Réponse au challenge de mars 2018 du collectif Noname : "Il s'appelait...".
Depuis le temps que j'avais envie d'écrire sur le fandom du seigneur des anneaux ! Comme toujours, c'était l'idée qui manquait. Ce challenge m'aura enfin fourni l'occasion tant attendue. Pour moi, Sam Gamegie est bien un personnage marquant. Je crois que ce que j'admire le plus chez lui c'est sa patience. Peut-être parce que j'en suis moi-même totalement dépourvue. Une chose est sûre : tout le monde voudrait avoir un ami comme lui.
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Il s'appelait Samsagace Gamegie mais tout le monde l'appelait Sam. Je me souviens de son rire et de son infinie patience. Je me souviens de sa tendresse et de sa force. Je me souviens combien je l'aimais.
C'est drôle, les souvenirs. On s'imagine souvent que l'on ne se souviendra que du plus grand, du plus marquant. Du plus beau ou du plus terrible. Souvent on se dit « Voilà une chose que je n'oublierai jamais ». La plupart du temps on se trompe. Ce sont en réalité des plus petites choses que l'on se souvient le mieux.
Concernant les gens, les gens qui peuplent nos mémoires, je constate que l'on ne se souvient pas vraiment de faits, d'événements, de paroles. Non, on se remémore des détails. Des détails en apparence insignifiants. Je revois son sourire, je me souviens de sa main dans mes cheveux. Il me semble entendre encore le son de sa voix. Le soir, quand tout était calme, sa voix lente et posée qui racontait des histoires avant que les enfants s'endorment. J'entends encore le tout dans mes rêves. La voix et les histoires, mot pour mot.
Je me souviens aussi de son odeur le soir, quand il rentrait à la maison. Je guettais chaque jour son retour. Lorsqu'il arrivait, je l'attendais souvent depuis un bon moment. Rien ne m'aurait empêché de me précipiter pour l'accueillir dès que je l'apercevais, dès que son pas familier se faisait entendre. Si j'avais la possibilité de courir à sa rencontre, c'était encore mieux. Il se penchait (de moins en moins bas à mesure que passaient les années), me soulevait dans ses bras, me caressait les cheveux. Moi je l'embrassais, je m'accrochais à lui, je respirais cette odeur de terre et de feuillage qu'il avait après sa journée de travail et j'étais bien.
Je me souviens de ses mains, aussi. Oh oui, ses mains si adroites, si industrieuses. Pour moi il n'existait pas de mains plus habiles que les siennes. Fabriquer, réparer, entretenir. C'était comme s'il avait eu un don, un don merveilleux : dès que ses mains touchaient quelque chose, matière ou objet, la magie opérait. La matière prenait forme, acquérait ou retrouvait le lustre du neuf. Quand il jardinait, taillait les arbres, entretenait les plantations, je me plaisais à imaginer que sans lui la Comté n'aurait pas été moitié si verte ni si belle. Il riait et me disait que c'était absurde mais je ne voulais pas en démordre. J'étais à un âge où l'on tient très fermement à ses idéaux. D'ailleurs tout le monde le disait : après le passage du sinistre mage Saroumane, c'est maître Gamegie qui a rendu à la Comté son vrai visage, grâce à son travail et ses talents de jardinier. Un petit peu aidé aussi par la magie de l'elfe Galadriel, oui, sans doute. Mais tout de même.
Je le revois un jour d'été, alors qu'une violente averse s'abattait sur la Comté. Il m'avait emmenée avec lui ce jour-là et nous nous étions arrêtés sous des arbres dont le feuillage avait rapidement été transpercé. Alors il s'était accroupi, me plaçant entre ses genoux, sa veste relevée au-dessus de nos deux têtes en attendant que le déluge cesse. Quand je m'impatientais, il me chatouillait et me faisait rire. C'est peut-être le seul « événement » précis que je puisse me remémorer.
Je me souviens aussi de lui comme quelqu'un d'important. Très important. Il était le maire de Grand'Cave. Les gens le saluaient avec respect quand ils le croisaient. J'en éprouvais une fierté presque démesurée, qu'il me reprochait gentiment. Il me disait qu'il n'y avait pas de quoi en faire tout un plat et que ses fonctions le mettaient au service de la population, non l'inverse. Son dévouement, envers sa famille, ses amis ou ses concitoyens, était l'essence même de son être.
Aujourd'hui, si je devais résumer je pense que je m'en tiendrai à ceci : je me souviens de Sam Gamegie comme d'un époux attentionné, un père merveilleux, un ami fidèle et un hobbit très engagé dans le bien-être général. Ceci en plus d'être un excellent jardinier évidemment.
J'aimerais pouvoir limiter mes souvenirs à toutes ces images heureuses. La vie hélas comporte toujours une part d'ombre, n'est-ce pas ? Qui peut se targuer de passer toute une existence sans connaître ni épreuve, ni chagrin ? Ainsi je suis forcée de me rappeler aussi que la mort de son épouse a brisé le cœur de « maître Gamegie ». Je le revoie immobile devant la cheminée, le feu éclairant de profil son visage tavelé par le temps. Ses yeux emplis d'un insondable chagrin. Plongé dans ses souvenirs il restait là des heures, longtemps après que le feu se soit éteint, sans bouger et sans parler.
Je revois ses mains, ridées désormais, tenant pour la dernière fois le livre rouge qu'il tenait de son ami Frodon Sacquet, ce livre qu'il feuilletait toujours avec la déférence que l'on a pour une relique. Et je revoie son départ. Personne ici n'a compris qu'un hobbit aussi respecté, père de treize enfants désormais élevés et disposés à l'entourer de toute leur tendresse, un hobbit qui bénéficiait même de l'amitié du grand roi du Gondor puisse ainsi décider, au terme de sa vie, de quitter les rivages de la Terre du Milieu pour se lancer dans une aventure aussi hasardeuse : tenter de rejoindre les terres immortelles des elfes. Une folie, affirmait-on. Un suicide, murmuraient certains. Encore aujourd'hui les gens le pensent. Plusieurs de ses propres enfants le disent.
Moi, je crois comprendre. Je l'ai accompagné aux Havres Gris et bien qu'à ce moment-là j'ai moi aussi senti mon cœur se briser, je garde précieusement, comme tout dernier souvenir de lui, la mémoire de l'instant où il s'est embarqué. Son visage avait perdu les plis amers du chagrin. Son regard était serein. Apaisé. Il s'en allait rejoindre les héros immortels. Je me souviens m'être dit que si quelqu'un le méritait, c'était bien lui. Car enfin il n'était pas seulement un époux, un père, un jardinier, le maire de Grand'Cave etc… Non, il était aussi le dernier porteur de l'Anneau. Il faut bien que cela compte pour quelque chose, n'est-ce pas ?
Il s'appelait Samsagace Gamegie, dit « Sam ». Moi je l'appelais tout simplement « Papa ». Il nous a quittés pour un rivage lointain que de tout cœur j'espère hospitalier, me laissant tous les souvenirs consignés dans le livre rouge. Me laissant surtout le souvenir d'un père aimant et toutes les images merveilleuses de mon enfance. C'est pourquoi je lui devais ces mots.
Je t'aime, Papa !
Elanor Gamegie
