J'avais décidé de ne plus écrire mais finalement il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis...Et cette histoire me trotte dans la tête depuis très longtemps (1 an en fait).

Certains auront peut être reconnu le titre de l'œuvre d'Éric-Emmanuel Schmitt. Dans ce roman, l'auteur imagine ce qu'aurait été la vie d'Hitler s'il avait été reçu à l'école des Beaux-Arts de Vienne. Je pars du même postulat mais appliqué à l'univers de POI. Il ne s'agit pas d'un Univers Alternatif à proprement parler mais la question de départ est: Si c'était John qui avait trouvé Harold en premier?

Le titre du chapitre est la devise du Service National Clandestin (NCS), la branche de la CIA qui mène les opérations clandestines, à laquelle appartient John Reese.

Si cette histoire est le fruit de mon imagination, je cherche à la rendre la plus crédible possible en m'appuyant sur des faits réels. Donc, hormis les personnages et événements issus de POI, les noms, lieux et événements sont pour la plupart vrais (sauf Matthew Broderick qui est ma création). J'espère juste que la Timeline sera respectée car ce n'est pas l'aspect le plus simple de la série...

Merci à tous ceux qui prennent le temps de me lire et qui me laissent des commentaires toujours très appréciés!

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Chapitre 1 :Servir – Intégrité - Excellence

Avril 2009,

Dans une prison secrète, quelque part dans un quartier d'Amman, en Jordanie.

Le visage fermé, John Reese sortit de la cellule crasseuse et tourna la clé dans la serrure pour verrouiller la lourde porte en fer. Il s'agissait plus d'une habitude que d'un réel intérêt car il n'avait désormais plus à craindre l'évasion du prisonnier qui se trouvait à l'intérieur.

Il était contrarié. Il devrait pourtant être satisfait, car l'homme qui gisait à présent dans une mare de sang dans cette pièce insalubre à l'air irrespirable avait succombé juste après lui avoir dévoilé des informations capitales sur l'organisation terroriste Al Qaida.

Après tout, il n'avait fait que son travail. En bon agent de la CIA qu'il était, membre du Service National Clandestin qui plus est, il avait obéi sans sourciller aux ordres de Mark Snow, son supérieur.

Il avait été envoyé ici pour soutirer des informations à Matthew Broderick, britannique de 56 ans converti à l'Islam et plus connu sous le nom de Mohamed Salah ad-Din. John avait souri en entendant le patronyme choisi par le prisonnier après sa conversion. Comme le voulait la tradition musulmane, Broderick avait décidé de changer non seulement de prénom mais aussi de nom pour les rendre plus conformes à sa nouvelle foi. L'homme avait opté pour le nom d'un des plus grands combattants de l'Islam, celui qui avait réussi à unifier les Musulmans pour repousser les Chrétiens hors de la Terre Sainte en 1187. Mais, les deux hommes n'avaient que cela en commun. Car autant Saladin était un homme cultivé, fin stratège, diplomate éclairé, combattant pugnace, jouissant d'une excellente réputation même auprès de ses ennemis en Occident, autant Broderick n'était guère malin puisqu'il s'était bêtement fait interpeler en se rendant, comme tous les jours, dans un cybercafé d'Islamabad pour prendre ses ordres sur le Darknet.

La routine, voilà le point faible de tous ceux qui devaient vivre dans la clandestinité. L'homme, pensant recevoir le soutien de la population locale, menait une vie presque normale dans la capitale pakistanaise. Il avait des femmes, des enfants et son existence était somme toute très banale, si on faisait abstraction de ses activités illicites dans une organisation terroriste de dimension planétaire bien sûr… Or il avait sans doute oublié que l'ISI, les services secrets pakistanais, était l'un des services de renseignement les plus performants. N'avait-il pas contribué à l'arrestation de l'homme le plus recherché du monde, Oussama Ben Laden ? Aussi, au bout de quelques mois d'une vie presque paisible, le britannique avait été arrêté sans ménagement par les autorités pakistanaises puis livré aux États-Unis, leur allié dans la lutte contre le terrorisme.

Broderick était un véritable cas d'école pour quiconque s'intéressait aux mouvements intégristes islamistes. Il ne faisait aucun doute que son ascension au sein d'Al Qaida serait étudiée à Camp Peary, « la Ferme », le centre de formation des futurs agents traitants.

Issu d'une famille anglicane non pratiquante, il s'était converti à 15 ans, plus pour suivre ses amis d'enfance que par réelle conviction religieuse. Mais l'adolescent désœuvré qui vivait dans une banlieue pauvre au Nord de Londres n'avait pas tardé à interpréter le Coran de manière un peu plus rigoriste que ses camarades. Peu à peu, il s'était radicalisé à coup de livres spécialisés, de sites internet et de prêches endiablés d'Abou Hamza, un fervent partisan de l'application de la charia dans le monde, qui fut un temps, imam de la mosquée de Finsbury Park. Sur ses conseils, il était parti combattre aux côtés des Bosniaques durant la guerre en Yougoslavie dans les années 90. Il s'était rapidement fait remarquer dans les milieux islamistes et était parti dans le berceau qui formait de nombreux terroristes : l'Afghanistan des Talibans. Presque naturellement, il avait intégré les rangs d'Al Qaida afin de poursuivre la guerre contre l'Occident. Il avait rapidement gravi les échelons au sein de l'organisation terroriste jusqu'à devenir son expert en explosifs.

Il est vrai que l'homme, fort de ses compétences acquises au fil de ses années de guerre, était particulièrement doué dans la confection de ceintures pour les kamikazes, de véhicules piégés ou tout simplement de bombes artisanales. Il avait semé la terreur un peu partout dans le monde, du Yémen, au Kenya en passant par Londres. Mais ce fut surtout la guerre en Irak qui lui permit de déployer tout son talent. Tous ses engins explosifs portaient une signature tellement caractéristique qu'il était rapidement devenu l'une des personnes les plus recherchées par l'administration US : le 10 de cœur dans le « Most Wanted Iraqi Playing Cards», le jeu de cartes des « vilains » crée par le Pentagone en 2003 pour retrouver les plus grands ennemis d'Oncle Sam.

Aussi sa capture en 2008 avait été un grand soulagement pour les États-Unis et avait soulevé également un énorme espoir au sein des services de renseignement car l'homme, haut dignitaire au sein d'Al Qaida, détenait sans aucun doute de nombreux secrets que le gouvernement américain allait s'empresser d'extorquer.

Rapidement, Broderick avait été transféré dans une prison secrète de la CIA en Jordanie. Comme c'était commode… Ces « prisonniers fantômes », comme l'Agence les surnommait pudiquement, ne relevaient d'aucune législation particulière. Ils ne dépendaient ni des lois américaines, ni jordaniennes, et n'étaient pas non plus considérés comme des prisonniers de guerre. La Convention de Genève, qui dictait la conduite à tenir auprès des civils et des combattants capturés durant un conflit armé, ne s'appliquait donc pas. Quelle idée géniale sortie tout droit des cerveaux des « faucons » de l'administration Bush, au lendemain des attentats du 11 septembre !

La pratique de la torture était donc tout à fait possible. Mais, pirouette de la sémantique, le terme de torture avait été remplacé par l'expression « interrogatoire renforcé » où les techniques du SERE (Survival, Evasion, Resistance et Escape) développées par l'armée américaine aidée de psychologues étaient utilisées. Reese avait été formé à ce programme, au Camp Mackall, en Caroline du Nord. Et il devait bien l'admettre, il était particulièrement doué.

Il ne fut donc pas étonné de se voir confier, il y a quelques semaines de cela, cette mission pour lequel il excellait. En entrant dans la cellule, il avait été surpris par l'apparence de son prisonnier. Si l'homme avait 56 ans, il ressemblait à un vieillard. Ses conditions de détention, pour le moins sommaires, n'étaient sans doute pas étrangères à ce vieillissement rapide et prématuré. Dissimulant sa surprise derrière un masque froid, le jeune homme était entré dans la petite pièce exiguë qui contenait pour seul mobilier, qu'un matelas usé et infesté de parasites posé à même le sol et une couverture. Reese avait trouvé la présence de cette couverture pour le moins incongrue vue la chaleur suffocante qui régnait dans la cellule. L'air était vicié et étouffant et, moins de cinq minutes après son arrivée, l'agent transpirait déjà à grosses gouttes sous son fin polo en coton noir.

Pour le faire parler, Reese avait utilisé tout le panel de techniques qu'il avait apprises, allant des classiques coups de poings ou de pieds, au water boarding en passant par la torture psychologique comme la privation de sommeil qui venait s'ajouter aux autres formes de privations comme celle de la nourriture ou de l'eau. Bien sûr, cela prenait du temps. L'homme était résistant et sa foi le rendait terriblement combattif. Mais John était patient, et au bout d'une semaine d'un interrogatoire plutôt musclé, il avait réussi. Il était bon à faire plier même les plus retors, à briser leur volonté et leur faire cracher des informations pour faire cesser les sévices qu'il infligeait avec méthode et minutie.

Matthew Broderick, à bout de force, avait dévoilé des noms, des lieux, et surtout des plans concernant des attentats à venir. La seule petite ombre au tableau était que l'homme avait succombé à ses blessures juste après ses révélations…Si John était satisfait d'avoir récupéré des informations capitales pour la sécurité de son pays, il était contrarié d'avoir tué son prisonnier. Attention, tuer un homme n'avait jamais été un problème pour lui. Il pouvait même s'enorgueillir d'être bon à ça. Lorsqu'un supérieur lui demandait de tuer quelqu'un, il exécutait l'ordre sans aucun scrupule, quelque soit la cible, un civil ou un combattant, un homme ou une femme. Les ordres étaient les ordres. Il n'en donnait pas, il les exécutait seulement, sans se poser de questions.

Mais tuer un prisonnier durant un interrogatoire était plus rare et il considérait cet incident comme un échec, car l'homme aurait encore pu être utile…

Contrarié, il remonta d'un pas rapide le long couloir miteux de la prison jordanienne. La dizaine de portes en fer verrouillées témoignaient du nombre de prisonniers séquestrés par la CIA, une trentaine d'après ce qu'il avait pu entendre mais qui savait réellement combien de ces fantômes l'Agence détenait-elle ? Seul son directeur, Michael Hayden, ainsi que le président, connaissaient le nombre exact de captifs. Il essaya d'ignorer les bruits de coups, les cris, les râles plaintifs qui s'échappaient de ces portes closes et sortit du bâtiment avec un mélange de soulagement et de déception.

Car une fois à l'extérieur, il aurait pensé pouvoir prendre une grande bouffée d'air frais. Mais c'était sans compter le climat du Moyen-Orient. En Avril, la température moyenne était de vingt-cinq degrés. Mais comme toutes les moyennes, ce chiffre cachait de profondes variations et aujourd'hui était un jour particulièrement caniculaire où le thermomètre flirtait avec les quarante. Ses espoirs de se rafraîchir les idées fondèrent littéralement comme neige au soleil car l'air dans cette petite cour fermée était presque aussi irrespirable qu'à l'intérieur des bâtiments. Il échappait juste aux odeurs et aux sons qui saturaient l'atmosphère de cette prison, ce qui n'était déjà pas si mal…

Reese traversa donc d'un pas rapide la cour pour se rendre vers le bâtiment qui servait à loger les interrogateurs. Si les locaux étaient plus propres, ils étaient tout aussi spartiates. Il se dirigea vers la chambre qu'on lui avait affectée et ouvrit la porte. Il n'avait pas pris la peine de la fermer à clé. A quoi bon ? Il n'y avait rien à voler et il connaissait bien les autres agents qui officiaient avec lui.

Il entra donc dans sa petite chambre et referma la porte derrière lui. Elle était petite mais fonctionnelle: un lit, un bureau pour rédiger ses rapports, une commode pour déposer ses vêtements. Seul luxe, et non des moindres, il avait une salle de bain privative et une fenêtre dont il avait pris soin de laisser les volets fermés pour éviter aux rayons brulants du soleil de rendre l'air de la chambre irrespirable. Dans cette pièce plongée dans une semi-obscurité, il régnait donc une fraicheur très appréciable.

Mais pour l'instant, l'agent n'avait envie que d'une seule chose : prendre une douche. Avec des gestes impatients, il retira son polo, son jean et ses sous-vêtements qui échouèrent au sol sans autre forme de procès et se dirigea vers la salle de bain en prenant au passage un caleçon propre dans un tiroir de sa commode. Il entra directement dans la cabine et actionna le robinet en veillant bien à régler le thermostat vers le bleu. Il ne put retenir un soupir de soulagement lorsque le jet d'eau glacial le frappa sans ménagement. Il resta ainsi plusieurs minutes, les mains contre la paroi en plexiglas, savourant, les paupières closes, le froid mordant qui se déversait sur lui.

Puis, une fois passé cet état de bien être, John rouvrit les yeux et contempla ses mains. Elles étaient toujours couvertes de sang. Il était sale. Il se sentait sale. Cette saleté provenait non seulement de l'endroit insalubre et infesté de vermines qu'il venait de quitter mais aussi des actes qu'il venait de pratiquer. Car même s'il était doué pour tuer ou torturer, il n'aimait pas particulièrement cela. Et après chaque mission, il ressentait une sorte de malaise diffus pouvant même parfois aller jusqu'à des douleurs à l'estomac ou des nausées. Il savait qu'il somatisait, qu'il n'avait rien en réalité, mais les choses étaient ainsi. Certains diront qu'il est peut être un peu trop sensible…Quel ironie !

Il prit le gel douche et entreprit de se savonner pour faire partir, non seulement ce mélange de crasse et de sueur qui lui collait à la peau, mais aussi le sang qu'il avait sur les mains. L'eau savonneuse qui ruisselait le long de son corps nerveux et musclé se teinta immédiatement d'un mélange gris-rougeâtre avant de se perdre dans le siphon des égouts. Mais il avait beau frotter, il avait bien du mal à faire partir l'hémoglobine qui s'était incrustée jusque sous ses ongles. Enfin, au bout de longues minutes d'un lavage énergique, la peau rouge d'avoir été trop frottée, il réussit à se débarrasser des ultimes traces de ses forfaits et eut l'impression de faire peau neuve, de ne plus être un bourreau mais, à nouveau, un être humain.

Se sentant enfin propre, dans tous les sens du terme, John coupa le jet et sortit de la douche. Après s'être rapidement essuyé, il enfila son boxer et posa négligemment la serviette-éponge sur ses épaules avant de retourner dans sa chambre pour chercher ses autres vêtements. Mais sitôt passé l'encadrement de la porte, il s'arrêta net en voyant une intruse assise sur son lit.

-Eh, Lover, tu en as mis du temps, murmura Kara Stanton en lissant distraitement des plis imaginaires sur le lit fait au carré, réminiscence de ses années passées dans l'armée.

Ce geste n'était pas innocent. Rien n'était innocent chez Kara Stanton. Cela faisait plus de trois maintenant qu'ils faisaient équipe et John avait eu tout le loisir de mesurer la dangerosité de sa partenaire. Elle était d'une glaçante efficacité, aussi belle et froide que les diamants mais aussi mortelle que le SIG-Sauer P239 qu'elle portait toujours sur elle. Il s'en méfiait mais il devait tout de même avouer qu'elle était très attirante. D'ailleurs, il avait failli succomber à son charme il y a quelques semaines lors d'une mission. Le poussant dans ses retranchements pour faire de lui un tueur implacable, il l'avait embrassé avec brutalité, cédant à une pulsion de violence qui visait sans doute à la punir. Mais presque aussitôt, une alarme s'était allumée dans son cerveau et il l'avait repoussée sans ménagement, la laissant seule dans l'appartement qu'ils étaient censés nettoyer avant de retourner dans sa chambre d'hôtel.

Ils n'avaient jamais reparlé de cet incident mais John savait que la jeune femme avait envie de lui. Tout en elle l'appelait avec sensualité : son regard lourd de sens, sa voix de velours, son petit sourire en coin, sa main qui se baladait distraitement sur les draps. Tout était une invitation à la luxure car il n'y avait pas de sentiments entre eux. Il n'était pas amoureux d'elle et Kara ne l'aimait pas non plus. Reese se demandait même si elle était capable d'éprouver des sentiments amicaux ou amoureux vis-à-vis d'autrui. Non, elle considérait le sexe comme un expédient, pour essayer de se sentir vivante après avoir côtoyée la mort.

Mais John ignora cet appel du pied et se dirigea vers sa petite commode, sans un regard pour sa partenaire.

-Tu es bien placé pour savoir à quel point le sang est difficile à enlever, rétorqua-t-il en ouvrant le tiroir.

-C'est vrai, tu as raison, soupira la jeune femme en détaillant d'un œil appréciateur la silhouette du jeune homme alors qu'il enfilait un T-shirt blanc.

-Qu'est-ce que tu fais là ? Demanda-t-il en passant un pantalon en toile noir.

-Je suis venue voir comment tu allais.

-Ca va, répondit laconiquement le jeune homme en se retournant pour la dévisager de son regard d'un bleu polaire.

Stanton esquissa un sourire avant de souligner avec un brin de suffisance :

-Tu mens toujours aussi mal.

Le jeune homme garda le silence. Seul le léger tressautement d'un muscle de sa mâchoire alors qu'il serrait les dents témoignait de sa colère. Il était furieux de sa faiblesse mais surtout furieux que Kara lise toujours aussi bien en lui. La brune, inconsciente de la rage intérieure qui bouillonnait chez son partenaire se leva tout en expliquant dans un haussement d'épaules désinvolte :

-Ca arrive tu sais de perdre un informateur. Ce sont les risques du métier, comme on dit.

John ravala la remarque acerbe qu'il avait sur le bout des lèvres. Peu de métiers pouvaient se targuer d'avoir comme « risques professionnels », la mort d'un autre homme. Il est vrai que la jeune femme avait une certaine habitude en la matière. Beaucoup de ses interrogatoires finissaient de façon tragique à cause de son manque d'empathie, de sa trop grande brutalité mais surtout de son impatience.

-Je n'ai pas ton habitude, répondit d'un ton acerbe John en se dirigeant à nouveau vers la salle de bain pour se servir un verre d'eau au lavabo.

Il voulait être seul et pensait que sa partenaire comprendrait le message mais à l'évidence, il se trompait. Kara le suivit et s'adossa au chambranle de la porte avant d'ironiser :

-Ne t'inquiète pas, ils feront passer ça pour un suicide.

Reese reposa brutalement le verre sur la faïence. Il observa sa partenaire dans le reflet du miroir en face de lui et sourit. Ce n'était pas un sourire de soulagement, encore moins de joie, il s'agissait d'un sourire froid, un sourire de tueur.

Évidemment que les autorités écriront sur l'acte de décès « suicide ». Le corps serait ensuite, dans le meilleur des cas, rendu à la famille, ou bien incinéré et les cendres disséminées quelque part. Il ferait parti de la dizaine de suicides recensés par les autorités américaines dans ses prisons.

Reese s'était toujours demandé comment l'opinion publique pouvait croire à ces mensonges ? Comment pouvait-on se suicider dans une prison de haute sécurité où les détenus, placés dans une pièce de 2 mètres sur 2 éclairée nuit et jour, étaient surveillés en permanence par des caméras et où les surveillants avaient pour ordre de jeter un coup d'œil dans les cellules toutes les quatre minutes ? Même la grève de la faim leur était refusée, les autorités préférant les gavages forcés plutôt que les laisser mourir… Dans ces conditions, comment pouvait-on s'enlever la vie ?

Mais il était tellement plus rassurant pour la population de fermer les yeux sur les dérives commises par son gouvernement au nom de la sûreté nationale. Les gens voulaient vivre en sécurité. Dans ce contexte post-11 septembre, peu importait la méthode, seul le résultat comptait. A chaque attentat déjoué, à chaque capture ou exécution d'un terroriste, le peuple poussait un immense soupir de soulagement. Il détournait les yeux et se bouchait les oreilles, ne préférant pas savoir, ne voulant pas savoir, comment les autorités avaient fait pour enchaîner ces succès.

Avec une lenteur calculée, John se retourna pour s'adosser au lavabo. Les bras croisés sur sa poitrine, il la toisa du regard pendant de longues secondes avant de répondre d'une voix glacialement détachée :

-Je ne suis pas inquiet.

La brune esquissa un demi-sourire, aussitôt contredit par l'éclat mauvais de ses yeux sombres.

-Bien, se contenta-t-elle de répondre.

Reese soupira intérieurement, pensant qu'elle en avait fini et qu'elle allait enfin partir. Mais là encore, il faisait fausse route. Elle glissa la main dans la poche de son pantalon de toile kaki et en ressortit un petit objet. Le sang du jeune homme se figea dans ses veines en reconnaissant la carte SIM. Il s'agissait de son ancienne carte téléphonique qu'il dissimulait toujours dans une poche de son pantalon. Elle ne le quittait jamais. Il aimait l'effleurer de temps en temps. Elle lui rappelait son existence passée, elle le raccrochait à Jessica, l'amour de sa vie, la femme qu'il avait abandonnée.

John serra les poings de colère. Il avait été imprudent. Tellement pressé de prendre une douche, il n'avait pas pris la peine de la cacher après avoir retiré son jean. Kara avait dû la découvrir en fouillant dans son pantalon qu'il avait laissé au sol. Quelle erreur de débutant ! Dans ce milieu, il savait qu'il ne devait faire confiance à personne, pas plus à ses partenaires qu'à ses ennemis !

Satisfaite de son petit effet, Kara sourit à nouveau avant de demander avec suffisance :

-Je peux savoir ce que c'est ?

-Une carte SIM, répondit John avec insolence pour essayer de masquer son malaise.

-Ne me prends pas pour une imbécile, répondit la jeune femme d'un ton abrupte, tu es toujours en lien avec elle ?

John la fusilla du regard et garda le silence, furieux de la perspicacité de sa partenaire. L'année passée, à New York, elle l'avait déjà mis en garde et lui avait conseillé de tirer un trait sur son ancienne vie, lui expliquant que dorénavant, ils ne faisaient plus partis du même monde. Mais il lui avait désobéi et avait conservé cette carte dans l'espoir un peu fou d'avoir encore des nouvelles de Jessica. Même s'il la savait mariée à un autre, menant une vie bien rangée à New Rochelle, ce lien tenu avec son passé lui rappelait qu'il était encore humain.

-Non, dit-il simplement.

-Bien. Je sais pourquoi tu la gardes mais tu ne fais plus partie de sa vie et encore moins de son monde. Chercher à la revoir est une erreur qui te mettrait non seulement en danger mais elle également, expliqua Stanton en se dégageant de l'encadrement de la porte d'un mouvement souple des hanches.

Lentement, elle s'avança pour venir se planter devant John. Elle le dévisagea avec une sorte de rictus de désapprobation, comme une mère qui s'apprêtait à punir un enfant désobéissant.

-Jette-la dans les toilettes, ordonna-t-elle d'une voix qui ne souffrait d'aucune discussion.

Le jeune homme se tendit comme un arc. Il serra les dents et ferma les poings, tout son corps se rebellant contre cet ordre. Durant de longues minutes, ils se défièrent du regard, chacun cherchant à faire plier l'autre. Finalement, le jeune homme céda. Sans la quitter des yeux, il saisit la carte et la jeta dans les toilettes situées juste à côté d'eux. Le visage de la jeune femme afficha alors d'un sourire victorieux. Elle se pencha et actionna la chasse d'eau, s'assurant ainsi que cet ultime lien entre son partenaire et son ancienne vie n'était plus qu'un souvenir.

Tellement accaparés par leur duel silencieux, ils n'entendirent pas la porte de la chambre s'ouvrir puis se refermer.

-Que se passe-t-il ici ?

Il fallut quelques secondes à John et Kara pour réaliser que Mark Snow venait d'entrer dans la chambre. La jeune femme fit un pas en arrière avant de se tourner vers son supérieur. Le petit homme brun à la calvitie déjà bien installée portait un impeccable costume malgré la chaleur accablante. Seules entorses à sa tenue stricte, il avait retiré sa veste et retroussé les manches de sa chemise blanche. Mais malgré cela, il transpirait abondement.

-Nous nous remémorions de vieux souvenirs, rétorqua la jeune femme avec un humour que John était loin d'apprécier.

Le regard noir de Mark passa lentement de l'un à l'autre. La tension était encore palpable entre les deux agents. L'air dans la petite salle de bain était irrespirable et la chaleur n'y était pour rien. Snow haussa un sourcil dubitatif avant de demander par pure formalité, car il était évident que les états d'âme entre Kara et John étaient le cadet de ses soucis. Seules les missions lui importaient. Et il était crucial pour lui de savoir si les deux étaient aptes à suivre ses ordres.

- Et alors ?

-C'est de l'histoire ancienne, coupa de manière un peu trop abrupte John en se détachant du lavabo et en passant devant ses partenaires pour retourner dans sa chambre, bousculant au passage Kara d'un coup d'épaule qui était loin d'être accidentel.

Mark le regarda passer en silence puis reporta son attention sur Stanton. La jeune femme haussa les épaules nonchalamment.

-John a toujours eu la fibre nostalgique, expliqua-t-elle avec un petit sourire en coin qui en disait long.

Sur ces mots, elle retourna dans la chambre et s'assit sur le lit comme si de rien n'était. John, quant à lui, était posté près de la fenêtre et observait, le visage fermé, l'extérieur à travers les persiennes.

-Qu'est-ce qui t'amène ? Demanda-t-il sans prendre la peine de se retourner vers son supérieur.

Snow ignora l'agressivité du ton et s'avança, se postant délibérément entre ses deux agents, tel un arbitre.

-On doit plier bagage, annonça-t-il sans préambule.

Surpris, John se retourna. Ils n'avaient même pas fini d'interroger tous les prisonniers… Satisfait d'avoir à nouveau l'attention de son agent, Mark continua :

-On nous attend pour une nouvelle mission.

-Où ça ? Demanda Kara, légèrement déçue à l'idée de partir car elle aimait particulièrement les séances d'interrogatoire.

Snow se tourna vers la jeune femme et annonça fièrement :

- Nous retournons dans notre mère-patrie !