Ce qui reste est forcément la vérité
Je sortais d'un bar, un de ces soirs de fête où tout est beau, même la bruine de mars sur le pavé du centre-ville. J'étais un peu ivre, et croyais voir dans chaque flaque où se reflétait la lueur jaune des vieux lampadaires de magnifiques jonquilles. Me relevant après avoir essuyé un échec supplémentaire pour les cueillir, je pestais contre ces stupides fleurs qui ne voulait pas de ma compagnie quand j'heurtas quelque chose. Ou plutôt quelqu'un, qui m'aida à ne pas tomber. Il avait l'air ridicule, avec ses lunettes brouillées de pluie. Il m'a demandé comment j'allais, si j'avais besoin d'aide pour rentrer chez moi. J'aurais dû dire non (un inconnu, dans mon état, devant chez moi, était hautement imprudent), mais aussi bizarre que cela puisse paraître, il avait l'air profondément gentil. Alors j'ai accepté, il a passé son long manteau brun sur mes épaules et m'a pris la main.
En fait, je ne suis jamais rentrée chez moi. Et si je devais raconter ce qui s'est réellement passé, personne ne me croirait pire, je passerais pour une folle. Et pourtant, rien n'est plus réel désormais que ces souvenirs d'une autre vie. Tout ce que je peux dire, c'est que j'ai beaucoup couru. Et que j'ai vécu la plus belle période de ma vie avec cet homme (qui, une fois ses lunettes retirées, avait des yeux plutôt beaux, mais terriblement tristes). J'aurais aimé rester à ses côtés, mais je crois que personne ne le peut.
Maintenant, je vis dans une petite maison isolée, entourée de jonquilles blanches et jaunes, qui semblent être les vagues d'une mer venue d'ailleurs quand le vent souffle. Et lorsqu'il pleut, et qu'elles se reflètent dans les flaques, j'espère le voir réapparaître. Juste pour me dire qu'après tout ce temps, il ne m'a pas oublié, qu'il va bien, et que quelqu'un d'autre lui tient la main. Parce que moi, je n'ai jamais oublié, et ne pourrais jamais. Et parfois, lorsque je m'endors, je crois encore entendre son tournevis sonique dans la nuit.
