Voilà je me lance dans ma première fiction longue, dites-moi ce que vous en pensez !

(Moi qui pensais avoir abandonné les fanfictions...)


Le Prix à Payer

Prologue

Alix pinça les lèvres en se regardant, comme tous les matins, dans le miroir qui ornait la salle de bains qu'elle partageait avec les autres putains. Fronçant ses sourcils en détaillant son reflet, elle scrutait son corps : ses cheveux noirs, sa peau brunie par le soleil, ses taches de son, ses yeux noirs, son nez retroussé, mais surtout sa poitrine voluptueuse, son ventre légèrement bombé, ses hanches rondes, ses jambes fines. Et elle maudissait le hasard qui l'avait fait naître femme. Ce hasard qui lui valait, encore aujourd'hui, des bleus sur les hanches et des légères griffures dans le dos. Ce hasard qui l'avait naître femme à cette époque, dans cette ville, l'avait condamnée aussi sûrement que la lame d'une épée. Parce que cette ville s'appelle Tortuga et que les putains de Tortuga voient rarement le jour de leur trentième anniversaire.

Comme tous les matins, ce fut un coup donné à la porte qui la fit sortir de ses pensées morbides. Maria, une de ses collègues, s'impatientait. Elle s'habilla rapidement, d'une chemise en lin blanche et d'un jupon marron, entortilla ses cheveux avec un bout de bois et sortit. Maria l'attendait devant la porte. Elle lui jeta un regard noir que Alix ignora. Maria était une des plus vieilles résidentes du bordel, elle avait environ vingt-six ans pour ce qu'Alix en savait. Ce qui suscitait l'admiration quand on savait qu'elle était chargée de ce qu'on appelait ici les cas spéciaux, c'est-à-dire ceux qui engendraient de la souffrance pour la catin qui s'en occupait. Très peu d'entre elles dépassait vingt-cinq ans. Mais bien qu'Alix était tout-à-fait consciente de cet état de fait, et donc de la nécessité pour Maria d'avoir un accès rapide à la salle de bain après sa nuit de travail elle n'en s'en préoccupait guère. Pas par méchanceté mais parce qu'elle savait que Maria serait bien plus insistante si jamais il y avait un problème.

L'escalier grinçant annonça son arrivée dans la cuisine, où plusieurs filles étaient déjà attablées, attendant manifestement la gérante pour pouvoir se servir des plats posés devant elles. Alix se laissa tomber sur le banc, à côté de Lisbeth, en baillant ostensiblement. Les filles se mirent à rire doucement, la nuit avait été courte pour toutes mais le fait qu'Alix était une des putains les plus demandées de Tortuga était un secret de polichinelle. Alix était effectivement bien formée, avec de seins et des hanches, comme le voulaient les hommes, mais ce qui faisait surtout son succès c'était son jeune âge et son jeu d'actrice. Alix était devenue la reine du mensonge, de ceux qui satisfaisaient les hommes. Elle pouvait être tour-à-tour vierge timide, amante dévergondée ou gitane passionnée sans que son corps ne trahisse la vérité. Les hommes, pirates ou simples matelots venaient rechercher dans ses bras un bout de rêve. Rêve qu'elle leur accordait pendant quelques minutes. Rêve qui, pour elle, était un cauchemar.

Alix ne se préoccupa pas de savoir si la gérante était là ou non. Elle commença à se servir, refusant d'obéir aux règles de bienséance qui avait cours dans le bordel. En effet la patronne du « Lupanar », une femme grassouillette, d'origine belge, autrefois elle-même putain, avait décidé d'instaurer certaines règles pour que son bordel soit convenable. Du moins, d'après son idée d'un bordel convenable. Alix, elle, ne voyait pas vraiment en quoi un bordel pouvait être convenable même si elle devait admette que c'était certainement le seul établissement de Tortuga où les chambres étaient propres, où on pouvait se laver après chaque client et où on mangeait à sa faim à tous les repas. Ce qui ne l'empêchait pas de n'en faire qu'à sa tête. Alix méprisait ce commerce de corps comme elle méprisait ceux qui s'y adonnait, comme elle se méprisait elle-même. Certainement plus encore que tous les autres.

Son repas fini et sans que la maquerelle n'ai fait son apparition, Alix prit congé des autres filles pour remonter dans sa chambre. Il était à peine sept heures du matin et elle n'avait pas dormi de la nuit, les clients se succédant à un vitesse hallucinante. Elle avait reçu son dernier client à six heures, heure à laquelle la grande majorité des filles dormait déjà depuis une heures voir deux. Parfois Alix les enviait, moins de clients, moins de fatigue, plus d'heures de sommeil... Puis elle se rappelait que, bien qu'elles soient toutes plus âgées qu'elle, il leur restait au moins deux ans à travailler pour rembourser leur dette. Alix, elle, n'en avait plus qu'un. Encore un an et elle serait libre. Libre de faire ce qu'elle veut, d'aller où bon lui semble. Et chaque jour qui passait Alix se raccrochait un peu plus fort à cette idée, préférant ignorer qu'une fille n'avait aucune autre utilité, ici, à Tortuga. Et que les filles d'ici, même ayant régler leur dette, restaient putains. Parce qu'entre être libre ou avoir le ventre plein il fallait choisir.

Entre être loup ou rester chien.