Les personnages de Détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama, les paroles de la chanson qui donne son titre à cette histoire appartiennent à Poets of the fall.
The poet and the muse
"You just don't know writers. They'll use anything, anybody. They'll eat their own young."
Philip Marlowe
The poet came down to the lake
To call out to his dear
'When there was no answer
'He was overcome with fear
He searched in vain for his treasure lost
And too soon the night would fall
And only his own echo
Would wail back at his call
And when he swore to bring back his love
By the stories he'd create
Nightmares shifted in their sleep
In the darkness of the lake
« …ne t'inquiète pas pour l'addition… Un père indigne m'a laissé sa carte de crédit avant de partir… »
Joignant le geste à la parole, un détective fît tournoyer un rectangle de plastique entre ses doigts avec une joie non-dissimulée. Mais loin d'impressionner une amie d'enfance, la prodigalité et l'arrogance de ce nouveau riche la poussa à froncer les sourcils.
« Tu ne devrais pas parler comme ça de tes parents…et encore moins dilapider leur argent dans leurs dos…parce que je ne pense pas que ton père t'ai confié cette carte pour que tu puisses m'inviter dans un restaurant cinq étoiles… »
Une pointe d'amertume se glissa sur le sourire de son interlocuteur, modifiant légèrement le pli de ses lèvres sans pour autant l'effacer.
« Bah, je trouve que ce n'est pas cher payé pour se racheter une conscience après avoir abandonné leur fils prodigue, pour aller faire leur petite vie aux Etats-Unis, tu ne crois pas ? Franchement, je me demande même s'ils se souviennent seulement de moi… Eh, si on m'assassinait du jour au lendemain, est-ce que tu penses qu'ils prendraient au moins la peine de s'acheter deux billets d'avions pour assister à l'enterrement ? Je n'en suis même pas sûr… «
Aussi effrontée que soit l'expression de son camarade de classe, la fureur de Ran fût adoucie par la tristesse qu'elle ne pouvait s'empêcher de déceler derrière le portrait peu flatteur qu'un adolescent tirait de ses parents.
Comprenant mieux que personne la rancune que pouvait ressentir un enfant qui s'imaginait abandonné par un parent, et à quel point elle n'était pas incompatible avec l'amour filial, en plus de faire souffrir celui qui la ressentait bien plus que celui qui la recevait, la fille d'une avocate préféra user de son droit à conserver le silence.
« Bon, j'exagère, c'est vrai… J'aurais les meilleurs parents du monde devant ma tombe… Mais je ne sais pas ce qui préoccupera le plus ma mère…celui qu'elle a perdu, ou sa performance éblouissante dans le rôle de la mère éplorée séparée de son unique enfant… Quant à mon père… je suis sûr que ça le démangera de ne pas sortir son carnet pour prendre quelques notes qu'il pourra recycler dans ses prochaines histoires, maintenant qu'il a une fenêtre d'ouverte sur le cœur d'un parent en deuil… Oh, oui, je ne lui sortirais plus de la tête après la cérémonie, c'est sûr…parce que je te parie que ça lui aurait carrément donné l'idée d'écrire un roman pour mettre en scène la mort du détective, en me donnant le premier rôle… mais ne t'inquiète pas, il aura la décence de changer les noms des personnes concernés pour faire un minimum illusion… Je me demande quel nouveau nom il me donnera, d'ailleurs… Le connaissant, ce sera un clin d'œil à Conan Doyle… Pas que ça me dérangerait, notes bien… Oui, je le vois bien prendre Conan comme prénom… et comme nom de famille…puisqu'il préfère écrire les histoires policières en se plaçant du point de vue du meurtrier, je suppose qu'il ne pourra pas s'empêcher de compléter par Edogawa… Ironique quand on pense qu'Edogawa Ranpo était déjà un nom fictif à la base… »
« Tu ne crois pas si bien dire, Shinichi… »
Une confession désabusée murmuré par un écrivain, qui contemplait d'un air mélancolique les derniers mots qui s'affichaient sur l'écran de son ordinateur portable.
Ce n'était pas pour s'essuyer les pieds sur ses malheureux parent qu'il avait placé son insupportable fils unique à la table du restaurant de luxe où il avait fait sa demande à mariage à sa mère, dix-sept ans plus tôt… Est-ce que c'est idiot ne pouvait pas déchiffrer le contexte que son créateur avait disposé autour de lui ? Il y avait son amie d'enfance en face de lui, et le précédent établi par ses parents derrière lui, Shinichi était supposé prendre exemple sur le couple qui lui avait donné naissance, pas trouver à redire sur l'éducation dont il avait bénéficié…
Décidément les personnages de fiction étaient comme les enfants, ils ne se cantonnaient jamais dans les routes gentiment tracés par celui qui leur avait donné le jour, préférant gambader joyeusement en dehors, quitte à entraîner leur parent par la main pour les trainer, lui et son histoire, dans une direction inconnue… ou terminer dans un cul-de-sac…sous la forme d'une tombe…
Il y avait quand même une différence qui demeurait… Dans le cas d'un personnage de fiction, il pouvait le ressusciter d'un claquement de doigt pour satisfaire les lecteurs qui n'arrivaient pas à faire leur deuil de leur héros… Eh, le grand Conan Doyle avait procédé de cette façon avec l'irritant détective de Baker street, après tout…
Mais quand c'était un enfant de chair et de sang, qui existait en dehors de ses livres, cette option n'était plus disponible… Il fallait se décider à faire son deuil et tourner la page pour de bon…
Relâchant un soupir, Yusaku actionna une touche de son clavier, avant d'y maintenir son doigt enfoncé, effaçant petit à petit, mot par mot et ligne par ligne, les récriminations de sa mauvaise conscience qui avait joué les ventriloques en empruntant la voix de son fils défunt…
« Ce n'est pas faute d'avoir résisté à la tentation, tu sais… »
Des mots qui ne s'adressaient à personne, ou plutôt une personne qui ne pouvait plus les entendre, mais qui leur apporta quand même une réponse, en prenant possession du corps ou plutôt des mains d'un écrivain, qui cessa d'effacer des mots pour en inscrire d'autre…
Pourquoi s'embarrasser de prétexte après tout ? Nul besoin de perdre du temps à façonner une atmosphère, planter un décor pour la scène ou rajouter des figurants… Ce roman qu'il écrivait n'était pas destiné à la publication de toutes manières… Rien d'autre qu'une manière pour un père en deuil de faire tourner les tables et de s'adresser à son fils disparu…
Autant couper les intermédiaires… Cette conversation pouvait bien se dérouler au sein d'un espace d'un blanc immaculé sans le moindre détail inutile pour le souiller… Pas besoin de se dissimuler derrière un autre visage, que ce soit celui d'une personne réel ou fictive… Autant affronter sa progéniture face à face, cette progéniture qui ne pouvait plus lui parler qu'au sein de l'univers qu'il pouvait façonner de l'autre côté de son écran d'ordinateur…
« Alors tu peux m'expliquer ce que je fais là ? Je n'ai jamais invité Ran à ce restaurant… Eh, pour ce que j'en sais, je ne t'ai jamais dit que j'avais envie d'en faire autre chose qu'une amie…»
« Tu as encore du chemin à faire pour rivaliser avec moi en tant que détective, même si tu ne te débrouille pas trop mal… Tu ferais même un protagoniste de roman policier acceptable…mais en ce qui concerne les femmes…et tes sentiments… Ah, tu as encore beaucoup à apprendre pour contredire ton vieux père, crois-moi… »
« Non, je n'ai plus rien à apprendre…tu n'as plus rien à m'apprendre justement…parce qu'on ne m'a pas laissé l'occasion de te démontrer que je pouvais me débrouiller sans toi… Je suppose que ça doit te réjouir, non ? Tu pourras regarder ton fils de haut jusqu'à la fin de tes jours…et des miens…puisqu'ils se sont déjà écoulé… »
« Non…ça ne m'amuse pas du tout… Contrairement à ce que tu t'imaginais, je ne le craignais pas, ce jour où tu me remettrais à ma place, je l'espérais… »
« Pas autant que moi, tu sais… Et ne crois pas t'en tirer par ce faux-fuyant… Même si j'avais été amoureux de Ran, qu'est-ce que tu veux que ça me fasse de lui faire ma déclaration entre deux pages d'un de tes romans? Qu'est-ce que tu veux que ça lui fasse ? Et tu crois que ça va me satisfaire de te mettre échec et mat dans une histoire derrière laquelle tu te caches ? Ça ne va même pas te satisfaire, toi, et tu le sais mieux que moi…Au lieu de profaner la sépulture de ton fils pour en faire une marionnette dont tu peux tirer les fils tranquillement dans ton cabinet de travail, tu ne devrais pas être sur le terrain, à chercher la trace de ses assassins ? Sherlock Holmes ne ressortira pas des chutes de Reisenbach indemne, cette fois, alors il va falloir te décider à te lever de ton siège, Mycroft… »
Si Yusaku baissa les yeux, pour ne plus faire face aux mots accusateurs qui illuminaient l'écran de son ordinateur, il ne cessa pas pour autant de mouvoir ses doigts sur le clavier, rédigeant les mots qu'il n'avait plus la force de murmurer à un fantôme.
« Mais si je sors de ce cabinet, j'y perds ma place en tant que Conan Doyle, tu sais ? Et dans le monde où je dois me contenter d'être Mycroft, l'auteur ne m'a pas laissé la moindre piste à me mettre sous la loupe... et ce n'est pas faute d'avoir fureté, crois-moi… Je me suis même trainé à quatre pattes sur les lieux de ton crime, pour en retourner le moindre brin d'herbe, sans résultat… j'ai eu le bras assez long pour examiner le peu d'indices récupéré par Megure, au lieu de les laisser sous scellés dans un dossier non classé, mais ils sont demeurés muets… Même le témoignage de cette pauvre Ran ne m'a pas fait progresser d'un pouce…Il faut croire que le Conan Doyle que nous avons en commun n'a pas le génie ou le fair play de son illustre prédécesseur… Lorsqu'il a choisi d'assassiner le héros qu'il ne pouvait plus supporter, il l'a fait d'un claquement de doigt, sans se casser la tête à laisser le moindre embryon de réponse à tes trois questions favorites… who dunnit… how dunnit…ou même why dunnit… »
Des excuses que l'écrivain n'aurait pas jugé convaincante s'il les avait glissé dans la bouche d'un personnage fictif, aussi se décida-t-il à rabaisser brusquement l'écran de son ordinateur avant d'avoir rédigé la réponse de son fils, mettant l'appareil en veille en même temps que celui qu'il y avait emprisonné, lui accordant enfin le repos qu'il s'obstinait à lui refuser…
Malheureusement, il ne s'écoulerait guère de temps avant que ce fantôme ne revienne le hanter… Il serait là à l'attendre, sur la surface d'une page blanche ou d'un écran d'ordinateur, la prochaine fois qu'il se mettrait en tête de rédiger un roman…
L'inspiration n'avait pas abandonné Yusaku Kudo, loin de là… Mais les personnages qu'il créait ex nihilo pour peupler ses prochaines publications finissaient fatalement par s'effacer derrière son fils…et la seule histoire qui parvenait à se dérouler sur son écran était supposée avoir trouvé sa fin définitive depuis des mois…
« Peut-être que tu n'étais pas très juste quand tu m'accusais d'être un écrivain avant d'être un père… »
Ce n'était pas avec ces mots qu'il arriverait à faire taire sa mauvaise conscience… Cette mauvaise conscience qui lui rappelait que c'était avant la mort de son fils qu'il fallait laisser le père prendre le pas sur l'écrivain, pas après…
A l'instar de tous les auteurs de fiction, Yusaku était hanté par une éternelle question… Et si ?
Et si au lieu de désigner le médecin de famille, le détective pointait la domestique d'un doigt accusateur, n'en déplaise à monsieur Van Dine? Quitte à violer l'isocalogue, pourquoi ne pas mettre en scène un suicide déguisé en meurtre ? Voir même un accident stupide auquel une série de coïncidences improbables aurait donné les apparences d'un assassinat ?
Et si le patriarche n'était pas la première victime de la série de meurtre qui ensanglanterait le manoir, mais la troisième plutôt ? Quel impact cela aurait-il sur l'histoire et les personnages survivants ?
Et si le docteur Watson était le véritable génie des enquêtes, ayant embauché un acteur du nom de Sherlock Holmes pour jouer le rôle de détective en public ? Un petit pastiche de Conan Doyle ne ferait pas de mal, pour se changer les idées…
La capricieuse petite question continuait de hanter l'esprit de Yusaku, l'empêchant d'inscrire le mot fin en bas du dernier manuscrit, ou de rédiger le premier mot sur une page blanche…mais elle avait rétracté son infinité de branches pour se recroqueviller sur une seule variante…
Et si…un père avait passé son temps au Japon plutôt qu'aux Etats-Unis, est-ce qu'il aurait pu sauver la vie de son fils ?
Question futile, qu'elle qu'en soit la réponse, cela ne changerait rien pour la famille de la victime…ou si peu…
C'est sur cette pensée désabusée que le père de Shinichi referma la porte de son cabinet de travail, avant de cligner les yeux devant l'aurore qui perçait à travers les vitres d'une fenêtre…
Encore une nuit blanche au compteur… Une constatation qui fût accueillie par un bâillement et un haussement d'épaule, c'était loin d'être la première, alors il pouvait s'en soucier comme d'une guigne… Hélas, c'était également loin d'être la première nuit aussi blanche que les pages qu'il avait laissé derrière lui… Un phénomène qui avait augmenté de manière inquiétante, ces derniers mois… Depuis la nuit fatidique où son vieil ami, le commissaire Megure, lui avait passé un coup de fil pour évoquer une affaire de meurtre qui n'était pas tout à fait comme les autres…
En fait, on pouvait même douter qu'il s'agisse d'un meurtre en tout premier lieu, et si le disparu n'avait pas partagé son nom de famille avec un écrivain, le commissaire aurait sans doute enterré l'affaire avec un haussement d'épaule…
Un adolescent dans la force e l'âge s'était éteint brusquement sans rime ni raison…et si les médecins légiste qui s'étaient penché sur le cadavre avaient été incapable d'attribuer une cause à son décès, ils n'avaient pas non plus trouvé la moindre molécule d'une substance nocive dans les cellules du décédé…
A croire que l'auteur de cette histoire avait supprimé un de ses personnage en laissant un blanc dans la partie du texte destiné à fournir une explication au lecteur, remettant à plus tard la tâche de rétablir la cohérence de son roman, avant de l'oublier pour passer à autre chose, au plus grand désarroi des personnages qu'il avait épargné…
Dans les premières semaines qui avaient suivi la triste cérémonie qui l'avait ramené au Japon avec son épouse, Yusaku avait accordé le bénéfice du doute à l'auteur qui se dissimulait derrière la mort de son fils, mais après des nuits blanches consacré à la réflexion et des journées de recherches acharnées sur le terrain, il en était venu à la conclusion que son collègue n'était définitivement pas un adepte du fair play who dunnit… s'il s'agissait seulement d'un écrivain de roman policier…
Peut-être qu'il n'y avait pas d'assassin à traquer après tout… Peut-être que ce mystère n'était pas à la portée d'un policier ou d'un écrivain de roman policier, qui devaient s'effacer derrière les médecins, avec le maigre espoir que la science rattraperait son retard de leur vivant…
La vengeance comme la justice lui ayant tourné le dos, l'écrivain s'était réfugié dans l'univers qu'il connaissait le mieux, celui où il demeurait la divinité omnisciente et omnipotente plutôt qu'un père forcé de faire le deuil de son fils unique…
S'il avait pu faire ce pacte avec le diable, l'écrivain aurait volontiers renoncé pour de bon à son inspiration en échange de la vie de son fils… mais malheureusement, que ce soit le ciel ou l'enfer, personne n'écouta ses prières, et l'inspiration fût justement tout ce qui lui resta pour compenser l'absence d'un enfant…
Quoique, en un sens… il avait bien fait ce pacte… puisqu'il était incapable de rédiger la moindre ligne si on ne pouvait pas l'insérer dans une histoire qui n'aurait pas Shinichi Kudo comme héros à mettre en scène…
Des réflexions qui guidèrent les pas de l'écrivain, pour changer de ses mains, le poussant à se rapprocher d'une chambre vide…
Il n'était pas le seul qui avait succombé à la tentation de s'y réfugier… Son épouse en avait déjà franchi le seuil, pour se placer au chevet du lit de son fils disparu…
Ce n'était pas la première fois, et Yusaku n'avait jamais eu le cœur de lui adresser des reproches qui lui auraient paru bien hypocrites… En revanche, c'était bien la première fois qu'il voyait son épouse penchée sur ce lit, à faire mine de caresser les cheveux d'un enfant qui n'y dormait plus…
Un début de panique commença à gagner Yusaku… A défaut d'avoir la capacité de pouvoir donner une forme concrète au monde imaginaire où son fils aurait encore sa place, Yukiko avait-elle décidé de s'y emmurer pour de bon, quitte à passer pour une folle aux yeux du reste de la planète, sans que son mari puisse les contredire ?
Non, il fallait se calmer avant d'envisager le pire, il était écrivain, elle était actrice, la déformation professionnelle avait imprimé une marque différente sur leur manière de vivre un deuil, voilà tout… Jouer un rôle sans spectateur pour admirer la performance, ce n'était guère plus malsain que d'écrire des romans qui n'étaient pas destiné à être lu, après tout…
Loin d'avoir émoussé les talents de son épouse, le deuil l'avait apparemment placé au sommet de son art. L'espace d'un instant, Yusaku lui-même eut l'impression qu'il y avait réellement un enfant sous cette couette… Un instant qui se prolongea…sans donner le signe de s'effacer dans le passé au bout de plusieurs minutes…
Après avoir éprouvé des doutes sur sa propre santé mentale, et soupçonné la folie de son épouse d'avoir été contagieuse, l'héritier de Conan Doyle se décida à écarter l'impossible pour se concentrer sur ce qui restait aussi improbable cela puisse être…
Un enfant avait pris la place de celui qu'on leur avait dérobé…
Yusaku rejoignait Yukiko au chevet de leur invité surprise…leur invitée d'ailleurs… A défaut de lui restituer son fils, l'auteur de cette histoire lui avait substitué une fillette de sept ans… et son personnage principal ne savait pas quel sens il fallait donner à ce coup de théâtre…
Il se tourna tournant vers l'actrice, qui n'avait pas cessé de promener gentiment ses doigts dans une chevelure auburn, donnant l'impression de veiller sur le sommeil de sa propre fille après qu'elle se soit éveillé d'un cauchemar, appelant ses parents au secours…
La manière dont l'amour maternelle étirait les lèvres de son épouse, pour leur donner un pli qui n'était ni moqueur ni même malicieux poussa l'écrivain à conserver le silence, de peur de lui poser la question de trop qui mettrait fin à ce rêve qu'elle faisait alors qu'elle demeurait éveillée…
Un rêve que Yusaku partagea avec elle jusqu'au moment où il se décida à prendre fin, quand un petit corps chétif commença à se mouvoir, et qu'une fillette releva les paupières pour faire face à ceux qui s 'étaient substitués à ses parents en leur absence…
Vision qui la poussa à écarquiller les yeux dans une expression où la stupeur se mêlait à la terreur… Une terreur qui la poussa à reculer pour se mettre hors de portée de la main d'une actrice, distance qui s'avérait encore trop courte au goût de la fillette puisqu'elle tenta de s'extirper de la couette pour s'enfuir hors de la chambre… Une tentative d'évasion qui se heurta à un obstacle de taille, la tornade rousse qui avait décollé de sa chaise pour sauter sur le lit, et refermer ses bras autour de son occupante, transformant sa couette en camisole de force tandis qu'une mère de famille frottait sa joue contre une chevelure auburn.
« Non, non, non, ma petite demoiselle… On ne va pas s'enfuir comme ça après avoir volé le lit de mon fils… »
Il n'y avait pas la moindre accusation ou le moindre reproche pour flotter sur la mer de tendresse qui s'était écoulé des lèvres d'une actrice, mais les mots qui se glissèrent dans l'oreille de la fillette semblèrent pourtant faire monter son angoisse d'un cran…
De fait, et si on en jugeait au tremblement qui agitait le corps que Yukiko maintenait contre le sien, l'actrice donnait l'impression d'avoir capturé une criminelle, pour la soumettre au plus cruel des châtiments…. Ce qui offrait un contraste frappant avec l'espièglerie qui brillait dans les yeux de la mère de famille tandis qu'elle arborait un sourire attendri.
Au bout de quelques minutes dans la plus douce des prisons, la petite voleuse se décida néanmoins à sortir de son mutisme…
« Je…suis désolé…Je ne voulais pas…je n'avais pas le choix…je…je…suis désolé…désolé…désolé… »
Ce murmure comme les larmes qui l'accompagnaient dissipa la joie naïve et possessive de l'actrice, qui se tourna vers un écrivain pour l'interroger d'un regard aussi désorienté que le sien tandis qu'il contemplait ce spectacle.
Pour un peu, on aurait pu croire que la fillette réclamait l'absolution pour l'assassinat d'un détective lycéen en lieu et place d'excuses pour avoir emprunté son lit à ses parents endeuillés…
Une pensée stupide mais qui était adaptée à la réaction disproportionné de la petite prisonnière que Yukiko essayait vainement de consoler, en relâchant légèrement son étreinte pour lui caresser les cheveux et lui murmurer qu'elle était déjà toute pardonnée pour son crime…
Tandis que l'aurore baignait la scène de ses rayons, l'écrivain se demanda si Yukiko n'avait pas trouvé une spectatrice devant laquelle elle pourrait jouer le rôle qui lui tenait tant à cœur et qui s'était achevé bien trop tôt… Celui de mère…
De son côté, et avec le recul, il se rendrait compte qu'il avait fait la rencontre d'une nouvelle lectrice…qui le convaincrait que certains romans pouvait intéresser d'autres personnes que les parents de son personnage principal…
