Introduction
Voici le récit de celle qui n'a jamais été mentionnée dans l'Histoire, celle qui n'a certes pas joué un rôle très important, mais qui mérite d'être raconté. Voici l'histoire de celle qui a été oubliée...
Cette nuit, était la bonne. Mrs Willson le savait. Les contractions devenaient de plus en plus fortes et de moins en moins espacées. Dans le lit conjugal du Manoir, elle se retourna pour la millième fois, gémissant de douleur et se découvrant des draps de soie. La chaleur du mois d'août était étouffante, rendant les contractions encore plus désagréables. Dans la chambre, s'affairait la Sage-femme, spécialement engagée pour l'événement. Mr Willson n'aimait pas trop -et même pas du tout- qu'une moldue s'occupe de sa femme et de l'enfant à naître, mais Mrs Willson faisait entièrement confiance à la spécialiste des accouchements. De toute manière, un Médicomage n'aurait pas pu mieux faire que la pauvre Sage-femme. Cette dernière n'était pas vraiment à l'aise : la demeure dans laquelle elle se trouvait était des plus étranges. Il y régnait une ambiance lourde, inquiétante. Les meubles semblaient appartenir à une époque lointaine, des bruits inconnus se faisaient parfois entendre, venant de nulle part et la professionnelle de la Santé aurait juré voir quelques personnages sur les tableaux, bouger.
Mais la Sage-femme tentait du mieux qu'elle pouvait de se concentrer sur l'accouchement. Si le manoir était effrayant, il n'en était rien, comparé à Mr Willson. En effet, l'homme de grande taille avait le regard sévère. On remarquait aisément qu'il n'était pas le genre de personne qui aimait se faire contre-dire. De plus, dès qu'il se retrouvait en présence de l'accoucheuse, il ne pouvait s'empêcher de la dévisager, comme s'il s'agissait d'une chose étrange, curieuse, parfois même dégoûtante. Il n'était certainement pas temps que l'accouchement se passe mal, et la Sage-femme priait intérieurement pour que tout se passe bien, sans encombres.
Soudain, Mrs Willson poussa un cri, signe que la douleur s'accentuait. La porte de la chambre s'ouvrit à la volée, et son mari entra dans la pièce, qu'il traversa à grandes enjambées pour se retrouver près de la jeune femme. Pendant ce temps, l'accoucheuse préparait le matériel en tremblant, ce qui n'échappa pas au regard inquisiteur du maître de la maison. Ce dernier demanda alors à son épouse :
- Cathlyn, tu es vraiment certaine qu'on doit faire confiance à cette moldue ? Je peux toujours nous faire transplaner jusque Ste Mangouste. Tu y seras mieux.
Mais entre deux halètements, Mrs Willson refusa et exigea par ailleurs qu'il reste tranquille et ne dérange pas la Sage-femme. Contrairement à toute attente, Mr Willson s'accroupit, tenant fermement la main de son aimée, pendant que le travail se faisait.
Alors que Mrs Willson mettait au monde son enfant, avec l'aide et les directives de l'accoucheuse, celle-ci se posait beaucoup de questions : que voulait donc dire Mr Willson par « transplaner », « moldue » ? Et puis, qu'était donc Ste Mangouste ? Surement un hôpital, mais la Sage-femme n'en n'avait jamais entendu parler. Pourtant, elle avait fait plusieurs stages dans de grandes maternités. Tout cela, ajouté au fait que la demeure et le couple étaient vraiment bizarres ne mettait pas en confiance la professionnelle. Elle avait hâte que tout cela se termine et qu'elle puisse rentrer chez elle, même si Mrs Willson était une jeune femme très charmante -d'ailleurs, que faisait-elle avec un homme pareil ?!
Et finalement, la délivrance arriva : dans un dernier cri, une petite tête blonde montra le bout de son nez, suivie rapidement par le reste de son corps. Le silence avait à nouveau fait son apparition dans le Manoir des Willson, mais il fut vite brisé par de nouveaux cris : ceux de l'enfant venant de naître. La Sage-femme déposa d'un geste fébrile le nouveau-né dans les bras de sa maman :
- Félicitation, il s'agit d'une petite fille.
La professionnelle était heureuse de cet accomplissement et ressentait une grande chaleur l'envahir. Le regard tendre et chaleureux de Mr Willson posé sur sa femme et sa fille montrait un homme au visage différent de ce que la Sage-femme avait pu voir jusqu'à présent.
- As-tu pensé à un nom, Cathlyn ?
- Alyana. Comme son arrière grand-mère.
- Ce prénom lui ira à merveille, assura le père.
Alyana, pensa la Sage-femme, était un prénom fort étrange. Elle avait l'habitude des Élisabeth, Isabella, Mary et autres noms communs. De temps à autres, les parents choisissaient un prénom sortant de l'ordinaire, mais jamais elle n'avait eu à faire à une « Alyana ». Prénom étrange, famille étrange, maison étrange. Tout était étrange, chez eux, elle l'avait bien compris. D'ailleurs, elle avait hâte de sortir de cet endroit et s'affairait déjà à nettoyer et ranger le matériel. Après une dernière vérification de l'état de santé du bébé, la Sage-femme s'éclaircit la gorge et annonça alors son départ.
- Si vous avez encore besoin de moi, n'hésitez pas à me donner un coup de téléphone.
Mais sincèrement, elle espérait ne jamais avoir à remettre les pieds dans le Manoir. Et puis, elle n'était même pas certaine de trouver un téléphone dans cette demeure, tellement tout paraissait venir du siècle dernier.
Mr Willson se leva et s'approcha alors de la Sage-femme, qui recula d'un pas. L'homme sortit alors un long bout de bois de sa robe -même ça, c'était bizarre !- et, un rictus dessiné sur son visage, lança :
- Je vous remercie du travail que vous avez pu fournir, Miss Joyce. Malheureusement, je préfère prendre les devants, au cas où... vous auriez entendu ou vu des choses que vous n'auriez pas dû voir ou entendre.
Et avant même que la pauvre femme ne puisse dire un mot, Mr Willson pointa le bout de bois sur elle et murmura : « Oubliettes ».
