Titre : L'homme n'est rien … (1)

Auteur : Rieval

Genre : amitié. GEN. Courant saison 3 peu de temps après « Un scandale à Buckingham ». Inspirée (ahem) de la nouvelle parue en août 1891, « La ligue des rouquins » in Les nouvelles Aventures de Sherlock Holmes.

Disclaimer : pas à moi ! S'ils l'étaient, ce ne serait pas un misérable teaser de 26 secondes que j'offrirais aux fans, screugneugneu !


Sherlock n'en revenait pas. C'était si … si inespéré !

« … léguer son corps à la science, babillait Molly derrière lui. J'ai su tout de suite que ça pourrait vous intéresser, Sherlock, et …

Sherlock secoua la tête. La voix de Molly était comme un son parasite l'empêchant de se concentrer sur l'incroyable chose qui se trouvait devant lui. Il entendit vaguement John répondre à la jeune femme.

Avec révérence, comme s'il s'agissait d'un objet saint, Sherlock toucha la merveille qui se trouvait sur la table du labo.

Un lithopédion (2). Parfaitement calcifié. Une merveille de la nature selon lui et non le monstre que la littérature « populaire » aimait à représenter. Il allait pouvoir vérifier la nature de –

- Sherlock …

La voix de John était nettement moins irritante que celle de Molly. Après plus d'un an de cohabitation, Sherlock pouvait même identifier tous les tons de la voix de John. Légère inflexion sur le « k » : exaspération.

Sherlock soupira. Sans quitter des yeux le lithopédion, il répondit d'une voix distraite :

- Humoui.

- Molly t'a posé une question.

Ah, on était passé de l'exaspération à l'irritation. Sherlock releva la tête. Une question ? Quelle question ?

Molly tordait nerveusement sa longue tresse et arborait un petit sourire crispé.

- Euh, oui, je … je …

Sherlock leva un sourcil impatient. Il avait des expériences à mener et n'avait pas de temps à perdre avec … avec les tics nerveux de Molly Hooper !

Molly, sentant que Sherlock était au bord de l'explosion, prit une large inspiration et se lança :

- Ce sera juste pour le week-end.

Sherlock fronça les sourcils. Le week-end ? Qu'est-ce qui était juste pour le week-end ?

Molly ajouta avec un petit rire nerveux et un geste du menton en direction de la table :

- Ca vous laissera tout le temps qu'il vous faut pour mener à bien votre étude du lithopédion.

Sherlock se détendit immédiatement et se tourna à nouveau vers son trésor. Ooooh oui, il aurait bien besoin d'une semaine, minimum ! L'analyse des tissus en elle seule devrait prendre plusieurs jours.

- Et donc, euh, c'est oui ? Demanda Molly d'une petite voix flutée.

Sherlock marmonna un autre « hummmoui ». Il commencerait par une étude de la membrane. Qu'est-ce qui déclenchait dans le corps cette exceptionnelle réaction de défense ? Se pourrait-il que -

- Tu es sûr Sherlock ? Demanda John.

Sherlock poussa un long soupir et leva les yeux au ciel. Pourquoi !? Pourquoi devait-il invariablement subir d'irritantes interruptions alors qu'il était plongé dans une étude fascinante ? Les gens n'avaient-ils donc aucun sens des priorités ? Tous une bande d'idiots.

- Oui, répondit-il, dents serrées.

- Pas besoin d'autres … « données » avant de répondre, demanda John sur un ton dans lequel Sherlock décela une pointe d'amusement.

- Ha ha, très drôle John, répondit-il distraitement, mains fermement appuyées sur la table, le nez pratiquement sur le lithopédion.

Il disposait de toutes les données dont il avait besoin, merci. Il partirait des résultats de la revue "Clinical Anatomy". Où avait-il vu cet article ? Dans le numéro de janvier 2000 ? Non, 2001. Le matériel de St Bart's ferait le reste.

Molly continuait de parler et John ajoutait ça et là ses commentaires. Pour sa part, Sherlock continuait juste à hocher la tête lorsque le ton de leur voix semblait laisser entendre qu'une question lui était posée et qu'une réponse était attendue. Répondre « non » aurait nécessité une argumentation et son cerveau était complètement concentré sur le lithopédion.

Il y avait un moment qu'il n'avait pas mis à jour son site avec une étude intéressante et celle-ci serait pour le moins exceptionnelle ! Ah, on verrait bien qui aurait le maximum de visites quand il aurait publié le résultat de ses recherches avec un titre sérieux, pas comme celui de certaines historiettes dont l'auteur se tenait, arborant un large sourire, devant la porte du labo (s'il laissait John faire, son étude s'intitulerait certainement « un bébé complètement stone » ou encore « le calcium : un danger pour les enfants »).

- Et bien Molly, dit John, nous allons vous laisser travailler maintenant. Dimmock nous attend avant 17 heure. Vous passez vendredi en fin de soirée, c'est ça ?

- Oui, oui. Oh et merci, encore mille merci Sherlock, je ne sais pas ce que j'aurais fait si vous aviez dit non.

Sherlock hocha la tête pour ce qui semblait être la cent millième fois et prit dans ses bras la boîte hermétique dans laquelle il avait précautionneusement calé le lithopédion. John lui ouvrit la porte.

- A vendredi! Lança John à Molly. »

Vendredi ? Pensa Sherlock. Quoi vendredi ? Oh, non, non et non. Rien du tout vendredi, il serait trop occupé pour faire quoique ce soit vendredi ! Vendredi, il avait rendez-vous avec la Science, et la Science était une maîtresse impatiente. Et exclusive. John pouvait inviter Molly Hooper à prendre le thé s'il le voulait mais pas question que Sherlock socialise.

De toute manière, Sherlock ne voyait pas comment ils pensaient pouvoir prendre le thé tous les deux : il allait avoir besoin de tous les récipients se trouvant dans l'appartement pour ses analyses.

Décidément, tout cela était du plus haut ridicule.


Sherlock serrait toujours la boîte fermement contre lui lorsqu'ils arrivèrent à New Scotland Yard.

John sourit. Il était certain que Sherlock n'aurait pas montré davantage d'attention si ce qu'il tenait dans les bras avait été son premier né. Encore que ... non, l'idée de Sherlock Holmes avec un nouveau né le fit frémir d'effroi. Et en parlant de nouveau né, John se demandait quelle tête Sherlock allait faire lorsque Molly passerait vendredi déposer sa petite surprise.

Sherlock soupira (longuement et bruyamment) en sortant du taxi.

« Pourquoi faut-il que nous fassions ça maintenant, grogna t-il.

- Parce que Sherlock, nous sommes en plein mois d'août.

Sherlock fronça les sourcils.

- Et … ?

- Et la moitié des effectifs de NSY est en congé annuel soupira John. Lestrade est parti la semaine dernière et Dimmock lui, part demain. Il veut boucler cette affaire avant son départ ce qui veut dire que tu dois faire ta déposition aujourd'hui.

Un grognement inintelligible échappa à Sherlock qui resserra son étreinte sur la boite.

- Si tu veux, le taquina John, je m'occupe du « petit » pendant que tu es avec Dimmock».

Sherlock lui jeta un regard noir et, boite dans les mains, entra, sans frapper, dans le bureau du DI Dimmock. John laissa échapper un petit gloussement et jugea préférable de rester dehors. Ca tombait bien, il avait une petite faim et avait vu un distributeur dans un des couloirs.


« Non. Non, non et non ! Saleté de … de machine ! Grogna John. Rends-moi mon argent ou donne-moi mes M&M's !

Evidemment, le distributeur ne voulu rien entendre. John n'avait vraiment pas le fluide avec tout ce qui contenait de l'électronique mais au moins le distributeur lui était silencieux. Il soupira et s'agenouilla devant la machine. Le paquet était coincé entre la paroi de plexiglas et la petite spirale sensée l'expulser de son réceptacle. Peut-être que s'il donnait un léger coup à l'appareil …

John jeta un regard rapide autour de lui. Le couloir était désert, merci les grandes vacances ! Il se leva et posa sa main sur le bord droit de la machine puis poussa de toutes ses forces et … l'appareil ne bougea pas d'un pouce. Ok. Ca, c'était vraiment vexant.

John Watson 0 – machines exaspérantes, 2.

«J'peux vous donner un coup de main si vous voulez, fit une voix masculine derrière lui.

John sursauta et son cœur mit un moment avant de retrouver un rythme normal.

Un jeune homme se tenait là en tenue de Bobby. Son visage constellé de tâches de rousseur arborait un large sourire. Des boucles rousses rebelles tentaient de s'échapper du lourd casque qu'il portait. Un jeune homme que John était certain d'avoir déjà vu …

- Désolé de vous avoir fait peur docteur Watson. Séléna fait parfois un peu sa bêcheuse.

- « Séléna » ? répéta John, bêtement.

Le jeune homme désigna le distributeur du menton. La marque de l'appareil, un Sélecta, avait été en partie effacée et ce qui en restait ressemblait en effet à « Séléna.

- C'est une gentille fille mais … le policier plaça son pied tout en bas de l'appareil et donna un coup sec. Le sachet de M&M's tomba délicatement. Faut juste avoir le coup de main avec elle.

- Ou de pied, merci … euh … je suis certain que nous nous sommes déjà rencontrés, non ?

Le jeune homme sourit.

- Agent Jabez Wilson. J'ai été muté ici il y a deux semaines. Nous nous sommes rencontrés lors de l'affaire du boomerang, vous vous rappelez ? Sacrée histoire !

John grimaça. Oh que oui, il s'en rappelait. C'était juste avant que Sherlock et lui ne fassent connaissance avec la charmante Irène Adler. Jolie débâcle.

- Oh, oui, bien sûr, répondit-il avec un sourire un peu forcé.

- C'était la première fois que je voyais un hélicoptère se poser en pleine campagne pour emmener quelqu'un à Londres. Mais le plus fort, ça été la manière dont monsieur Holmes a résolu l'affaire. C'était juste … stupéfiant ! Et rien qu'en jetant un coup d'œil à la berge de la rivière !? Trop. Génial.

John sourit au jeune homme, amusé par son enthousiasme. Il récupéra ses confiseries et se leva.

- Oui, sans oublier de mentionner qu'il a résolu cette petite enquête vêtu d'un simple drap, marmonna John dans sa barbe.

- Pardon Monsieur ?

- Euh, non, rien, rien. Et donc agent Wilson, que pensez-vous de NSY ? Cela doit vous changer de la campagne, non ?

- Pour sûr ! S'exclama Wilson.

- Bien, bien.

Et le silence s'installa dans le couloir.

Un chouïa pesant le silence.

John regarda sa montre. Moins de 20 mn depuis qu'il avait laissé Sherlock. Pas sûr qu'il avait fini de faire sa déposition. Surtout avec sa manie de détailler ad nauseam les éléments étayant ses conclusions. John trouvait la manière dont le cerveau de Sherlock analysait A Plus B pour aller à C fascinante mais il devait aussi bien reconnaître que le plus souvent, il était exaspéré par le besoin maladif de Sherlock d'énumérer tous les dits A+B plutôt que d'en venir directement à C. La liste était souvent longue et se terminait presque invariablement par une petite grimace du Dieu des détectives-consultants qui disait clairement : « comme il doit être pénible de vivre avec un cerveau aussi inepte que le vôtre, Ô pauvres mortels ! ». Humpf, tant pis, il allait voir où en était le Dieu en question. Il y avait peu de chance pour qu'il soit allé droit au but, Dimmock lui tapait généralement sur les nerfs et il faisait exprès de lui sortir le grand jeu jusqu'à ce que le jeune inspecteur se masse les tempes, victime d'une bonne migraine sherlockienne.

- Bon, et bien, je vous souhaite une bonne continuation dit John, je dois rejoindre -

- NON !

- Pardon ?

- Non, enfin oui, bien sûr, vous devez être très occupé mais … mais, bredouilla Wilson, je … est-ce que je pourrais vous prendre quelques minutes de votre temps docteur Watson ?

John fronça les sourcils.

- Il y a un problème ?

Wilson poussa un long soupir.

- Je … Je ne sais pas au juste. C'est peut-être rien du tout. Peut être que je me fais tout un cinéma de tout ça mais … Il secoua la tête. Il y a quelque chose que je trouve bizarre. Il émit un rire nerveux et se passa la main dans les cheveux. C'est certainement parce que je travaille dans la police : tout nous semble suspect.

Le jeune homme prit une large inspiration et se lança.

- J'aurais besoin des services de Monsieur Holmes. Oh, et des vôtres aussi bien entendu, ajouta t-il nerveusement. Je ne voulais pas insinuer que vous ne serviez à rien. Bien sûr que vous servez à quelque chose ! Vous… euh … vous … faites … euh …

Un éclair de panique passa dans les yeux de Wilson et John décida qu'il était grand temps d'éviter au jeune homme de se ridiculiser davantage. Et de l'humilier lui aussi au passage. Après tout, ce n'était pas complètement de la faute de Wilson : qui avait demandé à John d'aller jouer les cameramen en plein milieu de nulle part, parce que le « grand » détective se prélassait encore au lit à presque 10 h du matin ?

John ouvrit le paquet de M&M's et se tourna vers Wilson qui continuait à babiller (et à s'enfoncer, jugea John). Il sourit au jeune homme et lui offrit un chocolat ce qui eut l'effet escompté : le faire taire.

- Vous savez ce qui se marie divinement avec les M&M's ? Un thé.

- Euh, merci docteur Watson, balbutia Wilson en prenant un M&M's, mais je n'ai pas encore fini mon service et -

- Ne vous en faites pas, l'interrompit John, je connais l'endroit parfait ou nous pouvons prendre un thé sans avoir à quitter le bâtiment. Vous me raconterez tranquillement de quoi il retourne».


Hummmm, John comprenait mieux pourquoi Sherlock aimait tant s'installer dans le fauteuil de Greg. Il était fichtrement confortable. John étendit ses jambes. Wilson se tenait, indécis, dans l'embrasure de la porte du bureau de Lestrade. John fit signe au jeune homme d'entrer.

«Docteur Watson, vous êtes sûr que nous pouvons … que nous avons le droit d'être ici ? Demanda Wilson.

- Ne vous inquiétez pas, Greg – l'inspecteur Lestrade est un ami.

John se leva et se planta devant « le coin cafet' » que Greg avait installé dans son bureau. Il prit une des bouteilles d'eau minérale et en remplit la bouilloire puis il prépara le thé.

- … et vous pouvez m'appeler John, dit-il en posant une tasse devant Wilson.

- Oh, euh et moi, Jabez.

La bouilloire émit un petit sifflement et John versa le thé dans la théière. La fragrance zestée et acidulée de la bergamote de l'Earl Grey emplit immédiatement le bureau.

Jabez et John burent leur thé à petites gorgées, Jabez picorant dans le paquet de M&M's. Lorsque John jugea que le jeune homme était suffisamment détendu, il reposa sa tasse et lui demanda :

- Alors Jabez, quelle est cette « histoire » qui vous paraît suspecte ?

- C'est à propos de la Ligue des Rouquins, répondit Jabez.

John cligna des yeux, décontenancé par cette étrange annonce.

- Euh, la ligue des quoi ?

- La Ligue des Rouquins. C'est un site internet. Je l'ai créé il y a presque six ans de ça maintenant. C'était avant que j'entre dans la police. Être roux n'est pas toujours facile vous savez. Surtout lorsque vous êtes de la génération Harry Potter ! Être appelé « Weasley » au bout d'un moment … Jabez soupira. Et du coup, bah, j'ai créé ce site. La Ligue des Rouquins. Pour tous ceux qui étaient comme moi : un « poil de carotte ». J'avoue que je ne pensais pas que ça marcherait aussi bien. Il y a un forum, une FAQ, un compte Facebook, un Tweeter. Et plus de 17 000 abonnés !

Il y avait de la fierté dans sa voix. John sourit. Lui n'était pas roux mais, il avait toujours été … petit. Petit à l'école, pas beaucoup plus grand à la fac de médecine et à l'armée. Lorsqu'il avait été au lycée, juste avant qu'il ne prenne – enfin ! – quelques centimètres à la puberté, Harry avait pris l'habitude de l'appeler « pocketJohn ». Sauf que John avait refusé de vivre sa taille comme un « handicap ». Au contraire. A la Fac, il s'était fait une belle réputation comme un excellent joueur de rugby, vif et rapide. Et à l'armée, personne ne vous faisait de remarque lorsque vous étiez capable d'abattre un adversaire à plus de 1 250 m (3), mais John pouvait sympathiser avec Jabez.

- Wouaouh, félicitations Jabez, le complimenta John. Et votre petit « problème » ? Un de vos abonnés ? Un « hacker » ?

Jabez soupira et joua un moment avec le liquide dans sa tasse avant de répondre :

- Oh, non, non, rien de tout ça.

Il posa la tasse, poussa un nouveau soupir et se décida à se lancer :

- Le site a vraiment du succès et j'ai même signé un ou deux contrats, pas le genre l'Oréal, mais quand même, avec des firmes spécialisées dans les cosmétiques pour les peaux rousses. Ca permet de payer le serveur et c'est gratifiant de voir que le sérieux de la Ligue est reconnu par des professionnels. Il y a un peu plus d'un mois de ça, j'ai été contacté par Mme Spaulding. Elle dirige une petite agence de communication, Ross et Cie, et venait de décrocher un contrat avec une firme de dermo-cosmétique qui voulait se lancer dans la coloration douce. Apparemment, le roux est à la mode, rit Jabez, comme quoi, tout change ! Il y a désormais des femmes qui veulent ressembler à Ginny Weasley.

John avait quant à lui une légère préférence pour Rita Hayworth (4). Il sourit au jeune homme et le laissa continuer.

- Vincenza, c'est euh, c'est le prénom de Mme Spaulding ne m'a pas dit le nom de la firme en question. Une entreprise située dans le sud de la France avec une bonne réputation. Clause de confidentialité et tout. Ross et Cie a été chargée de faire une analyse marketing et des recherches préliminaires sur les nuanciers et –

- « Nuanciers » ? Qu'est-ce que c'est que ça ? L'interrompit John.

- Oh. C'est un panel de couleurs, comme des gammes. J'en ai déjà réalisé quelques uns. Il y a un tel dégradé de couleurs dite rousses ! Une vraie richesse chromatique.

- Je vois, répondit John, et cette Mme Spaulding … ?

- Elle voulait un nuancier plus complet que ceux que j'avais déjà réalisés et qu'elle avait trouvés sur le site, et elle voulait aussi que j'ajoute des « noms » pour chaque nuance.

- Des noms ?

- Oui, les nuanciers portent généralement des chiffres pour indiquer l'intensité d'une couleur mais Vincenza disait que ce n'était pas très « vendeur ». Je pensais que ce serait plus difficile que ça mais les noms sont venus naturellement : Mahogany, Acajou, Ambre, Aubergine -

Tout ça c'était bien joli, pensa John qui écoutait la liste d'une oreille distraite mais … il jeta un rapide coup d'œil à la pendule qui se trouvait dans le bureau. Yep, l'ogre devait avoir fini son repas de pauvres innocents. Ou dans un langage moins poétique : il était temps d'aller voir ce qu'il restait de ce malheureux Dimmock après plus d'une heure passée en compagnie de Sherlock.

- Euh, Jabez, je ne vois pas bien ce que vous trouvez de bizarre dans tout ça. Vous avez signé un contrat ?

- Oui, oui.

- Et vous êtes rétribué pour réaliser ce nuancier ?

- Oui, super bien ! Carrément mieux que pour mon vrai boulot en fait.

- Et bien alors, qu'est-ce qui vous semble louche ?

Jabez jouait avec un M&M's.

- C'est ce qu'elle m'a demandé la semaine dernière, murmura le jeune homme.

John réprima un soupir.

- Et qu'est-ce qu'elle vous a demandé au juste ?

- Des photos.

- Des photos ? Des photos de quoi ?

- Pas de « quoi ». De « qui ».

- Euh, désolé Jabez mais là, je ne vous suis pas …

- Pour un nuancier de coloration, les professionnels utilisent des petits échantillons de cheveux, pas des vrais, bien sûr, des trucs en nylon. Je n'ai pas les moyens de faire des « faux » échantillons. Les tons que j'ai répertoriés, bah, j'ai juste demandé aux gens de me faire parvenir une petite mèche de leur cheveux. Le nuancier que j'ai livré était parfait, une vraie merveille ! Je connais bien ces trucs là maintenant et normalement, ça aurait du suffire mais Vincenza a demandé des photos de chaque personne qui avait participé. Apparemment, c'était une demande expresse de son client. Pour qu'il puisse juger de l'effet de la couleur sur une « vraie » personne, qu'il puisse dire que c'était une couleur tirée de la nature et … bon, elle m'a convaincue. C'est un contrat juteux. J'ai pu acheter un nouveau serveur, renouveler le domaine, payer l'abonnement ...

- Et vous avez pris ces fameuses photos ? Le coupa John.

- Non, non. J'ai demandé aux personnes dont j'avait sélectionné la couleur pour le nuancier de me faire parvenir une photo. Elles ont du signer un accord cédant leur droit à l'image sur la photo avec Ross and Cie.

- Et il s'est passé quelque chose depuis ?

Jabez leva les yeux vers John.

- Non. J'ai reçu mon dernier paiement, c'est tout. Je vous l'ai dit, je n'ai rien de vraiment concret. C'est juste, une … une impression. Un sentiment de malaise. Vous en pensez quoi ?

Houlà, se dit John : que pensait-il de la Ligue des Rouquins et d'un nuancier pour coloration illustré de photos ? Franchement ? Pas grand-chose …

-Je vais vous dire ce que nous allons faire, Jabez dit John en se levant. Vous me faites un résumé de ce que vous venez de me rapporter, en me notant les coordonnées de cette Mme Spaulding, vous m'envoyez tout ça par courriel et je donne le tout à Sherlock. S'il y a quelque chose de pas net dans tout ça, lui, le verra tout de suite.

Le visage de Jabez se fendit immédiatement d'un large sourire.

- Ce serait tout simplement fantastique ! Encore merci doct -

- Ahah, admonesta John.

- John. Je veux dire merci, John. Vous ne pouvez pas savoir comment ça me rassure de savoir que Monsieur Holmes est sur le coup !».

John le raccompagna jusqu'à sa division et se mit en quête de Sherlock. La prochaine fois qu'il devait revoir le sourire de Jabez Wilson, ce serait dans un encadré du journal moins de 24 heures plus tard.

Sous la photo du jeune policier se trouvait la ligne suivante : « porté disparu ».

A suivre …

(1) « … l'œuvre tout ! ». Le titre de cette fic n'a pas grand chose à voir avec la nouvelle dont elle s'inspire j'en ai peur ! Ces paroles sont prononcées par Holmes juste à la fin de La Ligue des Rouquins. Il cite Flaubert (correspondance avec George Sand) : «(…) les convictions m'étouffent. J'éclate de colères et d'indignations rentrées. Mais dans l'idéal que j'ai de l'Art, je crois qu'on ne doit rien montrer des siennes, et que l'Artiste ne doit pas plus apparaître dans son œuvre que Dieu dans la nature. L'homme n'est rien, l'œuvre c'est tout ! ». Un petit hommage à une grande plume française.

(2) Un lithopédion est un fœtus issu d'une grossesse extra-utérine et non expulsé. Pour la protéger de l'infection que causerait inévitablement la décomposition du fœtus mort, le corps de la mère calcifie ce dernier. C'est ce processus que je trouve fascinant ainsi que l'incroyable tolérance du corps humain face à ce corps étranger ! Peu de cas de lithopédions ont été médicalement recensés, et ceux qui l'ont été sont le plus souvent le cas de femmes non suivie médicalement. Le cas le plus célèbre est sans doute celui de Sens (1582). Le dernier cas connu est celui d'une chinoise de 94 ans qui a porté le fœtus mort pendant près de 60 ans.

(3) S'il faut en croire notre ami Wikipédia, tout tir au-delà de 1250 m est considéré comme exceptionnel (le record approcherait les 2,8 km). Dans ASIP, John exécute un très beau tir, moins exceptionnel par la longueur que par les conditions de sa réalisation : à travers une vitre, sans viseur, dans l'obscurité et surtout de la main droite (il est gaucher) !

(4) Beauté fatale des années 40 à Hollywood, Rita Hayworth est la célèbre interprète de Gilda, superbe rousse plantureuse. Pour info, ce n'était pas sa couleur naturelle. En fait, Rita Hayworth est même connue pour avoir été, à cette époque, une des rares stars a accepter de changer de couleur de cheveux (les siens étaient noirs). Rousse dans Gilda en 1946, elle apparaît blonde comme les blés dans The Lady from Shanghai en 1947.