CHAPITRE I

Edom respirait le souffre et les cendres et la chaleur infernale semblait s'immiscer par tous les pores de la peau de Magnus. Et dire qu'Alec avait voulu le suivre. Sa chair pâle et son sang d'ange n'auraient jamais pu supporter la pression exercée par les Enfers sur chaque nouvel arrivant.

Magnus observa l'immense paysage désolé qui s'étendait devant lui, croulant sous les flammes, les ruines et dont l'air pollué transportait la mort. Non. Il pouvait accepter le fait d'être à moitié démon, mais cet endroit n'était pas son foyer. Il ne s'y sentirait jamais à l'aise, comme avait tenté de l'en convaincre son père lors de leur dernière rencontre, il y avait plusieurs siècles de cela.

Pendant une seconde, Magnus s'imagina faire demi-tour, puis le visage meurtri d'Alexander lui revint en mémoire. À quoi bon revenir à New York si ce n'était que pour retrouver l'homme qu'il aimait affligé par la possession démoniaque de son parabatai ? Magnus lui avait promis de rentrer, tôt ou tard, et c'était ce qu'il allait faire. Mais pas sans cette certitude, que Jace serait également libéré.

Il retrouva Asmodée au cœur de l'une des maisons de jeux dont il était le surintendant. L'endroit grouillait de créatures aussi répugnantes que maléfiques, mais Magnus n'y prêta pas attention, ne se concentrant que sur le démon supérieur, assis dans un fauteuil au cuir bordeaux déchiqueté, dans un coin reculé de la pièce, les yeux plongés dans un livre.

Il dut sentir la présence de Magnus car, à peine avait-il franchi le pas de l'arcade, qu'il releva la tête pour tomber sur son fils. Un large rictus fendit le visage du prince et c'est avec cette désinvolture dont avait hérité le sorcier, qu'il envoya balader son roman pour venir serrer Magnus dans ses bras. Ce dernier se raidit, incapable de lui rendre son étreinte. Il s'accommoda de ces cinq longues secondes de malaise lorsque son père daigna enfin le lâcher.

- Mon fils qui débarque aux enfers, lança-t-il joyeusement non sans une pointe de sarcasme. Quel plaisir de te revoir.

- Tu t'imagines bien qu'il ne s'agit pas d'une visite de courtoisie.

- Non, bien entendu. Tu as besoin d'aide pour te débarrasser de Lilith.

Magnus plissa les yeux.

- Comment est-ce que tu … ?

- Voyons, Magnus. Je suis ton père, et je me dois de garder un œil sur mon fils. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.

Le sorcier lâcha un rire moqueur alors qu'Asmodée se mettait à tournoyer autour de lui, l'observant sous toutes les coutures.

- Alors tu sais que toute la ville est en danger, poursuivit Magnus.

- Pas à moi, fiston. Ce n'est pas pour New York que tu es là. Mais pour ton cher et tendre Nephilim.

Le simple fait qu'Asmodée ait conscience de l'existence d'Alexander et de son importance pour Magnus, suffit à faire frémir le sorcier d'horreur.

- J'ai tellement hâte de rencontrer mon gendre, ajouta le démon.

- Si tu t'approches d'Alexander, je te jure que …

- Que quoi ? Mesure tes paroles mon fils. Je crois savoir que c'est de mon aide dont tu as besoin. Pas l'inverse.

- Avec toi, rien n'est gratuit.

- C'est fou comme tu me connais bien, même après tant d'années passées loin l'un de l'autre, lâcha-t-il en riant avec machiavélisme.

- Qu'est-ce que tu veux ?

Il sut qu'il allait regretter sa venue avant même qu'Asmodée ne réponde. Il vit les iris noires de son père se fendre en deux lignes dorées, et l'espace d'une seconde il eut l'impression de se regarder dans un miroir. Cela le dégoûta.

- Un an, répondit-il. Trois-cent-soixante-cinq jours à mes côtés, à régner et à m'aider à gagner en puissance en combinant ta magie à la mienne, et je te laisserais rentrer chez toi.

Magnus cru sentir son cœur chuter au fin fond de son estomac et fut pris d'une nausée soudaine. Une année entière ici, aux Enfers. Avec son père.

Loin d'Alec … Avec la certitude qu'Asmodée ne le laisserait jamais revenir en arrière pour lui faire ses aux revoir ...

Son âme lui hurlait de refuser, qu'il pourrait trouver une autre solution, mais son esprit, plus raisonnable, savait que c'était faux. Aucune magie présente sur Terre ne pourrait avoir raison de la possession de Jace et des méfaits de Lilith. Asmodée était leur unique chance. Et si pour cela, le prix se mesurait à trois-cent-soixante-cinq jours, il le paierait. Pour les terrestres. Pour New York. Pour Jace. Et pour l'amour de sa vie.

À mesure qu'il commençait à hocher la tête pour sceller leur pacte, il sentit une larme orpheline couler le long de son visage.

Pardonne-moi, Alexander …

...

Un an plus tard.

Magnus eut l'impression de revivre.

Si le ciel bleu azur de New York l'aveugla dans un premier temps, il fut ravi de redécouvrir la lumière vive du soleil et la brise légère du mois de Mai sur son visage. Il aurait pu en pleurer tant le bonheur d'être revenu le submergea. Ces douze mois passés à Edom avaient été les plus longs, les plus douloureux de sa vie. Pas tant pour la chaleur étouffante, la pression écrasante, ou la présence insupportable de son père, mais pour avoir été loin d'Alexander. Incapable de lui parler, de le voir, d'entendre sa voix, de sentir ses caresses : cela avait été la pire torture qu'il avait eu à supporter en plus de huit siècles d'existence.

Mais c'était pour ces mêmes choses qu'il avait supporté les Enfers et honoré son pacte. Il n'avait vécu que pour cette journée durant un an, ce moment où il pourrait de nouveau respirer l'air frais de la Terre et retrouver l'homme dont il était fou amoureux.

À en juger par le climat calme et l'ambiance détendu des rues, Magnus sut qu'Asmodée avait tenu parole et réussi, par il ne savait quel miracle, à déjouer les plans de Lilith.

Il ne perdit pas une seconde de plus et établit un portail jusqu'à l'Institut. Il fut accueilli à la porte par deux gardes qu'il avait déjà croisé auparavant et qui parurent gênés de le voir débarquer.

- Monsieur Bane ? s'engagea l'un d'eux sans trop de conviction.

- Le seul et l'unique, lança-t-il avec un large sourire.

Rien ne pourrait enrayer sa bonne humeur, pas même un chasseur d'ombres ne l'ayant visiblement pas reconnu.

- Maintenant, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, poursuivit-il, j'ai l'homme de ma vie qui m'attend à l'intérieur.

- Monsieur Bane, vous devriez …

- Magnus ?

La douce et mélodieuse voix d'Isabelle résonna derrière les deux gardes et il n'en fallut pas plus au sorcier pour se ficher de leurs carrures imposantes plantées devant la porte et les repousser pour accourir prendre la jolie brune dans ses bras.

Il la sentit soupirer de soulagement en même temps que lui, tandis qu'elle resserrait ses mains sur sa veste comme pour le retenir, et qu'elle nichait son visage au creux de son cou, les yeux humides de larmes.

- Par l'ange, Magnus, dit-elle d'une voix tremblante. Cela fait un an … On a … On a vraiment cru que tu étais …

- Ma tendre Isabelle, auriez-vous tous douté de mes capacités à m'en sortir sain et sauf ?

Il voulut faire de l'humour mais il ne réussit qu'à arracher un maigre sourire à la jeune chasseuse. Elle semblait nerveuse, perturbée. Elle ne cessait de triturer ses mains et de jeter des coups d'œil furtif par-dessus son épaule.

- C'est une longue histoire, reprit-il plus sérieusement. Et je serais ravi de vous la conter à tous une fois que j'aurais retrouvé ton frère. Où est-il ?

- Magnus, il faut que tu saches que …

- Ah. Vous voilà.

Par tous les démons, ce que cette voix avait pu lui manquer …

Il n'eut jamais autant d'étincelles dans les yeux qu'à cet instant, alors qu'Alexander, son Alexander, traversait le long couloir depuis la salle de contrôle pour les rejoindre. Il n'avait pas changé. Toujours ces mêmes cheveux noirs en bataille, ces mêmes yeux clairs hypnotiques, cette mâchoire puissante, cette même démarche déterminée … Magnus eut la sensation de retomber amoureux une seconde fois.

Il se serait volontiers jeté dans ses bras si Isabelle n'avait pas, étrangement, fait pression sur son torse pour le maintenir immobile.

- Alexander … murmura-t-il, la voix prête à céder sous l'émotion.

Et à cet instant, et sans qu'il ne comprenne pourquoi, au lieu de l'embrasser avec fougue, l'homme qu'il aimait plus que tout au monde, lui tendit la main d'un air formel.

- Vous devez être Magnus Bane. Ravi de faire votre connaissance. Je suis Alexander Lightwood, directeur de cet institut.

Bon sang, que se passait-il ?

A suivre ...