Chapitre 1
Le Docteur sort du TARDIS et renifle l'air printanier.
« Hum, murmure-t-il en attrapant les revers de son habit, et en souriant béatement. Avril 1955, un temps exceptionnellement chaud et sec cette année-là. »
Il referme soigneusement la porte de la machine spatio-temporelle, et part d'un pas de promeneur, le nez au vent, sur une petite route de la campagne anglaise. Son visage poupin cache un cœur ulcéré par le départ d'une de ses compagnes.
« Une de plus, lance-t-il avec emphase à une paisible laitière qui rumine dans son pré. Une de plus qui a préféré me quitter pour un homme. N'aimez jamais, ma chère. L'amour est une malédiction !
– Meueuh ! » lui répond le quadrupède en s'éloignant avec indifférence.
Mais un autre bruit attire son attention :
« Moumou ! Moumou ! »
Il se retourne et découvre une dame âgée qui bât les buissons. Justement, elle lui rappelle un peu…
« Evelyn… » grogne-t-il.
Oui, elle lui rappelle un peu la "traîtresse" qui vient de l'abandonner pour se marier, ailleurs, loin de sa planète natale.
Il s'approche de la vieille dame et lui demande :
« Perdu quelque chose ?
– Oui, oui, répond-elle d'une voix frêle. Mon chat.
– Dont le nom est Moumou, j'imagine. »
Le visage ridé, mais au teint encore frais et aux pommettes roses, rougi légèrement.
« En réalité, il s'appelle Archimède. Parce que je l'ai sauvé de la noyade, vous voyez.
– Celui qui a été sauvé des eaux, c'est plutôt Moïse, rétorque le Docteur de façon un peu pédante.
– Oh, je sais ! C'est parce que je l'ai tiré d'une flaque de boue et qu'ensuite, il a fallu que je lui donne un bain. Il n'a pas aimé. D'où le principe de cet Archimède-là : tout corps plongé dans l'eau en ressort au plus vite en miaulant et en griffant. »
Le Docteur se met à rire. L'humour de cette personne l'enchante et lui fait presque oublier son chagrin.
« Cherchons donc Archimède, plus simplement appelé Moumou. Comment est-il ?
– Noir avec une étoile blanche sur le poitrail. Moumou ? Moumou ? Où es-tu, vilain chat ?
– Et vous-même, chère madame ? À qui ai-je l'honneur ?
– Mary, Mary Smith. Oui je sais, mon nom n'est pas très original. Et vous, cher monsieur ?
– Je suis le Docteur.
– Oh, charmant. Mais Docteur qui ?
– Simplement le Docteur. On y va ? »
L'après-midi parfait de ce printemps, assiste donc à la recherche active près du village de Caynham au sud du Shropshire, d'un certain Moumou, nommé aussi Archimède, chat de gouttière, par une Humaine d'âge mûr et par un Seigneur du Temps d'âge indéterminé.
Après une vingtaine de minutes passées à crier « Moumou ! » à tous les vents en s'éloignant de plus en plus du cottage de la vieille dame, un miaulement strident leur parvient.
« Oh ! Il a recommencé ! s'écrie Mary. Le vieux moulin ! Il a grimpé ce qu'il reste des marches et il n'ose plus redescendre.
– Je vais aller le chercher, ne vous inquiétez pas, Mary.
– Merci beaucoup, monsieur. Vous êtes bien aimable.
– Récupérer un chat dans des ruines, voilà un exercice qui me change de combattre les Cybermen, les Daleks ou le Maître », grommelle le Docteur pour lui-même, tout en escaladant le mur.
Il ramasse le félin, et retourne le rendre à sa maîtresse, pleine de reconnaissance.
« Que diriez-vous d'un bon thé, accompagné de gâteaux, pour regagner les calories perdues dans cette aventure ? » lui propose la vieille dame.
Le Docteur sourit au mot « aventure ». Cela a certainement paru une épopée à la paisible habitante de Caynham.
o-o-o-o
« Veuillez entrer dans mon salon…
– … "dit l'araignée à la mouche" murmure le Docteur.
– Je vous demande pardon ?
– Non rien, ne faites pas attention. Je me parlais à moi-même. Votre cottage est charmant, Mary.
– Asseyez-vous, ajoute celle-ci. Tenez, dans ce fauteuil-là. Il est très confortable. »
Confortable ? Le Docteur ne s'est jamais assis sur quelque chose d'aussi… il n'a même pas de mots pour décrire l'impression qu'il ressent.
« Comme un nuage qui serait à la fois ferme et moelleux. C'est extraordinaire ! » songe-t-il.
En quelques minutes, la table basse se couvre de tout ce qu'il faut pour un thé royal. Outre la théière réchauffée par un couvre-théière en forme de chat, il y a là un pichet de lait mousseux, une coupe contenant trois sortes de sucre, et un plat de quatre pâtisseries qui ont l'air aussi délicieuses les unes que les autres.
« Je vous fais un assortiment », annonce Mary.
Elle met dans une assiette quatre scones à la crème, une large part de gâteau nappé au citron, la moitié du cake aux fruits et cinq boules de neige – gâteaux aux amandes effilées enrobés de sucre glace.
« Mary ! s'exclame le Docteur. Merci, mais… c'est beaucoup trop ! Je ne finirai jamais tout ça. Sans compter que ce n'est pas très bon pour ma ligne. »
Il tapote son gilet à carreau qui enrobe un abdomen déjà roudouillet.
« Oh, monsieur Docteur. Ce ne sont que de bonnes choses. Ça se digère parfaitement, et ça ne peut pas vous faire de mal.
– Juste "Docteur", s'il vous plaît. Eh bien… je vais au moins goûter un peu de chacun. Ça a l'air vraiment délicieux. »
Tout en mangeant les exquises pâtisseries de la vieille anglaise, et en discutant tranquillement avec elle, le Docteur regarde autour de lui.
Tout ce qu'on peut faire de plus cosy se trouve là, dans cette pièce. Les fenêtres sont entourées par des rideaux de velours, chaque surface de bois est soigneusement ciré, le sol couvert de tapis. Des représentation de chats ornent tous les murs ou sont posées sur tous les meubles. Sous forme de statuettes, tableaux, peluches ou animal fait aux aiguilles ou au crochet.
Le Docteur se sent agréablement chatouillé dans sa propre passion pour ces félins. D'ailleurs Archimède-Moumou s'est installé sur ses genoux, et il caresse le poil lustré de la bête qui ronronne, tout en engloutissant le thé et les pâtisseries.
