Note : Inspirée de certaines fics que j'ai pu lire ici, je vous livre cette première histoire qui ne cessait de me trotter dans la tête jusqu'à ce que je sois encouragée à l'écrire. Je pioche autant dans les livres que dans la série et j'essaye de suivre le déroulé des grands évènements de l'histoire mais je prends quelques libertés quand cela m'arrange, en espérant ne choquer personne. Toutes les remarques constructives sont les bienvenues, je débute... Bonne lecture !
1941
Perdue dans ses pensées, Claire regarde défiler le paysage. Malgré le chagrin qui étreint son cœur, elle a senti son humeur s'améliorer au fur et à mesure que la grisaille londonienne s'éloignait. Maintenant que le train traverse la campagne anglaise, elle se surprend à respirer plus librement et à réfléchir plus posément. Les derniers jours n'ont été qu'un enchaînement d'émotions et de réactions instinctives, succédant à deux ans de chaos.
Ces quinze jours de permission, bien qu'imposés par sa supérieure, ne pourront que lui faire du bien. Et Claire se félicite d'avoir décidé sur un coup de tête, de quitter Londres. De toute façon, qu'aurait-elle bien pu y faire ? Elle était incapable de trier l'immense collection d'artefacts amassés par son oncle durant sa carrière d'archéologue. Elle préférait laisser cette tâche aux professeurs experts de l'université à laquelle était rattaché Oncle Lambert. De son appartement, elle n'avait conservé que quelques photos de ses parents et de son enfance ainsi qu'une collection de pièces de monnaie rares qu'elle savait destinée à un ami de longue date.
Son mari, Franck, lui a fait parvenir un télégramme l'informant qu'il ne pourrait revenir sur Londres pour être auprès d'elle en ce moment de deuil. Un télégramme ! Existe-t-il un moyen plus impersonnel de présenter ses condoléances ? Claire tente de se raisonner : Franck fait partie des services secrets britanniques. Elle n'est même pas sûre de savoir où, exactement, il est stationné en ce moment. Evidemment qu'il ne peut me rejoindre ni me faire parvenir autre chose qu'un télégramme. Mais tout de même ! Oncle Lambert était sa dernière famille et son cœur d'orpheline aurait apprécié le réconfort apporté par son mari…
Claire sent l'émotion l'envahir. En l'absence de son mari, la disparition de son oncle laisse un vide dans son existence qu'elle n'est pas sûre de savoir combler. Jusqu'à présent, l'hôpital où elle officie en tant qu'infirmière, lui servait autant de lieu de travail que de foyer. Mais sa chef de service a été formelle, elle ne veut pas la voir pendant deux semaines. Elle doit prendre le temps de faire son deuil, lui a-t-elle dit. Comme si l'obliger à rester seule avec son chagrin pouvait l'aider… Elle n'a jamais su rester inactive.
Petite déjà, son oncle, qui l'avait recueillie après la mort de ses parents, avait remarqué son besoin d'agir et lui trouvait toujours des tâches à effectuer sur ou autour des sites de fouilles. Elle avait eu une enfance peu ordinaire, son oncle l'ayant emmenée avec lui dans toutes ses missions archéologiques à travers le monde. Mais elle y avait trouvé son bonheur, apprenant la vie autrement, emmagasinant un savoir différent, fait d'histoires, de cultures, de modes de vie et de pratiques quotidiennes aussi diverses que les pays visités. Quand, plus tard, elle avait manifesté son désir de devenir infirmière, Oncle Lambert lui avait trouvé de nombreux livres sur l'art de soigner au travers des âges et civilisations et elle en savait bien plus que ses camarades au premier jour de leur formation. L'entrée en guerre de la Grande-Bretagne avait précipité les choses et elle n'avait guère eu le temps de se questionner sur sa vie depuis.
Assise dans ce train, Claire tente d'analyser ses sentiments : le chagrin, la solitude. C'est son anniversaire aujourd'hui… 23 ans et personne pour célébrer ma naissance… Tout se bouscule et Claire se demande si la force de caractère qui l'a faite tenir ses derniers jours, ne va pas disparaître ici, dans ce compartiment, la laissant en une masse sanglotante à la vue compatissante des autres voyageurs. Pour éviter cette situation embarrassante, Claire s'oblige à lister le programme de son voyage : elle ne devrait plus tarder à arriver à Edimbourg.
John MacLeod devrait l'attendre sur le quai de la gare. Elle espère qu'elle saura le reconnaitre, elle ne l'a pas vu depuis près de dix ans. Antiquaire de son état, historien de passion, il a accompagné son oncle dans plusieurs aventures archéologiques. Claire se souvient de s'endormir le soir au coin du feu, bercée par l'accent écossais de John, racontant les nombreuses histoires et légendes de princes et guerriers de contrées lointaines. Il avait une fascination pour les pièces et Oncle Lambert constituait sa collection pour lui. Elle aurait pu lui faire envoyer mais elle n'a jamais visité l'Ecosse, alors pourquoi pas ? John est installé à Inverness et elle imagine qu'à partir de là, elle pourra parcourir les Highlands, se promener sur les bords des Lochs. Elle a besoin de changer d'air : elle est soulagée d'échapper à la peur des bombardements pendants quelques jours et elle espère bien profiter de ce temps pour pleurer son oncle comme il le mérite.
Claire se réveille le lendemain dans un calme absolu. Pas de sirène, pas d'alerte, pas d'horaire, pas d'obligation. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas ressenti cette sérénité ? Si l'ombre d'Oncle Lambert ne flottait pas au-dessus d'elle, elle en sourirait.
John l'attendait bien à la gare. Elle n'avait eu aucun mal à le reconnaitre même si lui avait paru surpris de se retrouver nez à nez avec une femme adulte et non plus une adolescente dégingandée. La route jusqu'à Inverness s'était faite dans une atmosphère nostalgique avec John se remémorant des excursions et des fouilles plus ou moins heureuses avec Oncle Lambert. La voix grave et l'accent de John avaient toujours le même effet sur elle et elle avait fini par s'endormir le front contre la vitre. Ils avaient dîné chez lui, échangeant encore quelques souvenirs puis John l'avaient conduite à la pension dans laquelle il lui avait réservé une chambre. Il n'était pas disponible pour la durée de son séjour mais l'avait invitée à utiliser son automobile. Ainsi, elle serait complètement indépendante pour ses visites. Elle l'avait remercié chaleureusement avant de se retirer pour la nuit.
Après un solide petit-déjeuner offert par Mme Baird, Claire décide de faire quelques courses alimentaires afin de s'éviter l'obligation de prendre ses repas avec la logeuse dont le flot de paroles n'a d'égal que la curiosité. Sa chambre est en réalité un petit appartement indépendant de la pension, constitué d'une cuisine qu'elle compte bien investir, d'un salon et d'une chambre avec salle d'eau attenante. Cet arrangement rend Claire confiante dans le repos que ce séjour lui apportera.
Inverness étant un bourg de taille modeste, Claire en fait rapidement le tour et choisit de se rendre dès l'après-midi sur le site de Culloden Moor, champ de bataille de la révolution jacobite dont lui a parlé John au dîner. Ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre, Claire est surprise de ne trouver en réalité qu'une vaste lande dénudée, parsemée de pierres portant les noms des clans ayant participé à ce dernier affrontement. Déambulant sans but précis, Claire est touchée par le nombre de pierres visibles. Elle s'arrête devant l'une d'entre elles sur laquelle elle peut lire « Mackenzie ».
— Le clan Mackenzie de Castle Leoch, précise une voix derrière elle. Ils n'ont rejoint la rébellion que tardivement mais ont connu la même fin que les autres malheureusement.
Elle se retourne pour saluer l'homme lui ayant adressé la parole. De taille moyenne, les cheveux grisonnants avec un visage doux et bienveillant, il est habillé d'une veste en tweed bien plus adaptée à la fraîcheur automnale que son léger imperméable.
— Je suis le révérend Wakefield, d'Inverness. Vous devez être la pensionnaire de Mme Baird.
— En effet. Les nouvelles vont vite à ce que je vois. Je suis Claire Beauchamp Randall, enchantée de faire votre connaissance, révérend.
— Moi de même, Mme Randall. Il faut pardonner son indiscrétion à Mme Baird, répond-il en souriant. Depuis la mort de son époux, elle tend à combattre sa solitude en se faisant fort de savoir tout ce qui se passe en ville et de partager ses connaissances avec tous ceux assez patients pour l'écouter.
— Je vois, et en qualité de révérend, vous pouvez difficilement vous soustraire à ses conversations.
Le révérend rit doucement.
— Il est vrai que cela pourrait être mal perçu. Toutefois, il est toujours bon d'être au courant des évènements pour mieux accompagner et conseiller mes administrés dans leur quotidien. Et Mme Baird cuisine très bien, ajoute-t-il avec un clin d'œil.
A cela, Claire rit franchement.
— Vous visitez l'Ecosse pour la première fois, je crois ? Connaissez-vous l'histoire de ces lieux ?
— Succinctement, je le crains. Je sais juste que le Prince Charles Stuart a mené une rébellion en 1745 pour restituer le trône à son père Jacques Stuart alors en exil en Italie. Cette révolution jacobite s'est terminée ici, en avril 46 je crois, avec la victoire écrasante des britanniques.
— Ecrasante, c'est le cas de le dire. Ce fut un massacre. Les troupes écossaises étaient en infériorité numérique et matérielle, épuisées et affamées par une retraite chaotique. Le terrain leur était défavorable mais ils se sont lancés dans la bataille avec un désespoir farouche et la ferme intention de mourir avec honneur pour leur roi. Ils ont été fauchés par l'artillerie lourde, leurs rangs clairsemés avant même l'intervention de l'infanterie anglaise. Des clans entiers ont été décimés. Les blessés ont été achevés sur place, les troupes britanniques avaient ordre de ne pas faire de prisonnier. Près de deux mille highlanders sont morts ici. Mais contrairement à ce que vous dites, ça ne s'est pas terminé là. Les représailles contre les écossais furent terribles. Les survivants ont été pourchassés pendant des années, les traitres emprisonnés, pendus ou vendus comme esclaves dans les colonies. Tout signe d'appartenance, comme les tartans, a été banni, les armes ont été interdites. Les domaines ont été incendiés, le bétail et les récoltes réquisitionnés. Oui, l'après fut tout aussi dévastateur que la bataille, si ce n'est bien plus.
— Vous semblez très au fait de ces évènements, révérend !
— Oui, c'est une période passionnante et les conséquences sur le peuple écossais se font encore sentir aujourd'hui, deux cents ans plus tard.
— Vraiment ? Je n'en ai jamais pris conscience. Il faut dire qu'hormis John MacLeod, je ne pense pas avoir rencontré beaucoup d'Ecossais jusqu'ici. Mais dites-moi, révérend, qu'est-il arrivé au Prince Stuart ? Est-il mort sur le champ de bataille avec ses hommes ? J'aurais cru voir une stèle plus importante !
— Non, bien sûr que non. Bonnie Prince Charlie, c'est ainsi qu'il était surnommé, n'était pas un combattant, loin de là ! Quand ses généraux se sont rendus compte que la bataille était perdue, ils ont emmené et caché le prince. Ils ont réussi à atteindre Skye. Le prince a dû se déguiser en femme pour échapper à la surveillance des troupes de Cumberland. Il a fini par réussir à embarquer sur un navire en partance pour le continent.
— Je suis assez surprise. De ce que j'ai toujours entendu dire de la fierté écossaise, j'aurais pensé que les clans ne suivraient pas un chef qui ne sache pas se battre.
— Ah, mais c'est qu'à la fierté écossaise, il faut opposer la loyauté ! Si le laird, le chef de clan, s'engageait derrière les Stuarts, tous les métayers devaient suivre. Et si Bonnie Prince n'était pas un combattant, c'était un beau parleur ! Il a su convaincre de nombreux clans, y compris des clans qui ne s'entendaient pas entre eux, que sa quête était justifiée. C'était leur croisade, voyez-vous ! Il faut dire que l'occupation britannique de l'époque créait une atmosphère favorable à un soulèvement. Les taxes étaient très lourdes, l'attitude des soldats inacceptable. C'était un terreau fertile où planter une graine de rébellion. Et cela a conduit à une révolution écrasée dans le sang.
— C'est passionnant. Mon mari est historien, il s'intéresse à la guerre d'indépendance américaine et d'après ce qu'il m'en a raconté, l'empire britannique a reproduit là-bas les mêmes erreurs qu'ici.
— Mais très certainement. Si vous y regardez de plus près, toutes les révolutions sont issues de facteurs très similaires quelle que soit la période ou la civilisation. Mais il se fait tard. Puis-je vous inviter à poursuivre cette conversation demain ? J'ai une collection d'ouvrages au presbytère qui pourrait vous intéresser si vous souhaitez en savoir plus sur l'Ecosse.
— Ce serait avec plaisir, mais je ne veux pas m'imposer. Vous devez sûrement avoir d'autres obligations !
— Sottises, je serais ravi de vous avoir et puis, comme vous avez pu le constater, je suis intarissable sur le sujet mais la période se prête peu aux visiteurs historiens. Venez donc en milieu de matinée, je demanderai à Mme Graham, ma gouvernante, de nous préparer le déjeuner.
— Je vous remercie, révérend. C'est très généreux à vous. A demain donc, bonne soirée à vous.
C'est en remontant dans l'automobile que Claire se rend compte que sa discussion avec le révérend ressemble aux soirées passées avec son oncle, au coin du feu, lorsqu'il lui relatait les évènements relatifs aux objets de leurs fouilles. Et cette réalisation la rassérène, comme si Oncle Lambert approuvait ce voyage et lui souriait depuis le paradis des archéologues, quel qu'il soit.
