maternelle de la famille Darcy quand celle-ci émit un gémissement furtif, réveillant de leur état second les autres personnes présentes dans la chambre.
Elle ouvrit faiblement ses beaux yeux bleus, grimaçant légèrement en s'adaptant à la lumière vive de la pièce, et embrassa lentement du regard la pièce et les membres de sa famille qui se tenaient près d'elle. Elle les étudia tous pendant de longues minutes, puis dans une voix faible, à peine plus forte qu'un soupir, elle leur demanda de la laisser seule avec Georgiana. Devant les protestations de son mari, elle esquissa un faible sourire et d'un signe de la main lui fit comprendre que ce n'était pas la peine qu'il insiste.
Après une dizaine de minutes, Georgiana sortit de la chambre de sa mère le visage couvert de larmes. Elle chercha son grand frère du regard et lui indiqua que leur mère l'attendait. Lui aussi ne resta qu'une dizaine de minutes avec sa mère, et revient dans le couloir, à l'extérieur de la chambre de sa mère, les joues mouillées. Il regarda son père et l'accola, étouffant un pleur dans son cou, avant de se diriger vers Georgiana et la prendre dans ses bras. M. Darcy resta là, immobile, à regarder ses enfants pleurer pour leur mère. Quand Fitzwilliam et Georgiana se tournèrent d'un même mouvement vers lui, il entra dans la chambre de son épouse.
Anne l'attendait, un coussin dans son dos la maintenant légèrement relevée. Elle affichait un air paisible. Ses yeux clos s'ouvrirent lorsqu'elle entendit la porte de sa chambre se refermer derrière son époux. Elle esquissa un léger sourire et lui fit signe de prendre place près d'elle sur le lit. Une fois installé, elle lui prit la main et lui dit d'une voix à peine audible :
« Georges, mon amour. N'essayes pas de me suivre là où je vais. Il faut que tu restes là, pour t'occuper de nos enfants. Ils n'auront plus que toi à présent. Veilles à ce qu'ils deviennent de bonnes personnes, aides-les dans les choix qu'ils auront à faire mais surtout, ne leur tournes pas le dos. Ils auront besoin de toi et toi d'eux. »
M. Darcy prit délicatement la main de sa femme, qui caressait sa joue, et la porta à ses lèvres, laissant quelques larmes couler.
« Ne pleures pas Georges. Il faut que tu sois fort pour Fitzwilliam et Georgiana.
- Mais comment vais-je faire sans toi ? Je ne tiendrais pas longtemps ! Dit M. Darcy en pleurant de plus belle.
- Je veillerais sur toi de là-haut, dit-elle avec l'ombre d'un sourire sur les lèvres puis reprit avec un air plus sérieux, mais promets-moi que tu veilleras sur eux et que tu tiendras bon pour eux.
- Je te le promets Anne. »
Les lèvres de M. Darcy se posèrent doucement sur celles de sa femme et chacun ressentit l'amour que lui portait l'autre dans ce dernier baiser.
Dans un dernier soupir, Mme Darcy, qui sentait ses forces la quitter de plus en plus vite, réussit tout de même à prononcer ces quelques mots « N'oublies jamais que je t'aime, t'ai toujours aimé et t'aimerais toujours Georges ». Avant que son mari ne puisse lui répondre, Mme Anne Felicity Darcy s'était éteinte.
Le cri de désespoir que poussa son mari fut entendu dans toute la demeure, raisonnant dans toutes les pièces, plongeant Pemberley dans la période la plus triste de son existence.
Dans les premiers jours qui suivirent le décès et l'enterrement de son épouse (enterrement auquel seule la famille Darcy assista, la famille Fitzwilliam envoya ses condoléances mais resta à Londres pour la Saison), M. Darcy refusa de quitter sa chambre. Malgré les tentatives de ses enfants et de ses servants les plus dévoués, rien ne le fit sortir de la chambre de son épouse, jusqu'à ce qu'il trouve une miniature sur laquelle étaient représentés Fitzwilliam et Georgiana. Après l'avoir observé pendant de longues minutes, M. Darcy se remémora la promesse faite à sa défunte épouse. Il se mit donc en quête de ses enfants.
Georgiana fut la plus facile à trouver. Elle s'exerçait sur son piano dans la salle de musique, mais au lieu des mélodies joviales qui en sortaient d'habitude, seuls les morceaux moroses et dramatiques qu'elle jouait à présent se faisaient entendre. Après s'être mutuellement réconfortés, M. Darcy partit à la recherche de son fils.
Fitzwilliam, lui, fut plus difficile à trouver. Après la mort de sa mère, il n'était pas retourné à Cambridge comme il aurait dû le faire, mais était resté à Pemberley afin de s'occuper de sa jeune sœur alors que leur père s'était enfermé dans ses appartements. De fait, Fitzwilliam avait manqué la période d'examen et allait être dans l'obligation de redoubler sa dernière année s'il voulait être diplômé. M. Darcy trouva son fils dans la bibliothèque, en train d'étudier ses cours. Il resta un moment dans l'encadrement de la double porte, observant son fils essayer de se concentrer sur ses cours de Cambridge, puis s'intéresser aux documents relatifs à la gestion des domaines. M. Darcy nota l'intérêt croissant que son fils portait aux affaires familiales, et une idée lui vint à l'esprit.
Les deux années qui suivirent, M. Darcy et ses enfants vécurent ensemble à Pemberley. M. Darcy apprit à son fils les bases de la gestion du domaine de Pemberley ainsi que des autres domaines possédés par la famille ; il engagea une gouvernante pour Georgiana ainsi que quelques maîtres pour des cours particuliers, cours auxquels il assista. Tout cela permit à la famille Darcy de se rapprocher après la mort d'Anne et de mieux vivre leur chagrin.
Cependant, après deux années passées à Pemberley, Fitzwilliam dut reprendre ses études à Cambridge afin d'obtenir ses diplômes. A partir de ce moment-là, M. Darcy, malgré la présence à ses côtés de Georgiana, ressentit la solitude plus encore. Son fils, qui avait les yeux et cheveux de sa mère, lui rappelait sans cesse sa femme alors que leur fille lui ressemblait davantage. Toutefois, il tint à faire bonne figure devant sa fille et ne se laissa submerger par la tristesse que lorsqu'il était seul.
Finalement, l'année scolaire se termina et Fitzwilliam revint à Pemberley pour le début de l'été, fraichement diplômé. Après des retrouvailles émouvantes, Fitzwilliam observa longuement son père et constata avec effrois que celui-ci avait en apparence beaucoup vieilli, alors que sa jeune sœur entrait tout juste dans l'adolescence. Fitzwilliam passa l'été chez lui à Pemberley, profitant de sa famille et se replongeant dans les affaires du domaine. M. Darcy semblait peu à peu reprendre goût à la vie, du moins, faisait-il un effort pour paraître plus enjoué que d'habitude, même si ses enfants savaient qu'il ne pourrait jamais plus être complètement heureux après le décès de son épouse.
La famille Darcy vécut paisiblement pendant trois mois avant qu'une lettre d'un ami de Fitzwilliam -un dénommé Charles Matthew Bingley, avec qui il avait partagé sa chambre à Cambridge- ne vienne déranger leur tranquillité. M. Bingley avait pris la plume afin d'inviter son ami à venir visiter la demeure qu'il venait de louer, tout près de la ville de Meryton en Hertfordshire. Après avoir concerté sa famille, Fitzwilliam alla répondre à M. Bingley qu'il viendrait lui rendre visite dans deux semaines et arriverait pour la Saint-Michel.
