Salut tout le monde! J'espère que vous allez tous bien! :D Comme promis, voici enfin la première annexe d' "Obsession" (les autres suivront en temps voulu) qui se centre sur le passé de Liam. Side Story fort centrée OCs donc, mais j'espère qu'elle vous plaira quand même ^^ Je tenais encore à tous vous remercier pour votre soutien et vos chouettes messages d'encouragement, ça fait vraiment chaud au coeur 3 Sur ce, je ne vous retiens pas et je vous laisse découvrir cette première annexe ;)
Enjoy!
Sanctuaire, Grèce, 17 ans avant la Guerre Sainte,…
Le jeune homme aux cheveux rouges descendit de la dernière marche des temples du Zodiaque et posa le pied sur le sable, se dirigeant immédiatement vers les arènes comme il le faisait toujours après un rapport. Des murmures intrigués et admiratifs s'élevèrent quand il passa à côté des arènes d'entrainement, comme toujours quand il faisait une (rare) apparition en public:
-C'est quoi comme armure?
-Aucune idée, elle me dit rien.
-Et quelle aura il dégage!
-Attendez, c'est qui ce mec?
-Vous êtes sérieux, les gars? (S'offusqua un quatrième) C'est le Chevalier d'Argent de Cristal*!
-Quoi? L'armure de Cristal? Je pensais que ce n'était qu'une légende!
-C'est bien cette armure qui est en fait un Mémorial? Celle forgée avec le sang d'Athéna et avec de la poussière d'étoiles?
-Oui, elle a été forgée après la toute première Guerre Sainte par Athéna elle-même pour ne jamais oublier ce qui est arrivé.
-C'est donc un Gardien? Mais alors il n'est lié à aucune constellation précise, si?
-Non, tu as raison, c'est un Chevalier des glaces qui sert Athéna sans être lié à une constellation, il est juste lié à la mémoire et au Mémorial de Cristal.
-On raconte qu'il est très puissant, presque autant qu'un Chevalier d'Or.
-Vu sa taille c'est pas choquant!
-Tu le sais que ça n'a rien à voir, n'est-ce pas?
-Rien à voir mais il parait qu'il vit en ermite au sommet du Mont Parnasse.
-Moi j'ai entendu dire qu'il servait d'espion pour le Pope en attendant que les Chevaliers du Verseau et des Poissons soient nommés, tu crois que c'est vrai?
-Je sais pas, mais en tout cas c'est une vraie chance d'avoir un tel homme à nos côtés pour la Guerre qui se prépare!
Sa longue cape blanche claquant dans son dos, Ulysse ferma les yeux et poussa un soupir à la fois amusé et las, conscient du sentiment d'intrigue qu'il provoquait une nouvelle fois chez ceux qui l'observaient avec ce regard curieux mêlé d'admiration. Le Chevalier de Cristal leva la tête vers les temples du Zodiaque avec une adoration non feinte. Cet endroit était magnifique, rempli d'une énergie si positive et lumineuse. Quelle chance il avait de pouvoir porter une telle armure, de servir une telle Déesse, d'être l'objet de la confiance de tous.
Il passa une main dans ses cheveux mi longs perpétuellement ébouriffés et tourna distraitement la tête vers la droite, vers les premières arènes d'entrainement: le Pope était satisfait de son travail et des informations qu'il lui avait rapporté. Il devait continuer de la sorte, réunir toutes les informations dont Sage avait besoin pour les aider à se préparer au mieux à ce qui allait suivre. La paix ne durerait hélas pas indéfiniment, et il leur fallait être prêts. Athéna ne s'était pas encore réincarnée, mais des étoiles maléfiques commençaient déjà à se manifester, inutile de prendre des risques.
Ulysse s'arrêta, observant les apprentis s'entrainer au combat. En les voyant enchainer différents exercices, il hocha la tête avec appréciation. Ils seraient prêts, ils n'avaient aucune inquiétude à avoir. Un mouvement lumineux attira soudain son regard bleu clair vers la gauche de l'arène, là où deux jeunes femmes luttaient avec acharnement. Intrigué malgré lui, il descendit quelques marches et s'assit en haut des gradins afin de garder une vue d'ensemble sur le Sanctuaire, mais surtout sur le combat.
Les deux jeunes femmes s'entrainaient et semblaient supervisées par un homme, sans doute leur maitre, qui les évaluait d'un regard sévère. Il y avait une jeune femme aux cheveux blonds retenus par un serre tête mauve. Elle était objectivement plus forte que son adversaire: ses mouvements étaient assurés, fluides, et emprunts d'une grande précision. Pas un instant elle ne semblait douter derrière ce masque, pas une seule fois son bras ne trembla au moment de frapper. Elle était lumineuse, certainement digne de l'armure qu'elle convoitait.
Et pourtant, Ulysse ne parvenait pas à détacher les yeux de son adversaire, une jeune femme plus petite aux cheveux noirs noués en une longue tresse battant son dos à chaque mouvement. Son cosmos était légèrement moins puissant que celui de la jeune femme blonde, ses mouvements étaient plus rageurs, maladroits, moins assurés, mais elle luttait avec l'énergie du désespoir. Refusait de se laisser abattre, de rester au sol. Le Chevalier de Cristal ne comprenait pas bien le pourquoi du comment, mais il sentait que cette jeune femme avait du potentiel… Mais qu'elle ne voulait peut-être pas en faire usage.
C'était étrange, la jeune femme blonde était plus gracieuse dans ses mouvements, presque en train de danser, et pourtant, le regard clair d'Ulysse suivait ceux de son adversaire, incapable de la quitter des yeux. Comme si une voix lui soufflait que cette jeune femme n'était pas n'importe qui. Comme si l'aura qu'elle dégageait l'empêchait de détourner le regard.
-Heu, seigneur Ulysse?
Souffla une voix timide à côté de lui, le distrayant momentanément du combat. Il se tourna vers les deux apprentis qui se semblaient à la fois intimidé et admiratif:
-Que puis-je pour vous, messieurs?
Les joues du plus jeune se colorèrent de rose et le plus âgé osa se lancer:
-Seigneur, nous nous entrainons pour obtenir l'armure du Cygne, et nous nous demandions si vous pouviez peut-être nous dire ce que vous pensez de nos techniques. Enfin, si vous avez le temps évidement!
Un instant Ulysse hésita, luttant pour ne pas jeter un nouveau regard vers le combat entre les deux jeunes femmes. Il esquissa un sourire chaleureux et se leva:
-Montrez-moi donc ce que vous savez faire.
Les yeux des apprentis s'illuminèrent et il sut qu'il avait fait le bon choix: il était si rarement de passage au Sanctuaire, et en tant qu'unique Chevalier des glaces présent pour l'instant (puisque le seigneur Crest résidait en Sibérie) il pouvait au moins donner quelques conseils à ces garçons. D'autant plus que remporter le combat contre l'autre ne voulait pas d'office dire remporter l'armure. Le vainqueur devrait se rendre directement en Sibérie, là où attendait l'armure millénaire emprisonnée dans les glaces éternelles. Alors seulement il saurait s'il méritait réellement son titre. Pas avant.
Ulysse descendit les marches des gradins, semant des vagues de murmures ébahis et admiratifs derrière lui, suivant les garçons vers un coin libre de l'arène, non loin du combat acharné qui continuait entre les deux jeunes femmes. S'il avait su qu'il allait devoir s'entrainer, il aurait amené une tenue plus appropriée! Les deux apprentis se firent face, attendant que le jeune homme aux cheveux rouges leur donne le signal. D'un mouvement de la main, le Chevalier d'Argent marqua le début de l'entrainement. Immédiatement, brûlants d'envie de montrer leurs attaques, les garçons enflammèrent leur cosmos, donnant littéralement tout ce qu'ils avaient dans la première seconde de l'entrainement.
Se concentrant d'abord sur le plus petit des deux, il remarqua que ses appuis n'étaient pas encore au point avant d'analyser son cosmos. Lumineux, certes, mais peut-être pas encore assez puissant. Froid, mais pas encore assez froid. Il passa au second et s'empêcha de faire la moue: sa position était meilleure, sa technique plus au point, ses appuis presque parfaits… Mais son cosmos était bien loin du zéro absolu qu'il devait pouvoir espérer atteindre un jour… Impossible de leur dire en face, de détruire les espoirs du plus grand et de donner trop d'espoir au second (qui avait paradoxalement plus de chances de remporter l'armure). Après tout, on ne lui avait pas demandé de donner de verdict, juste de leur donner des conseils pour mieux s'en sortir à l'avenir.
Nouveau mouvement de la main, la lutte s'interrompit. Les garçons lui jetèrent un regard à la fois inquiet et brillant, et il entreprit de les rassurer avec un doux sourire:
-Bien, vous vous débrouillez déjà bien, avec quelques années de perfectionnement vous serez encore plus aptes à remporter cette armure.
Voilà, subtil, dire la vérité en l'adoucissant d'un euphémisme sincère. C'était vrai, il espérait qu'avec quelques années de plus, ces garçons pourraient perfectionner leur condition physique et le froid de leur cosmos, mais il ne voulait pas non plus simplement les flatter et mentir. Conscients du double message que la phrase contenait, les apprentis hochèrent la tête et le plus grand fit un pas en avant:
-Nous allons faire de notre mieux, seigneur! Nous allons nous entrainer jusqu'à devenir dignes de l'armure!
Parfait, des garçons réalistes, honnêtes et travailleurs. Il y avait moyen d'en faire quelque chose. Ulysse hocha la tête et décroisa les bras:
-Travaillons un peu votre position, imitez mes mouvements, d'accord?
Mais à peine eut-il le temps de faire deux ou trois enchainements qu'un mouvement brusque le fit tiquer. Avec un cri à moitié étouffé, la jeune femme aux cheveux noirs venait de valser contre une colonne, la faisant tanguer dangereusement. Ulysse jeta un regard vers la gauche, là où la jeune femme blonde et son maître se précipitaient pour aider la vaincue, inconscients du danger que représentait la colonne fragilisée. Vif comme l'éclair, il se jeta en avant et leva la main:
-Diamond Dust!
La glace solidifia la colonne, fixant momentanément les deux morceaux qui menaçaient de se séparer. Inutile de prendre des risques, il fallait éloigner tout le monde:
-Reculez tous de cette zone, la colonne ne tiendra pas indéfiniment.
Expliqua-t-il en se redressant, soulevant dans ses bras la jeune femme défaite qui semblait évanouie au vu de son manque de réaction. Tous obéirent et s'éloignèrent de la zone pour reprendre leur entrainement. Comme il s'avançait vers les gradins, la jeune femme blonde et son maître se ruèrent vers lui, se confondant en excuses:
-Pardonnez-leur, Chevalier! Elles sont encore en apprentissage, elles ne contrôlent pas leur force! Allez, Ysolte, excuse-toi!
-Je suis navrée, Chevalier, je ne pensais pas à mal.
S'excusa la jeune femme en s'inclinant bien bas, mortifiée d'être la cause d'un tel remue-ménage. Ulysse esquissa un sourire et secoua la tête:
-Ne vous en faites pas, il faut bien s'entrainer, ce sont des choses qui arrivent. Pour quelle armure luttez-vous ainsi?
-L'armure d'Argent de l'Aurore, seigneur.
Ulysse hocha la tête, compréhensif, puis se tourna de nouveau vers l'homme qui s'occupait de l'entrainement des deux apprenties:
-Je vais la conduire à l'infirmerie, continuez votre entraînement.
-Oh mais seigneur Ulysse-…!
-Je vous en prie, c'est tout naturel, ne vous dérangez pas.
Il leur adressa un sourire rassurant et se détourna, calant le corps encore évanoui de la jeune femme contre lui. Elle semblait simplement sonnée, aucun réel dommage physique ne lui sautait aux yeux si bien que la visite à l'infirmerie ressemblait plus à une visite de courtoisie qu'à une véritable urgence. Néanmoins il ne voulait prendre aucun risque, autant l'emmener immédiatement voir un méd-… Revenant péniblement à elle, la jeune femme poussa un léger grognement et porta lentement la main à sa tête:
-Tout va bien, vous avez reçu un mauvais coup lors de votre entraînement. (La rassura-t-il) Je vous emmène simplement à l'infirmerie, avez-vous mal quelque part?
La jeune femme aux cheveux noirs ne répondit pas tout de suite, comme si elle n'avait pas encore tout à fait repris connaissance. Si bien qu'il crut bon de répéter:
-Mademoiselle, avez-vous mal quelque…
-Lâchez-moi.
-Pardon?
-Je vous ai dit de me lâcher!
-Mais arrêtez de vous…
Elle se dégagea violemment, allant presque jusqu'à le gratifier d'un violent coup qui lui fit perdre l'équilibre. Il trébucha et tomba en arrière, dévalant avec elle la légère pente qui menait à l'infirmerie des apprentis. Ils roulèrent sur le sol et il se redressa, des brins d'herbe coincés dans les cheveux et les sourcils froncés:
-Mais qu'est-ce qui vous prend, vous êtes malade?!
Dos à lui, la tresse presque défaite à cause de la chute, la jeune femme se tourna vers lui et lui adressa un regard brûlant de colère:
-Je n'ai pas besoin d'aide! J'aurais pu continuer de me battre!
-C'est ridicule vous étiez incon-… ciente…
Ulysse sentit ses joue s'enflammer quand il réalisa pleinement ce qu'il voyait. Quand il réalisa qu'il voyait nettement le regard ambré brûlant qu'elle lui jetait. Qu'il pouvait voir ses lèvres tordues en une grimace de colère. Qu'il pouvait voir son visage hâlé que quelques audacieux cheveux bouclés effleuraient à peine, comme si toucher cette peau était un sacrilège. Maintenant qu'il la voyait réellement, il réalisa qu'elle était plus âgée que sa taille ne le laissait présager, que cette expression mature et sérieuse ne convenait pas à une adolescente.
Subjugué par la beauté de la jeune femme et ébahi par le côté rocambolesque de la situation, il se rendit compte qu'il ne l'entendait pas parler, ou du moins qu'il l'entendait mais que les mots semblaient dénués de sens. Il ne pensait qu'à une chose, au fait que cette apprentie venait de lui dévoiler son visage. Et qu'elle ne l'avait clairement pas fait exprès au vu de sa réaction d'énervement envers lui. Avisant le masque à quelques centimètres de lui, distraitement, lentement comme pour éviter de l'effrayer, Ulysse le lui tendit sans parvenir à la quitter des yeux.
La jeune femme baissa les yeux vers le masque, releva la tête pour plonger dans ses yeux clairs, baissa de nouveau les yeux… Puis un éclair de lucidité éclaira son visage et elle se jeta sur lui, la main tendue en avant. Par pur réflexe, Ulysse lui agrippa le poignet avant que sa main n'atteigne sa gorge, avant qu'elle ne puisse le tuer pour le punir d'avoir osé poser les yeux sur son visage mis à nu. Il ne s'en était pas rendu compte tout de suite, n'avait pas immédiatement réalisé le danger qu'il courrait maintenant que cette règle avait été transgressée. Elle allait devoir le tuer, l'aimer ou le tuer. Et il était impossible qu'elle choisisse d'aimer un homme qu'elle n'avait jamais vu, un homme qui vivait en solitaire loin de tous et de tout.
Le souffle court, incapable de parler, il sentit son coeur s'emballer dans sa poitrine quand le vent chassa les longues mèches noires de son visage, quand les yeux ambrés de la jeune femme fixèrent les siens avec attention. Elle allait le tuer, elle allait le tuer et pourtant il ne parvenait pas à avoir peur. Suspendus dans ce moment hors du temps, ils restèrent ainsi, immobiles, pendant deux longues secondes. Deux secondes qui semblèrent durer une éternité. Puis, enfin, la jeune femme sembla hésiter et elle se ravisa. Elle se recula avec un soupir et se détourna, masquant de nouveau son visage à sa vue. Se saisissant de son masque, elle souffla, si bas qu'il ne l'entendit presque pas:
-N'en parlez à personne. Si personne n'est au courant, rien ne changera pour nous. Si vous parlez, je vous tuerai, est-ce clair?
Abasourdi, Ulysse hocha la tête:
-Bien sûr, personne n'en saura rien, ce n'était qu'un accident.
-Parfait.
Elle se leva et s'éloigna immédiatement, si rapidement qu'il crut qu'elle ne l'entendrait pas:
-Attendez!
Elle se figea et sa longue tresse noire s'immobilisa dans son dos. Les lèvres sèches, il déglutit péniblement et balbutia:
-Est-ce que… Est-ce que je peux au moins connaître votre nom?
Il y eut un long silence, si long qu'il crut qu'elle ne lui répondrait pas. Qu'elle s'éloignerait juste et qu'il ne la reverrait jamais plus. Puis, en un souffle, elle répondit, comme à regrets:
-…Calypso.
Puis elle reprit sa route, sans un regard en arrière, sans un mouvement d'hésitation. Le coeur battant, les joues aussi rouges que ses cheveux et les lèvres entrouvertes sous le coup de la surprise, Ulysse la regarda partir jusqu'à ce qu'elle disparaisse de sa vue. Incapable de se relever et de la poursuivre. Incapable de réaliser ce qui venait d'arriver. Son coeur manqua un battement quand un sourire étira légèrement ses lèvres:
Calypso.
Elle s'appelait Calypso.
Le retour chez lui se fit avec une lenteur calculée. A vrai dire, il était tellement perdu dans ses pensées qu'il manqua même de se tromper de chemin à plusieurs reprises. Il alla même jusqu'à trébucher lors de son ascension de la montagne. Et une fois la nuit tombée, il réalisa bien vite qu'il ne parvenait pas à s'endormir.
Ulysse se retourna une millième fois dans son lit mais renonça et se décida à se lever. Il ne fermerait pas l'oeil, inutile de lutter ainsi. Il enfila une tunique de lin et sortit sur le pas de la cabane qui l'abritait au sommet du mont Parnasse. L'air de la nuit était encore froid sur la montagne, et un nuage de buée s'échappa de ses lèvres quand il poussa un soupir et se laissa tomber sur le petit banc devant la cabane. Levant la tête vers le ciel, il chercha distraitement des yeux les constellations qui lui étaient familière, absolument pas victime de la température environnante.
Pourtant, un frisson lui secoua les épaules quand il se remémora les yeux ambrés de la jeune femme, de cette situation complètement folle dont il avait réussi à se sortir vivant. A vrai dire, il ne comprenait pas le choix de Calypso: elle aurait pu le tuer, elle aurait été "en droit" de le faire, en quelque sorte. Pourtant non, elle l'avait laissé vivre mais sans pour autant l'accepter à ses côtés. Ulysse était intrigué par ce caractère fragile qu'elle semblait dissimuler derrière une agressivité quasi aveugle.
C'était stupide, il ne la connaissait pas, ne savait rien d'elle, et pourtant il ne parvenait pas à arrêter d'y penser. C'était comme si, rien qu'en sentant son cosmos effleurer le sien, quelque chose s'était éveillé en lui. Quelque chose qui lui avait serré le coeur, qui avait murmuré dans son esprit que c'était elle. Qu'elle était celle qu'il attendait sans même s'en rendre compte. Ulysse passa une main gênée sur son visage: c'était ridicule, il avait vingt-quatre ans, était un Chevalier d'Athéna, vivait en solitaire depuis des années, n'avait jamais réellement pensé à ce genre de choses… Et voilà qu'un seul regard de cette jeune femme et il perdait complètement sa concentration.
-Mais qu'est-ce que je fais…
Soupira-t-il malgré lui. Le vent balaya le flan de la montagne, ébouriffa les feuilles dans les arbres, secoua ses cheveux, et lui répondit en un murmure: "Retourne au Sanctuaire". Réponse simple, sincère, efficace. Il esquissa un sourire, parfaitement conscient du rire amusé de son armure quand elle lui avait soufflé ce message: elle aussi semblait avoir besoin de se ressourcer un peu, de passer quelques semaines au Sanctuaire entourées de ses soeurs. Ulysse se leva, s'étira, et s'affaira pour rassembler ses affaires, certain qu'il ne parviendrait pas à se rendormir, adressant un coup de coude mental à son armure:
-Bonne idée.
Quoique surpris de le voir rentrer si vite au Sanctuaire, le Pope lui concéda une place dans le baraquement des Chevaliers d'Argent avec un petit sourire en coin, comme s'il savait parfaitement que l'excuse des apprentis qu'il voulait aider ne tenait pas la route. Comme s'il était déjà au courant de tous les sentiments qui agitaient son coeur. A peine prit il le temps de déposer ses biens dans sa petite chambre, il s'empressa de se diriger vers les arènes d'entrainement, le coeur battant, légèrement inquiet de la réaction de la jeune femme mais ravi d'avoir suivi le conseil de son armure (et de son propre coeur).
Elle était bien là. Fouettant l'air de ses poings, luttant avec sa soeur d'armes sous l'oeil attentif de leur maître. Ulysse inspira et souffla pour s'auto encourager, puis il descendit les marches de l'arène, se dirigeant vers les deux apprentis qui lui servaient d'alibi (et qui en étaient ravis), faisant attention à ne pas du tout jeter un regard à Calypso avant de s'être arrêté près des garçons. Alors seulement il s'autorisa un léger coup d'oeil. Juste à temps pour la voir légèrement tiquer en le reconnaissant. Juste ce qu'il fallait pour que son coeur s'emballe de nouveau. La jeune femme se détourna vivement, les poings soudain serrés.
Se concentrer sur l'entrainement était un calvaire, combien de fois répéta-t-il le même conseil aux deux garçons? Combien de fois dut-il lutter pour ne pas regarder Calypso se battre? Il était soulagé que les apprentis aient la politesse de ne pas le lui faire remarquer, et il leur en était reconnaissant. Dès que l'entraînement des deux jeunes femmes prit fin, Ulysse les suivit des yeux alors qu'elles s'éloignaient vers les baraquements des apprenties. Et quand il vit Calypso bifurquer il hocha la tête: il n'allait pas commencer à la suivre partout, c'était ridicule et ça allait la mettre horriblement mal à l'aise. De toute façon, que pourrait-il lui dire? "Tiens salut! C'est fou comme on se retrouve! Alors, toujours ok pour m'épargner?", non, stupide. Il fallait faire mieux que ça.
$s$s$s$
Son entrainement en solitaire terminé, Calypso poussa la porte de son baraquement et ôta le lien de cuir qui retenait ses cheveux, passant la main dans sa nuque encore perlante de sueur. Elle devina les regards de plusieurs apprenties, entendit même quelques petits rires complices et amusés… Elle fronça les sourcils et comme elle se dirigeait vers son lit quand Ysolte, assise sur le sien, lui adressa un petit signe de la tête, le corps tendu comme la corde d'un arc, un sourire lumineux dans la voix:
-Tu rentres tard, tu t'entrainais?
-Il faut bien.
Grommela Calypso en se laissant tomber sur son lit. Avisant l'attitude presque impatiente de sa soeur d'armes et rivale, elle grogna:
-Quoi?
Ysolte désigna la table de nuit d'un geste du menton, et quand Calypso tourna la tête ce fut pour se retrouver face à un petit bouquet de fleurs sauvages. Un petit bouquet fait maladroitement mais avec sérieux (paradoxalement). Elle fronça un peu plus les sourcils, passa du bouquet à Ysolte, hésita:
-C'est toi?
-Quoi moi?
-C'est toi qui a fait ce bouquet et qui me… L'offre?
La jeune femme blonde secoua la tête sans que sa voix ne perde son ton exalté:
-C'est Ulysse de Cristal qui est venu frapper à la porte et a demandé à déposer ce bouquet pour toi. Tu sais, celui qui était dans l'arène et qui t'a amenée jusqu'à l'infirmerie. (Elle lui adressa un clin d'oeil complice) Tu n'aurais pas oublié de me parler de ton prétendant?
Calypso sentit un noeud se former dans son ventre et elle se sentit pâlir:
-Quoi? Qui ça?
-Oh allez, pas de ça avec moi! Grand, yeux bleus, cheveux rouges, difficile de le rater! Ca fait combien de temps, petite cachotière?
Elle pouvait presque voir les yeux pétillants de sa soeur d'armes et son large sourire ravi comme elle parlait, et elle-même fut sincèrement soulagée que son propre masque dissimule ses émotions quand elle se leva d'un bond, les poings serrés:
-Navrée de vous décevoir, toi et ta curiosité mal placée, mais tu te trompes: il n'y a absolument rien entre ce pâle type et moi.
-Et les fleurs, tu m'expliques?
-Il a dû se tromper de personne, ne joue pas l'imbécile, que veux-tu que je te dise?
La jeune femme blonde s'allongea sur le ventre, le menton calé dans ses paumes:
-Que tu lui as manifestement tapé dans l'oeil, je n'arrive juste pas à savoir si c'est métaphorique ou non.
Calypso se saisit de son coussin et le lui lança violemment:
-Tu fais chier, arrête avec ce sourire narquois!
-Tu ne peux pas savoir s'il est narquois ou content pour toi! (Fit mine de s'insurger Ysolte en rattrapant le coussin in extremis) D'accord, je ne t'ennuierai plus avec ça, je voulais juste qu'on partage un moment sympa et complice!
Elle lui relança le coussin et Calypso se saisit du petit bouquet avec la ferme intention de le balancer dehors sans plus attendre. Mais, la voix soudain plus sérieuse, Ysolte ajouta plus bas:
-Il a dit qu'il attendrait "là où tu savais" jusqu'à minuit au cas où tu accepterais de le voir.
-Je ne veux pas le voir, je ne veux rien à voir avec ce type, je ne le connais même pas!
La jeune femme blonde haussa les épaules et ôta son serre-tête pour passer une main faussement indifférente dans ses cheveux:
-Oh tu sais je disais juste ça au cas où tu aurais envie de lui dire merci. Ou de te laisser tranquille.
Son ton s'était presque durci, comme pour montrer que bien que la situation l'amusait, elle était prête à sortir les griffes si son amie estimait qu'Ulysse dépassait les limites. Calypso poussa un soupir puis se dirigea directement vers la porte:
-Ne t'en fais pas, je peux me débrouiller toute seule. Merci.
-Avec plaisir.
La jeune femme fit craquer ses omoplates et referma la porte derrière elle. Elle se dirigea d'un pas décidé vers l'infirmerie et aperçut bien vite l'homme aux cheveux rouges faire les cent pas, hésiter, se parler à lui-même, regarder la hauteur de la lune dans le ciel, faire mine de s'éloigner, revenir en arrière,… Et malgré elle, Calypso sentit qu'elle manquait d'esquisser un sourire à la fois moqueur et amusé: elle avait décidément fière allure, la Chevalerie d'Athéna, à douter ainsi du comportement à avoir. Elle s'avança d'un pas et croisa les bras en déclarant d'une voix sévère:
-Je croyais pourtant avoir été claire.
Ulysse sursauta violemment, se tourna vers elle et, le visage aussi rouge que ses cheveux, se mit à balbutier:
-Oh, oui je sais, je ne voulais pas, je voulais juste… (Il chercha péniblement ses mots puis désigna le bouquet des mains) Je voulais m'excuser pour la dernière fois, voilà!
Elle remarqua qu'elle avait en effet gardé le petit présent en main et elle le lui jeta d'un mouvement décidé:
-Je n'ai pas besoin d'excuses, ni de bouquets dignes d'un enfant de cinq ans.
Ulysse rattrapa maladroitement le petit arrangement de fleurs, le visage soudain livide, horrifié que cette attention soit si mal reçue:
-C'est que… Vous aviez l'air tellement en colère, je… Je tenais simplement à me faire pardonner… Et j'ai cru que cela vous…
-Hé bien vous avez mal cru. Il n'y a rien à pardonner. (Comme il faisait mine de parler, elle leva la main) Arrêtons immédiatement cette mascarade: vous êtes ici pour autre chose, et je ne peux vous le donner. Je vais vous demander encore une fois de me laisser tranquille, il n'y aura pas de prochaine chance, est-ce clair?
Elle se détourna, mais il s'écria soudain:
-Non, Calypso, attendez! Ce n'est pas ce que vous croyez! Je ne demande rien du tout, je ne veux rien de vous! Je voulais juste… (Il rougit violemment, baissa les yeux puis parvint à relever la tête de nouveau) Je voulais juste vous revoir. Et vous parler.
Son cri d'effroi s'était mué en murmure, si bas qu'elle ne l'entendit presque pas. Elle aurait dû partir, le laisser en plan avec son bouquet ridicule et ne pas se retourner. Il n'était rien pour elle, il cherchait certainement une seule chose, il ne valait rien, était faible et incertain,… Et pourtant, Calypso ne put s'éloigner d'avantage. Quelque chose dans la voix, dans les yeux, dans les mains tremblantes et hésitantes d'Ulysse l'en empêchait. Quelque chose qui lui était inconnu. Une forme de tendresse et d'attachement soudain. Un attachement sincère, plus sincère que tout ce qu'elle avait pu voir. Alors elle s'arrêta et se retourna à demi:
-De quoi voulez-vous parler, Chevalier? Je crains que rien ne nous le permette.
-Hé bien… Nous pourrions… Enfin, si vous êtes d'accord, nous pourrions juste apprendre à mieux nous connaître? J'adorerais en savoir plus sur vous.
La jeune femme plissa les yeux, essaya d'analyser les paroles et l'attitude de l'homme qui lui faisait face, essayant de déceler une faille, un signe qui prouverait ses mauvaises intentions envers elle… N'en trouva aucune et manqua de se noyer dans ses orbes bleues claires… Elle soupira et s'avança vers lui pour s'assoir contre un arbre:
-Que voulez-vous donc savoir?
Ulysse s'assit à une distance plus que raisonnable d'elle, les mains toujours serrées sur le petit bouquet comme s'il avait peur de le lâcher. Malgré elle, elle ne put retenir un sourire - savamment caché derrière son masque - face à cette image plus que cocasse de ce grand homme s'accrochant à des fleurs des champs comme si sa vie en dépendait, le visage hésitant entre une soudaine timidité et un soulagement paradoxalement paisible:
-Tout ce que vous accepterez de me dire. (Bon, il ne l'aidait vraiment vraiment pas avec ce genre de réponse, il s'en rendait bien compte.) Depuis quand êtes-vous ici, au Sanctuaire?
Calypso haussa les épaules:
-Je suis ici depuis mes six ans.
-Et vous en avez?
-Vous ne savez donc pas que cela ne se fait pas de demander son âge à une femme?
Elle ne se reprocha même pas cette pique volontaire, s'amusant du regard de nouveau horrifié d'Ulysse qui secoua la main:
-Oh désolé, je ne voulais pas…
-Inutile de s'effrayer, c'était de l'humour. J'ai vingt ans.
Le coupa-t-elle sans un seul sourire dans la voix. Ulysse se figea un moment, puis il poussa un petit rire qui la fit se refermer immédiatement:
-Quoi? (Aboya-t-elle) Qu'est-ce qu'il y a de drôle?
-Désolé, c'est juste que je dois vraiment vous sembler ridicule et pitoyable. (S'expliqua le Chevalier de Cristal) Figurez-vous que je n'ai jamais été aussi nerveux de toute ma vie, même le combat pour l'armure c'était rien comparé à ça.
Termina-t-il, un large sourire rempli d'autodérision sur les lèvres. Calypso tiqua, surprise de l'assurance avec laquelle il avait simplement avoué sa nervosité à la simple idée de lui parler. Peut-être touchée par sa sincérité quasi enfantine. Mais elle ne laissa rien paraître et grogna en faisant mine de se relever, peut-être plus pour fuir son propre léger malaise soudain:
-Je suis ravie de voir qu'une simple apprentie comme moi parvienne à vous impressionner, sur ce, bonne soirée à vous.
Elle se figea: il s'était à peine redressé, avait effleuré sa main du bout des doigts, presque rien, juste ce qu'il fallait pour qu'elle s'arrête comme s'il l'avait physiquement arrêtée:
-Seriez-vous d'accord de tout reprendre depuis le début? De faire ça correctement?
-Pardon?
Ulysse lui sourit, avec une simplicité renversante, et il ouvrit la main en la lui tendant:
-Je suis Ulysse de Cristal, enchanté de vous rencontrer.
Elle hésita, fixa cette paume un long moment, plongea dans ses yeux si clairs et si paisibles. Elle devait avouer qu'en plus de cette attitude à la fois confiante et respectueuse, il n'était pas des plus repoussants, non. Peut-être le genre de garçon qu'elle aurait aimé rencontrer si elle n'avait pas choisi de devenir Chevalier. Mais après tout, que pouvait-il lui arriver si elle acceptait? Et elle saisit doucement la main qu'il lui tendait patiemment, comme si elle pouvait la bruler ou, au contraire, la geler sur place:
-Calypso, ravie de faire votre connaissance, Chevalier.
-Je vous en prie, appelez-moi Ulysse.
-A condition que vous arrêtiez de me vouvoyer, c'est épuisant.
Son sourire s'agrandit légèrement et il hocha la tête:
-D'accord, mais uniquement si vous faites de même.
-Ca marche.
A vrai dire, elle était surprise…
Sa main était étonnamment chaude…
Quand, deux heures plus tard, elle referma discrètement la porte du baraquement des apprenties derrière elle, Calypso se rendit compte qu'elle avait gardé le bouquet qu'il lui avait rendu en fin de soirée.
$s$s$s$
Se retrouver pour son entrainement personnel était devenu une habitude depuis ce jour.
Quand elle terminait sa journée d'entrainement et quand il terminait de former les deux jeunes apprentis, ils se retrouvaient dans la clairière où Calypso s'entrainait seule après le souper. Au bout de quelques semaines de rendez-vous nocturnes sur la colline de l'infirmerie, elle avait fini par lui montrer cet endroit. Après avoir longtemps hésité et rechigné, elle avait choisi de partager avec lui cet endroit que même Ysolte ne connaissait pas.
A vrai dire, c'était lui qui avait proposé de l'aider à s'entraîner, c'était lui qui gardait cette distance raisonnable entre eux grâce à la barrière de son apprentissage à elle. Jamais il n'avait eu une parole ou un geste déplacé, toujours il revenait avec un petit bouquet de fleurs malgré l'agacement qu'elle laissait entendre quand elle s'en saisissait à contre coeur. Pour une fois, elle avait l'impression qu'elle ne devait peut-être plus être sur ses gardes. Cela faisait presque quatre mois que cette routine continuait, qu'il n'avait plus eu de missions, comme si le Pope savait qu'il avait besoin d'un peu de temps.
Il l'entrainait calmement, soulignant quelques erreurs techniques, l'aidant à améliorer ses points forts. Et quand ils se battaient ainsi ou quand elle luttait, dansait seule, ils n'échangeaient plus une seule parole, restant simplement concentrés sur l'apprentissage et les progrès qu'elle faisait. Ils parlaient après, quand elle finissait par se laisser tomber assise sur un tronc d'arbres pour boire et essuyer sa nuque perlante de sueur. Alors, quand elle détachait ses cheveux, Ulysse savait qu'elle signait indirectement la fin de la séance. Jamais il n'avait voulu lui demander quand s'arrêter, lui dire que c'en était assez pour aujourd'hui. Elle aurait détesté ça, elle aurait cru qu'il la croyait faible. Mais jamais Calypso ne disait verbalement qu'elle était fatiguée, que c'en était assez. Ces quelques gestes étaient devenus leur accord tacite, le signe muet que l'entrainement était terminé pour aujourd'hui.
Alors seulement il s'asseyait à côté d'elle - toujours à une distance raisonnable - et alors seulement ils se remettaient à parler, à reprendre la conversation là où ils l'avaient arrêtée la veille.
-Tu as vraiment fait des progrès, tu peux être fière de toi.
Calypso poussa un soupir irrité et flanqua rageusement sa serviette d'entrainement sur le tronc en levant le visage vers le ciel comme pour y chercher un peu de fraicheur:
-A quoi bon, puisque je ne serai jamais aussi forte qu'Ysolte?!
Il savait que c'était un sujet sensible, qu'il suffisait d'un rien pour qu'elle se lève d'un bond et le laisse en plan en lui hurlant dessus, en disant qu'il était stupide et ne comprenait rien. Alors il se tut, ne rajouta rien, attendit qu'elle reprenne la conversation si elle ne avait envie. Calypso poussa un soupir et souffla, presque sur le ton de la confidence:
-Au fond… Je l'ai toujours su…
-C'est faux, tu ne dois pas te dénigrer ainsi.
-C'est vrai, je sais bien que je ne serai jamais aussi forte qu'elle, que jamais je ne remporterai l'armure de l'Aurore… (Elle laissa échapper un soupir rieur qui sonna jaune) Je n'aurais jamais dû venir ici, je le savais pourtant…
-Ne dis pas ça, tu sais bien que tu es une personne forte, Calypso.
-Peut-être, mais pas assez pour porter une armure.
Ulysse sembla hésiter, leva la main… Puis renonça à effleurer la sienne:
-Moi je crois en toi.
-Ce n'est pas suffisant. Au fond même moi je sais que je ne suis pas satisfaite de ce destin, que je n'ai jamais vraiment voulu de tout ça.
Termina-t-elle en englobant la vue d'un large mouvement du bras. Ulysse écoutait patiemment, jugeant inutile d'intervenir tout de suite, conscient qu'un seul mot de travers risquait de la frustrer sans véritable raison. Mais même ce côté susceptible, ces sautes d'humeur, il ne pouvait s'en passer. Il ne se voilait même plus la face: si elle ne voulait rien de lui, il était simplement prêt à l'adorer, la vénérer comme une déesse vivante. Il n'oserait sans doute jamais dire clairement ce que toutes ces attentions signifiaient, mais ce n'était pas grave. Cette simple situation lui suffisait. Seulement pouvoir être avec elle et l'écouter parler. Ce simple privilège était suffisant.
Elle poussa un petit rire:
-Je n'avais jamais dit ça à personne.
-Pourquoi?
-Parce qu'ils ne comprendraient pas, évidemment. (Répondit-elle comme s'il s'agissait d'une évidence) C'est l'un des plus grands honneurs de ce monde, et si je disais que je n'en veux pas, personne ne pourrit simplement comprendre que ce n'est juste pas mon destin.
Ulysse hésita un instant puis osa:
-Moi je te comprends.
-Non, tu ne comprends pas: tu es un Chevalier, d'Argent d'autant plus. Tu vis pour Athéna, tu te bats pour elle, tu es prêt à mourir pour elle, tu ne peux pas comprendre que je ne veuille pas réellement de ce destin, que je m'entraine pour essayer de me convaincre moi-même que je veux cette armure. Tu ne peux pas comprendre parce que tu n'es pas moi et parce que tu es toi, avec cette position, cette armure, ce rang. (Elle soupira rageusement et fit mine de se lever) Je ne sais même pas pourquoi je te parle de ça.
Calypso se leva et s'éloigna d'un pas rageur, comme elle le faisait souvent quand elle décidait que la soirée était ruinée. Ulysse la suivit de loin:
-Dis-moi si je me trompe: tu es lasse, fatiguée de ce mode de vie,…
-Et pourtant je continue.
-Parce que tu as peur de ce que te réserve la suite, parce que tu ne sais pas où est ta vraie place si elle n'est pas ici.
Elle s'arrêta et se retourna, et même sans voir son visage, Ulysse savait qu'elle devait le foudroyer du regard. Elle pointa un doigt accusateur vers lui:
-Tu ne sais rien. Tu ne peux pas comprendre ce que je ressens, tu ne le peux pas. Alors arrête avec ce ton condescendant et ce petit jeu de "on est pareil en fait", parce que c'est faux. Tu as ta place ici, moi je n'ai de place nulle part.
Ulysse s'empêcha de faire la moue, pas tout à fait certain de la manière dont il devait réagir face à cette nouvelle vague d'agressivité soudaine. Faire front et hausser la voix ne servirait à rien - et d'ailleurs ce n'était pas son genre - mais la conforter dans ses idées n'était pas la bonne démarche à suivre non plus. Il leva les mains pour essayer de l'apaiser:
-Ecoute, je veux juste essayer de t'aider à te sentir mieux. Peut-être pourrais-tu en parler à ton maître?
-Et lui dire quoi? Que j'en ai rien a faire de la chevalerie?! Que je ne vaux rien et que je le sais très bien?!
-Non, juste que tu ne te sens pas à ta place ici.
Elle renifla comme pour étouffer une imprécation:
-Mais quelle merveilleuse idée, je suis sûre qu'il m'aidera à la trouver ma place!
-Il y a d'autres moyens de servir Athéna et…
-Je m'en contrefiche d'Athéna! (Hurla-t-elle enfin) Je n'ai jamais voulu me retrouver ici, je n'en peux rien si mon père était un Chevalier lambda et m'a refilé cette saloperie de cosmos!
Il cligna des yeux, choqué qu'elle hausse aussi soudainement le ton et surpris qu'elle révèle ses véritables pensées, elle qui s'entrainait pourtant pendant des heures et des heures depuis des années. Pourtant il ne ressentait aucune colère, aucun sentiment de trahison. C'était donc ce qu'elle cachait sous ce masque, sous cette attitude. Il lui prit la main sans vraiment s'en rendre compte:
-Calypso, ce n'est pas…
-Arrête avec cet air, c'est infernal! (Gronda-t-elle en se dégageant violemment) Tais-toi, ne dis plus rien! Et laisse-moi tranquille!
-Je ne peux pas te laisser seule dans un moment pareil.
-Laisse-moi!
Sa voix s'étouffa dans sa gorge quand les bras d'Ulysse se refermèrent dans son dos, quand il la serra contre lui avec assez de force pour lui faire comprendre qu'il la soutenait, mais avec juste assez de place pour qu'elle puisse se dégager si elle en avait envie. Elle était tellement surprise, c'était tellement inattendu qu'elle n'essaya même pas de bouger, restant simplement complètement tendue contre lui, incapable de savoir comment réagir:
-Tu ne fais rien de mal, ce n'est pas ta faute. Tout va bien se passer, nous allons réfléchir ensemble et trouver une solution. Mais s'il te plait, arrête de dire que tu ne vaux rien, arrête de dire toutes ces choses sur toi-même. S'il te plait.
Il y eut un long silence immobile, brisé par le grognement qu'elle laissa échapper en le repoussant violemment, si fort qu'il manqua presque de faire un pas en arrière:
-Arrête! Laisse-moi!
Il s'immobilisa, soufflé, quand le cosmos de Calypso gonfla légèrement face à lui, une menace, la preuve qu'elle n'hésiterais pas à l'attaquer. Ulysse leva de nouveau les mains:
-S'il te plait, calme-toi, personne ne t'en veut, personne n'est en colère contre toi donc tu n'as pas de raison de t'énerver. Je veux juste t'aider et te…
-Approche-toi encore une seule fois de moi et cette fois je te tuerai. (Feula-t-elle en pointant l'index vers lui) Est-ce que c'est clair?
C'était comme si elle l'avait giflé, comme si tout ce qu'ils avaient vécu, ces entrainements, ces moments de complicité, ne voulaient rien dire pour elle, ne signifiaient rien à ses yeux. Comme si elle l'avait utilisé pour simplement essayer de s'améliorer et que maintenant qu'il était au courant de son secret elle ne voulait plus de lui ni de son aide. Le souffle presque coupé, il fit mine de parler, d'essayer de se rattraper, puis pinça les lèvres et fit un pas désolé en arrière:
-Désolé… Je ne t'importunerai plus si c'est ce que tu souhaites.
-Va-t-en.
Ulysse grinça des dents et fit volte face, le coeur battant à la fois de colère et de déception. Calypso le regarda s'éloigner en serrant les poings. Elle ravala la vague de sanglots qui menaçait de la submerger et s'en fut dans la direction opposée d'un pas décidé:
-J'ai tout gâché…
Ulysse claqua la porte derrière lui de son baraquement provisoire, sa Pandore Box sur le dos, en s'empêchant de gronder sous le coup de l'énervement. Il ne comprenait plus rien, rien du tout. Ce n'était pas la première fois qu'elle s'énervait sans raison valable, ce n'était pas la première fois qu'elle lui disait de partir,… Mais pour la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés, elle avait menacé de le tuer. Avant manqué de l'attaquer. Elle avait effacé en une seconde, en un mot, toute la complicité et amitié qu'ils avaient péniblement construit au bout de ces quelques mois. Il avait essayé, il avait montré son intérêt, son attachement, et s'était simplement pris une porte dans la face. Il n'avait plus rien à faire ici, il aurait dû rester au Mont Parnasse plutôt que de revenir au Sanctuaire. Quelle erreur et quelle perte de temps!
Il retint une imprécation et alla signaler son départ au Pope qui profita de sa présence pour lui confier une mission. Rien de bien grave ni dangereux, juste quelques interrogations auxquelles il souhaitait obtenir des réponses. Malgré lui, Ulysse se sentit presque soulagé de quitter le Sanctuaire, délaisser son agitation derrière lui et de pouvoir se retrouver enfin seul avec lui-même. Seul avec ses pensées et son armure. Seul, comme il l'avait toujours été. Il en avait eu assez de l'espère humaine pendant un petit moment et comptait bien sur cette mission pour se changer les idées et calmer sa colère et sa déception.
La mission en Espagne n'était en effet pas dangereuse et ne comportait aucune réelle menace. A vrai dire il s'agissait presque d'une fausse alerte. Quand il était arrivé à Santander, il avait compris que la tension qui régnait dans la ville portuaire était simplement liée au commerce des différents produits importés de ces mystérieuses colonies venant d'un autre continent, ce Nouveau Monde qui continuait toujours d'intriguer et de fasciner les foules, même quatre siècles après sa découverte première. On racontait tant de choses sur ces tribus, sur ces mythes,… Tant de religions qui faisaient parfois presque écho à celles présentes en Europe et sans doute un peu partout ailleurs.
Le seul mystère provenait d'un marchand qui expliquait avoir aperçu des créatures magiques, voire même des démons là-bas, en Amérique centrale. Un grand serpent blanc ailé et nimbé de lumière luttant avec un jaguar noir comme la nuit. Après l'avoir interrogé, Ulysse en conclut avec quasi certitude que - si divinités ils étaient - ces personnages n'étaient pas liés à Hadès ni aux Enfers. Les troupes d'Athéna ne risquaient rien et n'avaient pas à se mêler d'histoires concernant d'autres divinités. Il valait mieux éviter de s'attirer leur éventuel courroux et les laisser régler leurs histoires entre eux.
Ulysse prit son temps pour regagner la Grèce: puisqu'il avait fait l'aller en bateau, il voulait profiter du retour pour se dégourdir les jambes, voir du pays. On disait de Madrid que c'était une ville magnifique, mais peut-être encore un peu risquée pour lui avec cette Inquisition qui était toujours de mise. Et avec une armure sur le dos, c'était inutilement risqué. Tant pis pour Madrid, il passerait simplement par la France, l'Italie,… Il passa plusieurs jours à Toulouse**, s'établit à Montpellier pour quelques jours, rejoignit Milan, relia Bologne à Florence, fit d'Otranto sa dernière étape - il mit plus de temps avant de se décider à repartir tant l'endroit le charmait - puis repris le bateau vers la Grèce, ravi d'avoir vu tant de choses, apaisé d'avoir voyagé ainsi dans tant d'endroits magnifiques et de s'être retrouvé seul avec lui-même.
Son retour au Sanctuaire au bout de presque un an d'absence se fit sans problèmes, et comme il terminait de faire son rapport au Grand Pope, on lui offrit de demeurer encore quelques jours sur place avant de retourner au Mont Parnasse, prétextant que ce long voyage devait l'avoir fatigué. Il aurait pu facilement regagner sa cabane sur la montagne mais il décida d'accepter afin de prodiguer d'ultimes conseils aux deux apprentis qui visaient l'armure du Cygne.
Comme prévu, il les retrouva aux arènes. Et comme il aurait dû s'y attendre, Ysolte et Calypso s'entrainaient aussi. Et malgré ces huit mois de voyage et de solitude, de réflexion et d'envie de tourner la page, quand il aperçut de nouveau la silhouette de la jeune femme, il sentit son coeur se serrer dans sa poitrine, à la fois de légère colère à peine vivace, de gène, d'incertitude et de nostalgie déçue. Mais il se secoua et parvint à ne pas lui adresser un regard, à faire comme si de rien était. A se focaliser entièrement sur ces apprentis qui avaient besoin d'être guidés encore un moment. Après tout, il devait respecter sa décision et sa demande: elle voulait qu'il la laisse tranquille? Parfait, il obéirait et l'éviterait, ne l'approcherait plus, ne lui adresserait plus la parole. C'était la meilleure façon pour lui aussi de guérir.
Mais à la fin de l'entraînement, alors qu'il se saisissait d'une gourde, il rattrapa in extremis une serviette qui lui était lancée droit sur le visage. Il releva la tête en fronçant un sourcil intrigué puis se figea: Calypso était debout à quelques marches de lui, le visage tourné vers lui avec une insistance rare. Ulysse s'empêcha de tiquer quand elle lui adressa un petit signe de la main. Un signe qui signifiait qu'elle voulait le voir, qu'il la rejoigne à leur lieu de rendez-vous habituel ce soir. Avant qu'il n'ait eut le temps de réagir, elle s'était déjà éloignée d'un pas décidé.
Il se laissa tomber sur les gradins en poussant un soupir las et en passant une main incertaine sur son visage: et quoi encore? Il n'allait pas y aller, non, il en avait eu assez des caprices qu'elle faisait sans raisons. Il avait essayé, mais maintenant il avait tourné la page. Il était temps de tourner la page. Que croyait-elle? Qu'elle pouvait le siffler ainsi comme un bon toutou et qu'il allait revenir illico presto? C'était elle qui lui avait dit de partir après tout, n'était-elle donc pas satisfaite?
Pourtant, une petite voix soufflait dans sa tête qu'elle souhaitait peut-être s'excuser, essayer de repartir sur de bonnes bases? Peut-être était-ce la meilleure chose à faire? La retrouver ce soir, accepter ses excuses et leur permettre de se quitter en bons amis sans autres problèmes, oui ce n'était peut-être pas si mal. Et puis, même s'il maudissait ce petit pincement au coeur qui l'avait pris quand elle l'avait regardé, il devait avouer qu'il était heureux d'avoir eu droit à son attention.
Ulysse se morigéna mentalement et se leva en secouant la tête, légèrement irrité d'être encore aussi dépendant après avoir passé autant de temps loin du Sanctuaire. Mais quand le soir vint, il avait pris une décision: rester distant, ne plus tendre le bâton pour être frappé, accepter les excuses, rester amis mais limiter les contacts pour ne plus retourner le couteau dans la plaie.
Le soir était tombé depuis deux bonnes heures quand il parvint à la clairière, la tête froide et les idées claires. Calypso était déjà là et s'entrainait avec plus de violence qu'il n'en avait jamais vu en elle. Les bras croisés, il s'adossa calmement à un arbre, attendant simplement qu'elle ait terminé et accepte enfin de lui adresser la parole. En profitant pour la regarder danser avec le vent, cette jeune femme pour qui son coeur battait encore un peu trop fort. Mais comme il pensait qu'elle ne l'avait pas entendu, elle poussa un véritable grognement:
-Tu es gonflé de venir ici après autant de temps.
Ulysse fronça les sourcils:
-Je suis venu parce que tu m'as demandé de venir. Alors dis-moi ce que tu as à dire et je partirai, je ne t'importunerai plus.
Calypso s'immobilisa et se tourna vers lui, et même sans voir ses yeux il sut qu'elle devait le foudroyer du regard:
-Tu sais très bien pourquoi.
-Je m'en doute.
-Alors j'espère que tu sais que j'attends également des excuses.
Il tiqua et se redressa de toute sa taille, le visage légèrement assombri:
-Pardon? D'où est-ce que moi je devrais m'excuser?
-Tu m'as laissée en plan pendant presque un an, ça mérite quelques paroles, non?
Ulysse cligna des yeux ébahis puis laissa échapper un semblant d'éclat de rire choqué:
-Ok, on arrête: tu te moques de moi? (Il la pointa du doigt et fit un pas en avant) C'est toi qui m'a dit de partir, toi qui m'a dit que si je revenais vers toi tu n'hésiterais pas à me tuer!
-Et ça a suffit pour te faire reculer, quel homme tu fais!
-Mais je rêve! (S'exclama-t-il en levant les bras au ciel) Tu m'as dit de te laisser tranquille et j'ai obéi pour te laisser en paix, pour ne pas t'importuner davantage!
Elle poussa une sorte de reniflement irrité:
-Tu ne comprends rien à rien. Je perds mon temps avec toi.
Mais comme elle faisait mine de s'en aller, il l'attrapa vivement par le poignet pour l'arrêter:
-Ok, ça suffit. Si tu ne veux pas t'excuser, tu vas au moins me laisser parler. Après tu feras ce que tu voudras mais d'abord tu vas m'écouter. Les moments passés ici avec toi étaient les plus beaux de ma vie, mais quand tu m'as demandé de partir j'ai mis mes propres sentiments de côté pour te respecter, toi et ton souhait.
-Parce que tu es un lâche qui abandonne trop vite.
-Parce que je ne voulais pas t'importuner, t'imposer la présence d'un homme que manifestement tu méprises de toute ton âme! (Il inspira profondément pour essayer de se calmer) Mais si ça n'avait tenu qu'à moi, s'il n'y avait pas eu cette mission, si tu ne m'avais pas demandé de te laisser, sache que je n'aurais pas pu être plus heureux qu'en restant à tes cotés. Mais je ne savais pas que ma présence te dérangeait autant, ce n'était pas mon intention, loin de là.
Il sentit qu'elle s'était légèrement tendue, comme si elle se rendait compte des paroles qu'il risquait de prononcer:
-Je ne sais juste plus quoi faire… Depuis ce premier jour - le tout premier - je n'arrête pas de penser à toi. A ce que tu as fait pour moi malgré la situation. (Ulysse s'assura que son visage était bien tourné vers lui et il sentit que son propre masque de colère se fissurait, remplacé par la sincérité tendre) Tu m'as épargné alors que j'avais vu ton visage, tu as choisi de me laisser vivre, pourquoi?
Calypso sembla hésiter mais ne baissa pas la tête, sembla soutenir son regard:
-Je ne sais pas.
Il sentit toutes ses belles résolutions s'effondrer quand il comprit qu'il ne pourrait pas simplement se contenter de cette réponse. Qu'il avait besoin de savoir, mais qu'il avait surtout besoin de dire tout haut ce qui le hantait depuis cette première rencontre et qui ne l'avait jamais quitté depuis. S'il voulait se libérer, il devait parler, se lancer:
-Je ne veux pas m'imposer. Je ne veux pas te mettre mal à l'aise. Je ne veux que ton bonheur. Alors si tu veux vraiment que je m'en aille, je n'attends qu'un seul mot de toi, une seule parole. Maintenant.
Aucun mot ne franchit ses lèvres avant une longue seconde, et sa voix moqueuse semblait légèrement tremblement:
-C'est ridicule, cette mise en scène est stupide, je viens de te le dire.
-Alors ça ne te coutera rien de me demander encore une fois de partir et de ne plus jamais revenir.
Silence, brisé par le léger mouvement qu'elle fit en se détournant. Mais elle ne répondit plus, ne dit rien de plus pour lui demander de partir ou de rester. Le coeur serré malgré lui et les joues rougies par l'audace et l'émotion alors que les mots s'échappaient seuls de ses lèvres, Ulysse délaissa son poignet pour se concentrer sur sa main seulement, la serrant doucement dans la sienne:
-Calypso, accepterais-tu de me choisir? M'accepterais-tu pour partager ta vie?
-Tu dis n'importe quoi.
Grogna-t-elle sans pourtant faire mine de se dégager:
-Un seul mot, oui ou non. Je n'attends que cette réponse. (Puis, déterminé à lui laisser voir la porte de sortie qu'il lui laissait, il ajouta) Tu as le droit de refuser, je l'accepterais.
Silence de nouveau, plus lourd. Et comme son visage n'était plus tourné vers lui, il s'enhardit et alla effleurer la joue de son masque en murmurant:
-Tu me hais donc à ce point?
Elle lui agrippa le poignet avec une rare violence et le poussa en arrière, le faisant trébucher et tomber en arrière. Quand il releva la tête, la main de Calypso était tendue, posée contre sa gorge. Et la voix de la jeune femme ne tremblait pas:
-Je vais te tuer, Ulysse de Cristal. Je vais te tuer parce que tu as vu mon visage et parce que tu n'as pas saisi la chance que je t'offrais.
Il ne dit rien, n'essaya pas de se défendre, perdu dans la contemplation des cheveux bouclés auréolés par la lumière de la lune et des étoiles. Incapable de la quitter des yeux malgré le danger évident qui le menaçait. Comme si elle était déçue par sa réaction, elle gronda:
-C'est tout ce que ça te fait? La mort ne te fais donc pas peur?
Il chercha ses yeux du regard, espéra qu'elle le regardait bien quand il répondit paisiblement:
-Vivre sans toi ne serait pas vivre. Et mourir de ta main serait la plus belle des morts. Alors ne tremble pas et fais ce que tu as à faire pour sauver ton honneur.
Elle sembla hésiter puis leva le bras et il ferma les yeux, apaisé. Attendant simplement que tout soit fini. Puis une voix lointaine souffla, sur un ton qu'il ne connaissait pas:
-Personne ne m'a jamais regardée comme tu le fais. Personne ne m'a jamais vue comme tu me vois. Personne ne m'a respectée comme tu le fais. Tu es le seul à m'avoir écoutée et je t'en suis incroyablement reconnaissante.
Il sentit une mèche de cheveux effleurer son visage, chatouiller son nez, et il rouvrit les yeux, intrigué… Et sentit son coeur s'arrêter en tombant nez à nez avec elle. Les cheveux lâchés tombant sur ses épaules, la peau hâlée,… Sans masque. Les yeux ambrés brillants d'émotion. Si proche qu'il ne parvint même pas à parler, juste à la regarder avec vénération comme il aurait regardé la plus belle et la plus respectable des oeuvres d'art:
-Promets-tu de m'aimer, Ulysse de Cristal?
Le souffle court et le coeur battant, il hocha lentement la têt et leurs mains se trouvèrent presque inconsciemment:
-Tu es celle que j'attendais, Calypso.
Elle sourit légèrement, un sourire qui lui sembla absolument magnifique et lumineux. Elle passa sa main libre sur sa joue, comme dans un rêve:
-C'est moi qui t'attendais, Chevalier.
Il encadra son visage de ses mains, avec une tendresse toute particulière, comme si il avait peur qu'elle ne s'évapore à son contact. Puis Calypso se pencha en avant et leurs lèvres et leurs coeurs se trouvèrent enfin.
Leur relation devait rester secrète, c'était ce qu'elle désirait et il comptait combler tous ses souhaits. Ils se fréquentaient donc en secret, se voyaient tous les soirs, évitaient de s'entrainer dans la même arène pour éviter tous les ragots possibles. Même Ysolte ne savait rien de tout cela, persuadée que Calypso avait repoussé définitivement les avances du Chevalier de Cristal. Mais six mois plus tard, la veille du combat final pour l'armure de l'Aurore, la situation changea complètement quand il la trouva en train de se ronger nerveusement un ongle dans la clairière qui était devenue leur repaire.
Quand ils réalisèrent qu'elle était enceinte de plusieurs semaines.
Et là où un sentiment de pur bonheur, d'émotion et de fierté l'emporta d'abord sur lui, Calypso, elle, était complètement paniquée. Jamais il ne l'avait vue dans un tel état de quasi folie:
-Il faut s'en débarrasser! Il faut absolument s'en débarrasser, prendre des potions, des plantes, aller voir un mage, n'importe quoi tant que cette chose ne nous met pas en danger!
Horrifié par de telles paroles, il la serra contre lui alors qu'elle se mettait à éclater en sanglots nerveux et à hurler en menaçant de se frapper le ventre:
-Nous sommes fichus! Il fout notre avenir en l'air, on doit absolument s'en débarrasser!
-Mon coeur, nous allons trouver un solution, promis! Ce bébé est un cadeau des Dieux, voyons! C'est notre bébé, notre enfant!
-Et il va nous faire tuer!
Il hésita un instant, conscient que dans sa situation elle ne pouvait décemment pas mettre un enfant au monde dans l'année. Les relations entre Chevaliers n'étaient pas interdites, mais quasiment taboues quand il s'agissait d'avoir et d'élever des enfants. La menace éternelle de la mort prématurée qui pesait sur les parents empêchaient la majorité des couples de se lancer dans une véritable vie de famille. D'autant plus qu'il était impossible pour des parents de faire passer leur loyauté pour leur Déesse ou leur amour pour leur famille et enfants avant l'autre. Non, personne ne les condamnerait à mort, il savait que le Pope n'irait pas jusque là… Mais personne ne leur viendrait en aide, ils seraient la cible de tous les regards, de toutes les rumeurs, des reproches et des rires quand rien n'irait plus. Ils ne pouvaient pas vivre paisiblement en famille ici…
Pas au Sanctuaire…
Son franc tomba et il souffla:
-Pas si nous disparaissons…
Calypso écarquilla des yeux horrifiés et se dégagea violemment:
-Mais qu'est-ce que tu racontes! On ne peut pas simplement se cacher ici! Le seul moyen serait de fuir! Il faut qu'on parte, il faut qu'on assume et qu'on parte!
-Alors partons, partons loin d'ici, rien que toi et moi. Si nous dissimulons nos cosmos personne ne pourra nous retrouver. Nous vivrons ensemble, tous les trois, toi, moi et le bébé. (Termina-t-il en posa tendrement la main sur le ventre de sa compagne) Disparaissons de la carte, personne ne nous retrouvera et nous serons tranquilles. Nous vivrons loin de la violence, loin de tout ça.
Il croisa son regard et aperçut du soulagement malgré les larmes et l'angoisse, malgré le risque presque plus grand que constituait la fuite:
-Tu as raison, partons! Partons maintenant! Tant que je suis avec toi tout ira bien!
-Rien ne presse: nous pouvons attendre le combat de demain pour que tu remportes ton armure et puis nous avise-…
Il se tut quand elle se jeta dans ses bras et se serra contre lui en soufflant:
-Je n'en ai jamais voulu de cette armure, tu le sais parfaitement…
Ulysse sourit et la serra contre lui en enfouissant son visage dans ses épais cheveux sombres:
-Alors prépare vite tes affaires.
La nuit était sombre, idéale pour fuir sans être vus. Enveloppés de capes sombres, le visage dissimulé par de lourdes capuches, ils se faufilèrent hors du Sanctuaire. Serrant la main de Calypso dans la sienne, Ulysse avançait d'un pas sûr, jetant malgré lui des coups d'oeil légèrement inquiets autour de lui. Il avait laissé son armure derrière lui, sans un seul regret. Il lui avait calmement expliqué que son choix était fait, qu'il appartenait corps et âme à sa compagne et qu'il ne pouvait priver un jeune guerrier valeureux de l'armure de Cristal. Elle avait commencé par essayer de le convaincre de l'emmener avec lui - et non pas de renoncer à Calypso - avant de se murer dans un silence déçu et frustré. Il savait qu'elle lui en voudrait, mais il savait aussi qu'elle comprenait son choix et qu'elle finirait par lui pardonner.
Le coeur battant mais sûr de sa décision, Ulysse poussa un léger soupir déterminé: ils faisaient le bon choix. Calypso n'avait jamais voulu de cette vie, en sortir ne lui ferait que du bien. Quant à lui, il savait que la jeune femme avait remplacé Athéna dans son coeur. Il aimait le Sanctuaire, son rôle, son idéal… Mais, ayant toujours vécu seul, isolé de tous, il y avait toujours eu ce léger sentiment de malaise, comme s'il n'était pas tout à fait à sa place. Non, ils ne laissaient rien derrière. L'avenir semblait radieux, l'avenir de Calypso et le sien.
Mais soudain, il se figea, serrant la main de Calypso un peu plus fort et la dissimulant presque derrière lui. Il leva son bras libre, comme pour faire barrière entre elle et la silhouette qui venait d'apparaitre au bout du chemin. Un chemin censé être connu des espions uniquement. Des espions et de…
Un doux sourire sur les lèvres, une main calant ses longs cheveux blancs dans son dos, le Grand Pope se tenait devant eux, simplement appuyé contre la paroi:
-Je pensais bien vous trouver ici, Ulysse. Un Chevalier aussi intelligent que toi n'aurait jamais choisi de quitter le Sanctuaire par la voie officielle.
Le teint soudain livide malgré l'intonation douce et presque rieuse de Sage, Ulysse sentit son coeur manquer un battement. La gorge serrée, il fit doucement tomber la capuche brune sur ses épaules, comme pour permettre au Pope de s'assurer qu'il parlait bien à la bonne personne. Inutile d'essayer de mentir et de se cacher, Sage savait déjà à qui il avait affaire:
-Grand Pope, laissez-moi vous expliquer…
Inutile de mentir. Il savait que Sage n'était pas un homme cruel, qu'il accepterait certainement de l'écouter et d'au moins laisser Calypso partir. S'il était là, c'était sans doute parce qu'il savait déjà presque tout: autant tenter le tout pour le tout et faire en sorte qu'elle puisse vivre une vie normale loin du Sanctuaire. Tant pis pour lui, il trouverait un moyen de la rejoindre aussi souvent que possible. Il déglutit, serrant la main de Calypso dans la sienne pour essayer de la rassurer:
-Je suis l'unique responsable, c'est moi qui ai détourné cette apprentie du droit chemin et c'est moi qui l'ai poussée à me suivre et à quitter le Sanctuaire. Je suis l'unique responsable et je suis le seul qui mérite d'être réprimandé et châtié.
-Ulysse.
-S'il vous plait, laissez-la partir. Je vais revenir avec vous et accepter mon châtiment.
Calypso se tendit dans son dos et agrippa un morceau de sa cape en haletant avec horreur:
-Non, non ne fais pas ça! C'est ma faute!
-C'est faux, c'est moi qui…
Sage leva doucement la main, avec un calme qui contrastait complètement avec l'angoisse qui leur serrait le coeur depuis qu'ils l'avaient aperçu et reconnu. Paisiblement, d'une voix posée, il dit simplement:
-Je suis au courant de tout, elle m'a tout expliqué.
Termina-t-il en levant le bras, tendant à Ulysse une Pandora Box.
Sa Pandora Box.
Pendant une folle seconde, il crut que l'armure avait menti, qu'elle avait exagéré les faits pour se neiger de lui et de son abandon. Puis il sentit son sourire dans sa tête et il sut qu'elle avait parlé pour eux. Que des soldats du Sanctuaire avaient découvert l'absence d'Ulysse, qu'ils avaient découvert que Calypso avait disparu elle aussi. Que Cristal avait été retrouvée seule dans le bâtiment des Chevaliers d'Argent. Et que l'armure avait tout expliqué au Pope. Expliqué les sentiments sincères de son porteur, sa fidélité, son dilemme… Son futur rôle de père.
Un doux sourire sur les lèvres, conscient qu'Ulysse apprenait de la bouche même de son armure ce qui s'était passé, Sage souffla:
-Je ne vous retiens pas, mais je compte sur ton aide lorsque je ferai appel à toi, Ulysse.
L'armure semblait luire dans sa Boîte, comme pour lui montrer avec bonheur que tout pouvait être concilié, qu'elle pouvait rester avec eux même s'ils décidaient de quitter la Grèce. Qu'ils ne coupaient pas complètement les ponts avec le Sanctuaire et Athéna. Ulysse comprit le message dissimulé dans ces simples phrases, comprit que rien ne retenait plus Calypso ici si elle n'en avait plus envie, qu'il avait le droit de vivre ailleurs comme il l'avait toujours fait,… Qu'ils pouvaient être ensemble sans créer de scandale ni rien de mauvais.
Les yeux brillants de reconnaissance, Ulysse fit un pas en avant et se saisit délicatement de la lanière de sa Pandora Box, réprimant un léger rire amusé et soulagé quand l'armure chanta dans son esprit. Il croisa le regard de Sage et, le coeur lourd, il murmura en s'inclinant:
-Dès que vous m'appellerez, je viendrai aussi vite que possible.
Le vieil homme hocha paisiblement la tête et se décala, leur laissant la voie complètement libre:
-Je n'en doutais pas une seule seconde.
Le coeur étrangement lourd, touché une nouvelle fois par l'humanité du Pope et par sa gentillesse, Ulysse inclina la tête:
-Merci pour tout, Grand Pope.
-Prenez soin de vous, mes enfants.
Libéré de leur angoisse et des doutes par la bénédiction du patriarche, ils se rendirent dans le Sud de l'Italie, à Otranto, là où le paysage et les habitants avaient tant charmé Ulysse. Là où Calypso avait promis de le suivre. Les villageois se souvenant de lui et se montrant désireux de l'aider, ils n'eurent aucun mal à trouver un travail pour eux deux, à bâtir leur propre maison puis à s'y installer. Cette maison qui devint leur foyer et dans laquelle naquit leur enfant, huit mois plus tard. Leur petit Liam.
C'était Calypso qui avait choisi ce nom en hommage du jeune frère d'Ysolte, elle qui avait toujours été son amie et sa confidente. Ulysse avait pensé à des prénoms typiquement grecs ou italiens, essayant de permettre au garçon de se fondre dans le village, de créer de nouvelles racines, mais face à la détermination de sa compagne, il n'avait pas eu la force de résister. Après tout, "Liam" lui convenait aussi, symbole de renouveau et de célébration de leur nouvelle vie de famille.
Ému jusqu'aux tréfonds de son âme, Ulysse passait des heures avec leur enfant dans les bras, le cajolait lorsqu'il pleurait la nuit, le regardait avec un amour incommensurable. Il avait l'impression qu'il allait étouffer de bonheur, que toute cette joie était de trop pour son simple coeur mortel qu'il sentait se serrer quand il posait les yeux sur son épouse ou sur leur enfant.
Mais le bonheur était teinté d'une noirceur qu'il aurait pu prévoir, une facette du caractère de Calypso qu'il avait choisi d'atténuer pour ne pas se blesser lui même. Il savait qu'elle aimait leur fils… Mais il était chagriné par ses réactions. Elle passait des heures à ne rien faire, à ne pas réagir quand le bébé se mettait à pleurer doucement - comme s'il savait qu'il ne fallait pas pousser sa mère à bout - et à murmurer des paroles qu'il ne comprenait pas toujours.
Ulysse savait qu'elle avait du mal à se remettre de l'accouchement, du moins d'un point de vue psychologique. Le guérisseur n'avait rien trouvé - aucune blessure physique ou autre - sur son corps, laissant donc la porte ouverte à toute interprétation concernant sa fragilité mentale. Elle était devenue très faible, mangeait peu, dédaignait presque l'enfant,… Elle était dans une passe dont il ne parvenait pas à la tirer malgré les trois mois qui étaient passé, malgré tous ses efforts. Malgré tout son amour. Combien de fois était-il rentré du travail, épuisé, et réalisé qu'elle était assise face à l'âtre vide de feu alors que Liam semblait pleurer depuis des heures? Plus qu'il n'avait su compter…
-Qu'y a-t-il, mon coeur?
Soupira-t-il une fois, sincèrement inquiet, en lui prenant doucement les mains et en s'agenouillant aux pieds de Calypso, assise sur la chaise de la salle à manger. Le visage tiré et légèrement pâle, les cheveux désordonnés tombant devant ses yeux, elle dégagea violemment ses mains:
-Rien, rien, tout va très bien!
-Tu peux me dire ce qui ne va pas, tu peux tout me dire.
Sa voix s'était faite murmure, aussi bien pour éviter de l'effrayer comme pour éviter de réveiller Liam, paisiblement assoupi dans la chambre. Les yeux soudain brulants de colère, elle passa une main tremblante sur son front:
-Je suis juste épuisée et je… je n'arrête pas de… de réfléchir…
-A quoi penses-tu? Veux-tu en parler?
Il se rapprocha doucement d'elle, fit mine de la serrer contre lui, mais elle se dégagea de nouveau:
-Ca ne m'aidera pas à aller mieux! Tout est fichu, on a tout gâché!
L'ambre de ses yeux s'était fait or en fusion, rempli de toute la haine du monde. Jamais Ulysse n'aurait cru revoir un tel regard, pas depuis qu'ils s'étaient avoué leur amour, pas depuis qu'ils avaient franchi ce cap. Elle semblait de nouveau le détester, haïr le monde entier:
-Ca-…
-Je suis mortifiée par tout ça! Je ne dors plus parce que je n'arrête pas de penser à ce qu'aurait pu être ma vie! J'aurais pu porter cette fichue armure, j'aurais pu être tellement digne, j'aurais pu être tellement plus que simplement m'occuper de ça!
Termina-t-elle en désignant la pièce d'un mouvement de bras tremblant de colère et de regrets. Ulysse fronça les sourcils:
-Ca? C'est de Liam que tu parles?
-De lui, de cette vie de couple pathétique, ce semblant de vie paisible qui sort de nulle part! (Elle se mit à trembler violemment et il ne parvint pas à croiser son regard) Je n'arrête pas de penser à ce que j'aurais pu être! Je suis rongée par les regrets, est-ce que tu comprends?! C'est à cause de toi si je suis dans un tel état! C'est ta faute, ta faute et celle de ce… (Elle haleta, jeta un regard vers la chambre) De cette chose que j'ai dû faire une croix sur mon destin!
-Quoi? Mais qu'est-ce que tu racontes?
-J'aurais pu être Chevalier! J'aurais pu porter cette amure à la con et être tellement plus que ça! (Elle le pointa du doigt) C'est à cause de toi que j'ai raté ma vie! A cause de toi et à cause de ce bébé!
Finit-elle en hurlant et en faisant violemment valser un verre sur le sol. Soufflé par sa colère injustifiée, choquée par sa mauvaise foi soudaine, Ulysse ne réagit pas immédiatement quand Liam se mit à pleurer. Calypso ne fit pas mine de se diriger vers la chambre, le défiant de bouger du regard:
-N'essaye même pas de fuir cette conversation, Ulysse.
-Tu es injuste, tu sais très bien que c'est faux. (Expliqua-t-il doucement malgré une légère envie de hausser la voix, de s'énerver alors qu'il ne l'avait jamais réellement fait dans sa vie) Tu m'as dit toi-même ne pas vouloir de cette vie, tu m'as dit au moment de quitter le Sanctuaire que tu n'avais jamais voulu de cette armure.
Ulysse fit un pas en avant et posa une main tendre sur sa joue hâlée malgré le noeud de douleur qui lui serrait la gorge:
-Tu es épuisée, débordée: ce n'est pas facile de se remettre d'un accouchement. J'ose à peine imaginer ce que tu dois vivre depuis plus d'un an. Mais tu ne dois pas rejeter la faute et tes regrets sur Liam.
Elle le fusilla du regard, mais il vit que sa lèvre inférieure tremblait, qu'elle réalisait avec horreur ce qu'elle venait de dire, que petit à petit elle reprenait pied avec la réalité:
-Si tu veux retourner au Sanctuaire, je ne t'en empêche pas. Je resterai ici avec Liam, et tu pourras reprendre ton entrainement, viser une nouvelle armure. Le Pope comprendra, j'en suis certain.
Calypso se mordit la lèvre, tiraillée entre les paroles toujours si douces de son mari et les cris de son garçon. Puis elle laissa échapper un sanglot et se jeta dans ses bras, enfouissant son visage dans la chemise d'Ulysse:
-Je suis désolée, je n'aurais pas dû dire toutes ces choses horribles! Pitié, pardonne-moi! Pardonne-moi et laisse-moi rester ici, pitié! Je serai une bonne mère, je ferai des efforts! Je veux l'aimer, je le veux vraiment! Mais je n'en peux plus!
Il la serra contre lui en soupirant, la serrant contre lui de toutes ses forces malgré sa peur de la briser tant elle était devenue maigre. Calypso éclata en sanglots, s'agrippant à la chemise comme à une bouée qui l'empêcherait de sombrer à nouveau, toujours un peu plus bas, toujours un peu plus profondément dans ces travers qu'elle ne contrôlait pas. Quand ses larmes se tarirent et qu'elle se rendit enfin près du bébé, Ulysse la regarda s'éloigner puis passa la main sur son visage. Il n'était pas stupide, pas aussi naïf que ce qu'il ne l'espérait. Il savait très bien que si l'orage était passé, la tempête finirait toujours par revenir. Comme elle revenait sans cesse depuis la naissance de Liam.
Ils avaient déjà eu cette conversation plusieurs fois, des versions plus calmes, moins agressives certes, mais des scènes similaires quand même. Si bien qu'Ulysse savait qu'il faudrait trouver une solution, et vite. Mais étrangement, Calypso agit comme s'il ne s'était jamais rien passé. Il la trouva pendant les deux jours qui suivirent incroyablement attentive aux besoins de Liam, plus douce et rieuse aussi. Pendant un moment, il crut que le pire était derrière eux.
Deux jours après la dernière crise, alors que l'orage tonnait et qu'une pluie diluvienne tombait et noyait la terre, Ulysse poussa la porte de leur petite maison, les cheveux et les vêtements trempés. Ôtant rapidement son manteau pour éviter de tout salir de boue sur son passage, il ébouriffa ses cheveux du mieux qu'il pouvait, cherchant sa compagne du regard. La pièce était vide, aucun bruit ne s'élevait, les flammes dans l'âtre étaient éteintes depuis plusieurs bonnes minutes et les lampes à huile semblaient sur le point de s'éteindre à leur tour. Le ventre soudain noué par un pressentiment empli d'angoisse, il appela doucement:
-C'est moi.
Étrangement, personne ne lui répondit. Personne hormis un hoquet épuisé depuis la chambre de Liam. Ulysse laissa tomber son sac et se dirigea vers la chambre au pas de course:
-Calypso?
Assis dans son berceau, le visage trempé de larmes et les yeux rougis d'avoir trop attendu de réponse, Liam semblait l'attendre et hoquetait doucement, manifestement épuisé comme il ne l'avait plus été depuis longtemps. Ulysse eut l'impression que son coeur s'arrêtait et que le monde s'écroulait sous ses pieds. S'il était dans un état pareil, cela ne pouvait vouloir dire qu'une chose: Calypso n'était pas à la maison. Calypso était partie. Pressé par l'urgence, l'ancien Chevalier de Cristal allongea de nouveau le petit garçon mais ne put se permettre d'attendre qu'il se soit endormi.
-Elle ne doit pas être loin, elle n'est pas partie depuis trop longtemps.
Ulysse sortit en trombe de la maison, sans même prendre le temps d'enfiler son manteau. L'angoisse lui nouait la gorge, l'empêchait de voir clairement dans les plans de sa compagne. Si elle n'était pas à la maison, elle avait peut-être simplement décidé de tirer un trait sur tout ça et de partir loin d'ici, de retourner au Sanctuaire… Ou pire. Et il avait l'horrible impression qu'elle avait choisi la pire solution, le pire qu'il ait pu imaginer depuis qu'elle avait parlé de cette nouvelle vie qu'elle ne supportait plus.
-Calypso!
Il avait hurler, le vent et le tonnerre couvraient sa voix. Même si elle avait été juste à côté de lui, elle n'aurait pas pu l'entendre. Le coeur au bord des lèvres, Ulysse se força à réfléchir, à chercher où elle avait pu passer, où elle avait pu aller. Se concentrer, respirer, être à l'écoute,… L'angoisse l'avait empêché de réfléchir correctement, de se centrer sur son cosmos. Et il visualisa soudain la silhouette de Calypso en même temps que la voix de son armure souffla dans sa tête aussi clairement que si l'orage s'était tu:
-La falaise, vite.
A la fois horrifié et terrifié d'arriver trop tard, il se mit à courir, plus vite qu'il n'avait jamais couru vers la falaise qui surplombait la mer en furie. Il savait que cet endroit l'avait charmée quand ils étaient arrivés, un an et demi auparavant, mais il n'aurait jamais cru qu'elle s'y rendrait pour une telle raison! A moins qu'il ne se trompe, oh oui pitié qu'il se trompe et qu'elle soit simplement en train de faire autre chose que ça! Tout sauf ça!
Le noeud dans son ventre se resserra quand il arriva au pied de la falaise. Quand un éclair illumina l'endroit et le corps frêle d'une jeune femme aux longs cheveux noirs défaits et à l'allure spectrale. Le visage livide et le coeur serré par l'horreur, Ulysse hurla pour se faire entendre, pour la faire réagir:
-Calypso!
Son pas déjà lent ralentit, et elle se tourna lentement vers lui, les yeux assombris par un voile d'inconscience et les cheveux plaqués par la pluie dense sur son visage trempé. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, son propre fantôme. Et quand Ulysse fit un pas en avant pour essayer de la rattraper, elle gronda:
-Ne t'approche pas.
-Calypso, je suis venu pour t'aider!
-Laisse-moi, tu en as déjà assez fait ainsi.
-Tu n'es as toi-même, reviens! Viens nous allons régler tout ça ensemble!
Un nouvel éclair illumina son visage d'une lumière irréelle, surnaturelle, et l'or en fusion de ses prunelles le foudroya sur place:
-Tu n'aurais pas dû venir. Tu aurais dû me laisser en paix et tout ce serait bien passé.
-Je t'en prie reviens. (Sa voix manquait de flancher à cause de l'angoisse, de ce vide bien trop proche des pieds de Calypso et du rugissement mêlé des vagues enragées et de la pluie diluvienne) Rentrons, nous pourrons parler de tout ça calmement. S'il-te-plait reviens. Rentrons chez nous.
Un coup de vent secoua les longs cheveux sombres de la jeune femme, et alors qu'Ulysse fut poussé d'un pas sur le côté, Calypso ne bougea pas d'un centimètre. Les yeux perdus dans le vague, son visage hâlé ruisselant de pluie glacée et la robe déchirée (Ulysse remarqua qu'elle était aussi pieds nus dans la boue), elle parla avec la voix d'une autre, comme si elle n'était pas là, comme si quelqu'un d'autre prenait la parole à sa place avec une distance insupportable:
-Oui… Rentrons chez nous… (Elle fit un pas en arrière et écarta lentement les bras) Rentrons au Sanctuaire… Viens avec moi, Ulysse, tout le monde nous attend…
Elle fit un nouveau pas en arrière, son pied rencontra le vide au dessus de l'abîme… Et pendant une folle seconde Ulysse crut qu'il ne parviendrait jamais à la rattraper à temps. Jamais son cosmos ne lui avait autant servi, jamais il n'avait pu se déplacer aussi vite auparavant. Il agrippa le poignet de Calypso de ses deux mains pour ne pas risquer de la lâcher à cause de la pluie, et il la tira de toutes ses forces vers l'avant, vers lui. Si fort que quand elle se heurta contre lui, ils roulèrent ensemble dans la boue. Le souffle court et les mains légèrement tremblantes, il se redressa et la secoua légèrement pour la sortir de sa torpeur:
-Mais qu'est-ce qui t'a pris, bon sang?!
Petit à petit, elle perdit son air prostré et une lueur nouvelle éclaira son regard, signe qu'elle reprenait conscience d'elle-même, de son corps tremblant de froid et de son échec. Il espérait presque qu'elle fondrait en larmes, tout sauf ces hurlements d'animal sauvage qu'elle poussa en le frappant de toutes ses forces:
-Lâche-moi! Je te dis de me lâcher!
-Pas tant que tu n'auras pas repris tes esprits!
Elle parvint à se relever mais il ne la lâcha pas, la garda contre lui malgré la vigueur avec laquelle elle se débattait, si fort qu'il crut un instant qu'elle allait déclencher une véritable bataille:
-Calme-toi! Calme-toi bon sang!
-Espèce de salopard! Tu n'as pas le droit de m'en empêcher! Tu n'as pas le droit de me prendre plus!
Elle hurlait si fort que même l'orage ne parvenait pas à couvrir sa voix, et elle se débattait avec tant de violence qu'ils faillirent de nouveau rouler sur le sol trempé:
-Tu m'as tout pris! J'ai foutu ma vie en l'air et tout est fichu!
-Tu dis n'importe quoi! Est-ce que tu t'entends parler?!
-Laisse-moi mourir!
-Hors de question! Pense un peu à Liam! Tu ne peux pas lui faire un coup pareil! Tu ne peux pas me faire un coup pareil!
-Tu n'as pas le droit de me dicter ma conduite! Tu m'as déjà tout pris! Tu m'as privée de mon avenir! Tu m'as coincée dans cette vie minable dont TOI tu avais envie! Tu n'avais pas le droit de me faire ça! Tu n'en avais PAS le droit!
La colère le frappa de plein fouet et il hurla comme il n'avait jamais hurlé auparavant, si fort que cumulé avec les secousses qu'il lui imprimait, Calypso cessa de crier:
-CA SUFFIT!
La jeune femme écarquilla les yeux et se tut, le visage ruisselant d'un mélange de larmes et de pluie. Les yeux d'Ulysse s'étaient assombris, étaient devenus si sombres qu'elle en avait peur. Jamais elle ne l'avait vu dans un tel état de colère pure. Si bien qu'à aucun moment elle ne pensa l'interrompre ou même essayer de s'expliquer:
-Je ne t'ai jamais forcée à venir ici. J'ai beau avoir ma part de responsabilité dans ce qui s'est passé avec Liam, je ne t'ai jamais forcée à partir, à quitter le Sanctuaire. C'est toi qui m'as dit n'avoir jamais voulu de cette armure. C'est toi qui m'as dit détester ce destin que tu n'avais pas choisi. Je t'ai tendu la main et j'ai proposé cet échappatoire. Tu as le droit d'avoir des regrets, tu as le droit de vouloir retourner en Grèce, mais tu n'as pas le droit de nous faire un coup pareil.
Sa voix était pareille au tonnerre, et pourtant elle avait beau être ferme, ce qu'il disait n'était pas injuste. Petit à petit, Calypso sentit qu'elle s'était mise à trembler, autant de honte que de froid:
-Je ne peux pas t'empêcher de retourner au Sanctuaire si c'est ce que tu veux, si c'est ce qui te rendra heureuse. C'est ton droit. Mais tu ne peux pas mourir. Tu ne peux pas faire ça. Alors s'il te plait, rentre avec moi, rentrons et parlons de ce que tu voudras faire demain. Rentrons, Liam nous attend.
Les lèvres bleuies de Calypso se mirent à trembler et quand Ulysse passa tendrement la main sur son visage devenu livide en soufflant doucement et tendrement "Rentrons, d'accord?", elle éclata en lourds sanglots à la fois horrifiés et désespérés. Elle se jeta à son cou et se lova contre lui:
-Oh mon Dieu, je suis tellement désolée, Ulysse! Je vais arrêter, je te promets que je vais faire des efforts! Pitié garde-moi avec toi! Laissez-moi rester avec vous!
Elle répétait une litanie d'excuses emplie de la soudaine angoisse de se retrouver seule. Blessé de la voir ainsi, si faible, si angoissée, si épuisée, Ulysse la serra contre lui de toutes ses forces et caressa doucement ses cheveux trempés
-Ne t'en fais pas, tout va bien, c'est fini maintenant. Tout va bien.
-Pitié, pardonne-moi!
-Tout est pardonné, tout va bien.
-C'est que… C'est que je suis si fatiguée, je ne sais pas ce qui m'a pris je n'en pouvais plus je n'arrêtais pas de penser à l'armure et je… Je suis tellement désolée, je suis désolée pitié laisse-moi rester avec toi!
-Bien sûr, tout va bien.
Elle pleura encore de longues minutes, et même quand Ulysse se leva et la souleva dans ses bras pour la ramener au chaud près de Liam, elle continua de pleurer, incapable de se calmer. Incapable de se pardonner ce geste. Même son compagnon lui ôta ses vêtements trempés pour l'enrouler dans une grande couverture et l'assoir devant le feu, elle continua de sangloter, de hoqueter avec horreur, devenant petit à petit silencieuse et prostrée comme elle avait déjà été. De son côté, Liam avait porté un pouce à sa bouche et était paisiblement endormi, comme s'il avait compris que ses parents avaient besoin d'un peu de temps pour souffler et parler de ce qui venait d'arriver. Pour trouver une solution.
S'étant rapidement changé, Ulysse était assis à côté de Calypso face aux flammes dans l'âtre. Elle tremblait encore, et ses lèvres n'avaient pas encore repris couleur humaine. Le visage légèrement tiré, il passait doucement la main dans son dos autant pour la rassurer que pour essayer de lui transmettre un peu de chaleur:
-Je suis désolée… Désolée… Vraiment…
Soufflait-elle inlassablement, sourde aux paroles de son compagnon. Au bout de longues minutes, elle sembla assez calmée pour se laisser aller contre lui et ses yeux se fermèrent petit à petit:
-Je veux que tout se passe bien… Je le veux vraiment… Je suis juste si fatiguée… Je ne dors plus à cause de ces regrets, de ces cauchemars,…
Ulysse déposa un baiser tendre sur son front encore glacé et souffla:
-Ne t'en fais, on va trouver une solution. Tu vas te reposer le temps qu'il te faudra, et j'irai travailler moins longtemps pour m'occuper de la maison et de Liam. Est-ce que ça te ferait plaisir?
Les yeux ambrés de Calypso se remplirent de nouveau de larmes, mais cette fois de reconnaissance et de soulagement:
-Tu ferais ça?
Il hocha la tête, un doux sourire sur les lèvres:
-Je vais faire ça. Ton bien-être passe avant tout le reste. J'irai travailler quand tu te sentiras assez bien pour veiller sur Liam. D'accord?
Elle se mordit la lèvre pour refouler ses larmes et se lova contre lui, soufflant d'une voix rauque emplie d'épuisement:
-Merci Ulysse…
Plusieurs minutes plus tard, épuisée par ses pleurs et ce à quoi elle avait échappé, Calypso s'endormit contre lui. Et autant elle parvint à dormir jusqu'au lever du soleil, autant Ulysse ne parvint pas à fermer l'oeil de la nuit, conscient que le pire avait été évité mais qu'une rechute n'était pas à exclure…
Comme pour lui prouver qu'il avait tord, un an passa ainsi, calmement, sans véritable nouvelle crise. Petit à petit, le petit garçon apprenait à marcher avec l'aide de son père, surveillé par sa mère qui - bien qu'encore distante - faisait de son mieux pour participer à la vie de famille. Plusieurs fois, Ulysse était rentré des champs et l'avait trouvée endormie, serrant Liam contre son coeur comme si elle l'avait bercé et avait fini par sombrer à son tour. Oui, elle avait réfléchi et il voyait avec bonheur qu'elle se rapprochait manifestement de leur enfant, qu'elle passait plus de temps avec lui. Elle lui avait même cousu une petite peluche en forme de chien que Liam ne quittait jamais.
Ulysse était sincèrement ravi, il voyait avec soulagement que tout allait pour un mieux, que Calypso reprenait des couleurs et parlait de nouveau avec ses voisines après leur journée de travail. Elle redevenait elle-même, abandonnait ce spectre mortel et profitait pleinement de cette nouvelle vie. Liam grandissait parmi les autres enfants du village, se déplaçant du mieux qu'il le pouvait, toujours souriant, toujours calme et toujours paisible. Il crut presque mourir de bonheur quand elle lui annonça un soir qu'elle avait envie d'un deuxième enfant, qu'elle était prête et sentait qu'elle était heureuse. Que ce destin lui plaisait et lui convenait mieux. Qu'elle voulait être une bonne mère et élever ses enfants avec amour et tendresse.
Liam venait de fêter son sixième anniversaire, et la petite Ophélie allait vers ses quatre ans, deux ans avaient beau les séparer, ils s'entendaient à merveille - hormis ses yeux bleus clairs et les reflets rouges dans ses cheveux sombres, la petite était le portrait craché de sa mère - et même Calypso était redevenue elle-même. Lumineuse, enjouée, attentive envers les besoins de ses enfants et de son compagnon, jamais Ulysse ne l'avait vue aussi resplendissante et épanouie. Il sentait qu'un lien d'une puissance formidable l'unissait à ses enfants, jamais il n'avait ressenti autant d'amour et de bonheur qu'en ce jour. Rien ne lui plaisait plus que de rentrer après une dure journée de travail et de trouver Calypso entourée des enfants qui finissaient par se jeter dans ses bras en riant.
Tout allait pour un mieux. Si bien qu'à aucun moment Ulysse ne se dit que tout pouvait encore basculer.
Il reçut le message du Pope quelques jours après l'anniversaire de Liam. Il était assis par terre et jouait avec les enfants quand quelqu'un frappa à la porte. Autant Ophélie fit mine que rien ne pouvait interrompre son jeu avec son père, autant Liam jeta un regard curieux vers la porte quand Calypso se leva et alla ouvrir:
-Oui?
-Est-ce qu'Ulysse de Cristal est bien ici?
En reconnaissant la longue cape sombre de l'homme qui lui faisait face et en avisant un reflet d'armure, Calypso pâlit, luttant pour ne pas reculer d'un pas et intimer silencieusement aux enfants d'aller dans leur chambre:
-Il est ici, oui.
Répondit-elle bravement, faisant de son mieux pour ne rien laisser paraitre de sa soudaine angoisse. Que faisait un envoyé du Sanctuaire ici? Pourquoi maintenant? Le Pope ne pouvait tout de même pas avoir changé d'avis après sept ans, pas hors que tout allait enfin pour le mieux? Alerté par l'air de sa compagne, Ulysse fronça les sourcils, se leva et envoya les enfants dans leur chambre, intimant à Liam de veiller sur sa soeur. Dès qu'ils eurent disparus, il rejoignit Calypso près de la porte, se plaçant légèrement devant elle pour la protéger si besoin en était:
-Que puis-je faire pour vous aider?
Il avisa l'armure en même temps que l'envoyé du Sanctuaire souriait avec un air admiratif à peine contenu:
-C'est un honneur de vous rencontrer, seigneur Cristal. Le Grand Pope m'envoie pour vous confier une mission de la plus haute importance.
Il sentit le regard inquiet et tendu de Calypso dans son dos, et lui-même sentait qu'il n'était pas aussi serein qu'il l'aurait espéré quand il invita le soldat du Sanctuaire à entrer:
-Je vous en prie, faites comme chez vous.
-Je n'en ai pas pour longtemps, une mission m'attend ailleurs. (S'excusa l'homme en ôtant sa capuche avant de s'assoir aux côtés de ses hôtes) Le Pope a besoin de vos services, seigneur. Il a dit que vous n'aviez certainement pas oublié votre promesse.
-Je n'ai pas oublié, et je suis prêt à répondre à la requête du Pope.
La voix d'Ulysse s'était faite plus dure, comme pour prouver sa détermination et son envie de bien faire malgré une certaine distance et un ton froid. Calypso lui jeta un regard qu'il ne parvint pas à interpréter immédiatement:
-De quelle information le Pope a-t-il besoin?
L'homme se pencha en avant et joignit les mains, plongeant ses yeux sombres dans le regard clair mais déterminé du Chevalier de Cristal, presque devenu légende au Sanctuaire:
-Le Pope a sentit des perturbations dans le Nord de l'Italie. De nombreuses étoiles démoniaques s'étaient rassemblées en Allemagne il y a plusieurs années de cela, et quelques évènements étranges semblent se répéter, toujours à des endroits différents. Mais toujours avec un cosmos négatif semblable.
-Il ne m'en avait jamais parlé… Pourquoi avoir attendu autant de temps avant d'envoyer un espion sur les lieux qui l'inquiètent?
Quelque chose ne tournait pas rond, comment le Pope - une personne si prudente et alerte - avait-il pu laisser des évènements étranges se dérouler pendant des années sans avoir jugé bon de l'y envoyer? Et s'il n'avait pas été mis au courant, pourquoi les informateurs locaux n'avaient-ils pas avertis le Pope plus tôt?
-C'est bien le problème, il a envoyé quelqu'un il y a dix ans de cela et quand l'espion est arrivé sur les lieux jugés suspects, il ne restait rien. Rien qui puisse prouver que quelque chose avait pu arriver.
-Qu'avait trouvé cet espion?
-Rien, seigneur. Des informateurs locaux avaient parlé de luttes mais il n'y avait rien, aucun signe de bataille ni même d'un duel. Tout était parfaitement à sa place.
-Pourquoi m'y envoyer alors?
-Parce que le Pope a reçu un nouveau message indiquant les activités d'un étrange cosmos dans le Nord. Certains parlent d'un Spectre isolé, d'autres d'un ancien déserteur qui errerait sans but précis. Le Sanctuaire veut en savoir plus et comprendre ce qui se passe. S'il ne s'agit que d'un simple trouble-fête, le Pope ne doute pas de votre capacité à l'arrêter. Et s'il s'agit d'une menace supérieure, il sait que vous saurez revenir avec assez d'informations pour lui permettre d'agir.
Ulysse hocha la tête. Cette mission ne lui plaisait pas. Il y avait trop de points vagues et flous, trop de questions et trop peu de réponses. Bien sûre, c'était son rôle de tirer tout cela au clair, mais il ne comprenait pas pourquoi personne n'avait jugé bon d'intervenir plus tôt. L'homme lui montra le chemin à suivre sur une carte récente, expliqua les dernières informations importantes, et au bout de deux heures il était reparti. L'ultime consigne était de venir faire un rapport au Pope lorsque la mission serait terminée.
Une fois la porte refermée, Calypso gronda:
-Que vas-tu faire?
Ulysse soupira et se dirigea vers son armure, sagement rangée dans un coin de leur chambre:
-Je vais y aller, j'ai promis au Pope de continuer de lui obéir.
-Donc tu es un bon chien que le vieux peut siffler et toi tu obéis en remuant la queue?
Son ton s'était fait venin et Ulysse fronça dangereusement les sourcils:
-Je n'ai pas le choix.
-Pourquoi? Parce que ton ego ne le supporterait pas?
-Parce que c'est une mission de la plus haute importance et qu'il s'agit de protéger la Terre.
-Et tu as pensé à nous avant d'accepter? Est-ce que tu as pensé aux enfants? A moi?!
Elle désignait la porte entrouverte de la chambre des enfants, et Ulysse croisa le regard ambré de son fils qui les observait en silence, inquiet. Il sentit son coeur se serrer dans sa poitrine et il se saisit délicatement de la main de Calypso:
-Je n'en aurai pas pour longtemps. On ne parle pas d'un ennemi surpuissant, on parle d'un type qui erre sans but. J'ai vu pire, tout se passera bien, crois-moi.
-Je n'en ai rien à faire, comment peux-tu être sûr que tout va bien se passer?!
Elle dégagea violemment sa main, se mettant de telle manière qu'elle l'empêchait d'avoir accès à sa chambre. Son grognement s'était fait cri, le premier depuis longtemps. Le premier depuis la falaise. Ulysse inspira longuement:
-Je ne peux pas en être sûr, mais j'ai confiance. Je sais que si le Pope m'y envoie c'est que quelque chose cloche et le perturbe assez pour vouloir envoyer quelqu'un de compétent.
-Et tu estimes que tu es compétent je suppose? Après des années sans pratiquer?
-Pitié, Calypso, évitons ce genre de conversation. Tu t'inquiètes pour rien, je serai à peine parti que je serai déjà de retour. On ne parle pas d'un ennemi invincible, le dernier à être allé sur place n'a rien vu et est revenu entier alors que c'était un Bronze. Je crois que je peux m'en sortir, alors s'il te plait, je te demande juste de veiller sur les enfants et de me faire confiance. Tout va bien se passer, d'accord?
-Tu ne peux pas le savoir! (Son cri se mua en hurlement de rage mêlée d'angoisse) Tu ne peux pas partir comme ça, tu ne peux pas nous laisser seuls! Et quoi, qu'est-ce qu'on fait s'il t'arrive malheur?! Qu'est-ce qu'on fait si tu reviens avec un bras ou une jambe en moins? Comment tu feras pour travailler aux champs ou t'occuper des gosses?! Et comment on survit dans le pire des cas?! Qu'est-ce qu'on fait si tu ne reviens pas?!
Avisant le visage soudain livide de Liam, Ulysse fronça les sourcils et souffla:
-Arrête avec ça, tu vas terroriser les enfants.
-Parce que tu as cru qu'on allait leur cacher ta petite escapade à la con? Tu as cru que ton petit voyage serait voilé par une belle histoire pour leur cacher la vérité? La vérité c'est que tu n'en peux plus de cette vie et que tu es prêt à nous abandonner pour retrouver un semblant de ta gloire passée!
-Ca n'a rien à voir! Je dois y aller parce que le Pope me le demande! Je dois le faire pour que tout le monde se porte mieux!
-Ohh alors si c'est pour une si noble cause tout va bien! (Comme devenue folle, elle se pencha et agrippa violemment Liam par le bras, le forçant à sortir de la chambre. Elle s'accroupit derrière lui et souffla) Regarde bien ton papa, mon chéri, parce que s'il revient il ne sera peut-être plus jamais le même.
-Arrête.
Les yeux de Liam se remplissaient de larmes d'horreur et il essayait vainement de se dégager de l'étreinte de fer de sa mère qui feulait presque, semblable à un serpent:
-Tu comprends Liam, papa va sans doute aller mourir là-bas. Mais c'est parce que son métier est plus important que nous, tu vois? C'est là que va sa préférence.
-Arrête ça tout de suite.
-Tu devrais lui dire au revoir mon coeur, à partir de demain on ne sera plus que trois parce que papa a choisi de sauver le monde plutôt que sa famille. C'est parce qu'il ne nous aime pas vraiment, tu comprends n'est-ce pas?
-Ca suffit!
Ulysse se pencha en avant, dégagea Liam de la poigne de sa mère et le serra contre lui alors qu'il se mettait à sangloter lourdement dans sa gorge. Les yeux devenus soudain glacés, il la foudroya du regard alors qu'elle restait accroupie et le regardait avec un mépris mêlé de folie:
-Qu'est-ce que tu fabriques?
Ses yeux ambrés devenus brillants de colère, Calypso feula d'une voix caverneuse:
-C'est toi qui crée tout ça. En partant tu détruiras cette famille. Alors choisis bien, Ulysse de Cristal. Choisis bien.
-Arrête avec ça, tu leur raconte n'importe quoi! Tu vas les terroriser pour rien, bon sang! (Enragé par le comportement horrible de Calypso, il chercha le regard trempé de larmes de Liam et tenta de souffler de sa voix la plus douce) D'accord, mon grand? Il ne faut pas t'en faire, tout va bien.
Liam se frotta les yeux de ses poings fermés en hochant la tête:
-Tu pars pas alors? Tu restes avec nous?
Ulysse s'empêcha de foudroyer sa compagne du regard et répondit en soupirant:
-Je dois y aller, mais tout ira bien. Je pars demain, et puis dans environ quinze dodos je serai rentré à la maison, d'accord?
Le menton de nouveau tremblant, Liam hoqueta:
-Je ne veux pas que tu partes moi. Je veux que tu restes avec nous. Je veux pas que tu ne reviennes pas près de nous.
-Je vais revenir, mon grand, tu ne dois pas t'en faire. (Il ébouriffa ses cheveux rouges mi-longs en se força à sourire) Maman s'inquiète pour rien, je vais rentrer et on ira pêcher ensemble, qu'est-ce que tu en dis?
Ha, la promesse de la pêche. Il savait que Liam attendait cet évènement depuis que son père lui avait promis d'y aller dès qu'il aurait l'âge de recevoir sa première canne. Les yeux soudain brillants, le garçon répondit doucement:
-Tu promets?
-Je te le promets. Et je suis sûr que quand je vais rentrer tu seras devenu presque aussi grand que moi.
Un sourire flatté étira doucement les lèvres du garçonnet et Ulysse le serra contre lui sans parvenir à regarder Calypso, sachant qu'il serait incapable de se contenir si elle recommençait à se comporter de la sorte:
-Tu veilleras bien sur maman et Ophélie en m'attendant?
-D'accord.
-C'est bien mon grand.
Il embrassa tendrement le sommet de sa tête puis le déposa et le poussa doucement vers sa chambre:
-Allez, au lit, bonhomme. Je passerai vous dire au revoir quand vous serez endormis.
Liam jeta un coup d'oeil hésitant vers sa mère qui ne lui adressa pas un regard, puis il referma doucement la porte de leur chambre. Ulysse et Calypso s'affrontèrent silencieusement du regard pendant de longues secondes puis il gronda en se reculant, faisant comprendre ainsi qu'il refusait d'en parler là où les enfants pouvaient encore les entendre et s'inquiéter inutilement:
-Qu'est-ce qui t'a pris de faire une chose pareille?
Le suivant sans le quitter des yeux, Calypso se coula derrière lui:
-Il faut bien qu'il sache que son père est un lâche qui va les abandonner dès qu'un vieil imbécile claquera des doigts en lui demandant d'aller se faire tuer.
-Arrête, tu n'as pas le droit de dire ça! Je n'ai pas quitté cette famille, je n'ai jamais fait mine de m'éloigner! Je vous aime plus que tout, plus que ma propre vie!
-Alors ne va pas la gâcher!
-Je ne la gâche pas! Si j'y vais c'est aussi pour vous protéger vous!
-Ose me dire que ton ego n'est pas en jeu.
-Mon ego n'est pas en jeu. Voilà, tu es contente? Tu as entendu ce que tu voulais entendre? Tu veux savoir ce que je pense, vraiment? C'est que j'en ai ras-le-bol de ce rôle, que je t'ai choisie toi plutôt que mon titre et on me l'a collé en ne me laissant pas la possibilité de le quitter! Alors oui, ça me fait chier d'y aller et de devoir vous laisser même quinze putains de jours, mais j'ai pas le choix! Ce rôle est aussi ma responsabilité et je ne peux pas simplement refuser et risquer que ce danger distant devienne direct et vous mette tous les trois en péril! Je préférerais mille fois rester ici avec vous, je préférerais dire au Pope d'aller se faire foutre, mais je ne peux pas parce que je veux vous protéger! Est-ce que tu comprends? Ou bien est-ce que ça ne te suffit toujours pas?!
Calypso tiqua, consciente qu'elle n'avait jamais vu Ulysse hausser ainsi la voix, s'énerver avec autant de rage. Ses yeux bleus avaient pris un reflet inconnu, même quand il l'avait rattrapée sur la falaise il n'avait pas haussé la voix ainsi, avec tant de hargne. Il la fusillait véritablement du regard, dégoûté par son comportement et enragé d'avoir à en arriver là:
-Tu n'as pas intérêt à recommencer ce genre de scène avec eux quand je serai parti. Si tu le fais, je le saurai, et alors seulement nous parlerons de comment il faut agir pour protéger sa famille et ses enfants.
Elle fronça les sourcils, consciente que son comportement avait causé sa colère mais incapable de le reconnaitre:
-Tu n'as pas le droit de faire de moi la méchante de l'histoire! C'est toi qui va partir pour une mission dont tu n'as plus rien à faire!
-Je dois le faire pour vous protéger! Je le fais pour éradiquer une menace supplémentaire! (Il baissa d'un ton et posa doucement les mains sur les épaules de sa compagne) Tout va bien se passer, alors s'il te plait, arrêtons de nous disputer avant mon départ.
-Je ne pourrai pas te faire changer d'avis?
-Je dois y aller. Je serai de retour dans moins de deux semaines et tout se sera bien passé, je t'en fais la promesse.
Calypso ferma les yeux, serra les poings, essaya de refouler des larmes de frustration qui se pressaient derrière ses paupières. Réussit et souffla, incapable de le regarder dans les yeux:
-Tu as intérêt à revenir. Sinon je ne pourrai pas le supporter.
La colère était encore présente, trop pour qu'il puisse faire comme si de rien était, mais pas assez forte dans son coeur pour qu'il décide de la repousser et de nier sa peur. Alors Ulysse soupira et la serra doucement contre lui:
-Tout va bien se passer, alors attendez-moi juste deux petites semaines, d'accord?
Le visage enfoui dans la chemise de son compagnon, Calypso hocha doucement la tête, presque paisiblement:
-Ne tarde pas trop.
Le lendemain, il partit avant que le soleil ne soit levé, Pandora Box sur les épaules et capuche baissée sur le visage, le coeur étrangement lourd à l'idée de quitter sa famille pendant autant de temps. Il se secoua mentalement et écouta les murmures rassurants de son armure: inutile de s'inquiéter, inutile de se laisser contaminer par l'angoisse de Calypso. Il était l'un des Chevaliers d'Argent les plus puissants de l'ordre, il n'y avait aucune crainte à avoir.
Tout se passerait bien. Il en était sûr.
$s$s$s$
La cathédrale de la forêt était déjà loin dans son dos, et pourtant il ne pouvait pas s'arrêter de courir. Les poumons en feu, le visage trempé de sueur et de sang, serrant son bras droit devenu inutilisable contre lui, Ulysse courait aussi vite qu'il le pouvait, pressé par l'urgence et mût par une peur primordiale qui le poursuivait entre les arbres. Il devait prévenir le Pope, il devait absolument le prévenir de ce qui se tramait ici! L'issue de la Guerre Sainte en dépendait! S'il parvenait à lui faire passer ce message, peut-être qu'ils pourraient même empêcher cette Guerre avant même qu'elle ne commence! S'il parvenait à expliquer ce qu'il avait vu la veille dans cette orphelinat, s'il parvenait à expliquer quel genre d'individu il avait croisé quelques heures plus tôt,… Oui, tout pouvait encore être arrangé! Et alors personne ne serait en danger!
Un rire terrible résonna dans son dos, devant lui, tout autour du bois:
-Cours donc, ça fait longtemps que je ne m'étais plus amusé ainsi!
Le coeur battant à tout rompre, aveuglé par le sang qui coulait dans ses yeux. L'affrontement l'avait pris par surprise. Il avait compris trop tard que cet homme coiffé d'un haut chapeau était la menace dont on lui avait parlé. Et il avait compris trop tard qu'il n'avait aucune chance. Le duel n'avait eu de combat que le nom, il ressemblait plutôt à une exécution. Aucun de ses coups n'avait touché l'homme, aucune de ses attaques ne l'avait effleuré. Alors que chacun de ses mouvements à lui avaient frappé des points vitaux. Du sang s'écoulait des dizaines de blessures mortelles qu'il avait reçues, et sa vue commençait à se troubler.
Ulysse trébucha sur une souche d'arbre et hurla quand son genoux disloqué heurta violemment le sol. Des larmes de douleur et d'horreur dévalèrent ses joues, se mêlèrent au sang et l'aveuglèrent pendant une seconde. Si bien que la forme spectrale qui descendit devant lui lui sembla parfaitement irréelle. Flottant à plusieurs mètres du sol, une main sur son haut-de-forme et l'autre sur sa hanche, l'homme esquissa un sourire terrifiant, dévoilant ses dents acérées:
-Vous êtes si fragiles, vous les humains. (Le sourire carnassier s'étendit, et deux yeux rouges sang le foudroyèrent sur place) Quoique, j'avoue que tu m'as surpris. Tu as vite compris ce qui se passait là-bas, plus vite que ce que je ne pensais.
Luttant pour se redresser, Ulysse gronda:
-Vous êtes malade!
L'homme éclata d'un rire extatique en se tenant le ventre comme si c'était la meilleure blague qu'il avait entendue depuis des années:
-Et tu n'as encore rien vu! A peine as-tu pu découvrir le prologue de la pièce que je prépare! (Son rire s'éteignit aussi vite qu'il n'avait commencé, sans qu'il cesse de sourire pour autant) Hors de question de te laisser tout gâcher avant même que la fête n'ait commencé.
Ulysse essaya de se relever, lutta pour tenter de lever un bras et attaquer malgré l'angoisse qui lui nouait le ventre. Le monstre se pencha en avant, détaillant son visage avec attention puis en fichant son regard terrible dans le sien alors que son sourire prenait des proportions inhumaines. Il voyait des choses merveilleuses dans les yeux de ce Chevalier. Il voyait une jeune femme déjà perdue, il voyait une petite fille qui toussait un peu trop,… Il n'aimait juste pas ce jeune garçon qu'il voyait vêtu d'Or éblouissant. Oh mais rien qu'il ne pouvait changer. Rien qui l'inquiétât vraiment. Il suffirait de donner un coup de pouce au destin et de l'envoyer dans une certaine forêt - celle-ci même en fait - où d'autres débarrasseraient le plancher dans quelques années.
Alors il sourit encore plus et, tendant la main vers la gorge offerte de l'homme aux cheveux rouges - oh comme son sang s'y mêlerait bien - il sourit encore plus:
-Ne t'en fais pas, tu ne seras pas seul en Enfer bien longtemps, foi de Kairos.
Ulysse sentit que l'horreur le submergeait et il n'eut pas la force de regarder la mort en face. Il ferma les yeux et ses lèvres ensanglantées bougèrent sans laisser échapper un son:
-Calypso, les enfants, je suis…
Le sang éclaboussa l'arbre, et la lune en croissant ressemblait au sourire de l'homme au chapeau. La mort avait frappé, il était temps de disparaitre et de ne plus attirer l'attention.
$s$s$s$
En Grèce, de l'autre côté de la mer, Sage sursauta violemment quand le cosmos d'Ulysse disparut soudain en même temps que l'énergie sombre qui l'inquiétait depuis des semaines, des années. Il poussa un long soupir fatigué et se laissa aller contre le trône: ainsi c'en était fini… Le Chevalier de Cristal avait péri en accomplissant sa mission, emportant la menace avec lui dans la mort… Le coeur lourd, conscient que la jeune femme qui l'avait accompagné des années auparavant devait attendre des nouvelles de son compagnon, il appela d'une voix lasse et fatiguée:
-Faites venir un messager…
$s$s$s$
Quand le cosmos d'Ulysse disparut violemment de son esprit, quand elle réalisa qu'il était parti, Calypso manqua de s'évanouir tant la douleur était forte. Elle tomba à genoux dans les champs et porta une main à sa gorge, l'autre à son coeur. Luttant pour respirer, elle ne réagit même pas quand les autres femmes du village vinrent essayer de la soutenir, de la relever. Ses yeux se remplirent de larmes qu'elle refoulait avec horreur, incapable d'accepter ce silence, cette absence définitive dans sa tête et dans son coeur. Les voix des autres femmes ne l'atteignaient pas, à peine parvenait-elle à voir devant elle. Le sang pulsait dans ses oreilles, son coeur semblait vouloir sortir de sa poitrine. Elle ne parvenait plus à respirer.
Un violent frisson la secoua tout entière et elle se pencha en avant, vomissant un mélange de bile et de sang tant la douleur était violente. Les femmes poussèrent des exclamations inquiètes, la redressèrent, la déposèrent à l'ombre et l'éventèrent, essayèrent de la faire boire, de la calmer afin qu'elle reprenne son souffle. Au bout de plusieurs longues minutes, elle parvint à se relever, à mettre son état sur le coup d'une insolation. Oui… Oui ça devait être ça. Elle avait juste trop travaillé avec la tête au soleil et son esprit lui jouait des tours. Oui, oui oui, c'était ça. Une insolation.
Elle rentra chez elle comme dans un rêve, un sourire figé sur le visage et les yeux dans le vide. Ulysse allait bien, elle se faisait des idées à cause du soleil et du travail. Ce n'était rien, tout allait bien. Elle s'en était presque convaincue, avait réussi à rassurer les enfants qui avaient senti que quelque chose avait disparu et deux jours s'écoulèrent ainsi.
Puis le messager du Sanctuaire arriva.
Quand il lui tendit une lettre de condoléance du Pope en personne, ce fut comme s'il l'avait giflée là, sur le pas de la porte devant ses enfants qui cherchaient à comprendre le sens des mots "deuil" et "condoléances". Calypso sentit que sa maigre illusion se craquelait, que son espoir de voir l'amour de sa vie revenir vers elle disparaissait à tout jamais. Remplacée par la dure réalité de ces mots écrits noir sur blanc.
Ulysse s'est comporté en héros et a emporté la menace avec lui. Nous lui devons énormément, moi ainsi que tous les gens de cette Terre. Je ne peux imaginer…
Elle lâcha la lettre et s'effondra sur le sol, tomba à genoux en poussant un hurlement déchirant. Elle hurla jusqu'à s'en briser la voix, hurla jusqu'à attirer les voisins proches, hurla jusqu'à ce que les enfants se mettent à pleurer à leur tour quand ils comprirent pourquoi elle hurlait. Elle hurla en espérant que quand elle s'arrêterait, Ulysse serait de nouveau à ses côtés.
Mais les semaines passaient, les mois s'écoulaient, et Ulysse ne revenait pas.
Il était parti. Il l'avait laissée seule ici, seule avec son angoisse, seule avec son deuil… Elle ne parvenait pas à le supporter, ne parvenait pas à s'en remettre, ne parvenait pas à l'accepter. Calypso passait ses journées assise en face de l'âtre sans bouger, murmurant des paroles que personne ne comprenait, incapable de se nourrir ou de nourrir les enfants… Trop jeune pour le réaliser complètement, Ophélie était celle qui le vivait le mieux. Elle continuait de jouer avec sa poupée, continuait de babiller. Et de lui et sa mère, Liam était le seul qui parvenait à ne pas céder au désespoir. Il avait promis à son père qu'il veillerait sur sa soeur et sa mère, il devait faire de son mieux, refouler la douleur et l'envie de pleurer qui le prenait à chaque fois qu'il passait devant le lit de ses parents. A chaque fois que le souvenir du sourire lumineux de son père le prenait à la gorge et tentait de l'étouffer.
Il devait se démener pour essayer de trouver à manger puisque sa mère ne le faisait plus, il devait se lever la nuit quand Ophélie pleurait, ou pire, quand Calypso se mettait à crier et à pleurer en hurlant le nom de son compagnon disparu, le maudissant puis le suppliant de revenir près d'eux. Liam ne comprenait pas ce qui était arrivé, il ne comprenait pas comment son père était mort, mais il sentait que sa mère était en train de se perdre, qu'elle ne le voyait pas quand elle le regardait. Un jour qu'elle ne réagissait pas quand Ophélie tentait de grimper sur ses genoux, alors que la petite était tombée et pleurait pour essayer d'attirer son attention, Liam lui secoua doucement le bras:
-Maman? Maman, on n'a plus de pain. Qu'est-ce qu'on fait?
Le regard ambré avait perdu tout éclat, et c'est avec des prunelles vides que Calypso se tourna vers son fils de six ans en soufflant:
-Je n'en peux plus, Liam… Je suis désolée… Tout est de ma faute…
-C'est pas grave, maman, c'est pas toi.
-Si… Si c'est moi… (Elle renifla bruyamment puis serra le garçon contre elle en éclatant en sanglots, le serra si fort qu'il n'arrivait presque plus à respirer) Je suis une mauvaise mère, je suis une mauvaise femme et c'est pour ça qu'il est parti! J'aurais dû l'en empêcher mais je n'ai pas réussi et à cause de ça il est mort!
Elle sanglota longuement sans lui laisser l'opportunité de se dégager. Et à vrai dire, les attentions envers eux étaient devenues si rares qu'il ne pensa pas un instant se reculer, se contentant de profiter de cette étreinte et de passant la main dans son dos comme le faisait son père pour le rassurer:
-Maman est si fatiguée, Liam… Maman voudrait se reposer… Tu comprends, elle n'est pas correcte avec vous, elle ne devrait pas être ici… C'est elle qui devrait être morte et pas papa…
-Ne dis pas ça, s'il te plait.
-Je suis tellement désolée…
Il l'aida à se lever et la guida lentement vers le grand lit si froid, si vide où il l'allongea du mieux qu'il pouvait. Elle était si légère, tous étaient devenus très légers en quelques mois. Elle n'avait plus que la peau sur les os, et ses enfants étaient à son image. Elle n'allait pas s'endormir avant longtemps, il le savait. Elle ne s'endormait plus que s'ils étaient allongés près d'elle. Alors il alla chercher Ophélie par la main, essuya ses larmes et la mena dans le grand lit à son tour. Il s'allongea à côté de sa petite soeur, tenta de toucher le dos de sa mère d'une main, renonça quand son ventre rugit tant il avait faim. Liam ferma les yeux, rêva de viande et du rire d'un homme aux yeux bleus si clairs, priant pour que quand il ouvrirait les yeux, tout soit redevenu normal.
Il se réveilla en sursaut. Il faisait nuit noire et un coup de vent glacial avait ouvert la fenêtre de la chambre, la faisant claquer contre le mur. Son premier réflexe fut de regarder sa soeur, de chercher sa mère du regard,… Elle était debout dans l'encadrement de la porte, éclairée par la seule lumière de la lune. Ses cheveux étaient complètement emmêlés et tombaient devant son visage sans tout à fait masquer ses yeux ambrés. Elle les regardait avec une attention étrange, presque effrayante, si bien qu'il sentit une vague d'angoisse lui serrer le coeur. Aussi pâle que la mort, elle ressemblait tant à un fantôme que Liam crut un instant que c'en était un. Il se redressa sur le lit, incapable de réagir immédiatement quand elle parla d'une voix éteinte:
-Tu es un brave garçon, Liam. Nous sommes très fiers de toi.
Un frisson glacé remonta le long de la colonne du garçon qui tenta de l'interrompre:
-Maman?
-Je vais aller chercher ton papa, alors veille bien sur ta soeur en attendant notre retour.
Liam sentit sa gorge se serrer et il se redressa lentement, les yeux soudain brulants de larmes:
-Quoi? Qu'est-ce que tu vas faire?
Elle le regarda une longue seconde, puis se détourna lentement, si lentement qu'il eut la sensation qu'elle lui interdisait de bouger et de quitter le grand lit. La peur l'empêchait de bouger, l'angoisse de découvrir ce que sa mère signifiait le gardait cloué au lit, incapable de réagir. Il voulait se terrer sous la couverture, il voulait qu'un adulte le serre contre lui et lui dise que tout irait bien. Il avait besoin de ses parents. Il refoula un sanglot:
-Maman?
Ce fut le long silence qui lui servit de décharge et qui le poussa à bouger, à avancer lentement dans le couloir, le coeur battant et la voix rauque. Il espérait qu'elle serait assise face à l'âtre, qu'elle serait debout devant la table peut-être. Mais un grand frisson le prit quand un courant d'air glaça la maison, et il réalisa avec horreur que la porte de la maison était déjà ouverte et que Calypso s'éloignait d'un pas tranquille. Vêtue d'une tunique blanche quasi spectrale, sa silhouette se détachait dans la nuit comme celle d'un fantôme. Une partie de lui ne voulait pas bouger d'ici, ne voulait pas laisser Ophélie seule, ne pas s'avancer dans la nuit ainsi. Mais son père lui avait demandé d'être brave. Il devait veiller sur elles.
Liam fit un pas tremblant en avant puis un deuxième et appela:
-Maman!
Elle ne se retourna pas, ne sembla pas l'avoir entendu. La gorge serrée par des sanglots angoissés, Liam avança, essaya de courir pour la rattraper. Mais la nuit était si sombre, le vent trop fort, et elle était déjà si loin:
-Maman! Reviens!
Il trébucha, roula sur le sol et s'écorcha les genoux. Les yeux noyés de larmes terrifiées, il ne parvint pas à s'empêcher de trembler. Il avait peur, il ne savait pas ce qu'elle faisait, il voulait qu'elle revienne. Il se releva, se mit à courir, à tout faire pour la rattraper. Ses pleurs étouffèrent presque son cri:
-Reviens! Reviens! Ne nous laisse pas!
Mais le spectre continuait d'avancer, pieds nus sur l'herbe sèche qui ne crissait pourtant pas sous ses pas. Elle gardait les yeux vers l'horizon, vers ce mirage qu'aurait pu être sa vie. Elle percevait distinctement le visage de l'homme aimé, apercevait une amie de longue date aux cheveux blonds et au rire enjoué, elle voyait une haute statue de pierre… Un sourire étira ses lèvres et elle tendit les bras vers eux, se saisit doucement de la main qu'Ulysse lui tendait.
-J'arrive.
La vue brouillée par les larmes, Liam tendit la main…
Le spectre vêtu de blanc disparut du haut de la falaise. Sans un cri.
$s$s$s$
Tout le reste était flou. Il se souvenait vaguement avoir été rattrapé in extremis par un voisin, alerté par ses cris. Il se souvenait vaguement du cortège funèbre, de l'enterrement sobrissime qui avait suivi, gardait un souvenir ouaté d'une discussion entre les villageois qui essayaient de savoir qui s'occuperait des deux orphelins. Il retenait des paroles désolées mais emprunte de légère méfiance. Après tout, leurs parents n'étaient-ils pas des étrangers? N'avaient-ils pas de la famille pour les aider? Ou bien avaient-ils fui quelque chose et valait-il mieux éviter de garder les enfants près d'eux.
Ils avaient dû quitter la maison, il n'avait même pas compris pourquoi, une histoire d'argent qu'ils n'avaient pas pour financer l'enterrement de leur mère. Il avait juste obéi en silence, amorti, tirant Ophélie par la main malgré les pleurs et les cris de la petite. Il ne leur restait rien, pas un sou, pas un morceau de pain. Ils dormaient là où ils pouvaient, loin du village où ils avaient grandis mais toujours près de la côte, là où il pouvait tenter de pêcher. Rester fort, rester fort, s'occuper d'Ophélie. S'occuper d'elle, lui trouver à manger, la réchauffer quand elle en venait à pleurer de froid, sacrifier sa ration quand elle avait avalé la sienne trop vite,… L'homme de la maison, il était l'homme de la maison et devait laisser le garçon de six ans et demi derrière lui pendant un instant.
L'enfer continua pendant six mois. Pendant si mois, son ahurissement muet se transforma en désespoir, puis en colère. Puis en haine féroce, nourrie à l'eau de pluie et aux restes qu'il allait voler dans les champs. Il était en colère contre son père d'être parti sans écouter les menaces de sa mère. Il y avait des fois où les cris d'Ophélie lui donnait envie de pleurer d'épuisement et d'irritation. Il était horriblement déçu et dégoûté du comportement des villageois.
Mais tout ça n'était rien comparé à la haine qu'il nourrissait pour sa mère. Il la haïssait de les avoir laissés. Il la haïssait d'avoir choisi de partir. Il la haïssait de les avoir abandonnés sans un regard en arrière. Il la haïssait tant qu'il avait parfois du mal à ne pas frapper dans quelque chose. Il la haït encore plus quand Ophélie s'endormit et ne se réveilla jamais.
Sa haine commença à le dévorer, à se nourrir de son chagrin et de son désespoir, à enfler toujours plus dans sa poitrine si petite et si maigre. C'était la haine qui le faisait avancer, la haine qui le faisait survivre, la haine qui l'empêchait de se laisser mourir à son tour. Elle avait été assez lâche pour décider d'abandonner? Il refusait de faire pareil. Il refusait de céder, refusait de lâcher prise. Oh non, sa survie serait sa vengeance. Lui qui avait toujours été si calme semblait mû par la haine, par la colère pure, par une envie de vengeance qu'il ne pourrait jamais accomplir pleinement.
Les marins s'écartaient en le croisant au port, les enfants s'effrayaient de son regard ambré devenu brûlant de haine, les femmes ne prenaient plus pitié et ne jetaient plus de pain devant lui avant de disparaitre. Et il les haïssait tous. Il les détestait, détestait le monde entier, le monde devenu si noir, si vide depuis le jour où son père avait quitté la maison. Il sentait quelque chose gronder en lui, l'univers qui avait toujours été si calme et placide entrait en révolution. Réclamait son dû.
Noir, tout était noir. Partout où il posait ses yeux si clairs, tout n'était que noirceur. La haine, la rancoeur, le désespoir avaient fait leur nid dans son coeur. Le soir, quand la haine laissait la place au désespoir, il pleurait silencieusement ce père disparu trop tôt, maudissait cette mère si lâche, désespérait de la mort de sa jeune soeur. Tout était si noir, et il avait si froid depuis que le feu qu'incarnait son père s'était éteint. Il ne déserrait plus les lèvres, grognait plutôt que de parler. Mordait quand on faisait mine de s'approcher de lui.
Liam ne sut jamais bien comment il en arriva là, mais des hommes le trouvant errant sur les quais - des étrangers, c'était certain - proposèrent de l'emmener faire un grand voyage en Afrique, là où il pourrait être nourri s'il était sage. Il n'était pas stupide. Il avait compris les sous-entendus, ne s'était même pas débattu, avait simplement accepté ce malheur final qu'était l'esclavage.
Dans cette cale si sombre, sa haine s'était tue quand il avait compris le désespoir de sa mère, quand il avait réussi à lui pardonner… Quand il avait réussi à effleurer cette noirceur… Quand il s'était dit que la mort pourrait être sa délivrance, sa réunion avec sa famille… Il avait fermé les yeux…
Et à ce moment-là, alors qu'il venait d'abandonner tout espoir, alors que la dernière flammèche de son coeur venait de s'éteindre, une lumière dorée avait jailli dans l'obscurité. Quelqu'un avait ouvert la trappe de la cale, celle de son coeur, et avait laissé entré l'espoir une nouvelle fois. Un vent brûlant avait ravivé la flamme moribonde. Liam avait ouvert les yeux et croisé le regard si clair, si bleu, de cette homme aux sourire moqueur. Il avait senti son coeur battre la chamade. Et quand l'homme aux cheveux bleus s'était agenouillé, quand il lui avait pris la main, l'obscurité avait volé en éclat.
Et l'univers en lui s'était stabilisé.
$s$s$s$
-Et qui est cet enfant?
-C'est… Nous l'avons trouvé parmi des.. Enfin, lors du trajet du retour, nous avons eu à faire avec des marchands d'esclaves et il était parmi eux. Comme il possède un cosmos, nous-… Enfin j'ai pensé qu'il serait à sa place ici.
Le Grand Pope hocha la tête et avança d'un pas pour se trouver à quelques mètres du garçon aux cheveux rouges. Le coeur battant, empli d'un espoir qu'il craignait de voir déçu, il appela doucement:
-Lève-toi, mon enfant.
Liam jeta un regard intrigué à Kardia, comme pour chercher son accord, et le Scorpion lui adressa un léger mouvement de tête accompagné d'un sourire pour l'encourager. L'enfant hésita un instant puis, releva ses yeux ambrés et se leva lentement, paisiblement. Sage sentit son coeur se serrer dans sa poitrine quand il reconnut le père à travers le fils, quand les yeux ambrés lui rappelèrent une jeune apprentie hésitante. Quand il eut la confirmation que ce garçon devait avoir un énorme potentiel au vu de ses parents. Le Grand Pope le détailla un instant, presque avec nostalgie, observant ses traits trop maigres et ses yeux si paisibles. Puis il demanda doucement, comme s'il avait peur de l'effrayer:
-Comment t'appelles-tu?
-…Liam.
-Sais-tu ce qu'est le cosmos, Liam?
Le petit garçon secoua légèrement la tête et Sage jeta un coup d'oeil légèrement réprobateur au Scorpion qui rentra imperceptiblement la tête entre ses épaules:
-La moindre des choses aurait été de lui expliquer.
-Ouais, j'y ai pas pensé. Désolé.
Sage leva les yeux au ciel, incapable de réprimander Kardia davantage. Sans doute que les parents avaient voulu protéger leur enfant. Sans doute qu'ils avaient caché l'existence du Sanctuaire et même celle du cosmos. Le Pope posa la main sur l'épaule de Liam, comme pour lui faire comprendre qu'il avait toujours été le bienvenu ici, sur la terre de ses parents:
-Viens: le voyage a dû t'épuiser. Emilia va te préparer un bain et de nouveaux vêtements. Ensuite tu pourras aller te reposer. Demain je t'expliquerai ce qu'est le cosmos et, si tu l'acceptes, ton futur rôle.
Liam hocha doucement la tête et Sage décida de passer un peu de temps avec ce garçon. Le temps de lui expliquer les règles de l'endroit, mais aussi de lui parler de ses parents et de leur héritage:
-A présent nous serons ta famille.
Un léger sourire ému étira les lèvres du garçon et, rangée parmi les armures sans porteurs, Cristal sembla sourire avec lui. Signe d'une nouvelle ère et d'une nouvelle vie.
*Comme toutes les informations concernant le Chevalier de Cristal dans l'anime de base sont vraiment floues et parfois même contradictoires (maintenant j'ai peut-être mal cherché, c'est possible), j'ai décidé de faire moi-même un petit mix de toute ce que j'avais lu et une interprétation « personnelle » pour faire du père de Liam un Chevalier des glaces (et puis cette armure est quand même stylée plz) :)
**Heleanora, c'est pour toi ;3
Alors oui, rencontre clichée, début d'histoire d'amour clichée,... Mais j'aime trop ces scénarios (sorry not sorry), de toute façon ça finit quand même mal alors un peu de rêve de temps en temps c'est chouette ;-; Le personnage d'Ysolte n'est pas tout à fait anodin puisqu'elle annonce en fait ma toute première OC que vous avez pu voir dans "Le Scorpion" et que vous découvrirez peut-être (si j'ai la force de continuer ce projet) dans une prochaine fic: Ariane ^^ Donc voilà, auto clin d'oeil en quelque sorte
J'espère que cette première annexe vous aura plu, et on se retrouve dès que possible autour de la suivante!
A bientôt! 3
