Titre : La Toile morte

Auteur : Niladhevan

Genre : …bonne question. Considération artistico-freudienne ?

Rating : K +

Note : Ah ah. Voilà tout ce que j'arrive à écrire en cours de philo…J'espère que ça vous plaira tout de même. Le tableau évoqué est l'œuvre la plus connue de Podkowinski ; google image vous la retrouvera facilement, si ça vous intrigue !

POV de Death Mask, vraisemblablement.

****


A chaque fois que son regard se posait sur lui, ce n'était pas Saga qu'il voyait. Ce n'était pas plus le Pope au visage d'onyx. C'était encore autre chose, une sorte d'abstraction mouvante, un mélange de tous ses visages ou une fuite hors de ces formes. Il voyait en lui…un tableau.

Il n'était certainement pas un esthète – c'était la chasse gardée d'Aphrodite, ou de Camus, à la rigueur. Il n'y connaissait rien en peinture, lui, et pourtant, il se souvenait de cette toile comme d'un cauchemar d'enfance. Et il l'avait aussitôt assimilée à Saga, dans un déclic saugrenu et irréversible.

C'était une toile qu'il avait vu par hasard, il ne savait plus où, sur un mur ou dans un livre – qu'importe. Peinte par un Russe ; et il avait été incapable d'en retenir le nom. Pas qu'il fût véritablement complexe, non ; mais il se savait totalement hermétique à ces sonorités slaves.
Il se souvenait de la toile sombre, amas de couleurs sulfureuses, de nuées grasses pareilles aux vapeurs du Yomotsu Hirasaka. Oui, du jaune et du noir – beaucoup de noir.

C'était Saga.

La blondeur maladive de la femme sur ce tableau infernal : elle, nue, blanche et voluptueuse, cette fameuse chevelure éparse, étalée dans les airs fixes comme une flamme qu'on cherchait à souffler ; ce sourire éperdu sur son visage, c'était aussi celui de Saga – et la nuque déployée, et la mollesse de ses bras qui enlaçaient l'encolure massive d'un cheval – c'était lui. Le cheval, qui émergeait des ténèbres vers la fausse lueur tiède en haut à gauche, cabré, fou, la bouche écumante, les yeux immenses et terribles.

Saga.

La crinière filandreuse, l'élan tordu vers le haut, et le poids léger de la fille amoureuse. Lui, c'était lui, tout cela, ces couleurs et ces silhouettes mêlées dans le chaos effréné d'une chute qui se voulait un envol.

Quand il regardait Saga, tout son être était compris dans ce tableau – cela suffisait, c'était bien assez pour le comprendre. Les autres rabâchaient inlassablement qu'ils étaient incapables de le comprendre, de « le cerner ». C'était si simple, au final. D'une évidence limpide comme l'acide ; il leur montrerait peut-être la toile, un jour.

L'avait-il lu dans le livre, l'avait-il entendu murmuré par un observateur du tableau ? Le peintre avait fini par lacérer sa toile grands coups de couteaux. Parfois il pensait, avec une délectation complaisamment morbide, que ce serait peut-être aussi la fin que connaîtrait Saga. Une fin en lambeaux d'une toile détestée. Ce tableau portait un titre bien humble, pourtant. Peut-être insuffisant, peut-être inexact. C'était le seul défaut qu'il lui avait trouvé. S'il en avait la possibilité, il raturerait l'intitulé qui flanquait la toile morte, et dont l'insolente naïveté lui avait brûlé les yeux :

« La Folie ».